« L’heure est grave ». Que veut-on signifier exactement quand on dit d’une heure qu’elle est
grave ? Qu’elle est lourde, qu’elle pèse et entraîne vers le fond tout ce
qui l’entoure, comme la spirale du trou d’une baignoire pleine quand on retire
le bouchon. On a retiré le bouchon, et nous allons voir tourbillonner dans les mois à venir bon nombre de points de repère, de
lignes d’équilibre entre zones d’influence stratégiques, d’alliances
politiques, de mouvances médiatiques, bref de façons d’être, d’agir et de
penser, ce que c’est qu’ « être dans ce monde-là ».
Voilà un certain temps que nous avions remarqué
chez l’électeur américain un goût prononcé pour l’exploitation éolienne de tous
les grands vents sifflant dans la boîte crânienne de ses présidents. Reagan,
Georges Bush Junior et Donald Trump ne partagent pas seulement leur étiquette
de républicains, leur collection de figurines GI Joe VS Musclor, mais aussi une
forte appétence pour le One-Man-Show, un sens inné de la mise en scène ainsi
qu’une certaine inclination à réduire la population mondiale au statut de spectateurs dont les yeux sont
braqués sur l’écran immaculé de la bien nommée Maison Blanche. Si, dans
l’excellente série humoristique de Jean-Michel Ribes :
« Palace », le professeur Rollin avait toujours « quelque chose
à dire », ces Présidents ont eu et auront toujours « quelque chose à
nous montrer » : une dérégulation de l’économie pour Reagan,
une invasion de l’Irak pour Bush, et pour Donald, je penche pour l’installation
d’une cloche nucléaire sur ses États préférés: Texas, Kansas, Oklahoma, Louisiane, Arizona (dans tous ses états, aucun grand électeur n'a voté démocrate) comme sur un plateau de fromages
un peu trop faits dont on veut accélérer l’expansion sans pour autant diffuser
l’odeur.
A moins
que sa « trace », son "leg" pour l’humanité soit une refondation
radicale du sens des mots, un nouveau dictionnaire dans lequel on trouverait
pour le verbe « respecter » (« personne n’a plus de respect pour
les femmes que moi » - 2e débat des Présidentielles) :
traiter de boudin, harceler sexuellement et faire défiler en maillot de bain
sur des estrades entourées de paysans Texans fourrés au beurre de cacahuètes.
Pour le substantif « Impôt », on pourrait lire : "Jeu subtil pour
hommes d’affaires rusés dont la règle consiste à soustraire le montant pour l’utiliser
à son profit et faire des tours avec le nom : « Trump » marqué
dessus et des fonds détournés
« trempés » dessous". Pour le mot : « État »,
on lirait : « What the fuck ? » A l’article
« Cheveux », serait indiqué : « fibre synthétique
javellisée dont la coloration indiscernable, à dominante jaunâtre, recouvre la
boîte crânienne d’une visière de casquette intégrée comme un supporter des
Knicks à perpétuité auquel on aurait aussi greffé un mégaphone dans les cordes
vocales et la variété d’expressions de Charles Bronson, « Un justicier
dans la ville », dans les zygomatiques.
Peut-être pourrions-nous également y découvrir
un nouveau mot : « Trumper » avec la signification suivante :
"répondre à toute interrogation concernant un enjeu de politique intérieure ou
internationale, par la solution la plus radicale, la plus facile à comprendre
pour un électeur du Texas qui sait compter jusqu’à 20 (certes une minorité,
mais on ne peut pas à la fois assister au cours de maths et faire ses exercices
de catéchisme créationniste) et la plus médiatiquement tonitruante que l’on
puisse…euh….concevoir." Exemple : « elle a essayé de m’embrouiller avec une
question sur les relations Est-Ouest par rapport aux équilibres énergétiques de
la planète, t’aurais du voir comme je lui ai trumpé sa descendance de bâtards à cette journaleuse du « New
York Daily News » ! »
Ou
encore :
-
« Nous autres, qui
vivons au Texas, nous avons l’esprit bien trumpé,
c’est ça qui nous aide à cultiver notre maïs.
-
Euh ! Quoi :
« ça » ?
-
Ben, ça : l’esprit
trumpé
-
Mais euh, trumpé dans
quoi ?
-
Ben ça : tout ce qui
fait notre fierté d’être de vrais texans : le rodéo, le barbecue, le
football américain, la NRA (National Rifle Association), Kennedy visitant
Dallas, le Tex Mex, les margaritas, les lynchages.
-
Euh ! Trumpé jusqu’au
cou dans la sauce quoi !
-
Ben euh ! Ouais.
Ou encore, dernier exemple :
-
« C’est quoi, ça là-bas,
ce truc à forme ovale, un bureau ?
-
Non, c’est un ring de Catch.
-
Ah ? Désolé. Je me suis
trumpé. »
Peut-être y-a-t-il finalement deux sortes de
pays : ceux dont le cinéma exprime « la quintessence », le
style, le devenir, l’humanité, c’est-à-dire, au sens le plus noble du
terme : le caractère. On peut penser à Bergman pour la Suède, à Vintenberg
et Lars Von Trier pour le Danemark, etc. Et puis il y a ceux dont les pires
productions dessinent, dans la grossièreté même de leur dynamique
caricaturante, le futur d’une nation, « le déclin de l’empire
américain ». Je pense à un très mauvais film de Mike Judge,
« Idiocracy » dans lequel le réalisateur prophétisait en 2006 un
avenir dans lequel le président serait un champion de catch.
Il faut regarder
les productions Hollywoodiennes comme les augures romains lisaient les
entrailles peu ragoutantes des animaux. Le moteur de l’évolution de cette grande puissance est
spéculaire. Les Etats-Unis auront dessiné dans l’histoire ce profil tout-à-fait
particulier consistant à n’être jamais parvenu à s’ancrer physiquement,
affectivement dans un territoire (parce qu’ils sont le produit d’une
colonisation et d’un massacre), à ne pouvoir assumer leur passé autrement qu’au
gré d’une industrie cinématographique finalement très pauvre en termes de
« créations », et à ne revêtir aux yeux du monde qu’une texture fantasmatique.
C’est ce qui rend l’attention que l’on ne peut manquer de marquer à l’égard de
cette « terre » (mais ce terme est profondément inadéquat: les États-Unis ne sont pas une terre, ils sont un rêve) aussi
hypnotique que profondément « désolée ».
Au-delà de l’Atlantique, il
n’y a rien à voir précisément parce que les EU ne font que « se faire
voir ». Ce n’est pas un pays de légende, c’est un panoptique d’une
transparence consternante. Peut-être est-il temps, pour nous, de faire le
voyage de Christophe Colomb à l’envers : les Etats-Unis maintenant trumpés,
rien d’autre à parcourir en cette absence sidérante de « lieu
d’être », qu’un No Man’s Land refermé sous son dôme médiatique comme le
studio du « Truman Show ».
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