« Puis-je savoir si
j’aime ? » est un sujet de Philosophie qui peut nous amener loin
comme nous avons commencé de nous en rendre compte au fil de plusieurs types
d’exercice de méthode notamment. Cette question pose finalement la question de
la compatibilité entre la sincérité et la conscience. Un amour qui ne serait
pas sincère perdrait immédiatement son sens, sa réalité et ne mériterait pas
son nom. Le problème vient du fait que la conscience qu’on en prend établit par
là même une distance, un jeu (au sens où il y a du jeu entre des rouages)
finalement un doute. Un amour déclaré ne deviendrait-il pas suspect, du fait
même de cette déclaration, de cette proclamation trop extérieure pour être réellement
éprouvée ? Les grandes douleurs sont muettes dit-on. Se pourrait-il que
les amours authentiques le soient aussi ? Puis-je prendre conscience que
je suis amoureux si ce sentiment implique un attachement trop fort pour être
dit, voire simplement réalisé par la personne qui le ressent ? Prenons
garde à une réponse qui serait trop exclusivement négative car un amour
inconscient ne pourrait plus dés lors être assumé, consenti. Nous n’aimerions
que « malgré nous », et cela ne correspond pas à nos impressions.
Aimer ne peut se concevoir sans un acquiescement de tout son être, sans une
approbation inconditionnelle de soi à ce que l’on éprouve. Il est vrai qu’aimer
ne se décide pas et pourtant, comment aimerions-nous sans le vouloir ?
Quel est le point de vue de
Maître Gims sur cette interrogation ?
-
« J'ai retrouvé le sourire quand j'ai vu le bout du
tunnel"
Bon si j’étais prof de philo, je serais tenté de dire :
« hors sujet ». On parle d’amour, Maître Gims nous parle de constructions
routières. Admettons ! Il a retrouvé le sourire quand il a vu le bout du
tunnel, d’accord !
-
Où nous mènera ce jeu du mâle et de la femelle ? Du
mâle et de la femelle ?
Ca se complique un peu : le jeu du mâle et de la
femelle, est-ce le tunnel ? Si oui, on peut répondre à la question :
le jeu du mâle et de la femelle est aussi interminable qu'un long tunnel. On pourrait
aussi envisager que la justification la plus profonde poétiquement de cette association, c’est tout simplement que
« femelle » rime avec « tunnel », mais ne préjugeons pas négativement de l'art poétique de Maître Gims.
- "On était tellement complices on a brisé nos complexes.
Pour te faire comprendre t’avais juste à lever le cil. T’avais juste à lever le
cil."
De nouveau une rupture de genre, de style, de ton, de figure,
de tout quoi ! Nous étions dans un tunnel, dans le labyrinthe du jeu entre
le mâle et la femelle, dans la rime flamboyante « Tunnel / Femelle »
et voilà que Maître Gims nous raconte une histoire. Il s’adresse à quelqu’un
avec qui il brise des complexes et qu’il comprend grâce à ces mouvements de
cil. Un battement de cil, c’est : « mets le
couvert ! », deux, c’est : « on retire ses lunettes
quand on est à table », bref, tout est codé. Super couple ! En plus
on peut se comprendre sans interrompre Jean-Pierre Pernaut. Chapeau ! C’est
pas pour rien qu’on l’appelle Maître, Maître Gims !
-
J’étais prêt à graver ton image à l’encre noire sous mes
paupières afin de te voir même dans un sommeil éternel, même dans un sommeil
éternel.
Au-delà de la difficulté
technique de l’action décrite, même pour un chirurgien ophtalmologiste ou un
tatoueur de l’extrême, la gravure d’une image sous des paupières pose également
des problèmes d’ordre logique. Maître Gims semble penser qu’en fermant les yeux
dans un sommeil éternel, il verra le dessin sur l’écran de ses yeux fermés, un
peu comme des volets que l’on aurait peint de l’intérieur pour voir autre chose
que ce qu’il y a dehors. Si les paupières sont closes et si l’image est peinte
en noire, ça risque de faire un peu noir sur noir, non ?
Soyons fair-play : Maître Gims dit seulement qu’il était prêt à le faire et
c’est tant mieux pour lui, car autrement il aurait fallu tout éponger au buvard
et c’était pas gagné niveau maquillage.
-
J’étais censé t’aimer mais j’ai vu l’averse
Il est difficile à suivre Maître Gims. On était
dans le tatouage gothique à la Marylin Manson et on se retrouve avec Evelyne
Dhéliat présentant la météo. Il a vu l’averse. Bon ! Avant, il était « censé »
aimer sa copine. D’accord ! Donc dans le tunnel du jeu du mâle et de la
femelle, il voit qu’il pleut à la sortie, Du coup, il remet à plus tard ou à
jamais cet amour qu’il était censé vouer à sa petite amie. Il aurait fait beau,
ça allait. Mais là non ! (j’essaie de suivre). La pluie l’a fait changer
d’avis. On peut pas aimer et mettre un K-Way. « Tu vois ma chérie, on
serait à Dubaï, je t’aimerais, mais là, on est à Brest ». Il était à deux
doigts de se plonger les yeux dans un bocal de suie pour sa Dulcinée mais il
s’est vite repris, le Master Gims, et là c’est « Niet ! » pour
les vacances en Bretagne.
-
J’ai cligné des yeux, tu n’étais plus la même.
C’est peut-être qu’il s’est laissé tenter par l’opération.
Du coup, il s’endort avec Nathalie Portman et il se réveille avec la Mère de la
famille Adams. C’est ça le risque avec la chirurgie esthétique ou les tatouages
difficiles, ça peut rater. Il a cligné des yeux et c’était plus la même :
peut-être qu’elle est partie et qu’il est en train de parler à la femme de
ménage.
-
Est-ce que je t’aime ? J’sais pas si je t’aime.
Bon ! Si c’est la femme chargée de l’entretien, ça ne
va pas vraiment l’atteindre cette déclaration en demi-teinte. Un peu surprise
peut-être :
-
Bonjour M’sieur Gims, un peu de repassage et la vaisselle
comme d’habitude ?
-
Est-ce que je t’aime ? J’sais pas si je t’aime.
-
Ok ! Je vois. On a un peu forcé sur l’alcool de prune.
Pas vrai M’sieur Gims ?
-
Est-ce que tu m’aimes ? J’sais pas si je t’aime.
-
Oui, oui, moi aussi. On vous aime bien. Freinez un peu sur
les mélanges, quand même ! Moins de Red Bull dans votre absinthe !
-
Pour t’éviter de souffrir je n’avais qu’à te dire je t’aime
-
Euh oui ! Le petit chèque à la fin du mois, ça gêne pas
non plus !
Quelques mots sur le refrain et le titre de la
chanson :
« Est-ce que je t'aime?
J'sais pas si je t'aime
Est-ce que tu m'aimes?
J'sais pas si je t'aime
J'sais pas si je t'aime
Est-ce que tu m'aimes?
J'sais pas si je t'aime
Au
niveau des intonations : chapeau bas Maître Gims ! Vous jouez ici à
plein de la gamme montante et suspensive de toute interrogation et de la gamme
descendante de la « réponse ». Les deux « t’aime » se
répondent et se font écho. Le premier résonne comme un appel, et le second
comme un constat limite désespéré. On reste dans l‘indécision, l’introspection
désabusée, un peu pessimiste quant à la suite de cette histoire de tunnel,
d’averse et d’œil au beurre noir. Au niveau du sens, on est un peu plus
perplexe parce que, comme déclaration, c’est pas le must :
-
Est-ce que tu m’aimes ? Moi j’sais pas !
-
Bon, ben si tu sais pas, tu rentres chez toi, tu
t’interpelles un tantinet et tu reviens me parler quand t’auras fini de sucer des bâtonnets d'ecsta glacés. Ok? So Long ! Bro !
L’ordre aurait été inversé, c’était déjà plus dans les
clous : « J’sais pas si je t’aime. Est-ce que tu
m’aimes ? » On peut comprendre que la réponse de sa copine l’aide à
se prononcer sur la question, même si, à la place de la copine, on
aurait du mal à s’emballer :
-
Ben, j’sais pas et toi ?
-
Ben, moi j’sais pas, et toi ?
-
Ben j’sais pas, et toi ? (bref une piste accrocheuse et prolixe pour une nouvelle
chanson)
Sigmund Freud affirme que, dans notre inconscient, la
négation ne joue pas. Autrement dit, que l’on aime ou que l’on n’aime pas, ce
qui compte c’est que la notion d’amour soit évoquée, rêvée, suggérée
inconsciemment. En clair, le simple fait que la question soit posée est déjà
assez significatif et ça : on a très envie de le dire au chanteur parce
que ça lui aurait fait gagner du temps niveau embouteillage dans le tunnel, sommeil éternel du temps et
tatouage improbable de la cataracte. A nous aussi ça aurait fait gagner du
temps, niveau…. (euh ! A tous les niveaux, en
fait)
Terminons par notre sujet : « Puis-je savoir
si j’aime ? » Maître Gims nous répond : « Non » Son
argumentation est intéressante mais difficile à suivre. Il semble que
l’impossibilité de cette certitude soit causée par le fait qu’elle ne soit plus
la même. Qu’aimons-nous vraiment chez l’autre ? Peut-être le fait qu’elle
soit autre, justement, voire sans cesse différente de ce qu’elle était avant.
C’est finalement exactement ce que Verlaine déjà écrivait :
« Je
fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme
inconnue
Et que j’aime et
qui m’aime
Et qui n’est chaque
fois
Ni tout à fait la
même
Ni tout à fait une
autre,
Qui m’aime et me
comprend »
On n’aime jamais « quelqu’un » en fait, ou du
moins, jamais une identité fixe, définitive. On aime la façon qu’une personne a
de n’être jamais celle que l’on attend, ni celle que l’on a quittée la
veille…Comme quoi un brin de lecture de poésie symboliste, un chouïa de
Philo : ça peut pas faire de mal quand on écrit une chanson.
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