A
quoi reconnaît-on un mauvais film ? Nous avons évoqué récemment la
découverte de Olds et Milner et peut-être pourrions-nous répondre, à la lumière
de cette référence : « A ceci qu’il active notre système de
récompense. » Il existe, en effet, des scénarii qui semblent suivre à la
perfection un sillon, un cheminement, une attente : c’est exactement
ce que nous désirions voir se passer : nous pourrions replier les
dernières images sur les premières : à l’injustice dont le héros est
victime, aux malheurs qu’il subit de la part du gros méchant au début de
l’action répondent comme en écho et de façon quasi systématique les derniers
« clichés ». Chuck Norris, Steven Seagal, Schwartzy, Liam Neeson dans
Taken 1, etc. cassent tout sur leur passage jusqu’à l’apothéose : le duel
dans lequel la grosse ordure va payer pour tous ses crimes. « Il
faut » que le gentil gagne et que le méchant perde.
« On
va se venger, ça ne se passera pas comme ça ! » Ce qui est bien dans
la vengeance, c’est qu’on ne peut pas se tromper, on suit l’itinéraire fléché. Rambo
n’a sûrement pas lu « le comte de Monte-Cristo » mais il comprend la
loi du Talion. Il convient de s’interroger devant ce genre de film sur la
nature de notre assentiment : nous souffrons des coups infligés au héros
et nous satisfaisons pleinement, voire complaisamment dans la déconfiture du
gros méchant.
Dans
« Funny Games », Michaël Haneke filme deux adolescents sadiques qui
torturent une famille. Dans une scène on voit la mère déjouer la surveillance
de son bourreau et l’abattre d’un coup de fusil dans le ventre. Mais l’autre
ado se saisit alors de la télécommande et fait défiler les images en arrière
jusqu’à revenir à la scène avant le meurtre tout en nous adressant un clin
d’œil. Michael Haneke affirme avoir voulu par ce passage mettre le spectateur
en face de lui-même : « C’est ça que tu voudrais, n’est-ce
pas ? », mais si je te montrais « ça » : un méchant
puni et un gentil récompensé, ferais-je autre chose que me moquer de toi,
satisfaire les pulsions que j’aurais moi-même suscitées ? ». Le
réalisateur allemand essaie de nous faire comprendre la manipulation par la
manipulation. Nous sommes « joués », confrontés à une pulsion de
violence dont ne nous savions pas
capables. Nous voulons voir cet adolescent mourir et prenons un plaisir aussi
sadique que le sien dans le film à assister à sa mort.
Nous
tenons là un critère très pertinent de ce qui fait un « mauvais »
film. Lorsque nous sentons que le réalisateur suscite des pulsions qu’il
orchestre ensuite de telle sorte qu’elles trouvent dans les images une forme de
« défoulement », de satisfaction immédiate d’un désir haineux et
brutal, nous savons que quelqu’un est en train de jouer sur le clavier de nos
émotions les plus automatiques, les plus bestiales, usées et les plus
prévisibles. Nous sommes comme le rat qui active une centaine de fois la pédale
stimulant les signaux émetteurs de plaisir.
Le
personnage de Dexter nous invite à réfléchir sur ce processus car il est
impossible de regarder cette série sans éprouver une sympathie extrêmement
trouble à l’égard du héros, jusqu’à souhaiter, à de nombreuses reprises qu’il
ne soit pas démasqué. La série joue donc avec un certain machiavélisme de ces
émotions brutales qui ressurgissent à l’endroit de tous les criminels que
Dexter exécute mais en même temps le scénario est suffisamment travaillé pour
que nous ne nous laissions pas avoir par son apparence de justicier. Il ne fait
pas ça « par devoir », ou au nom d’une certaine conception
(totalement indéfendable) de la justice, il tue parce qu’il est malade, parce
qu’il ne peut pas faire autrement. Il est lui aussi pris dans le système de
récompense. Il a trouvé sa drogue. Quelque chose dans cette série (surtout dans
les premières saisons) rend possible une vraie réflexion bien que de nombreuses
scènes de violence extrême joue de façon obscène du rat de laboratoire qui est
aussi en nous.
La
dernière scène de « Seven » de David Fincher est par contre toute
aussi subtile qu’irréprochable car il est impossible, à moins de n’avoir
vraiment rien compris au film, de voir avec plaisir l’exécution du tueur en
série. Celui-ci « gagne » parce qu’il a tout misé sur les péchés des
humains, sur ces inclinations tellement prévisibles que l’on peut concevoir
un engrenage humain de stimulations et de réponses sans crainte d’être pris au
dépourvu. Nous comprenons la réaction du policier mais nous réalisons aussi
qu’en tant que réaction, elle réduit à néant l’affirmation d’une liberté
humaine. Un homme « serait » libre s’il pouvait
« observer » sa colère sans lui céder et ce n’est pas parce que ce
film, de façon très réaliste, cohérente et « plausible » nous décrit l’issue
presque irréversible d’une pulsion de vengeance que nous devons renoncer à l’affirmation
d’une libération possible de nos automatismes primaires de « réparation ».
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