lundi 22 septembre 2014

Méthodologie de la dissertation - 3 (suite et fin)


4)  Le développement
Personne ne nous demande d’avoir des idées géniales ou hors du commun. Il est donc inutile de se creuser la cervelle pour atteindre « l’illumination ». Par contre, l’écriture philosophique réclame un travail continu d’implication, de déduction, de liaison. Si l’on préfère le bonheur à la vérité, cela suppose qu’on place le bien-être avant le savoir, mais en même temps ce bien-être ne saurait se concevoir comme un simple plaisir physique puisque il s’agit de bonheur, lequel caractérise une satisfaction de l’être, un travail sur soi, voire un état d’âme. Cette référence à l’âme, à l’esprit nous fait comprendre qu’il est impossible de résoudre la question en considérant que le bonheur serait une satisfaction du corps et la vérité une satisfaction de l’esprit. Pour être heureux, il faut que l’esprit soit serein, calme, apaisé, équilibré mais comment pourrait-il l’être s’il n’est pas « centré », c’est-à-dire solidement ancré dans des certitudes « fondées », et comment pourrait-il jouir de ces certitudes sans se poser la question de la vérité ?
Ce raisonnement par exemple, n’est pas « génial ». Il suit simplement une certaine logique et nous place très simplement dans la bonne perspective du sujet. Dans la vie courante, nous prenons des positions qui correspondent soit à nos intérêts, soit à ce qui nous fera « bien voir » de la personne avec laquelle nous discutons. Il n’y a pas de mal à cela, c’est ainsi que cela fonctionne en société mais la philosophie essaie de se situer dans un autre registre d’exigences qui implique que vos prises de position ne doivent en aucune manière s’orienter selon vos « préférences » ou celles que vous supposez chez votre interlocuteur. Il s‘agit d’aborder une contradiction en se retenant, le plus que l’on peut, d’y engager des préjugés de classe sociale, d’appartenance religieuse, ou autre. Nous ne défendons rien, nous n’écrivons pas davantage pour défendre telle ou telle cause que tel ou tel idéologie dans laquelle nous avons été éduqué. Nous sommes tous les enfants des parents lesquels nous ont inculqué des valeurs ou des façons de penser mais, dans une dissertation, nous ne sommes les filles ou les fils de personne. Nous essayons de penser non pas par nous-mêmes (car cette expression pose quantité de problèmes) mais par soi-même, par ce qu’implique la plus pure et neutre exigence de penser simplement « maintenant ».

L’utilisation du « je » dans les formulations de type « je pense que… », « je crois que… », ou de « moi » dans « pour moi » « en ce qui me concerne », etc. est très, très fortement déconseillée. Aucun problème contenu dans un sujet de philosophie ne peut nous concerner exclusivement, en tant que nous nous avons tel ou tel vécu. S’il nous a « troublé », comme cela est souhaitable, c’est qu’il nous a placé devant un paradoxe qui a davantage rapport avec ce que nous sommes : « existant » qu’avec celui que nous sommes : « Pierre, Paul ou Jacques ». C’est nécessairement cette dimension de notre être, celle qui a été convoqué par le questionnement qui doit donc s’exprimer. De plus toutes les  affirmations développées à partir de la formulation : « pour moi » se situent « hors champs philosophique » : elles expriment une opinion mais n’aspirent en aucune manière à approfondir un problème. Ces prises de position fondées sur l’opinion ne sont ni vraies, ni fausses, elles n’ont simplement pas leur place ici parce qu’elles ne traitent aucune question.


En dernier lieu, il convient de se décomplexer par rapport à l’écriture. Celle-ci nous permet de suivre le fil du « trouble » ou de la fascination que nous éprouvons pour le paradoxe compris dans le sujet. Si nous étions en face d’une personne à laquelle nous communiquerions oralement nos réflexions, nous serions à la merci d’une interruption, d’une intimidation ou, pire encore, nous serions tentés de faire jouer tous ces ressorts qui, dans la plupart de nos discussions, nous permettent de nous attirer les faveurs de notre interlocuteur (clin d’œil de connivence, formulations avantageuses, etc.). Ecrire, c’est exprimer, dans un milieu neutre, sobre et sans influences, le fil d’une pensée exclusivement polarisée par la réalisation d’un problème. Dans cette perspective, la note est secondaire. Un exercice imposé dans un milieu scolaire peut ainsi nous donner l’occasion de saisir des réalités et des enjeux d’une nature qui dépasse largement notre statut d’élève. Des pensées dont nous n’aurions envisagé la formulation dans un autre contexte peuvent ainsi voir le jour dans le cadre de cet exercice. Il nous faut avoir bien présent à l’esprit que notre correcteur n’attend pas de nous un « corrigé type » mais seulement un réel engagement et une certaine intensité d’attention. Il n’existe nulle part de copie idéale de philosophie dont il conviendrait de se rapprocher. Notre travail doit simplement marquer la continuité d’un certain niveau de concentration sur une question.
5)   La conclusion

Le traitement du problème est infini mais ce n’est pas pour cela que notre dissertation doit être interminable. Il convient donc de clore la réflexion par une conclusion qui se divise en deux phases:

-       Décrire brièvement « notre itinéraire », les moments de notre travail, les thèses essentielles qui ont été mises à jour, les points les plus déterminants (« nous sommes partis de cette évidence selon laquelle…etc. »)
-       Exprimer la façon de considérer le problème qui nous semble aller le plus loin, la plus subtile, et une fois ce travail de nuances effectué, répondre clairement à ce paradoxe étant entendu que cette conclusion n’aspire en aucune façon à le résoudre définitivement.





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