4) Le développement
Personne ne nous demande d’avoir
des idées géniales ou hors du commun. Il est donc inutile de se creuser la
cervelle pour atteindre « l’illumination ». Par contre, l’écriture
philosophique réclame un travail continu d’implication, de déduction, de
liaison. Si l’on préfère le bonheur à la
vérité, cela suppose qu’on place le bien-être avant le savoir, mais en même
temps ce bien-être ne saurait se concevoir comme un simple plaisir physique
puisque il s’agit de bonheur, lequel caractérise une satisfaction de l’être, un
travail sur soi, voire un état d’âme. Cette référence à l’âme, à l’esprit nous
fait comprendre qu’il est impossible de résoudre la question en considérant que
le bonheur serait une satisfaction du corps et la vérité une satisfaction de
l’esprit. Pour être heureux, il faut que l’esprit soit serein, calme, apaisé,
équilibré mais comment pourrait-il l’être s’il n’est pas « centré »,
c’est-à-dire solidement ancré dans des certitudes « fondées », et
comment pourrait-il jouir de ces certitudes sans se poser la question de la vérité ?
Ce raisonnement par
exemple, n’est pas « génial ». Il suit simplement une certaine
logique et nous place très simplement dans la bonne perspective du sujet. Dans
la vie courante, nous prenons des positions qui correspondent soit à nos
intérêts, soit à ce qui nous fera « bien voir » de la personne avec
laquelle nous discutons. Il n’y a pas de mal à cela, c’est ainsi que cela
fonctionne en société mais la philosophie essaie de se situer dans un autre
registre d’exigences qui implique que vos prises de position ne doivent en
aucune manière s’orienter selon vos « préférences » ou celles que
vous supposez chez votre interlocuteur. Il s‘agit d’aborder une contradiction
en se retenant, le plus que l’on peut, d’y engager des préjugés de classe sociale,
d’appartenance religieuse, ou autre. Nous ne défendons rien, nous n’écrivons
pas davantage pour défendre telle ou telle cause que tel ou tel idéologie dans
laquelle nous avons été éduqué. Nous sommes tous les enfants des parents
lesquels nous ont inculqué des valeurs ou des façons de penser mais, dans une
dissertation, nous ne sommes les filles ou les fils de personne. Nous essayons
de penser non pas par nous-mêmes (car cette expression pose quantité de
problèmes) mais par soi-même, par ce qu’implique la plus pure et neutre
exigence de penser simplement « maintenant ».
L’utilisation du « je » dans les
formulations de type « je pense que… », « je crois que… »,
ou de « moi » dans « pour moi » « en ce qui me
concerne », etc. est très, très fortement déconseillée. Aucun problème
contenu dans un sujet de philosophie ne peut nous concerner exclusivement, en
tant que nous nous avons tel ou tel vécu. S’il nous a « troublé »,
comme cela est souhaitable, c’est qu’il nous a placé devant un paradoxe qui a davantage rapport avec ce que nous
sommes : « existant » qu’avec celui que nous sommes :
« Pierre, Paul ou Jacques ». C’est nécessairement cette dimension
de notre être, celle qui a été convoqué par le questionnement qui doit donc
s’exprimer. De plus toutes les
affirmations développées à partir de la
formulation : « pour moi » se situent « hors champs
philosophique » : elles expriment une opinion mais n’aspirent en
aucune manière à approfondir un problème. Ces prises de position fondées sur l’opinion
ne sont ni vraies, ni fausses, elles n’ont simplement pas leur place ici parce
qu’elles ne traitent aucune question.
En dernier lieu, il convient de se décomplexer
par rapport à l’écriture. Celle-ci nous permet de suivre le fil du
« trouble » ou de la fascination que nous éprouvons pour le paradoxe
compris dans le sujet. Si nous étions en face d’une personne à laquelle nous
communiquerions oralement nos réflexions, nous serions à la merci d’une
interruption, d’une intimidation ou, pire encore, nous serions tentés de faire
jouer tous ces ressorts qui, dans la plupart de nos discussions, nous
permettent de nous attirer les faveurs de notre interlocuteur (clin d’œil de
connivence, formulations avantageuses, etc.). Ecrire, c’est exprimer, dans un
milieu neutre, sobre et sans influences, le fil d’une pensée exclusivement
polarisée par la réalisation d’un problème. Dans cette perspective, la note est
secondaire. Un exercice imposé dans un milieu scolaire peut ainsi nous donner
l’occasion de saisir des réalités et des enjeux d’une nature qui dépasse
largement notre statut d’élève. Des pensées dont nous n’aurions envisagé la
formulation dans un autre contexte peuvent ainsi voir le jour dans le cadre de
cet exercice. Il nous faut avoir bien présent à l’esprit que notre correcteur
n’attend pas de nous un « corrigé type » mais seulement un réel
engagement et une certaine intensité d’attention. Il n’existe nulle part de
copie idéale de philosophie dont il conviendrait de se rapprocher. Notre
travail doit simplement marquer la continuité d’un certain niveau de
concentration sur une question.
5) La conclusion
Le traitement du problème est
infini mais ce n’est pas pour cela que notre dissertation doit être
interminable. Il convient donc de clore la réflexion par une conclusion qui se
divise en deux phases:
-
Décrire brièvement « notre
itinéraire », les moments de notre travail, les thèses essentielles qui
ont été mises à jour, les points les plus déterminants (« nous sommes
partis de cette évidence selon laquelle…etc. »)
-
Exprimer la façon de
considérer le problème qui nous semble aller le plus loin, la plus subtile, et
une fois ce travail de nuances effectué, répondre clairement à ce paradoxe
étant entendu que cette conclusion n’aspire en aucune façon à le résoudre
définitivement.
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