"Archimède, pour tirer le globe
terrestre de sa place et le transporter en un autre lieu, ne demandait rien
qu’un point qui fût fixe et assuré. Ainsi j’aurai droit de concevoir de hautes
espérances, si je suis assez heureux pour trouver seulement une chose qui soit
certaine et indubitable.
Je suppose donc que toutes les choses
que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce
que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n’avoir aucun sens
; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont
que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable
? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain.
Mais que sais-je s’il n’y a point
quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de
laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N’y a-t-il point quelque Dieu,
ou quelque autre puissance, qui me met en l’esprit ces pensées ? Cela n’est pas
nécessaire ; car peut-être que je suis capable de les produire de moi-même. Moi
donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose ? Mais j’ai déjà nié que
j’eusse aucun sens ni aucun corps. J’hésite néanmoins, car que s’ensuit-il de
là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens, que je ne puisse être
sans eux ? Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde,
qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps ; ne
me suis- je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais
sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose.
Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie
toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je
suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra il ne saurait
jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De
sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes
choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition:
Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la
prononce, ou que je la conçois en mon esprit. Mais je ne connais pas encore
assez clairement ce que je suis, moi qui suis certain que je suis ; de sorte
que désormais il faut que je prenne soigneusement garde de ne prendre pas
imprudemment quelque autre chose pour moi, et ainsi de ne me point méprendre
dans cette connaissance, que je soutiens être plus certaine et plus évidente
que toutes celles que j’ai eues auparavant."
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