"Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans
exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce
but. Ce qui fait que les hommes vont à la guerre et que les autres n’y vont pas
est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La
volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif
de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre. Et
cependant depuis un si grand nombre d’années jamais personne n’est arrivé à ce
point où tous visent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets,
nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains,
malades, de tous pays, de tous temps, de tous âges et de toutes conditions. Une
épreuve, si continuelle et si uniforme devrait bien nous convaincre de notre
impuissance d’arriver au bien par nos efforts. Mais l’exemple nous instruit
peu. Il n’est jamais si parfaitement semblable qu’il n’y ait quelque délicate
différence, et c’est de là que nous attendons que notre attente ne sera pas
déçue en cette occasion comme en l’autre et ainsi le présent ne nous
satisfaisant jamais, l’expérience nous pipe, et de malheur en malheur nous mène
jusqu’à la mort qui en est le comble éternel. Qu’est-ce donc que nous crie
cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme
un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace
toute vide, et qu’il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l’environne,
recherchant dans les choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes,
mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être
rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu lui
même."
Pascal
- Pensées
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