Dire que la caméra donne une visibilité aux choses et aux êtres filmés apparaît comme un lieu commun, une évidence, mais dans une perspective Sartrienne, cette visibilité prend une toute autre dimension: « j’ai un dehors, j’ai une nature..Autrui est ma chute originelle. » Dans la genèse, la culpabilité de Caïn n’existerait pas autrement que sous l’oeil de l’Eternel, de la même façon que l’acte de Madame Anselmi n’existerait pas sans le regard 1) du vigile qui l’a vu par la caméra de surveillance et 2) du directeur avec les deux vigiles qui la met en accusation.
Mais c’est précisément la troisième instance qui prend encore plus de relief sous cet angle, à savoir le regard de la caméra du réalisateur. Dans une scène au sein de laquelle le regard d’autrui distingue et définit aussi clairement les fonctions de sujet et d’objet, la caméra du réalisateur ne peut plus, elle non plus être neutre. Le simple fait que le directeur soit visible induit qu’il puisse lui-même être jugé, et c’est exactement ce qui se passe dans l’église. Nous ne savons pas ce qu’il se dit, et surtout après avoir vu la scène du DRH, nous pouvons envisager qu’il ne se dise rien du tout, qu’il pense simplement s’être doublement acquitté de sa tache en licenciant une mauvaise employée et en étouffant dans l’oeuf le scandale de son suicide au supermarché par la personne compétente pour le faire, le DRH du groupe.
Mais l’espace intime de son questionnement existe et c’est précisément la caméra qui le déploie, dans la visibilité du directeur devant le cercueil. Qu’il soit ainsi offert notamment au regard de Thierry à l’église fait de lui l’objet même potentiel, éventuel d’un jugement, car Thierry sait exactement ce qu’il s’est passé et là où ni la loi légale ni celle « du marché » ne sauraient constituer le moindre motif de culpabilité à l’encontre du directeur, la simple inscription de sa silhouette voûtée dans le champ visuel de la caméra aux premiers rangs de l’assistance de l’église pose comme une donnée irrécusable qu’il est lui aussi l’objet visible du regard d’autrui, même si c’est le notre, surtout si c’est le notre, car c’est exactement à cela que sert la caméra de Stéphane Brizé, quelque chose qui à sa manière retourne en effet la dialectique du maître et de l’esclave qui soutenait la scène de la mise en accusation. Autant la posture du maître incarnée par le directeur posait une profondeur historique à la situation qui finalement ne faisait dés lors qu’entériner cette première distribution des rôles, autant c’est cette fois-ci dans l’espace (et non dans le temps) que la caméra du réalisateur crée ce retournement de perspective au yeux de laquelle c’est le patron qui se trouve être l’objet du regard de Thierry, lequel ne dispose du pouvoir légal ou syndical de mettre en accusation le directeur mais de la capacité physique de le voir comme un objet posé à côté du cercueil de la femme dont il a provoqué le suicide.
S’il y a du champ visuel, c’est qu’il y a du regard, et s’il y a du regard, c’est qu’il y a de la conscience, et cette conscience, qui est celle de Thierry, se matérialisera dans son départ (dont d’ailleurs on ne sait pas l’effet qu’il produira sur celle du directeur). C’est comme si « physiquement », l’existence d’une dimension au sein de laquelle le directeur peut et même doit s’interroger sur la valeur morale de son geste était dégagée, déployée dans et par la caméra. C’est cela que le cinéma fait: il filme des corps, comme dit Deleuze, mais que ces corps soient visibles crée en réalité, l’espace même de leur intériorité et c’est ainsi qu’une caméra revêt une dimension éthique: elle l’induit plus qu’elle ne la filme.
Mais c’est précisément la troisième instance qui prend encore plus de relief sous cet angle, à savoir le regard de la caméra du réalisateur. Dans une scène au sein de laquelle le regard d’autrui distingue et définit aussi clairement les fonctions de sujet et d’objet, la caméra du réalisateur ne peut plus, elle non plus être neutre. Le simple fait que le directeur soit visible induit qu’il puisse lui-même être jugé, et c’est exactement ce qui se passe dans l’église. Nous ne savons pas ce qu’il se dit, et surtout après avoir vu la scène du DRH, nous pouvons envisager qu’il ne se dise rien du tout, qu’il pense simplement s’être doublement acquitté de sa tache en licenciant une mauvaise employée et en étouffant dans l’oeuf le scandale de son suicide au supermarché par la personne compétente pour le faire, le DRH du groupe.
Mais l’espace intime de son questionnement existe et c’est précisément la caméra qui le déploie, dans la visibilité du directeur devant le cercueil. Qu’il soit ainsi offert notamment au regard de Thierry à l’église fait de lui l’objet même potentiel, éventuel d’un jugement, car Thierry sait exactement ce qu’il s’est passé et là où ni la loi légale ni celle « du marché » ne sauraient constituer le moindre motif de culpabilité à l’encontre du directeur, la simple inscription de sa silhouette voûtée dans le champ visuel de la caméra aux premiers rangs de l’assistance de l’église pose comme une donnée irrécusable qu’il est lui aussi l’objet visible du regard d’autrui, même si c’est le notre, surtout si c’est le notre, car c’est exactement à cela que sert la caméra de Stéphane Brizé, quelque chose qui à sa manière retourne en effet la dialectique du maître et de l’esclave qui soutenait la scène de la mise en accusation. Autant la posture du maître incarnée par le directeur posait une profondeur historique à la situation qui finalement ne faisait dés lors qu’entériner cette première distribution des rôles, autant c’est cette fois-ci dans l’espace (et non dans le temps) que la caméra du réalisateur crée ce retournement de perspective au yeux de laquelle c’est le patron qui se trouve être l’objet du regard de Thierry, lequel ne dispose du pouvoir légal ou syndical de mettre en accusation le directeur mais de la capacité physique de le voir comme un objet posé à côté du cercueil de la femme dont il a provoqué le suicide.
S’il y a du champ visuel, c’est qu’il y a du regard, et s’il y a du regard, c’est qu’il y a de la conscience, et cette conscience, qui est celle de Thierry, se matérialisera dans son départ (dont d’ailleurs on ne sait pas l’effet qu’il produira sur celle du directeur). C’est comme si « physiquement », l’existence d’une dimension au sein de laquelle le directeur peut et même doit s’interroger sur la valeur morale de son geste était dégagée, déployée dans et par la caméra. C’est cela que le cinéma fait: il filme des corps, comme dit Deleuze, mais que ces corps soient visibles crée en réalité, l’espace même de leur intériorité et c’est ainsi qu’une caméra revêt une dimension éthique: elle l’induit plus qu’elle ne la filme.
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