Le
fait d’être humain désigne l’appartenance d’un individu à une espèce. Mais ce
jugement par lequel nous classons un être dans une certaine catégorie, ne se
conçoit pas exclusivement comme un travail scientifique de définition générique
(générique : appartenance à tel genre) : nous ne disons pas d’un être
qu’il est homme comme nous disons d’une vache qu’elle est mammifère, tout simplement
parce que le fait d’être humain s’impose à nous comme une détermination
« sacrée ». Qualifier un être d’ « humain », c’est
immédiatement lui reconnaître un statut, une valeur, une gratuité. Il existe en soi par soi et non, comme
un objet technique, voire d’autres animaux, comme un objet que nous
pouvons utiliser pour tel ou tel usage qui nous est bénéfique. Nous percevons
donc le poids de cette assignation : si cet être est « humain »,
je n’ai aucun droit sur lui. Il est comme un territoire inviolable, sacré,
« tabou ». Mais en même temps, les critères objectifs qui permettent
de définir une personne comme étant « humaine » sont fluctuants, au
moins d’un point de vue anthropologique : on parle d’homo sapiens
(intelligent), d’homo erectus (debout), d’homo faber (artisan), d’homo
religiosus (religieux), voire d’homo oeconomicus (économique), désignant ainsi
plusieurs critères potentiellement distinctifs mais le fait même qu’ils soient
aussi nombreux pose question. D’autre part, la cybernétique d’un côté et
l’éthologie (étude du comportement des animaux) de l’autre, révèlent, la
première chez la machine, et la seconde chez les animaux, des capacités, voire
des aptitudes à la sensibilité ou à la culture que l’on croyait réservés à
l’être humain. Il existe donc un effet de contraste entre le poids « écrasant »
de la détermination morale, religieuse, sacrée, d’un être reconnu comme
« humain » et la difficulté objective à désigner clairement et
définitivement « le propre » de l’homme (finalement nous ne savons
pas ce que « peut » un homme – Marcher sur la lune, par exemple, ne
constitue pas une caractéristique inscrite dans le patrimoine génétique de
l’homme comme l’agilité chez le singe ou la vitesse chez le guépard). Se
pourrait-il qu’être humain désigne dans le vivant une « aventure »,
la pointe la plus extrême et la plus exposée de ce qui, de la vie,
« s’expérimente », comme si finalement l’explication de la présence
au monde d’une créature aussi « contrastée » que l’homme,
c’est-à-dire aussi géniale que désespérante, aussi inventive que destructrice,
tenait au fait qu’en nous, par nous, la nature, la vie, l’être s’effectueraient
en s’improvisant ? Cela signifierait que non seulement le fait d’être
humain ne serait qu’une hypothèse mais aussi qu’il désignerait une façon d’être
expérimentale, aventureuse consistant précisément à actualiser ce qui du fait
d’être serait universellement hypothétique. En même temps chacun de nous
perçoit bien tout ce que cette éventualité a de déstabilisant, voire d’inacceptable :
si être humain revient à être une expérience, alors cela signifie que
l’humanité n’est qu’une hypothèse, c’est-à-dire étymologiquement une
« sous-thèse » et nous avons beaucoup de mal, c’est un euphémisme, à
conjuguer cette représentation avec la détermination inconditionnelle et morale
de l’humanité, avec les acquis de la révolution française, avec l’abolition de
l’esclavage et l’affirmation qu’un homme est de plein droit, une personne
« sacrée ». Pouvons nous considérer l’humanité comme une hypothèse
qui n’accomplirait rien autrement que dans l’attente de sa validation ?
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