Depuis que le langage
existe, les hommes l’ont utilisé pour échanger, mais surtout pour s’opposer.
Ils ont ainsi établi le principe de « la vérité » pour donner à celui
qui la détiendrait ce que l’on a appelé « la raison ». La vérité du
latin « veritas », désignant ce qui est vrai, c’est-à-dire le
caractère de ce qui réunit la pensée et le réel. Le terme « raison »
signifiant à la fois connaître la vérité mais également avoir la capacité de la
découvrir ; celui qui « a raison » se trouve donc doublement
gratifié. Ainsi, pour toute discussion argumentée, on établit un
vainqueur : celui qui réussirait à convaincre ou à persuader son opposant
que ce qu’il dit est vrai. Il s’est alors créé chez les hommes un attachement
viscéral au fait de ne pas se tromper vis-à-vis de l’autre que le philosophe
Hume décrit selon ces mots : « les hommes sont naturellement
portés à être affirmatifs et dogmatiques dans leurs opinions ». Lors d’un
débat, il reste donc « peu d’espace » dans notre propre esprit
destiné à comprendre et envisager les idées d’autrui puisque la majorité de cet
espace a pour fonction de rendre nos idées les plus persuasives possible. On se
trouve alors détourné de la vérité au profit d’objectifs plus convaincants.
Néanmoins, y-a-t-il seulement une vérité ? Peut-on démontrer que l’on a
raison ou en est-on certain, par intuition ? Au regard de quoi
« avoir raison » a-t-il un sens dans notre vie ?
« J’ai raison ».
Cela veut dire qu’il existe, hors de ma pensée un critère qui me permet de la
valider. Trouver le critère, c’est dépasser le « je crois que j’ai
raison » pour arriver à « je sais que j’ai raison ». Il y a un
passage du subjectif, du personnel à quelque chose d’objectif et universel. On
cherche donc à obtenir une certitude médiate, défendable au-delà des limites de
son « moi ».
Cette recherche de la
vérité signifie que l’on souhaite éviter ses opposés : l’erreur,
l’illusion et le mensonge. En effet, l’erreur est l’exemple le plus simple de
ce qui n’est pas la vérité. Si une vérité est une connaissance absolue,
l’erreur constitue l’absence de connaissance. Kant la définit
ainsi : « Le contraire de la vérité est la fausseté quand elle
est tenue pour la vérité, elle se nomme « erreur ». » Car l’erreur,
plus que l’absence de connaissance est la croyance en quelque chose de faux. Le
mensonge peut également être considéré comme un manque de savoir mais ce manque
est transmis sciemment par une autre personne. Il y a la la volonté de tromper
une autre personne, c’est-à-dire de l’éloigner de la vérité.
Le 3e opposé de
la vérité est l’illusion. C’est une croyance fausse abusant l’esprit en étant
fondée sur un désir. L’illusion peut être considérée comme une barrière nous
empêchant d’atteindre la vérité. Plongés dans une illusion, nous pourrions
penser qu’un objet est réel, nos sens témoignant que cet objet est là. Pourtant
nous serions dans l’erreur en pensant cela. Nos sens ne peuvent donc pas
établir de vérités.
Le film Matrix illustre bien cette idée. Le
héros Néo croit vivre dans un monde qui n’est en réalité qu’un programme
informatique. Mais guidé par une intuition, il se trouve rapidement confronté à
un choix : rester dans le monde fictif ou bien se réveiller dans le monde
réel. Son choix de se réveiller traduit donc la volonté de se rapprocher de la
vérité. Toutefois, si la vérité peut être nécessaire au bonheur, l’illusion
peut également l’être. A ce propos Nietzsche dit : »la vie a besoin
d’illusions, c’est-à-dire de non-vérités tenues pour des vérités. » cela
souligne bien la complexité du choix de Néo dans Matrix. Car si la vie a besoin
d’illusions, la vie n’a pas besoin « d’être une illusion ».
Dans « Méditations
métaphysiques », Descartes se
lance dans un doute absolu de tout ce qui est, afin de découvrir s’il existe
une vérité absolue. Il cesse de croire ce que lui communiquent ses sens puis
définit comme fictions de son esprit « la figure, l’étendue, le mouvement
et le lieu » Il remet ensuite en question l’existence d’un Dieu avant de
se demander s’il n’est pas en train de douter de sa propre existence. Ce à quoi
il répond : « Non, certes, j’étais sans doute, si je me suis
persuadé, ou si j’ai seulement pensé quelque chose. » Voilà donc une
certitude absolue selon Descartes mais après avoir atteint la preuve de son
existence il se rend compte que tout ce qu’il a remis en question pourrait être
faux. On retrouve la possibilité de vivre dans une illusion. Néanmoins
Descartes dit au sujet de l’entité supposée le tromper : »il n’y a
donc point de doute que je suis s’il me trompe. » De la même manière qu’il
faut exister pour penser ne pas être, il faut ici, même dans la fausseté,
exister pour être trompé. Descartes conclue ensuite : « la
proposition : « je suis, j’existe » est nécessairement
vraie toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois dans mon
esprit. » On peut donc penser qu’il existe au moins une vérité : si
nous pensons, nous sommes. Mais peut-on obtenir d’autres certitudes à partir de
notre raison ou en étudiant le monde qui nous entoure ? La vérité
n’est-elle pas une intuition, une certitude de notre esprit ?
Si l’on cherche à avoir
raison, une discipline s’impose avant toutes les autres : les
mathématiques. En effet, comment imaginer une meilleure manière d’atteindre la
vérité qu’en utilisant uniquement sa raison dans un domaine qui ne concerne que
la raison ? Il serait vain de demander au plus éminent des mathématiciens
de démontrer que deux et deux ne font pas quatre car les mathématiques sont
conçues de telle façon que chaque raisonnement aboutit à une certitude unique
et inconditionnelle. Toutefois, on ne peut pas dire que les vérités
mathématiques sont tangibles et nous concernent directement. Alors existe-t-il
d’autres sciences plus proches du monde matériel qui peuvent aboutir à des
certitudes ?
Dans la logique de la
découverte scientifique, Popper décrit la manière d’éprouver une théorie
scientifique expérimentale. La démarche est déductive puisqu’il part d’hypothèses
tirées de théories antérieures qu’il va chercher à confirmer par des tests
expérimentaux. Si ces tests aboutissent à infirmer l’hypothèse, ils infirment
également les énoncés dont elle est tirée. Dans le cas inverse, Popper dit
« la théorie a provisoirement réussi son test : nous n’avons
pas trouvé de raison de l’écarter. » ce qui montre que son résultat est
conditionné. Des tests futurs dans des circonstances différentes pourraient
permettre de l’invalider. Cette démarche traduit donc un certain scepticisme
des scientifiques qui remettent constamment leur travail en question.. Ainsi
« un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être
réfuté par l’expérience. » Une théorie doit donc pour être scientifique
s’exposer à l’invalidation, prendre un risque, c’est-à-dire qu’elle doit se prêter
à un maximum de tests. Plus elle leur résistera, plus elle pourra être
considérée comme valable. « La logique de la découverte
scientifique » nous montre donc qu’il est possible pour les sciences
expérimentales de mesurer leur approche de la vérité tout en ayant connaissance
de leur impuissance à l’atteindre. Alors
comment être certain de l’existence et des limites de ce qui nous
entoure ?
Les sciences
expérimentales et le scepticisme en général nous amènent à douter de ce qu’est
vraiment notre environnement. Or certaines certitudes sont ancrées en nous
comme l’existence du temps et de l’espace. Dans ses « pensées »,
Pascal différencie les vérités de raison que l’on obtient par démonstration, en
mathématiques par exemple, et les vérités dee cœur que nous sentons vraies par
intuition. Mais pour lui, si certains principes sont sûrs, ce sont les vérités
de cœur : « Car la connaissance des premiers principes comme
qu’il y a espace, temps, mouvement, nombre est aussi ferme qu’aucune de celles
que la raison nous donne. » or pour Pascal, ces certitudes sont tellement
fortes que l’on devrait raisonner à partir d’elles : « C’est sur
ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il fau que la raison s’appuie, et
qu’elle y fonde tout son discours. » Il y a une base de principes que nous
savons être vraie mais qui nous dépasse et qui, dés lors, ne peut être remis en
question. Selon Pascal, les vérités de cœur ne peuvent être démontrées. Il
convient donc, pour atteindre la vérité, de ne pas s’enfermer dans un
scepticisme absolu et stérile. Mais alors à quoi bon avoir raison, en quoi
« avoir raison » pourrait-il avoir un sens dans notre vie ?
Lorsque nous opérons un
choix, nous pensons avoir raison, mais le savons-nous ? Au regard de quel
idéal, de quelle norme « avoir raison » aurait un sens ?
Y-a-t-il un critère hors des circonstances qui définissent une justesse de
l’action ? La vie serait-elle une improvisation permanente où chacun
disposerait d’un libre-arbitre absolu ?
Nous pourrions finalement
penser que l’entité la plus à même de déterminer si nous avons raison soit
nous-mêmes. « Avoir raison » ne serait qu’une manière de désigner son
propre intérêt dans un monde où régnerait la loi du plus fort. Le démagogue qui
ment à des fins politiques a-t-il raison de le faire ? Nous serions alors
tentés de dire « oui ». D’autant que Bourdieu a
déclaré : « Il n’y a pas de force intrinsèque de l’idée
vraie », c’est-à-dire que les idées seules n’ont aucune force pour
orienter les actions des hommes. Mais où pourrait débuter cette interdépendance
des actions ? Quel principe régit les interactions humaines et empêche le
chaos de s’établir ?
Il existe donc un
universel humain qui permet aux hommes de vivre entre eux. Kant l’a nommé
« impératif catégorique » et l’a résumé en ces
mots : « Agis toujours de telle sorte que la maxime de ton
action puisse être érigée en maxime universelle. » Avant de réaliser une
action, nous devrions donc accepter qu’elle puisse être accomplie par
l’humanité. C’est ainsi que chacun peut déterminer si son action va nuire, et
donc, si elle est moralement acceptable. Il est par exemple, proscrit de
tromper ou de faire violence à quelqu’un d’autre pour la raison évidente
qu’aucun monde ne pourrait valoir ni fonctionner sur la base de tels principes.
Et même si cette morale n’entrave pas toujours notre libre-arbitre, elle a
permis l’établissement de nos sociétés et en a assuré la pérennité jusqu’à
aujourd’hui.
Pas de doute, nous sommes
puisque nous pensons mais le monde qui nous entoure échappe à toute tentative
de raisonnement alors que notre intuition nous assure qu’il est tel que nous le
percevons. Et au milieu de cette opposition entre démonstration et intuition,
les rapports entre les hommes s’organisent entre liberté et moralité.
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