mardi 13 octobre 2015

"Puis-je savoir que j'ai raison?" - Copie de Gaël Nottet (TS2)


Depuis que le langage existe, les hommes l’ont utilisé pour échanger, mais surtout pour s’opposer. Ils ont ainsi établi le principe de « la vérité » pour donner à celui qui la détiendrait ce que l’on a appelé « la raison ». La vérité du latin « veritas », désignant ce qui est vrai, c’est-à-dire le caractère de ce qui réunit la pensée et le réel. Le terme « raison » signifiant à la fois connaître la vérité mais également avoir la capacité de la découvrir ; celui qui « a raison » se trouve donc doublement gratifié. Ainsi, pour toute discussion argumentée, on établit un vainqueur : celui qui réussirait à convaincre ou à persuader son opposant que ce qu’il dit est vrai. Il s’est alors créé chez les hommes un attachement viscéral au fait de ne pas se tromper vis-à-vis de l’autre que le philosophe Hume décrit selon ces mots : « les hommes sont naturellement portés à être affirmatifs et dogmatiques dans leurs opinions ». Lors d’un débat, il reste donc « peu d’espace » dans notre propre esprit destiné à comprendre et envisager les idées d’autrui puisque la majorité de cet espace a pour fonction de rendre nos idées les plus persuasives possible. On se trouve alors détourné de la vérité au profit d’objectifs plus convaincants. Néanmoins, y-a-t-il seulement une vérité ? Peut-on démontrer que l’on a raison ou en est-on certain, par intuition ? Au regard de quoi « avoir raison » a-t-il un sens dans notre vie ?
« J’ai raison ». Cela veut dire qu’il existe, hors de ma pensée un critère qui me permet de la valider. Trouver le critère, c’est dépasser le « je crois que j’ai raison » pour arriver à « je sais que j’ai raison ». Il y a un passage du subjectif, du personnel à quelque chose d’objectif et universel. On cherche donc à obtenir une certitude médiate, défendable au-delà des limites de son « moi ».

Cette recherche de la vérité signifie que l’on souhaite éviter ses opposés : l’erreur, l’illusion et le mensonge. En effet, l’erreur est l’exemple le plus simple de ce qui n’est pas la vérité. Si une vérité est une connaissance absolue, l’erreur constitue l’absence de connaissance. Kant la définit ainsi : « Le contraire de la vérité est la fausseté quand elle est tenue pour la vérité, elle se nomme « erreur ». » Car l’erreur, plus que l’absence de connaissance est la croyance en quelque chose de faux. Le mensonge peut également être considéré comme un manque de savoir mais ce manque est transmis sciemment par une autre personne. Il y a la la volonté de tromper une autre personne, c’est-à-dire de l’éloigner de la vérité.
Le 3e opposé de la vérité est l’illusion. C’est une croyance fausse abusant l’esprit en étant fondée sur un désir. L’illusion peut être considérée comme une barrière nous empêchant d’atteindre la vérité. Plongés dans une illusion, nous pourrions penser qu’un objet est réel, nos sens témoignant que cet objet est là. Pourtant nous serions dans l’erreur en pensant cela. Nos sens ne peuvent donc pas établir de vérités.
 Le film Matrix illustre bien cette idée. Le héros Néo croit vivre dans un monde qui n’est en réalité qu’un programme informatique. Mais guidé par une intuition, il se trouve rapidement confronté à un choix : rester dans le monde fictif ou bien se réveiller dans le monde réel. Son choix de se réveiller traduit donc la volonté de se rapprocher de la vérité. Toutefois, si la vérité peut être nécessaire au bonheur, l’illusion peut également l’être. A ce propos Nietzsche dit : »la vie a besoin d’illusions, c’est-à-dire de non-vérités tenues pour des vérités. » cela souligne bien la complexité du choix de Néo dans Matrix. Car si la vie a besoin d’illusions, la vie n’a pas besoin « d’être une illusion ».

Dans « Méditations métaphysiques »,  Descartes se lance dans un doute absolu de tout ce qui est, afin de découvrir s’il existe une vérité absolue. Il cesse de croire ce que lui communiquent ses sens puis définit comme fictions de son esprit « la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu » Il remet ensuite en question l’existence d’un Dieu avant de se demander s’il n’est pas en train de douter de sa propre existence. Ce à quoi il répond : « Non, certes, j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou si j’ai seulement pensé quelque chose. » Voilà donc une certitude absolue selon Descartes mais après avoir atteint la preuve de son existence il se rend compte que tout ce qu’il a remis en question pourrait être faux. On retrouve la possibilité de vivre dans une illusion. Néanmoins Descartes dit au sujet de l’entité supposée le tromper : »il n’y a donc point de doute que je suis s’il me trompe. » De la même manière qu’il faut exister pour penser ne pas être, il faut ici, même dans la fausseté, exister pour être trompé. Descartes conclue ensuite : « la proposition : « je suis, j’existe » est nécessairement vraie toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois dans mon esprit. » On peut donc penser qu’il existe au moins une vérité : si nous pensons, nous sommes. Mais peut-on obtenir d’autres certitudes à partir de notre raison ou en étudiant le monde qui nous entoure ? La vérité n’est-elle pas une intuition, une certitude de notre esprit ?
Si l’on cherche à avoir raison, une discipline s’impose avant toutes les autres : les mathématiques. En effet, comment imaginer une meilleure manière d’atteindre la vérité qu’en utilisant uniquement sa raison dans un domaine qui ne concerne que la raison ? Il serait vain de demander au plus éminent des mathématiciens de démontrer que deux et deux ne font pas quatre car les mathématiques sont conçues de telle façon que chaque raisonnement aboutit à une certitude unique et inconditionnelle. Toutefois, on ne peut pas dire que les vérités mathématiques sont tangibles et nous concernent directement. Alors existe-t-il d’autres sciences plus proches du monde matériel qui peuvent aboutir à des certitudes ?

Dans la logique de la découverte scientifique, Popper décrit la manière d’éprouver une théorie scientifique expérimentale. La démarche est déductive puisqu’il part d’hypothèses tirées de théories antérieures qu’il va chercher à confirmer par des tests expérimentaux. Si ces tests aboutissent à infirmer l’hypothèse, ils infirment également les énoncés dont elle est tirée. Dans le cas inverse, Popper dit « la théorie  a provisoirement réussi son test : nous n’avons pas trouvé de raison de l’écarter. » ce qui montre que son résultat est conditionné. Des tests futurs dans des circonstances différentes pourraient permettre de l’invalider. Cette démarche traduit donc un certain scepticisme des scientifiques qui remettent constamment leur travail en question.. Ainsi « un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l’expérience. » Une théorie doit donc pour être scientifique s’exposer à l’invalidation, prendre un risque, c’est-à-dire qu’elle doit se prêter à un maximum de tests. Plus elle leur résistera, plus elle pourra être considérée comme valable. « La logique de la découverte scientifique » nous montre donc qu’il est possible pour les sciences expérimentales de mesurer leur approche de la vérité tout en ayant connaissance de leur impuissance  à l’atteindre. Alors comment être certain de l’existence et des limites de ce qui nous entoure ?

Les sciences expérimentales et le scepticisme en général nous amènent à douter de ce qu’est vraiment notre environnement. Or certaines certitudes sont ancrées en nous comme l’existence du temps et de l’espace. Dans ses « pensées », Pascal différencie les vérités de raison que l’on obtient par démonstration, en mathématiques par exemple, et les vérités dee cœur que nous sentons vraies par intuition. Mais pour lui, si certains principes sont sûrs, ce sont les vérités de cœur : « Car la connaissance des premiers principes comme qu’il y a espace, temps, mouvement, nombre est aussi ferme qu’aucune de celles que la raison nous donne. » or pour Pascal, ces certitudes sont tellement fortes que l’on devrait raisonner à partir d’elles : « C’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il fau que la raison s’appuie, et qu’elle y fonde tout son discours. » Il y a une base de principes que nous savons être vraie mais qui nous dépasse et qui, dés lors, ne peut être remis en question. Selon Pascal, les vérités de cœur ne peuvent être démontrées. Il convient donc, pour atteindre la vérité, de ne pas s’enfermer dans un scepticisme absolu et stérile. Mais alors à quoi bon avoir raison, en quoi « avoir raison » pourrait-il avoir un sens dans notre vie ?

Lorsque nous opérons un choix, nous pensons avoir raison, mais le savons-nous ? Au regard de quel idéal, de quelle norme « avoir raison » aurait un sens ? Y-a-t-il un critère hors des circonstances qui définissent une justesse de l’action ? La vie serait-elle une improvisation permanente où chacun disposerait d’un libre-arbitre absolu ?
Nous pourrions finalement penser que l’entité la plus à même de déterminer si nous avons raison soit nous-mêmes. « Avoir raison » ne serait qu’une manière de désigner son propre intérêt dans un monde où régnerait la loi du plus fort. Le démagogue qui ment à des fins politiques a-t-il raison de le faire ? Nous serions alors tentés de dire « oui ». D’autant que Bourdieu a déclaré : « Il n’y a pas de force intrinsèque de l’idée vraie », c’est-à-dire que les idées seules n’ont aucune force pour orienter les actions des hommes. Mais où pourrait débuter cette interdépendance des actions ? Quel principe régit les interactions humaines et empêche le chaos de s’établir ?

Il existe donc un universel humain qui permet aux hommes de vivre entre eux. Kant l’a nommé « impératif catégorique » et l’a résumé en ces mots : « Agis toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en maxime universelle. » Avant de réaliser une action, nous devrions donc accepter qu’elle puisse être accomplie par l’humanité. C’est ainsi que chacun peut déterminer si son action va nuire, et donc, si elle est moralement acceptable. Il est par exemple, proscrit de tromper ou de faire violence à quelqu’un d’autre pour la raison évidente qu’aucun monde ne pourrait valoir ni fonctionner sur la base de tels principes. Et même si cette morale n’entrave pas toujours notre libre-arbitre, elle a permis l’établissement de nos sociétés et en a assuré la pérennité jusqu’à aujourd’hui.
Pas de doute, nous sommes puisque nous pensons mais le monde qui nous entoure échappe à toute tentative de raisonnement alors que notre intuition nous assure qu’il est tel que nous le percevons. Et au milieu de cette opposition entre démonstration et intuition, les rapports entre les hommes s’organisent entre liberté et moralité.


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