Quel sens pourrions-nous donner à l’expression « être
humain » ? Qu’est-ce qu’un être humain ? Qualifier quelqu’un par ce terme d’être
humain, Homme appartenant à l’humanité, c’est lui reconnaitre un statut, lui
accorder une certaine importance. Pouvons-nous qualifier d’humain un Homme qui
est sensible, qui, contrairement à l’animal qui est soumis à la nature, à des droits, des devoirs, est un être
civilisé ? Qui, contrairement aux robots, ou encore aux machines, peut
ressentir diverses émotions, qu’il a une conscience ? Qu’il n’est pas
programmable ?
Maintenant, quel
sens donnerions-nous au terme vaste qu’est le mot expérience ? En science
lorsqu’on lance une manipulation, une expérience, nous ne savons pas si elle va
marcher, nous faisons préalablement un protocole, une hypothèse sur ce qui
pourrait se produire. Une expérience
n’est pas forcément définitive, nous pouvons chaque jour, avoir une nouvelle
expérience sur la vie, nous apprenons par expérience, par contact au réel.
L’expérience peut-elle avoir un impact sur notre vie d’Homme, d’être
humain ? Lorsque nous croisons au détour d’une rue un SDF, un alcoolique,
ou bien encore une personne quelconque, qu’est-ce qui nous dis que nous ne
sommes pas en train de faire face à une nouvelle expérience ? Et peut-être
que cette expérience va changer quelque chose en nous, des pensées, des idées,
des aprioris… Nous sommes nés humains, mais ne devons-nous pas justifier ce
fait à chaque instant de notre existence ? Nous nous construisons grâce au
contact avec la vie extérieure, la vie sociale ?
Peut-on concevoir
la condition humaine comme un devoir à assumer plus que comme une expérience à
tenter ? Dans un premier temps, nous aurions envie de répondre
« non » à ce sujet. C’est le caractère sacré, tabou de notre humanité qui nous ferais
pencher de ce côté car pour nous être humain est statut à assumer, une sorte de
charge à respecter. Or si être humain est un fait, pourquoi la société nous
impose t’elle autant de lois ? C’est bien qu’il y a, au fond, une limite à
cette humanité. Une limite qu’il ne faut pas franchir et c’est pour cela que
nous avons des droits et des devoirs. Nous pensons mettre notre statut d’humain
en péril lorsque nous ne respectons plus ces droits, lorsque nous transgressons
la loi. Avons-nous raison ou tort de penser cela ?
Etre un Homme,
avoir une place au sein de l’humanité, tout cela dépend de nos actes, de notre
comportement. Nous avons donc besoin de nous justifier, aux yeux des autres,
aux yeux de la société, au sujet de notre humanité à chaque instant. Nous appliquons des règles pour ce qui est
humain et ce qui ne l’est pas. Et chaque époque doit s’adapter à ce que c’est
qu’être humain, c’est pour cela qu’il existe des normes. Et si le mot
« adapter » apparait ici c’est qu’il y a eu des changements qui ont
perturbé l’humanité, et cette humanité a donc créer, a donc rebâtit, de nouvelles
normes. L’humanité a donc dû faire face à cette expérience qui a changé le
cours d’une époque.
Il est important de rappeler qu’une
expérience est aléatoire, nous ne pouvons prévoir à l’avance le résultat
qu’elle va donner. Nous avançons donc vers l’inconnu, sans savoir ce qui nous
attend, et cela peut faire peur aux Hommes. Les Hommes qui passent leur temps à
réinventer le futur, à faire des projets, que l’expérience et l’inattendu
viennent renverser. Mais ne sommes-nous pas au contact quotidien avec l’expérience ?
Notre présence au sein de la société montre bien que nous sommes victimes de la
notion d’expérience et que nous l’avons été, chaque jour depuis notre
naissance. Car manger, s’instruire,
faire des connaissances, réussir à s’intégrer, à se faire une place dans la
société, tout cela relève de l’expérience.
Répondre « oui » à ce
sujet, c’est admettre que nous ne savons pas où nous allons, c’est accepter le
fait que nous nous expérimentons au jour le jour. Les rencontres que nous faisons peuvent sans aucun
doute avoir un impact sur le cours de notre vie. Parfois même nous nous surprenons à agir
comme quelqu’un d’autre, à écouter des musiques similaires à celles de nos
amis, à varier nos gouts et nos envies en fonctions des personnes avec qui nous
sommes, à se créer une page facebook uniquement pour ne pas se sentir « en
dehors » de la société…
Faisons un retour en arrière. Regardons dans le rétroviseur
l’histoire de l’humanité et l’action des Hommes au cours de cette histoire. Pour commencer, il est important
de préciser que rien dans notre histoire ne nous permet de savoir où nous
allons. Il nous faut ensuite définir la notion « d’histoire ». L’histoire est une réalité historique. Kant
veut faire comprendre à la société dans laquelle il vit la folie qui habite
parfois l’homme. Pour lui, « les conflits sont nécessaires à la
civilisation ». Hegel entre ici en contradiction avec les dire de Kant. Il
définit l’histoire à son tour, comme « révélation de l’esprit et de la
Raison ». Les philosophes des Lumières, quant à eux, déclarent que ce sont
les Hommes qui font l’histoire.
De plus, comme nous l’avons évoqué précédemment, chaque époque a dû
s’adapter à de nouvelles normes, et cette adaptation est issue de catastrophes
volontaires ou involontaires telles que Fukushima, les guerres, les génocides,
les tremblements de terre… Tout cela définit le caractère aléatoire de
l’évolution de l’humanité. Cela montre également à quel point notre espèce est
imprévisible. Elle est terrifiante lorsque l’on découvre les horreurs qui ont
eu lieu durant les différentes guerres auxquelles notre espèce a participée
mais elle peut se révéler fascinante lorsque l’on voit à quel point les hommes
se sont soudés pour reconstruire ce qui avait été détruit, à quel point ils se
sont battus pour la liberté, pour préserver l’humanité.
Au final, l’histoire n’est qu’une
somme d’expériences, elle-même composées d’instants. Et selon Nietzsche, ce qui
fait la valeur d’un instant, c’est l’intensité avec lequel nous le vivons. Il
faut accepter son existence et valoriser un moment de sa vie, valoriser une
nouvelle expérience. La vie se résumerait ainsi à une action, à un moment, à
une personne, à une expérience.
Pourrions-nous
concevoir des expériences qui décideraient de notre appartenance à l’humanité ?
Intéressons-nous maintenant aux impacts qui pourraient-être issus de nos
relations, d’un phénomène de groupe, d’un devoir d’obéissance vis-à-vis d’une
hiérarchie ou d’un jeu. Jusqu’à quel point pourrions-nous aller lorsque nous
sommes « victime » d’une emprise qui semble être plus forte que
nous ? Où se situent les limites de notre appartenance à
l’humanité ? Des expériences
sociologiques ont été réalisées sur l’obéissance d’un homme durant un jeu
télévisé. Ces expériences montrent bien la fragilité éthique de notre
humanité.
Revenons sur l’expérience
de Milgram. Un acteur devait apprendre une liste d’association de mot en une
minute, puis il était enfermé dans une pièce à part. Un « questionneur »
posait ensuite des questions concernant cette lise et si l’acteur ne donnait
pas la bonne réponse, il lui envoyait une décharge électrique. Les décharges
devenaient de plus en plus fortes, au fur et à mesure que le jeu avançait et
que l’acteur se trompait dans les questions. Lorsque l’acteur criait ou
suppliait au questionneur d’arrêter le jeu, la majorité des joueurs
continuaient d’eux-mêmes, alors qu’ils n’étaient pas au courant que les cris
étaient en réalité enregistrés. L’autre partie des questionneurs regardaient
l’animatrice qui leur demandait de continuer « c’est le jeu, vous devez
continuer » disait-elle. Seul un très faible pourcentage des questionneurs
arrêtèrent le jeu sur leur propre décision, par prise de conscience du danger.
Cela prouve que nous sommes influençables, et d’après Primo Lévi :
« sous la pression harcelante des besoins et des souffrances physiques,
bien des habitudes et des instincts sociaux disparaissent ».
C’est également ce qui a été
prouvé lors du génocide des Juifs.
Jusqu’où les hommes peuvent-ils aller pour déchoir d’autres hommes de
leur statut humain ? Les SS obéissaient certainement en majorité aux
ordres qu’il leurs étaient donnés par peur de se voir tuer à leur tour, par
leur hiérarchie. Les jeunes étaient
endoctrinés très jeunes dans cette idée qu’il y avait plusieurs races sur Terre
et que ce n’était pas convenable, qu’il fallait y remédier. Les expériences qui
ont été réalisées sur les Juifs durant la seconde guerre mondiale sont
inhumaines, et c’est ce que dénonce Robert Anthelme « c’est une rêve de SS
de croire que nous avons pour mission historique de changer d’espèce, et comme
cette mutation se fait trop lentement, ils tuent. » Or il n’y a pas
plusieurs espèces humaines, il n’y en a qu’UNE. Nous avons tendances à vouloir
tuer des gens parce qu’ils sont différents, parce qu’ils ont une autre culture
ou une autre croyance. Mais au fond, nous sommes tous de la même race, nous
sommes tous de la même espèce, nous sommes tous nés humains. Et être
biologiquement différents ne peut faire varier notre appartenance à l’humanité.
Robert Anthelme insiste également sur le point que nous venons d’évoquer par
une phrase très significative : « on peut tuer un homme, mais on ne
peut pas le changer en autre chose ».
A partir de ce point, on peut se demander si le fait d’être humain nous
exclue-t-il de droit, de tout travail scientifique d’expérimentation ? La
science a dû attendre un certain temps
avant de pouvoir pratiquer des expériences sur des cadavres, l’Eglise et la
religion interdisant à quiconque de toucher un corps mort, considéré comme
sacré, l’homme étant pour la religion une création de Dieu. Il a ensuite très
vite été reconnu qu’ouvrir des Hommes décédés était le meilleur moyen pour
connaitre l’homme durant son vivant et améliorer ses conditions de vie. De
même, il est devenu courant, de nos jour, de confier notre corps à la science,
alors que nous sommes encore en vie, pour faire bénéficier à un autre homme
d’un don d’organe. La science se sert toujours de cadavres, notamment dans les
universités pour l’apprentissage, ou pour essayer de résoudre les mystères du
corps humain.
Or à quel point la science voudrait se servir de l’Homme au profit de
progrès technologiques ? Citons ici Louis PASTEUR, scientifique
mondialement connu pour l’invention de son vaccin contre la rage. Il a écrit
une lettre à l’empereur du Brésil afin de lui demander l’autorisation de faire
des expérimentations scientifiques sur des condamnés à mort. Ces derniers,
explique-t-il, auraient le choix entre subir la peine capitale ou bien être
cobaye d’une expérience scientifique qui viserait à leur injecter le
vaccin contre la rage et le choléra. Le
fait que Pasteur s’adresse directement à ces condamnés en évoquant un
« droit de grâce » montre bien qu’il les considère comme moins humains
que les autres, comme ayant perdu une part d’humanité. Il sait également qu’il
aura plus de chance de voir sa requête acceptée au Brésil qu’en France car
c’est un pays moins développé économiquement.
Au final, le fait que nous fassions des expériences, dont les résultats
peuvent être utiles aux Hommes, sur les animaux prouve également une parenté
entre nos deux espèces, nous sommes tous des mammifères. Or on n'évoque pas la
motivation de ces expériences de cette manière.
La science insiste sur le fait qu’elle fait des manipulations sur les
animaux puisque cela est autorisé, mais ces manipulations sont faites de
manières à mieux connaître le fonctionnement de l’Homme, on ne peut donc en
aucun cas nier une parenté entre l’Homme et l’animal. L’homme admet qu’il
faille se résoudre à expérimenter des hypothèses sur des animaux, mais il
n’accepte pas le fait que l’homme soit si proche de l’animal qu’il étudie.
Pour terminer, il paraitrait intéressant de faire une distinction entre
admettre et accepter. On peut accepter quelque chose, se déclarer prêt à faire
telle ou telle chose, consentir à ce qu’une chose se produise, c’est être
d’accord avec cela. On peut, à l’inverse, admettre quelque chose de provisoire,
telle une expérience, qui nous parait nécessaire pour la suite du raisonnement
mais après cela peut venir la notion du « retour ». Admettre, c’est
faire une sorte de pacte, « qu’est-ce que j’aurais encontre
partie ? ». On peut admettre une hypothèse, mais au final il nous
faudra des preuves, des résultats, une thèse,
pour que nous l’acception. Et entre l’hypothèse et la thèse, il nous
faudra mettre en place et réaliser une expérience.
Il est vrai que d’un côté nous
aurions tendance à vouloir rapidement répondre « non » au sujet car
on ne peut pas être et faire l’expérience. De plus, pour les croyants, le fait d’être
humain nous est donné, nous ne pouvons être un objet car nous sommes une
création. Nous avons conscience du fait
que nous ne pouvons contourner la mort, nous admettons que nous ne sommes pas
éternels, même si certains pense qu’il y a une vie dans l’au-delà, mais entre
notre naissance et notre mort, ne sommes-nous donc pas victimes, ne sommes-nous
donc pas cobayes, ne sommes-nous pas les objets d’une expérience ? En mangeant, nous découvrons de nouveaux
gouts, de nouvelles saveurs. En s’instruisant, nous prenons conscience de
l’importance de savoir lire et écrire au jour d’aujourd’hui. En expérimentant,
nous apprenons l’existence d’espèces inconnues. L’homme réfute cette idée car
elle lui fait peur, elle signifierait qu’il n’a aucune valeur, aucune mission à
accomplir durant son vivant. Il la réfute car elle lui retire son statut
d’humain. Et il ne peut accepter cela.
Etre
humain ne revient pas à vivre la vie comme une expérience mais plutôt comme
plusieurs. En effet, chaque expérience donne une certaine leçon à l’Homme sur
sa manière d’agir, elle intervient dans sa vie pour lui permettre la
possibilité d’avoir un avenir meilleur. Or si l’on considère la vie comme
dépourvue d’expérience ou bien comme unique expérience l’Homme n’apprend rien
puisqu’il meurt avant. Au final, l’être humain doit donner un sens à sa vie, et
tirer parti des différentes situations auxquelles il est confronté et chacune
de ces situations l’enrichira. Chaque expérience de la vie, chaque nouvelle
rencontre, chaque essai, chaque pensée transforme l’Homme et participe à le
rendre plus humain même si parfois, dans certaines circonstances, tout cela
peut également être à l’origine des actes inhumains qu’il commettra.
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