1er semestre: la recherche de soi (du romantisme (fin 18e) au 20e siècle)
- Education, transmission et émancipation
- Les expressions la sensibilité
- Les métamorphoses du moi
2e semestre: l’Humanité en question ( du 20e au 21e siècle)
- Création, continuités et ruptures
- Histoire et violence
- l’Humain et ses limites
- Education, transmission et émancipation
- Les expressions la sensibilité
- Les métamorphoses du moi
2e semestre: l’Humanité en question ( du 20e au 21e siècle)
- Création, continuités et ruptures
- Histoire et violence
- l’Humain et ses limites
Qu’est-ce qui caractérise le héros romantique? Trois éléments:
- L’intimité, le rapport à soi (les confessions)
- La sensibilité
- Le lien à la nature et si possible de façon solitaire: Rousseau (Rêveries du promeneur solitaire)
Le héros romantique a horreur de la foule, de la masse, de l’identification à un groupe indifférencié. On part à la recherche de soi comme on se met en quête du « saint graal » de la singularité, de l’unicité, de l’originalité d’être moi. On peut prendre le terme de recherche en plusieurs sens: avoir un moi recherché, ce n’est pas seulement être en quête d’une forme d’authenticité qui serait cachée, c’est aussi cultiver en soi des qualités plus étudiées, plus rares, faire droit au désir de n’être pas comme tout le monde.
Cette recherche de soi sera envisagée par le biais de 3 questions:
a) la recherche de soi est-elle compatible avec l’éducation? Eduquer est-ce libérer ou contraindre? Evidemment la réponse n’est pas aussi évidente qu’il peut sembler, car il n’est pas exclu que la contrainte puisse aider à libérer. Imposer un pouvoir ou libérer une puissance mais ne faut-il pas placer l’enfant devant la nécessité d’un passage à l’acte pour créer la libération? Le moi pourrait-il être constitué comme un tout dés la naissance? C’est douteux
b) La recherche de soi passe-t-elle par une expérience du sensible? Par la culture de la sensibilité esthétique susceptible de créer et de comprendre des oeuvres? Qu’est-ce qui se passe exactement entre une oeuvre et une attention, une présence? Qu’est-ce qu’être présent à une oeuvre d’art? Qu’est-ce que mon « moi » y gagne? Pourquoi se sent-il plus concerné par le requiem des morts que par la publication de telle ou telle loi?
c) La recherche de soi permet-elle vraiment de saisir le moi? Se pourrait-il qu’elle soit constituée par cette recherche comme une sorte d’enquête dont l’objet même serait en fait constitué par le fil de l’enquête, comme si cet auto-portrait n’avait en fait pas d’autre chair, pas d’autre substance que celle que dessine le mouvement même de sa visée. Se pourrait-il qu’être soi se fasse, se construise dans le mouvement même que l’on nourrit de se découvrir? Ricoeur: l’ipséïté, la mêmeté et l’identité narrative. Se pourrait-il que nous ne soyons que sensible?
"L'être que j'appelle moi vint au monde un certain lundi 8 juin 1903, vers les 8 heures du matin, à Bruxelles, et naissait d'un Français appartenant à une vieille famille du nord, et d'une Belge dont les ascendants avaient été durant quelques siècles établis à Liège, puis s'étaient fixés dans le Hainaut. La maison où se passait cet événement, puisque toute naissance en est un pour le père et la mère et quelques personnes qui leur tiennent de près, se trouvait située au numéro 193 de l'avenue Louise, et a disparu il y a une quinzaine d'années, dévorée par un building.
Ayant ainsi consigné ces quelques faits qui ne signifient rien par eux-mêmes, et qui, cependant, et pour chacun de nous, même plus loin que notre propre histoire et même que l'histoire tout court, je m'arrête, prise de vertige devant l'inextricable enchevêtrement d'incidents et de circonstances qui plus ou moins nous déterminent tous. Cet enfant du sexe féminin, déjà pris dans les coordonnées de l'ère chrétienne et de l'Europe du XXème siècle, ce bout de chair rose pleurant dans un berceau bleu, m'oblige à me poser une série de questions d'autant plus redoutables qu'elles paraissent banales, et qu'un littérateur qui sait son métier se garde bien de formuler. Que cet enfant soit moi, je n'en puis douter sans douter de tout. Néanmoins, pour triompher en partie du sentiment d'irréalité que me donne cette identification, je suis forcée, tout comme je le serais pour un personnage historique que j'aurais tenté de recréer, de m'accrocher à des bribes de souvenirs reçus de seconde ou de dixième main, à des informations tirées de bouts de lettre ou de feuillets de calepins qu'on a négligé de jeter au panier, et que notre avidité de savoir pressure au-delà de ce qu'ils peuvent donner, ou d'aller compulser dans les mairies ou chez des notaires des pièces authentiques dont le jargon administratif et légal élimine tout contenu humain. Je n'ignore pas que tout cela est faux ou vague comme tout ce qui a été réinterprété par la mémoire de trop d'individus différents, plat comme ce qu'on écrit sur la ligne pointillée d'une demande de passeport, niais comme les anecdotes qu'on se transmet en famille, rongé par ce qui entre temps s'est amassé en nous comme une pierre par le lichen ou du métal par la rouille. Ces bribes de faits crus connus sont cependant entre cet enfant et moi la seule passerelle viable ; ils sont aussi la seule bouée qui nous soutient tout deux sur la mer du temps."
Marguerite Yourcenar, Souvenirs pieux
Ayant ainsi consigné ces quelques faits qui ne signifient rien par eux-mêmes, et qui, cependant, et pour chacun de nous, même plus loin que notre propre histoire et même que l'histoire tout court, je m'arrête, prise de vertige devant l'inextricable enchevêtrement d'incidents et de circonstances qui plus ou moins nous déterminent tous. Cet enfant du sexe féminin, déjà pris dans les coordonnées de l'ère chrétienne et de l'Europe du XXème siècle, ce bout de chair rose pleurant dans un berceau bleu, m'oblige à me poser une série de questions d'autant plus redoutables qu'elles paraissent banales, et qu'un littérateur qui sait son métier se garde bien de formuler. Que cet enfant soit moi, je n'en puis douter sans douter de tout. Néanmoins, pour triompher en partie du sentiment d'irréalité que me donne cette identification, je suis forcée, tout comme je le serais pour un personnage historique que j'aurais tenté de recréer, de m'accrocher à des bribes de souvenirs reçus de seconde ou de dixième main, à des informations tirées de bouts de lettre ou de feuillets de calepins qu'on a négligé de jeter au panier, et que notre avidité de savoir pressure au-delà de ce qu'ils peuvent donner, ou d'aller compulser dans les mairies ou chez des notaires des pièces authentiques dont le jargon administratif et légal élimine tout contenu humain. Je n'ignore pas que tout cela est faux ou vague comme tout ce qui a été réinterprété par la mémoire de trop d'individus différents, plat comme ce qu'on écrit sur la ligne pointillée d'une demande de passeport, niais comme les anecdotes qu'on se transmet en famille, rongé par ce qui entre temps s'est amassé en nous comme une pierre par le lichen ou du métal par la rouille. Ces bribes de faits crus connus sont cependant entre cet enfant et moi la seule passerelle viable ; ils sont aussi la seule bouée qui nous soutient tout deux sur la mer du temps."
Marguerite Yourcenar, Souvenirs pieux
Durée de l’épreuve: 4h - coefficient 16
Interprétation littéraire: peut-on dire, avec Marguerite Yourcenar, que la connaissance de soi s’apparente à une véritable enquête?
Essai philosophique: Douter de soi, est-ce douter de tout?
Distinction Individu / Personne / Sujet
2e semestre: l’humanité en question
L’humanité n’est que questionnée: c’est ce que les mythes les plus anciens ne cessent de révéler: du fruit défendu au mythe de prométhée, l’espèce humaine est atopique (étymologiquement: sans lieu). On pourrait parler de « condition » humaine dans tous les sens du terme: c’est à la fois une appellation, une appartenance et une hypothèse. L’Homme est toujours dans la tentative de définition, dans la supposition de ce qu’un être à à faire et à devenir pour être humain. On peut ici penser à Oedipe qui va tenter de se constituer une vie humaine dans le sillage d’une prédiction horrible, inhumaine, absolument excluante de toute normalité. L’ironie de la vie d’Oedipe résidant dans le fait que c’est toujours dans la tentative de reprise ou de maîtrise de sa vie humaine qu’il accomplit toujours sans le savoir l’inhumanité même: le meurtre du père et l’amour charnel de la mère. Œdipe est fondamentalement privé d’origine, de matrice identitaire et naturelle, légitimement en quête de savoir, il accomplira l’immonde, au sens étymologique, ce qui ressort du monde et n’est pas compatible avec lui.
C’est un destin étrangement humain. « L’homme n’est ni ange ni bête et qui veut faire l’ange fait la bête » dit Pascal. De fait, cette partie du programme nous invite à prendre du recul sur l’aventure humaine. Jusqu’à quel point pouvons-nous nous représenter notre espèce avec des yeux de martiens ou d’étrangers fondamentaux pour nous voir, nous dire, nous présumer, nous suivre?
De fait, nous serons d’abord confrontés à des vitesses d’évolutions différentes, à des ruptures de rythmes dans un mouvement qui ne saurait en aucune façon se concevoir uniformément pas davantage d’un point de vue technologique que moral, économique, politique ou artistique.
On peut ici penser à la description de l’Homme par le Choeur d’Antigone:
« Il est bien des merveilles en ce monde, il n’en est pas de plus grande que l’homme.
Il est l’être qui sait traverser la mer grise, à l’heure où souffle le vent du Sud et ses orages, et qui va son chemin au milieu des abîmes que lui ouvrent les flots soulevés. Il est l’être qui tourmente la déesse auguste entre toutes, la Terre, la Terre éternelle et infatigable, avec ses charrues qui vont chaque année la sillonnant sans répit, celui qui la fait labourer par les produits de ses cavales.
Les oiseaux étourdis, il les enserre et il les prend, tout comme le gibier des champs et les poissons peuplant les mers, dans les mailles de ses filets, l’homme à l’esprit ingénieux. Par ses engins il se rend maître de l’animal sauvage qui va courant les monts, et, le moment venu, il mettra sous le joug et le cheval à l’épaisse crinière et l’infatigable taureau des montagnes.
Parole, pensée vite comme le vent, aspirations d’où naissent les cités, tout cela il se l’est enseigné à lui-même, aussi bien qu’il a su, en se faisant un gîte,
se dérober aux traits du gel ou de la pluie, cruels à ceux qui n’ont d’autres toits que le ciel ?
Bien armé contre tout, il ne se voit désarmé contre rien de ce que peut lui offrir l’avenir. Contre la mort seule, il n’aura jamais de charme permettant de lui échapper, bien qu’il ait déjà su contre les maladies les plus opiniâtres imaginer plus d’un remède.
Mais, ainsi maître d’un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance, il peut prendre ensuite la route du mal comme du bien.
Qu’il fasse donc dans ce savoir une part aux lois de son pays et à la justice des dieux, à laquelle il a juré foi !
Il montera alors très haut au-dessus de sa cité, tandis qu’il s’exclut de cette cité le jour où il laisse le crime le contaminer par bravade.
Ah ! Qu’il n’ait plus de place alors à mon foyer ni parmi mes amis, si c’est là comme il se comporte !
SOPHOCLE (549-406 av.JC) dans « ANTIGONE »(442)
Il est l’être qui sait traverser la mer grise, à l’heure où souffle le vent du Sud et ses orages, et qui va son chemin au milieu des abîmes que lui ouvrent les flots soulevés. Il est l’être qui tourmente la déesse auguste entre toutes, la Terre, la Terre éternelle et infatigable, avec ses charrues qui vont chaque année la sillonnant sans répit, celui qui la fait labourer par les produits de ses cavales.
Les oiseaux étourdis, il les enserre et il les prend, tout comme le gibier des champs et les poissons peuplant les mers, dans les mailles de ses filets, l’homme à l’esprit ingénieux. Par ses engins il se rend maître de l’animal sauvage qui va courant les monts, et, le moment venu, il mettra sous le joug et le cheval à l’épaisse crinière et l’infatigable taureau des montagnes.
Parole, pensée vite comme le vent, aspirations d’où naissent les cités, tout cela il se l’est enseigné à lui-même, aussi bien qu’il a su, en se faisant un gîte,
se dérober aux traits du gel ou de la pluie, cruels à ceux qui n’ont d’autres toits que le ciel ?
Bien armé contre tout, il ne se voit désarmé contre rien de ce que peut lui offrir l’avenir. Contre la mort seule, il n’aura jamais de charme permettant de lui échapper, bien qu’il ait déjà su contre les maladies les plus opiniâtres imaginer plus d’un remède.
Mais, ainsi maître d’un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance, il peut prendre ensuite la route du mal comme du bien.
Qu’il fasse donc dans ce savoir une part aux lois de son pays et à la justice des dieux, à laquelle il a juré foi !
Il montera alors très haut au-dessus de sa cité, tandis qu’il s’exclut de cette cité le jour où il laisse le crime le contaminer par bravade.
Ah ! Qu’il n’ait plus de place alors à mon foyer ni parmi mes amis, si c’est là comme il se comporte !
SOPHOCLE (549-406 av.JC) dans « ANTIGONE »(442)
Or nous savons bien qu’en effet il s’est laissé contaminer par le crime ou par l’hubris (la démesure et l’orgueil).
a) Cela nous invite d’abord à nous interroger sur ce rapport permanent de l’homme avec la tradition et la création. Il est très intéressant de penser ici à ce que Bernard Stiegler appelle le « double redoublement epokhal ». Chaque époque se constitue d’abord à partir d’innovations techniques qui sont finalement imprévisibles et à partir desquelles des structures sociales, économiques politiques se constitue. Par exemple, la cité grecque est inconcevable sans l’écriture. Or selon Stiegler, ce que nous vivons aujourd’hui est une rupture, une disruption, à savoir que les innovations techniques nées d’une certaine utilisation du numérique ne permettent pas à des structures politiques, juridiques, collectives de s’instaurer, de faire époque et individuation.
b) L’histoire n’est-elle que bruit et fureur? Comment la littérature et les arts peuvent-ils donner du sens à des évènements de pure violence défiant la notion même de sens? Beckett, Zoran Music, le nouveau Roman. On voit monter dans la littérature cette intuition d’un monde absurde auquel il faut donner sens par l’oeuvre.
c) Quels savoirs et quelles techniques permettent à l’humanité de s’affranchir de ses limites, à supposer qu’elle en ait? C’est la question de l’homme augmenté, du trans-humanisme. On peut opposer ces perspectives de l’homme augmenté par la science à la vision de l’homme comme passage selon Nietzsche.
Exemple de sujet du bac 4h - Coefficient 16
Dans des phénomènes historiques comme la Révolution de 1789, la Commune, la Révolution de 1917, il y a toujours une part d’événement, irréductible aux déterminismes sociaux, aux séries causales. Les historiens n’aiment pas bien cet aspect : ils restaurent des causalités par-après. Mais l’événement lui-même est en décrochage ou en rupture avec les causalités : c’est une bifurcation, une déviation par rapport aux lois, un état instable qui ouvre un nouveau champ de possibles. Prigogine a parlé de ces états où, même en physique, les petites différences se propagent au lieu de s’annuler, et où des phénomènes tout à fait indépendants entrent en résonance, en conjonction. En ce sens, un événement peut être contrarié, réprimé, récupéré, trahi, il n’en comporte pas moins quelque chose d’indépassable. Ce sont les renégats qui disent : c’est dépassé. Mais l’événement lui-même a beau être ancien, il ne se laisse pas dépasser : il est ouverture de possible. Il passe à l’intérieur des individus autant que dans l’épaisseur d’une société.
Et encore les phénomènes historiques que nous invoquons s’accompagnaient de déterminismes ou de causalités, même s’ils étaient d’une autre nature. Mai 68 est plutôt de l’ordre d’un événement pur, libre de toute causalité normale ou normative. Son histoire est une « succession d’instabilités et de fluctuations amplifiées ». Il y a eu beaucoup d’agitations, de gesticulations, de paroles, de bêtises, d’illusions en 68, mais ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte, c’est que ce fut un phénomène de voyance, comme si une société voyait tout d’un coup ce qu’elle contenait d’intolérable et voyait aussi la possibilité d’autre chose. C’est un phénomène collectif sous la forme : « Du possible, sinon j’étouffe ». Le possible ne préexiste pas, il est créé par l’événement. C’est une question de vie. L’événement crée une nouvelle existence, il produit une nouvelle subjectivité (nouveaux rapports avec le corps, le temps de la sexualité, le milieu, la culture, le travail…).
Gilles Deleuze et Félix Guattari
Et encore les phénomènes historiques que nous invoquons s’accompagnaient de déterminismes ou de causalités, même s’ils étaient d’une autre nature. Mai 68 est plutôt de l’ordre d’un événement pur, libre de toute causalité normale ou normative. Son histoire est une « succession d’instabilités et de fluctuations amplifiées ». Il y a eu beaucoup d’agitations, de gesticulations, de paroles, de bêtises, d’illusions en 68, mais ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte, c’est que ce fut un phénomène de voyance, comme si une société voyait tout d’un coup ce qu’elle contenait d’intolérable et voyait aussi la possibilité d’autre chose. C’est un phénomène collectif sous la forme : « Du possible, sinon j’étouffe ». Le possible ne préexiste pas, il est créé par l’événement. C’est une question de vie. L’événement crée une nouvelle existence, il produit une nouvelle subjectivité (nouveaux rapports avec le corps, le temps de la sexualité, le milieu, la culture, le travail…).
Gilles Deleuze et Félix Guattari
Essai littéraire: le rôle de la littérature est-il de fixer des moments d’enthousiasme historique
Question d’interprétation philosophique: peut on concevoir qu’un évènement contienne toujours une part d’imprévisible?
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