1) Que représente le fruit, en fait ? Justifiez votre réponse en
vous appuyant sur des passages ou des expressions extraites du texte (quels
sont les effets de l’acte de manger le fruit, pour Eve et Adam ?).
Le fruit représente la conscience. « La
femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu’il était
séduisant pour acquérir le discernement. » Une question se pose ici :
« comment a-t-elle pu deviner que le fruit était séduisant pour acquérir
le discernement si elle ne possède pas encore le discernement, puisque elle
n’est pas, à ce moment, dotée de cette conscience que symbolise l’arbre ?
La femme est « tentée », mais pas exclusivement par le serpent. La
perspective d’une connaissance, d’une réalisation, est, en soi, tentante pour
quiconque manifeste suffisamment de curiosité à l’égard d’un secret, d’un
mystère, d’une situation inexplicable. Si l’on peut se permettre cette
comparaison aussi anachronique que profane (mais pas nécessairement
profanatrice), la femme se comporte envers le fruit exactement comme Néo à
l’endroit de la pilule rouge : elle se doute qu’il recèle la clé de cette
énigme. Mais quelle énigme ? Celle de cette existence pacifique et toute
tracée, totalement recluse dans le « giron de leur créateur ».
Dans son livre « Réflexions sur l’éducation » (1786), Emmanuel Kant fait référence à l’épisode de la genèse : « Il est tout aussi faux de s’imaginer que si Adam et Eve étaient demeurés au Paradis, ils n’auraient rien fait d’autre que d’être assis ensemble, chanter des chants pastoraux et contempler la beauté de la nature. L’ennui les eût torturés tout aussi bien que d’autres hommes dans une situation semblable. » Le propos de Kant est de réhabiliter la valeur du travail contre la vision péjorative héritée des philosophes de l’Antiquité Grecque (notamment Platon et Aristote). Il sous-entend qu'Adam et Eve auraient travaillé, même sans avoir croqué le fruit, comme si la nature vraiment première de l'homme (Adam et Eve avant le péché) le prédisposait structurellement à travailler. Mais sa remarque éclaire moins le problème qu’elle ne l’aggrave. On pourrait le soupçonner de faire semblant d’avoir mal lu le récit. Si Adam et Eve n’avait pas mangé le fruit, ils ne seraient pas restés « les bras ballants », dans l’inactivité, nous dit-il. Mais plutôt que d’utiliser le conditionnel, pourquoi ne pas suggérer que c’est peut-être cela qui a décidé la femme à sauter le pas ? Pourquoi ne pas affirmer que cet ennui qui, selon Kant, les aurait torturés s’ils avaient obéi, a pris une part active et décisive dans le péché ? La réponse est simple, ce serait contredire totalement l’interprétation chrétienne et notamment protestante (Kant est protestant) du fuit défendu pour laquelle la transgression d’Eve est la manifestation originelle du mal.
Kant est « coincé » entre sa volonté de philosophe de
rétablir le travail dans sa dignité, dans sa grandeur, voire sa nécessité
« humaine » et sa confession protestante. Il choisit donc de rajouter
de la fiction à la fiction en inventant cette fable d’une humanité travailleuse
d’avant le fruit. Mais alors pourquoi la Genèse évoquerait-elle l’arbre de vie
dont les fruits donne l’immortalité ? Peut-on vraiment envisager qu’Adam
et Eve, ayant obéi à Dieu, laboureraient pour le plaisir la terre du jardin
d’Eden ? Non, évidemment, le travail est, sans aucun doute, « de l’autre côté »
de l’épée flamboyante barrant l’accès du Paradis.
« Leurs yeux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient
nus ; ils cousirent des feuilles de figuier » (le fruit, c’était
peut-être une figue plutôt qu’une pomme). Les trois définitions de la
conscience correspondent ici trait pour trait à la chronologie des évènements
et des réalisations du couple : leurs yeux s’ouvrirent (conscience
immédiate), ils connurent qu’ils étaient nus (conscience réfléchie) ils
cousirent des feuilles (conscience morale, peur de la nudité qui est connotée
comme « honteuse »)
2) Maintenant que nous comprenons ce qu’est le fruit, nous pouvons
parfaitement saisir en quoi consiste le choix proposé par Dieu à Eve et
Adam : soit obéir, ne pas manger le fruit et…. Soit désobéir et…. ?
(remplissez les blancs) ?
Obéir, cela aurait signifié demeurer
inconscients dans l’ombre du Créateur, rester dépendant de lui, voire plus.
Après le fruit, l’Eternel demande à Adam : « Où es
tu ? », comme si le cordon ombilical avait été rompu, comme si Adam
et Eve s’étaient dissimulé à la « panoptique Divine » en se séparant
de lui. On peut penser qu’être au Paradis décrit un mode de vie extatique, au
sein duquel aucune prise de conscience n’impose à Adam et Eve un décalage à
l’égard d’un présent éternellement vécu. Aucun but, aucune visée, aucun projet
ne sont envisageables puisque tout est là dans l’instant. Rien n’est à
anticiper ni à regretter.
Manger le fruit, c’est donc choisir la
temporalité, la perte, la mortalité mais du même coup l’action, le progrès, la
liberté, le travail. Quoi que nous fassions, c’est exclusivement sur la base de
ce sol meuble, mouvant de notre mortalité que nous l’entreprenons. Jamais nous
n’agirions ailleurs ni autrement qu’en perspective de notre mort à venir (même
si nous l’espérons lointaine, elle demeure une perspective assurée, certaine).
La relation de la conscience au bonheur est ici marquée du sceau de la
non-coïncidence, de telle sorte que le choix d’Adam et Eve s’avère rétrospectivement
être celui-ci : préférez-vous savoir que vous êtes malheureux ou bien
ignorer que vous êtes heureux ?
3) Ce passage est extrait de l’Ancien Testament, livre ayant
profondément marqué les coutumes, les mœurs, les mentalités de notre
civilisation. Aujourd’hui encore, on peut constater de façon évidente les
effets de ce mythe fondateur sur notre société, sur notre réalité quotidienne.
Quels sont-ils ? (Donnez-en au moins trois)
- La condition féminine continue de payer un
lourd tribut à ce mythe fondateur, quoi qu’on en dise. Il faut bien réaliser
qu’un mythe rend raison d’une réalité ou ce qui du moins est considéré comme
tel, en lui conférant une origine surnaturelle, divine. Dieu ne demande pas à
Eve où elle est. Adam est son interlocuteur. Quelque chose de ce mythe a
sédimenté pour longtemps les présupposés arbitraires d’une civilisation
patriarcale. Dans l’un de ses livres, la femme écrivain Nancy Huston imagine
une déesse créatrice qui s’appellerait Suzy. Peut-être conviendrait-il, en
effet, d’aller jusque là pour enfin faire cesser les conséquences sexistes de
ce récit.
- Le travail est bien l’effet d’une malédiction
mais il est aussi inscrit par ce mythe comme l’un des traits « marqués au
fer » de la condition humaine ce dont tous les discours sur la valeur
« travail » que l’on entend encore aujourd’hui sont empreints. Dans
l’Epitre de Saint Paul, on peut trouver cette phrase où se profile exactement
l’importance accordée aujourd’hui au travail : « celui qui
ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. »
- Le sol maudit à cause de la faute rend
possible une exploitation sans frein de la nature, élément tout-à-fait inconnu
des religions polythéistes de la même époque. L’absence de limite à
l’utilisation des ressources naturelles au profit de l’homme trouve, sans aucun
doute, dans ce texte leur origine. Il existait bien chez les grecs et les
romains des procédés de mises en culture mais ils ne dépassaient jamais du
cadre imposé par la croissance naturelle. Les problèmes écologiques que nous
connaissons aujourd’hui sont liés à ce que cette malédiction rend possible dans
la façon occidentale de penser la nature.
4) L’étude de ce texte nous fournit un argument en faveur de la thèse
selon laquelle la conscience nous permet de réaliser qui nous sommes ou bien
celle selon laquelle elle est un produit dérivé de la vie en société ?
Justifiez votre réponse.
Ce texte et sa dimension biblique nous
permettent de réaliser le rapport entre l’humanité et la conscience. Si nous
raisonnons à l’intérieur de cette histoire, nous pourrions dire que nous
n’avons pas raison d’être conscient, mais en même que nous ne pouvions pas le
savoir sans violer l’interdiction. Nous pouvons regretter le choix d’Adam et
Eve, mais en même temps, le regretter, c’est justement activer cette faculté
dont leur péché nous a dotée, ce qui nous amènerait à regretter de regretter…et
ainsi de suite. Nous saisissons mieux la condition historique de l’homme
occidental, cela est indiscutable, mais précisément nous demeurons dans le
cadre d’une lecture historique. Nous devons prendre du recul et nous extraire
de ce récit pour en mesurer l’impact sociologique qui est plus que
considérable. Autrement dit, l’idée selon laquelle la conscience serait le
produit dérivé de la vie en société est vraiment appuyée par la compréhension
de ce texte. Aucune société n’a pu, jusqu’à maintenant, se constituer sans
religion, et la conscience, aussi maudite soit-elle par ce mythe se voit par là
même instituée comme partie intégrante de l’espèce humaine. A qui Dieu aurait-il
pu remettre les tables de la loi si ce n’est un Moïse conscient de la nécessité
d’avoir à réguler une population ?
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