« Quid est
veritas ? » C’est sur ces paroles que Ponce Pilate, gouverneur romain
de Jérusalem, abandonna Jésus Christ à une mort d’autant plus cruelle qu’elle
était injuste. Depuis, 2000 ans ont passé. Qu’aurions-nous fait à sa
place ? Nous serions-nous aussi voilés la face de peur de voir notre
prestigieuse situation menacée ? Aurions-nous cherché à défendre notre
propre bonheur au lieu d’agir en suivant la vérité et la justice ? Ces
questions sur le bonheur et la vérité, nous sommes tous amenés à nous les
poser. Doit-on attribuer une valeur plus importante au bonheur qu’à la
vérité ? Le problème qui nous est posé réside au fond dans le rapport
entre bonheur et vérité. Mais y-a-t-il une alternative ? N’y-a-t-il pas
plutôt un lien profond unissant ces deux concepts ? Toutes ces
interrogations méritent d’être abordées. Pour cela nous allons tenter de voir en
quoi nous pouvons êtres incités à faire le choix du bonheur, puis dans un
second temps, nous verrons les raisons qui nous poussent à préférer la vérité.
Enfin nous montrerons que finalement les deux sont indissociables.
Peut-on trouver sur terre
quelqu’un qui ne désire pas être heureux. Dès l’Antiquité, les philosophes
soutenaient que chaque être humain aspirait, dans ses actes, au bonheur. Selon
Aristote, » le bonheur est le sens et le but de la vie, l’aboutissement et
la finalité de l’existence humaine. » Il parlait du bonheur comme étant le
souverain bien. Plus tard Pascal (17e) bien que réputé comme un
penseur pessimiste, reconnaissait malgré tout que « tous les hommes
désirent être heureux ». Le bonheur, voilà le centre de tous nos désirs et
de nos efforts, voilà le vœu suprême du cœur humain.
Cependant, face à cette
aspiration au bonheur, se dressent de nombreux obstacles. La vie humaine sur
terre n’est pas de tout repos. Il suffit d’ouvrir les yeux, de regarder autour
de soi : l’homme ne maîtrise pas tout et ce, malgré les progrès de la
technologie et des sciences. Les faits sont là ; nous sommes mortels et
devons faire face à la difficulté de notre nature humaine. Cela ne dépend pas
de nous d’être intelligents, beaux, doués, de ne pas perdre des êtres chers.
Voilà la réalité que nous devons affonter. Alors n’est-il pas plus judicieux
d’écarter de nos esprits ces vérités ? Mettre de côté la vérité paraît
dans ces conditions nécessaires car si nous restons à penser et réfléchir sur
notre tragique condition humaine, il nous sera bien plus difficile de vivre
heureux. Comment peut-on accéder au bonheur en gardant à l’esprit que nous
sommes mortels, enclins à la souffrance et au dur labeur ? C’est pour cela
que la vérité est ici de trop. On peut donc comprendre qu’il faille chercher à
fuir cette vérité insupportable. On ne peut pas vivre heureux en ayant en
permanence conscience de ses limites et de ses défauts.
Ainsi pour contrer les
difficultés de la vie, les hommes sont attirés par les plaisirs, l’honneur et
le pouvoir. A notre époque et dans notre société moderne, l’homme n’a jamais eu
autant de divertissements : jeux cinéma, loisirs…Déjà dans l’antiquité
romaine des orgies étaient par exemple organisées régulièrement. Les jeux
attiraient la foule et les spectateurs prenaient plaisir à regarder des combats
de gladiateurs, des épreuves sportives, des concours athlétiques et des
représentations théâtrales. « Du pain et des jeux » : voilà ce
que réclamait le peuple gouverné par un pouvoir politique voulant s’attirer les
bonnes grâces de l’opinion populaire. Les divertissements venaient éclipser la
réflexion des sujets plus philosophiques. Plusieurs siècles plus tard, les
choses n’ont pas tellement changé, hormis le fait que ce ne sont plus des arènes
qui se sont remplies mais des stades de football, que l’ivresse des combats de
gladiateurs fait place aux jeux vidéo et que les orgies de l’Antiquité font
pâle figure par rapport aux discothèques, aux fêtes…Que l’être humain recherche
le plaisir s’explique notamment par le besoin qu’il a d’oublier la misère de sa
condition humaine. Pascal expliquait que dés que nous ne sommes plus divertis, nous pensons à nous et sentons
donc notre néant et nos insuffisances. De là vient que « le jeu et la
conversation des femmes, la guerre, les grandes emplois sont si recherchés. De
là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement. » Voilà la
grande analyse de Pascal, il s’agit d’une stratégie d’évitement.
Ainsi chaque être humain a
des croyances, des convictions qui ne sont pas forcément en accord avec la
vérité qui correspond à l’adéquation de la pensée et des choses. Or, ces
croyances nous rassurent parfois. Rechercher et préférer la vérité peut donc
paraître risqué puisque cela reviendrait à remettre en cause des choses qui
nous plaisent. Il est plus confortable de rester dans ses croyances alors que
rechercher la vérité demande des efforts. Prenons le cas d’une personne athée.
Sa croyance qu’il n’y a pas de Dieu, pas de vie après la mort la rassure d’un
côté car elle ne devra pas rendre compte de ses actes, de sa vie. Or, réfléchir
sur l’existence ou non de Dieu, étudier les arguments des croyants lui
demandera un travail sur soi et surtout peut la conduire à devoir reconnaître
peut-être qu’elle s’est trompée et qu’elle doit changer de vie. Rien de plus
traumatisant ! Il est plus aisé de rester dans ses croyances plutôt que de
chercher la vérité.
De plus, vérité et vie
sociale sont difficilement concordantes. En effet, si nous disions tout ce que
l’on pense tout le monde, nous n’aurions plus d’amis. Les relations soicales
sont basées en partie sur du mensonge, de l’hypocrisie et de l’intérêt. On se
flatte, on se complimente, on sourit alors qu’au fond de nous nous avons peu
d’estime envers l’autre. On agit par intérêt. Il est parfois utile de
sympathiser avec certaines personnes dont on sait qu’elles peuvent nous rendre service.
On est souvent tenté de mentir en société, par rapport à soi pour faire bonne
impression et vis à vis des autres pour éviter un conflit. »Toute vérité
n’est pas bonne à dire…On ne dit pas n’importe quoi à n’importe qui. »
argumente Vladimir Jankélévitch.
Faire le choix de défendre
la vérité, ou du moins de que nous croyons être la vérité peut conduire à des
situations compliquées et même dangereuses. Dans le film « Matrix »,
entre la pilule rouge qui symbolise notre monde difficile et la pilule bleue
qui fait qu’on ignore la vérité, ne vaut-il pas mieux choisir l’existence d’une
vie tranquille ? Cypher dit bien qu’il est préférable de jouir d’un
bien-être faux que d’une vérité insupportable. Nombreuses ont été les personnes
à avoir connu l’exil, la souffrance, voire la mort, pour avoir décidé de rester
attachés à leur vérité. Œdipe a-t-il été plus heureux en ayant cherché la
vérité sur ses origines ?
Toutes ces raisons amènent
alors l’homme à vouloir privilégier le bonheur aux dépens de la vérité. Mais
est-ce pour autant qu’il va être heureux ? La vérité ne mérite-t-elle pas
d’être recherchée ? L’homme n’a-t-il pas besoin de la vérité pour
connaître le bonheur ?
Bonheur, plaisir…autant de
mots répétés à envie dans notre société. Justement ne nous enfermons-nous pas
dans une sorte de bulle ?
Dans la pièce de jean
Anouilh, Antigone dénonce cette idée de
rechercher coûte que coûte le bonheur : « Vous me dégoûtez tous
avec votre bonheur, avec votre vie qu’il faut aimer coûte que
coûte ! » Il refuse tout ce que qui est compromissions, négociations,
arrangements. » « Une civilisation qui fait du bonheur sa quête
principale est vouée à l’échec » estime JMG Le Clézio. Il est vrai
qu’aujourd’hui nous vivons dans une société esclave des plaisirs, sous
l’emprise d’une euphorie perpétuelle. Certains parlent d’une tyrannie du
bonheur, bonheur formaté doit être et vivre selon une Doxa du bonheur. Par
exemple, la pensée dominante actuelle veut que chacun ait la télévision,
internet, le portable dernier cri, telle ou telle chose matérielle. Les
personnes n’ayant pas cela seront cataloguées et se verront plaindre par la
majorité pour laquelle il est inenvisageable de vivre heureux sans télévision,
internet ou portable.
Cette obsession du bonheur
nous fait oublier que l’homme étant doué de raison, sa destinée est d’accomplir
cette raison. Or, notre raison nous conduit à rechercher et connaître la
vérité. Nous sommes sans cesse à nous interroger, parfois sans nous en
apercevoir, sur le pourquoi du comment de notre existence, de ce qui nous
entoure. C’est pour cela que Descartes écrivait que puisque « c’est une
plus grande perfection de connaître la vérité, il vaut mieux être moins gai et
avoir plus de connaissance. »
Pour démontrer que l’homme
doit vivre en adéquation avec la réalité qui l’entoure, nous pouvons donner un
argument qui vient contredire ce que nous sous entendions dans la première
partie. La vérité a trois contraires : l’erreur, l’illusion et le
mensonge. Cependant, aucun des trois ne procure une sérénité de l’esprit. Nous
le voyons par exemple dans le cas des enfants. Tout petit, l’enfant tente de
mentir mais ses explications sont souvent fragiles, contradictoires, tordues.
Bref il est mal à l ‘aise et donc ne peut pas trouver le calme, la
sérénité, ce qui est pourtant essentiel au bonheur. C’est pour cela que les
philosophes sont en grande partie sévères contre le mensonge. Pour Kant le
mensonge est immoral. Diderot explique que les avantages du mensonge ne durent
pas dans le temps. Il est vrai qu’en mentant l’homme n’a pas la conscience
tranquille et qui ne peut donc pas accéder au bonheur. Il en est de même pour
l’illusion qui ne satisfait l’homme qu’un temps. En effet, au fond de lui,
l’homme a connaissance de son vrai état. Dans la même optique, l’ignorance ne
conduit pas au bonheur. Spinoza affirme que c’est l’ignorance qui est une
malédiction et la connaissance une délivrance car pour être heureux, il faut
être actif et non passif.
A ce stade de la réflexion,
nous avons vu que le bonheur et la vérité ne sont pas totalement en
contradiction entre eux. Puisque nous venons de voir que la vérité ne peut pas
être occultée par l’homme et que les plaisirs ne suffisent pas pour le rendre
heureux, on va pouvoir s’interroger sur le lien qui unit ces deux concepts.
Nous en sommes donc arrivés
à nous demander si bonheur et vérité ne font pas qu’un. Pouvons-nous penser
qu’il n’y a pas de bonheur sans vérité ?
Tout d’abord, il est utile
de revenir sur les divertissements et les plaisirs car il faut faire la
distinction entre plaisirs et bonheur. L’expérience montre que les plaisirs ne
suffisent pas alors que le bonheur dure. En premier lieu, il convient de
remarquer qu’alors que les êtres humains se noient dans les réjouissances, ils
ne sont pas pour autant heureux. Il n’y a jamais eu autant de personnes sous
anti-dépresseurs et les spécialistes notent chaque année une hausse du taux de
suicide. Les hommes passent leur vie à chercher le bonheur là où ils ne le
trouvent pas. Pour certains, cela sera dans le travail, pour d’autres, dans le
repos, dans l’étourdissement des plaisirs…Le constat est là, en dépit de tous
ses efforts l’homme demeure malheureux, qu’il soit jeune, vieux, fort, faible,
savant, ignorant, nous dit Pascal. Prenons l’exemple d’une personne qui boit,
est-elle plus heureuse ? Peut-être que l’alcool va lui faire du bien dans
le sens où elle va oublier ces contrariétés, où elle sera dans l’euphorie. Mais
les effets s’estompent rapidement et de l’insouciance que procurait l’alcool va
naître la tristesse, le dégoût, la culpabilité, etc. sans oublier les effets
physiologiques tels que le mal de tête. S’agit-il du bonheur ? Non. Il en
est de même pour la volonté des sens, le pouvoir, la richesse. Qu’est-ce que le
plaisir le plus vif par rapport au bonheur ? Un rapide éclair comparé à la
lumière et à la clarté d’une journée ensoleillée. Combien, après avoir connu la
gloire, la fortune, les honneurs ont vu leur situation s’écrouler comme un
château de cartes ? De tout cela, nous en déduirons que le bonheur est ailleurs.
Kant dira que c’est un idéal de l’imagination, d’autres parleront de Dieu.
Plusieurs conditions sont
nécessaires pour obtenir le bonheur. Tout le monde convient qu’il est
nécessaire de se sentir aimé et d’aimer. « Il n’y a pas de bonheur
concevable sans amour. » disait Saint Thomas d’Aquin. Mais pour aimer et
être aimé, ne faut-il pas connaître ? Aimer sans connaître, on ne le peut
pas. Si je n’ai jamais goûté d’un aliment, je ne peux pas l’aimer. Il en est de
même pour les relations humaines. Pour mieux aimer, il faut donc mieux
connaître. Alors que « l’amitié est ce qu’il y a de plus indispensable à
la vie » disait Aristote, il apparaît que la vraie amitié a pour fondement
la vérité : « personne ne peut être l’ami d’un homme s’il n’est
pas l’ami de la vérité » - Saint Augustin. Qui dit recherche de vérité dit
connaissance. Un ami préfèrera dire la vérité que de tromper son ami. C’est là
qu’on voit que l’amitié telle qu'on nous la présente sur Facebook est
plus ou moins artificielle, fausse. Pour aimer quelqu’un pour ce qu’il est, il
faut avoir une vraie connaissance de l’autre.
Vis-à-vis de nous il en est
de même. Se connaître, donc chercher et aimer la vérité, permet de savoir ce
qui nous correspond le mieux, ce qui est fait pour nous, ce qui nous fait du bien.
Pour en revenir à Pascal, il estimait que la notion de bonheur est étroitement
liée à celle de la vérité. Etre heureux signifie être dans le vrai. Socrate
enseignait lui aussi que l’homme, pour être heureux, devait chercher la
connaissance de lui-même. Pour pascal, si l’homme est malheureux, c’est
logique, car il vit dans l’erreur en s’attachant aux fausses valeurs de
l’apparence au lieu de cultiver la recherche de la connaissance. Voilà pourquoi
Platon prêchait « qu’il faut aller à la vérité de toute âme ». On ne
peut pas avoir de paix intérieure sans connaissance véritable qui, elle,
vivifie l’âme. Ce philosophe rajoutait que pour cela, posséder la science du
bien et du mal est essentielle. Plus prés de nous Saint Augustin estimait que
le bonheur consiste dans la joie issue de la vérité ; pour lui, Dieu étant
la vérité, il faut vivre sur les traces du Christianisme pour parvenir au
bonheur éternel de l’autre vie. Que le bonheur parfait ne soit pas de ce monde,
Pascal le pensait aussi. Pour lui, le désir d’un bonheur que l’homme ne connaît
jamais parfaitement sur terre prouve l’existence de Dieu. »Le gouffre
infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable c’est-à-dire
Dieu. » Un de nos contemporains JMG Le Clézio, bien que ne livrant pas tout-à-fait
(même pas du tout) le même argumentaire, aboutit à la même conclusion comme
quoi le bonheur réside dans la connaissance de la vérité et l’acceptation de la
réalité pour ce qu’elle est « maintenant ».
Oui, le désir de bonheur
est inscrit dans chaque homme. La vie nous offre la possibilité d’éprouver du
plaisir, ce qui peut être une bonne chose. Cependant, le divertissement ne
suffit pas et sans la vérité, la connaissance de soi et de ce qui nous
environne, ces plaisirs éphémères peuvent se retourner contre nous, contre
notre bien-être. Certes, la lumière de la vérité peut éblouir, peut faire mal
parfois, mais c’est passager tandis que l’illusion, le mensonge, l’ignorance
entraînent rapidement l’amertume et le trouble intérieur. L’homme n’arrivera jamais
à trouver sur cette terre un bonheur parfait et éternel. Mais pour aspirer au
bonheur, il devra suivre le sentier de la vérité. A-t-il toujours les moyens de
le faire ? Dans notre monde où la vérité semble s’effriter, l’homme
peut-il toujours tendre vers le bonheur ? La liberté est-elle, tout comme
la vérité, une condition essentielle du bonheur ? » (Rien ne nous
oblige à terminer notre dissertation par une question. Ici il aurait peut-être
été préférable de clore la réflexion par une affirmation : « la
liberté (considérée avec Spinoza, comme l’intelligence de la nécessité) est
bien la condition essentielle du bonheur – Note de l’enseignant)
André Mougeot - Terminale S1
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