« Je
veux montrer » dit Nietzsche dés la première phrase. Mais nous pourrions
dire qu’en un sens, il veut plutôt « démontrer » que les martyrs, eux
ne font que « se montrer » et qu’ils n’ont pas d’autre possibilité
que de compter sur « ce coup de bluff » qui consiste à emporter
« la mise », c’est-à-dire à entraîner l’adhésion du peuple en mettant
tout ce qu’ils ont sur la table, à savoir leur vie, plutôt que de s’appuyer sur
la force réelle de leurs cartes. Mais qu’est-ce qu’avoir un rapport vrai à la
vérité ? La première condition à remplir consiste à ne pas avoir de
« convictions ». Nous avons tous déjà entendu des hommes politiques,
des intellectuels, des hommes de pouvoir affirmer avec fierté
qu’ « ils ont des convictions ». Peut-être devrions-nous nous
interroger sur cette entrée en matière : n’est-ce pas précisément tout le
problème ? Dans quelle mesure peuvent-ils développer un esprit authentique
de recherche de la vérité si dés le départ, ils sont sûr de la détenir
« préalablement » ?
Dans
un autre passage de l’Antéchrist,
Friedrich Nietzsche par de l’homme de conviction en ces
termes : « Si l’on songe combien est nécessaire pour la plupart un
idéal qui les lie et les immobilise du dehors, que la contrainte, dans un sens
plus élevé l’esclavage, est la seule et dernière condition qui permette de
prospérer aux hommes de volonté faible: on comprendra aussi la conviction, la
« foi ». L’homme de conviction a son épine dorsale dans la foi. Ne point voir beaucoup de choses, n’être
indépendant sur aucun point, être toujours d’un « parti », avoir
partout une optique sévère et nécessaire — cela seul explique pourquoi, en
général, une telle sorte d’hommes existe. Mais cela fait qu’elle est le
contraire, l’antagoniste, de la
véracité, — de la vérité... Le croyant n’a pas la liberté d’avoir une
conscience pour la question de « vrai » et de
« faux » : ici
la probité serait sa perte. »
Avoir des convictions, c’est d ‘emblée se situer sur un
autre plan que celui du vrai. Avant d’avoir des idées à défendre, encore
faut-il avoir des idées, tout court, et cette démarche suppose précisément que
nous n’ayons aucun préjugé, aucun préalable, aucun « principe »,
bref, rien à défendre. Toute conviction marque le désir de
« s’enchaîner » à un idéal, de « servir » une cause, autant
de termes qui se situent dans le registre lexical de la soumission. Ne
pourrions-nous pas enfin nous accorder suffisamment de confiance pour libérer
simplement, joyeusement, la pleine puissance de notre curiosité, de notre
inventivité, de notre compréhension du réel ? Et qui, finalement, le fait
mieux que le scientifique qui ne se fie ni à ses hypothèses, ni à ses
intuitions, ni à ses conceptions anciennes mais toujours se confronte, avec
humilité, à l’implacabilité du raisonnement, à l’épreuve de la réalité ?
Le scientifique ne « croit » rien, il observe, déduit, conclue.
Newton va jusqu’à affirmer : « je ne fais pas d’hypothèses. » La
loi de la gravitation n’est pas une idée que l’on invente, mais simplement la
mise en place d’un esprit de déduction que nous appliquons à l’observation
stricte des faits.
La théorie de la falsifiabilité de Karl Popper insiste sur
l’impossibilité pour toute théorie scientifique même confirmée par l’expérience
de se présenter comme vraie, tout simplement parce qu’il est impossible d’un
fait qui s’est produit « une fois », même s’il s’est répété plusieurs
fois, devienne une loi générale certaine. Ce serait de l’induction (exactement
comme le macho qui dit que les femmes ne savent pas conduire parce qu’il a vu,
une fois, deux fois, dix fois, une femme ayant des difficultés à maîtriser sa
voiture – pensons bien à cela quand nous tenons des propos « définitifs »,
tranchés : 99,9999 % des fois, c’est de l’induction, autant dire « rien »
sur le plan de la démonstration rationnelle et raisonnable. Pensons aussi à
tous ces partis politiques qui croient raisonner quand ils ne s’appuient que
sur l’induction). Par conséquent, seul le faux est fiable : quand l’hypothèse
est rejetée. Elle l’est pour toujours, d’où la notion de « falsifiabilité ».
Plus nous avons des certitudes, plus nous sommes à côté de l’esprit
scientifique de vérité, plus nous considérons comme seulement probables,
plausibles des hypothèses qui sont validées par l’expérience, plus nous avons
un rapport authentique avec l’exactitude. Finalement, avoir un rapport vrai
avec le vrai, c’est renoncer au vrai et adhérer au « probable », à ce
que Karl Popper a appelé le « véri-similaire ».
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