" Les ruches des abeilles étaient aussi bien
mesurées il y a mille ans qu'aujourd'hui et chacune d'elles forme cet hexagone aussi
exactement la première fois que la dernière, il en est de même de tout ce que
les animaux produisent par ce mouvement occulte[1].
La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse[2]
, mais cette science fragile se perd avec les besoins qu'ils en ont : comme ils
la reçoivent sans étude, ils n'ont pas le bonheur de la conserver, et toutes
les fois qu'elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque, la nature
n'ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de perfection
bornée, elle leur inspire cette science nécessaire, toujours, de peur qu'ils ne
tombent dans le dépérissement[3],
et ne permet pas qu'ils y ajoutent, de peur que qu'ils ne passent les limites
qu'elle leur a prescrites. Il n'en est pas de même de l'homme, qui n'est produit
que pour l'infinité. Il est dans l'ignorance au premier âge de sa vie, mais il
s'instruit sans cesse dans son progrès car il tire avantage non seulement de sa
propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu'il garde
toujours dans sa mémoire les connaissances qu'il s'est une fois acquises, et
que celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu'ils en
ont laissés. "
Pascal (1623 – 1662)
1)
Sur un tableau de deux colonnes, comparez les
caractéristiques de « la science fragile » des animaux d’un côté et celles
des connaissances humaines de l’autre, selon Pascal :
« Savoir
faire » des animaux
Savoir faire des humains
2)
Quel est, selon Pascal, le critère fondamental de
distinction entre la science fragile des animaux et les connaissances
humains ?
3)
Voici
l’extrait d’une interview de Frans de Waal (né en 1948), éthologue néerlandais,
spécialiste de l’étude du comportement des primates.
- « Il existerait donc une culture
animale ?
- Je pense qu'on peut parler de culture
animale à partir du moment où des savoirs, des techniques nouvelles, des
préférences, des habitudes se transmettent entre membres d'une même famille ou
entre proches. C'est une transmission comportementale non génétique. Et deux
groupes d'une même espèce peuvent adopter des comportements différents ; ces
choses sont apprises socialement. En principe, cela s'applique à tous les
animaux : les oiseaux, les poissons, mais on le trouve plus facilement chez les
dauphins, les grands singes. La survie des animaux en liberté dépend aussi de
ce qu'ils apprennent des autres, ils tirent profit d'un savoir accumulé : la
transmission de l'information est aussi importante pour eux que pour nous. Ils
sont dépendants de cette culture transmise. La distinction conceptuelle entre
culture et nature n'existe pas pour moi.
- Cette idée de culture animale est
d'abord venue d'Orient. Comment l'expliquez-vous?
- Le concept de culture est très lié à
l'idée que nous, hommes, avons creusé l'écart avec le monde animal. Mais, au
Japon, dans les années 50, un primatologue, Imanishi, a spéculé sur le fait que
les animaux pouvaient avoir une culture. Pour lui, on ne peut considérer tout
comportement animal comme instinctif et tout comportement humain comme
culturel. Dans la pensée orientale, il n'existe pas le même dualisme
homme/animal, et Imanishi ne considérait pas l'espèce humaine comme à part ; il
n'a donc pas été troublé par l'idée de l'évolution ou par celle que les hommes
pourraient descendre du singe. Les primatologues occidentaux, eux, reprochaient
aux Japonais de ne pas avoir d'idée, d'être de simples collecteurs de données.
Or ce sont eux qui ont commencé à voir les choses dans une autre perspective.
La religion y joue un grand rôle : l'esprit n'est pas réservé à l'homme, il
peut habiter un animal, aller de l'un à l'autre. Les élèves d'Imanishi ont découvert le
premier exemple de culture animale sur l'île de Koshima. Là, les habitants
donnaient des patates douces à manger aux macaques, et une jeune femelle, Imo,
a commencé à laver ses pommes de terre, ce qui n'avait rien d'extraordinaire.
Mais ses amis et sa mère l'ont imitée. Cinq ans plus tard, les trois quarts des
juvéniles et les jeunes adultes lavaient régulièrement leurs patates douces.
Cela correspond à ce que j'appelle de l'apprentissage social. Les mâles plus
âgés n'ont jamais adopté la technique.
- N'est-ce pas un peu rapide pour parler
de comportement culturel ? Ne s'agit-il pas d'une simple imitation ?
- En l'occurrence, on parle d'observation
learning, c'est plus que de l'imitation. Prenons l'exemple de la machine à
café. Premier stade, j'apprends que c'est un endroit où je peux obtenir une
boisson, c'est une réponse à la stimulation, la forme la plus simple
d'apprentissage. Si je regarde pour connaître la technique et la reproduis :
mettre la pièce, appuyer sur le bouton, etc., c'est de l'imitation, et si
quelqu'un m'explique : «Frans, tu dois faire comme ça», c'est le teaching,
l'enseignement, la forme la plus aboutie de la transmission. Certains
prétendent que cet enseignement est réservé aux hommes, que l'imitation est
rare chez les animaux, alors que la simple réponse à la stimulation est très
répandue. Selon eux, seules certaines formes d'apprentissage permettent la
culture, qui ne peut exister sans imitation et enseignement. A mes yeux, cette
définition est trop restrictive : ce qui est imitation pour un scientifique
sera stimulation pour l'autre ou facilitation pour un troisième. Prenons
l'exemple du nuts cracking (craquer des noix pour en extraire le fruit), le
cassage de noix par les chimpanzés, avec les travaux de Christophe Boesch,
primatologue qui travaille en forêt de Tai en Côte-d'Ivoire. Pour extraire les
amandes des noix, les chimpanzés tapent d'abord très fort avec de lourdes
pierres, puis avec des coups plus délicats, puis, parfois, ils extraient les
fragments d'amande avec une baguette. Certaines communautés de chimpanzés
savent le faire, d'autres non, ce qui prouve bien que cela n’a aucun rapport
avec des aptitudes inscrites dans le patrimoine génétique d’une espèce. Le « nuts
cracking » ou le lavage des patates sont des traditions, c'est-à-dire des
comportements ou des habitudes transmises. Il existe nombre d'animaux chez
lesquels on trouve une ou deux traditions. Chez les chimpanzés en Afrique, on a
relevé jusqu'à 39 traditions ! Quand il y en a autant, on peut commencer à
parler de culture. »
a)
Quelle est la définition de la culture
donnée par Frans de Waal ?
b)
Les premiers éthologues à avoir évoqué
la notion de « culture animale » sont japonais, orientaux. Pourquoi
n’est-ce pas du tout un hasard ?
c)
Pour faire comprendre la différence
entre répondre à un besoin, imiter et apprendre, Frans de Waal utilise
l’exemple de la machine à café. Reprenez cet exemple en distinguant les étapes
suivantes :
- Répondre
à la stimulation (besoin)
- Faire
les gestes pour avoir mon café (imitation)
- Retenir
le mode d’utilisation de la machine expliqué par une autre personne
(apprentissage)
d)
De quelles capacités faut-il bénéficier
pour réaliser la troisième ? Pourquoi certains éthologues considèrent-ils
que les animaux possèdent la première, quelques-uns la deuxième mais aucun la
troisième ? Qu’est-ce que cela nous fait comprendre sur la notion de
« culture » ?
e)
Qu’est-ce qui prouve que la capacité à
craquer des noix pour en extraire le fruit n’est pas une aptitude
instinctive des chimpanzés de côte d’ivoire ?
f)
Poursuivez ce dialogue imaginaire entre
Pascal et Frans de Waal :
Pascal : - L’animal
est maintenu dans un état de perfection bornée par la nature alors que l’homme
est fait pour l’infinité.
Frans de Waal : - Non,
c’est un préjugé. Il faut se détacher de cette idée toute faite de la
supériorité de l’homme sur l’animal pour observer objectivement le comportement
des animaux.
- Mais
de quel préjugé me parlez-vous ? La mémoire des êtres humains n’est pas un
préjugé.
- …
[1] Occulte : obscur, inconscient et
« aveugle »
[2] La nature les instruit à mesure que la
nécessité les presse : la nature donne aux abeilles l’instinct de construire
des cellules pour répondre à la nécessité vitale de recueillir le pollen afin
de ne pas mourir. C’est un « savoir faire » inné et
« immédiat ».
[3] Dépérissement : ici le fait de ne plus
trouver de moyens de se nourrir et donc de mourir
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