Chaque groupe essaie de formuler : 1) l’idée essentielle du texte qui lui a été
attribué 2) l’argumentation utilisée par l’auteur pour justifier sa thèse et 3)
ce qui fait de ce passage une référence pertinente pour traiter le
sujet : « Faut-il préférer le bonheur à la vérité ? »
Texte 1 de
Pascal extrait des « Pensées »
« Mais quand j’ai pensé
de plus près et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs j’ai voulu
en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective et qui
consiste dans le malheur naturel de
notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous
consoler lorsque nous y pensons de près (…)
De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les
grands emplois sont si recherchés. Ce n’est pas qu’il y ait en effet du
bonheur, ni qu’on s’imagine que la vraie béatitude soit d’avoir l’argent qu’on
peut gagner au jeu ou dans le lièvre qu’on court, on n’en voudrait pas s’il
était offert. Ce n’est pas cet usage mou et paisible et qui nous laisse penser
à notre malheureuse condition qu’on recherche ni les dangers de la guerre ni la
peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser et nous
divertit. »
Texte 2 de
René Descartes extrait de « Lettres à Elisabeth »
« Madame,
Je me suis quelquefois proposé un
doute : savoir s'il est mieux d'être gai et content, en imaginant les
biens qu'on possède être plus grands et plus estimables qu'ils ne sont, et ignorant
ou ne s'arrêtant pas à considérer ceux qui manquent, que d'avoir plus de
considération et de savoir, pour connaître la juste valeur des uns et des
autres, et qu'on devienne plus triste. Si je pensais que le souverain bien fût
la joie, je ne douterais point qu'on ne dût tâcher de se rendre joyeux, à
quelque prix que ce pût être, et j'approuverais la brutalité de ceux qui noient
leurs déplaisirs dans le vin, ou les étourdissent avec du pétun. Mais je fais la distinction entre cette joie
et souverain bien, qui consiste en l'exercice de la vertu, dont l'acquisition dépend de nous. C'est pourquoi, voyant que c'est
une plus grande perfection de connaître la vérité, encore même qu'elle soit à
notre désavantage, que l'ignorer, j'avoue qu'il vaut mieux être moins gai et
avoir plus de connaissance. Aussi n'est-ce pas toujours lorsqu'on a le plus de
gaieté, qu'on a l'esprit plus satisfait; au contraire, les grandes joies sont
ordinairement mornes et sérieuses, et il n'y a que les médiocres et passagères,
qui soient accompagnées de rire. Ainsi je n'approuve point qu'on tâche à se
tromper, en se repaissant de fausses imaginations ; car tout le plaisir
qui en revient, ne peut toucher que la superficie de l'âme, laquelle sent
cependant une amertume intérieure, en
s'apercevant qu'ils sont faux. Et encore qu'il pourrait arriver qu'elle fût
si continuellement divertie ailleurs, que jamais elle ne s'en aperçût, on ne
jouirait pas pour cela de la béatitude dont il est question, pour ce qu'elle doit dépendre de notre
conduite, et cela ne viendrait que de la fortune. »
Texte 3 de Jean Anouilh extrait de « Antigone »
ANTIGONE. − Pourquoi veux-tu me faire taire ? Parce
que tu sais que j'ai raison ? Tu crois que je ne lis pas dans tes yeux que tu
le sais ? Tu sais que j'ai raison, mais tu ne l'avoueras jamais parce que tu es
en train de défendre ton bonheur en ce moment comme un os.
CRÉON. − Le tien et le mien, oui, imbécile !
ANTIGONE. − Vous me dégoûtez tous, avec votre bonheur
! Avec votre vie qu'il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui
lèchent tout ce qu'ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si
on n'est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, et que ce soit
entier ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter
d'un petit morceau si j'ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd'hui
et que cela soit aussi beau que quand j'étais petite ou mourir.
CRÉON. − Allez, commence, commence, comme ton père !
ANTIGONE. − Comme mon père, oui ! Nous sommes de ceux
qui posent les questions jusqu'au bout. Jusqu'à ce qu'il ne reste vraiment plus
la plus petite chance d'espoir vivante, la plus petite chance d'espoir à
étrangler. Nous sommes de ceux qui lui sautent dessus quand ils le rencontrent,
votre espoir, votre cher espoir, votre sale espoir !
CRÉON. − Tais-toi ! Si tu te voyais en criant ces
mots, tu es laide.
ANTIGONE. − Oui, je suis laide ! C'est ignoble,
n'est-ce pas, ces cris, ces sursauts, cette lutte de chiffonniers. Papa n'est
devenu beau qu'après, quand il a été bien sûr, enfin, qu'il avait tué son père,
que c'était bien avec sa mère qu'il avait couché, et que rien, plus rien ne
pouvait le sauver. Alors, il s'est calmé tout d'un coup, il a eu comme un
sourire, et il est devenu beau. C'était fini. Il n'a plus eu qu'à fermer les
yeux pour ne plus vous voir. Ah ! vos têtes, vos pauvres têtes de candidats au
bonheur ! C'est vous qui êtes laids, même les plus beaux. Vous avez tous
quelque chose de laid au coin de l'œil ou de la bouche. Tu l'as bien dit tout à
l'heure, Créon, la cuisine. Vous avez des têtes de cuisiniers !
Texte 4
de JMG Le Clézio extrait de son livre : « L’extase matérielle »
« L'idée
du bonheur est le type même du malentendu. Pourquoi le bonheur ? Pourquoi
faudrait-il que nous soyons heureux ? De quoi pourrait bien se nourrir un
sentiment si général, si abstrait, et pourtant si lié à la vie quotidienne ?
Quelle que soit l'idée qu'on s'en fait, le bonheur est simplement un accord
entre le monde et l'homme; il est une incarnation. Une civilisation qui fait du
bonheur sa quête principale est vouée à l'échec et aux belles paroles. Il n'y a
rien qui justifie un bonheur idéal, comme il n'y a rien qui justifie un amour
parfait, absolu, ou un sentiment de foi totale, ou un état de santé
perpétuelle. L'absolu n'est pas réalisable : cette mythologie ne résiste pas à
la lucidité. La seule vérité est d'être vivant, le seul bonheur est de savoir
qu'on est vivant.
(…) Il faut résister pour ne pas être entraîné. C'est
si facile; l'on se donne un maître à penser, choisi parmi les plus insolites et
les moins connus. Puis l'on échafaude, on rebâtit l'édifice que le cynisme
avait fait crouler, et on se sert des mêmes éléments. L'histoire de la pensée humaine, est, pour les neuf dixièmes,
l'histoire d'un vain jeu de cubes où les pièces ne cessent d'aller et venir,
usées, abîmées, truquées, s'ajustant mal. Que de temps perdu ! Que de vies
inutiles ! Alors que pour chaque homme, l'aventure est peut-être à refaire
entièrement. Alors que chaque
minute, chaque seconde qui passe change peut-être du tout au tout le visage de
la vérité.
Rien, rien n'est jamais résolu. Dans le mouvement
vertigineux de la pensée, il n'y a pas de fin, il n'y a pas de commencement. Il
n'y pas de SOLUTION, parce qu'il n'y a évidemment pas de problème. Rien n'est
posé. L'univers n'a pas de clé; pas de raison. »
« La véracité (le fait de dire la vérité) dans les déclarations
que l’on ne peut éviter est le devoir formel de l’homme envers chacun, quelque
grave inconvénient qu’il en puisse résulter pour lui ou pour un autre ; et
quoique, en y en altérant la vérité, je ne commette pas d’injustice envers
celui qui me force injustement à les faire, j’en commets cependant une en général
dans la plus importante partie du devoir par une semblable altération, et dès
lors celle-ci mérite bien le nom de mensonge. En effet, je fais en sorte,
autant qu’il est en moi, que les déclarations ne trouvent en général aucune
créance (croyance), et que par conséquent aussi tous les droits, qui sont
fondés sur des contrats, s’évanouissent et perdent leur force, ce qui est une
injustice faite à l’humanité en général. »
Texte
6 de Vladimir Jankélévitch extrait de « L’Ironie »
« Toute vérité n'est
pas bonne à dire ; on ne répond pas à toutes les questions, du moins on ne dit
pas n'importe quoi à n'importe qui. Il y a des vérités qu'il faut manier avec
des précautions infinies, à travers toutes sortes d'euphémismes et
d'astucieuses périphrases; l'esprit ne se pose sur elles qu'en décrivant de
grands cercles, comme un oiseau. Mais cela est encore peu dire : il y a un
temps pour chaque vérité, une loi d'opportunité qui est au principe même de
l'initiation ; avant il est trop tôt, après il est trop tard. (…) Ce n'est pas
tout de dire la vérité, « toute la vérité », n'importe quand, comme une brute :
l'articulation de la vérité veut être graduée ; on l'administre comme un élixir
puissant et qui peut être mortel, en augmentant la dose chaque jour, pour
laisser à l'esprit le temps de s'habituer. La première fois, par exemple, on
racontera une histoire ; plus tard on dévoilera le sens de l'allégorie. C'est
ainsi qu'il y a une histoire de saint Louis pour les enfants, une autre pour
les adolescents et une troisième pour les chartistes ; à chaque âge sa version
; car la pensée, en mûrissant, va de la lettre à l'esprit et traverse
successivement des plans de vérité de plus en plus ésotériques (difficiles
réservés à des spécialistes).
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