Il arrive parfois après un
léger accident de la route que les automobilistes décident de s’entendre à
l’amiable. Ils ne font pas de constat. Le fautif reconnaît son tort et propose
un dédommagement à la victime qui l’accepte. Rien ne sera
« officialisé », aucun papier n’attestera de l’événement. Le
processus même de cette entente est intéressant : pas de paperasse, pas de
procédure, pas de recours aux assurances. Deux personnes décident de gérer un
problème sans faire appel à des structures, à des appareils. Ils trouvent un
terrain d’entente ailleurs que dans cette dimension cadrée par des lois, des
contrats en bonne et due forme, des consignes.
Dans ces constats dits à
l’amiable, chacun des deux camps part du principe que l’autre n’est pas en
train d’essayer de l’abuser. Aussi anodine que puisse apparaître cette entente, s’y manifeste indiscutablement un acte de confiance, de croyance, un
« crédit » accordé à la bonne foi de l’autre parti. C’est cette confiance qu’il s’agit ici de questionner : est-elle solide, opératoire, en
toute occasion ? Pouvons-nous nous appuyer sur la mutualité de ce crédit
pour affirmer que nous sommes liés par autre chose que ce treillage de lois à
l’intérieur duquel s’effectuent toutes les interactions des hommes au sein de
la société ?
La position de Thomas
Hobbes est sans équivoque par rapport à cette question : c’est
« non ». Il n’existe pas de satisfaction, de liberté et surtout de
sécurité envisageable pour chacun des citoyens d’une communauté hors d’un
« contrat » qui relie tous ses membres à la désignation d’un homme ou
d’un groupe d’hommes auquel ils confient de leur plein gré le pouvoir de les
représenter, c’est-à-dire le pouvoir, par représentation. Tout ce que cette
autorité décidera sera, du fait de ce consentement, ce que décident également
les membres liés par ce contrat. « C’est plus que le consentement ou la
concorde » dit Hobbes, c’est une unité contractuelle. Ce qui nous relie
les uns aux autres n’est, en aucune façon, l’amour, l’attachement ou toute
forme d’intéressement naturel, c’est plutôt la certitude que l’autre a
abandonné, tout comme moi, toute prétention à son droit de nature : « j’autorise cet homme ou cette assemblée d’hommes, et
je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu
lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière ».
Etre le citoyen d’un « Etat », c’est être
sujet (au sens d’assujetti) à cette même interdiction adressée à tous d’exercer
leur droit naturel dans cette juridiction. Ce dernier terme est
important : il y a une juridiction quand à l’intérieur d’un espace donné
s’active cette puissance de limiter l’action des citoyens par la diction de l’autorité de l’état de
telle sorte que toutes les inter-actions humaines ne peuvent s’y effectuer sans
être préalablement cadrées par des inter-dictions. Ce n’est pas tant que nous
soyons liés directement par de l’interdit, c’est plutôt que l’interdiction rend
possible le seul rapport humain concevable en dehors de la guerre étant entendu
que la guerre est le seul type de rapport ou plutôt de
« non-rapport » qui s’imposerait directement de lui-même dans un
milieu naturel.
Si nous nous promenons paisiblement dans les rues,
si nous ne sommes pas constamment sur le qui-vive à chaque fois que nous
croisons notre prochain, est-ce parce que nous misons sur sa bienveillance
foncière, primitive, sur une forme d’empathie naturelle de tout homme à l’égard
de son prochain, ou bien parce que nous savons que nous vivons dans un espace
public au sein duquel prévaut cette relation contractuelle de tous les citoyens
à une autorité souveraine forte de toutes les volontés de chacun des membres de
la communauté ?
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