mardi 11 mars 2025

Terminales 1 / 4 / 5: Droit, justice, morale et éthique dans le film de Lucas Belvaux: "38 témoins"



L’un des grands intérêts de ce film c’est finalement de poser la question essentielle de la morale du droit naturel et du droit positif d’une façon globale, simple et incontournable: pourquoi y-a-t-il du déontique ? (ce terme désigne tout ce que st du ressort de l’obligation, de ‘l’autorisation ou de l’interdiction). En fait cela revient à se poser la question de savoir pourquoi nous ajoutons à ce qui est la prescription de ce qui devrait être. Pourquoi ne nous contentons nous pas de prendre acte de ce qui est? Cette femme crie dans la nuit. Elle est agressée juste devant chez moi.  Suis je tenu.e de sortir et de lui prêter assistance, de la secourir? Suis je le gardien de mon frère ou de ma sœur? Demande Caïn à l’Eternel et c’est bien ça, oui.  Le déontique, c’est la question du devoir, étant entendu que cette question là est au centre de notre sujet; que dois je faire? 

Or ce qui est vraiment fascinant dans ce film c’est justement de nous faire réaliser à quel point la séparation entre être et devoir être est poreuse puisque être, c’est finalement ce que Pierre ne parvient plus exactement à effectuer après avoir été cet être humain là qui voit cette femme blessée dans la rue et qui reste là, chez lui. En d’autres termes, Etre, exister , c’est à-dire être là , être un dasein, c’est avoir le souci de l’être, s’interroger sur ce que c’est qu’être, vivre le fait d’être comme quelque chose qui est en question., mais précisément cette question de l’être est aussi (et peut-être surtout) en question chez l’autre être. La sorge, chez Heidegger désigne la relation que nous entretenons avec le monde mais aussi avec ce qu’il appelle « l’être-avec » (Mitsein). Le dasein est préoccupé par ce que c’est qu’être, étant entendu qu’il ne jouit pas de la sensation ni de l’épreuve d’un plain pied avec l’existence. Celle ci ne se manifeste à lui comma allant de soi. 



Ce désoeuvrement qui le constitue lui comme « da sein » il l’éprouve à la fois intimement, mais il ne peut pas douter du fait qu’il constitue également « l’intimité », ou disons l’être à soi de l’autre être, de telle sorte que les Dasein sont nécessairement et structurellement tournés les uns vers les autres. C’est déjà ce qu’Aristote veut signifier par la philia que son traduit (peut-être inadéquate ment par amitié et qui serait mieux rendu par sollicitude envers son prochain):

Dans l’éthique à Nicomaque d’Aristote (passage 1170a 28-1171b 35) nous lisons:

« Celui qui voit sent, celui qui écoute sent qu’il écoute, celui qui marche sent qu’il marche et pour toutes les autres activités il y a quelque chose qui sent que nous sommes en train de les exercer de sorte que si nous sentons nous nous sentons sentir et que si nous pensons, nous nous entons penser et cela c’est la même  chose que se sentir exister. Exister signifie en effet sentir et penser.

Sentir que nous vivons est doux en soi, puisque la vie est par nature un bien et qu’il est doux de sentir qu’un bien nous appartient. Exister est désirable (…) En « consentant, en « sentant avec », nous éprouvons ce qui est bien en soi et ce que l’homme de bien éprouve par rapport à soi, il l’éprouve aussi par rapport à son ami. L’ami est en effet un autre soi-même (ce qui veut dire que l’ami est celui qui cultive autrement que moi le fait d’être à soi, de se sentir exister tout comme moi, mais je ne peux pas ne pas être intéressé.e à cette autre façon de cultiver autrement que moi le même fait d’être à soi: c’est ça l’ami, et nous mesurons ici à quel point tout autre être « humain » pour Aristote, est nécessairement et potentiellement mon « ami » ) 

Et comme pour chacun le fait même d’exister est désirable, il en va de même pour l’ami.

L’existence (le fait d’exister) est désirable parce qu’on sent qu’exister est une bonne chose et cette sensation est douce en soi-même.  Mais alors pour l’ami, il faudra consentir qu’il existe et c’est ce qui arrive quand on vit ensemble et qu’on partage des actions et des pensées. C’est en ce sens que l’on dit que les hommes vient ensemble et non pas, comme pour le bétail, qu’ils partagent le même pâturage (…) L’amitié est une communauté et comme il en est pour soi-même, il en va aussi pour l’ami: et tout comme, par rapport à soi, la sensation d’exister est désirable, ainsi il en ira pour l’ami. »

Appliquons exactement cette définition existentielle, ontologique, et politique de l’amitié au meurtre du film. Le fait de se sentir exister avec tout celui induit de désirable, c’est exactement ce dont Pierre ne peut ignorer que Sabine Martel est en train de le perdre violemment sous le coup de cette agression. Son « cri » est à cet égard sans ambiguïté. Rester impavide, indifférent ou même tétanisé sous l’effet de terreur de ce cri, c’est à la fois compréhensible et inadmissible. Il faut creuser ce dernier terme, inadmissible par rapport à quoi? 




Par rapport au droit naturel ? Évidemment. Par rapport au droit positif? Le film répond « non », puisque de fait le procureur de la république refuse de poursuivre le dossier. Son métier à lui est de juger et à la journaliste qui, avec justesse, lui oppose que si effectivement on essaie pas de comprendre, on ne comprendra jamais il oppose cette sentence (dont on sent bien qu’elle lui vient de l’habitude de l’instruction de plusieurs dossiers):

  • On ne comprend jamais  (mais on a envie de lui opposer alors une interrogation légitime: mais alors si on ne comprend pas, pourquoi juger? Est-ce que vous ne seriez pas en train de dire  que puisque on ne comprend pas des comportements inadmissibles, le mieux qui reste à faire est de juger…De juger sans savoir: un peu à l’aveuglette. Est-ce que vous n’êtes pas en train de dire que finalement la justice des Humains, le droit positif juge toujours sans savoir, de façon nécessairement et fatalement incompréhensible, hâtive, bâclée, injuste? La justice des humains est exactement comme la statue de la Diké (Athéna) avec un bandeau sur les yeux mais pour d’autres raisons que celles que l’on croit. Elle agite son glaive sans vraiment se préoccuper de savoir sur qui il tombe ou ne tombe pas.



Il pointe exactement le fond du problème avec un cynisme dont on pourrait dire à la fois qu’il nous écoeure et qu’il nous convainc (mélange détonant) : « un témoin qui ne parle pas, c’est un salaud, 38: c’est monsieur tout le monde. » On pourrait ici faire un parallèle entre le procureur et Créon: il s’agit de veiller au maintien de la paix civile, de l’ordre public et de fait, pointer cette affaire, soumettre 38 personnes à la vindicte publique ne créera aucunement de paix civile mais exactement le contraire de ça: la discorde, de la même façon que Créon veut enterrer l’affaire en n’enterrant pas le corps du traître Polynice pour dissuader les tentations de révolte ou de reprise de la guerre civile.  C’est compréhensible mais cela n’en demeure pas moins inadmissible d’un autre point de vue, comme le film va le souligner avec le personnage de Pierre  qui lui attendait que justice se fasse, attendait d’être jugé, espérait que la société pourrait l’aider à gérer son problème. 

Au regard de quelle autorité ce « manquement » en constitue-t-il un? Au regard de quoi Pierre se sent-il coupable, se dit-il qu’il n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire?  C’est comme s’il avait raté un train qu’il devait impérativement prendre et ne s’en relevait jamais mais quel train? Il a loupé le Kairos (de l’éternel retour) et éprouve en lui le sentiment écœurant d’un vide d’être que rien ne semble pouvoir combler, en tout cas, pas le droit positif (contrairement à un autre film: « the machinist » de Brad Anderson avec Christian Bale). Nous nous situons bel et bien ici à la croisée des chemins, exactement à l’acmé du déontique, dans ce lieu fondamental au coeur duquel un être humain se dérobe à son DEVOIR.

Mais c’est précisément grâce à Aristote et peut-être au-delà à Heidegger, au lien qu’il est possible de nouer entre la philia aristotélicienne et la sorge Heideggerienne (mais il y a des différences, notamment le fait que la philia est limitée aux humains pour Aristote alors qu’elle pointe un souci du monde et de l’existence chez Heidegger) que nous allons voir plus clair dans le problème de Pierre.

Sabine Martel est, de plein droit l’efficience d’une  libération de sa puissance d’agir et les coups de couteau qu’elle reçoit en hurlant sous la main d’un inconnu porte préjudice gravement à cette puissance d’agir , ce qui veut dire que ses capacités de se sentir exister sont en train de décroître et que cela ne peut pas ne pas concerner toute autre faculté de se sentir exister avoisinante, proche, présente, à l’écoute. C’est comme si une faculté d’être-aux aguets de l’autre être était finalement toujours éveillée (woke) parce que « être en question » est une certain façon d’établir un rapport ouvert à ce que c’est qu’être. Le questionnement de l’être en tant qu’être du dasein ne peut se détourner de la question de l’être où qu’elle se vive.




Nous allons au plus loin de ce qui compte dans l’être à soi d’un être et nous finirons nécessairement par toucher ce socle de la question de l’être, c’est-à-dire de son dasein, le fait qu’être c’est ce qu’il approche par la question, par la contingence, par un suspens, pas une impossible résolution, fermeture, enclosure. Etre c’est vivre le fait d’être comme un secret dont on n’a pas la clé et qui nous questionne, que l’on approche par le dehors mais justement parce que finalement, ce n’est qu’un dehors. Mais cela signifie que nous suivons toutes et tous (évidemment ici il y a plein de questions sur ce toutes et tous) des façons différentes d’approcher ce fait d’être qui indiscutablement nous réunit et nous concerne. Sabine Martel ne vit pas le fait d’exister de la même façon que Pierre, mais elle n’en cultive pas moins à sa façon propre le même fait d’être une existence sentie que Pierre de telle sorte qu’en agissant pas Pierre porte atteinte à ce que c’est qu’être pour la totalité de tous les êtres. Il n’est absolument rien qui puisse être aussi total, aussi entier, aussi UN que cela et le paradoxe tient au fait que cette unité plus unifiée que toutes les unités, elle se trouve dans l’être à soi de toutes les « sentances » d’existence (à ne pas confondre avec sentence avec un e). C’est comme si nous touchions ici du doigt une sorte de rapport à l’extériorité de tous les êtres extérieurs dotés d’un ressenti de soi mais au sein même de notre intériorité, de notre rapport à soi. 

Or nous sommes bien ici en prise avec une certaine conception du droit naturel, mais pas du tout celle de Montesquieu ou de Saint Thomas ou de l’idéologie des droits de l’homme ou des lumières, c’est bien plutôt à Spinoza qu’il nous faut penser ici. « L’effort d’une  chose  pour persévérer dans son être (dans le fait d’être) n’est rien d’autre que l’essence actuelle de cette chose. » Sabine Martel a le droit naturel d’exister, son agresseur aussi, et Pierre aussi mais ici ces trois droits naturel d’exister vont entrer dans une difficile équation puisque de fait le droit naturel de l’agresseur porte atteinte à celui de Sabine et que Pierre voit et entend cela et n’agit pas. Est-ce vraiment un problème déontique? Est-ce qu’il ne fait pas ce qu’il devrait faire? C’est plus simple et plus terrible que cela, il ne fait pas ce que c’est qu’être, il n’est pas…. ou plus exactement il n’est « pas beaucoup », il laisse en lui son conatus, son désir de persévérer dans son être se réduire voire finalement se nier. Sa puissance d’existence, c’est-à-dire le fait de sentir en lui s’accroître son sentiment d’exister lui enjoint naturellement de se porter au secours de tout ressenti d’existence quel qu’il soit.  On ne peut pas exister sans se sentir exister et se sentir exister est désirable. Cela veut dire que l’agresseur est déjà en lui-même en contradiction avec lui, qu’il a laissé la pulsion sexuelle, ou l’appât du gain dissimuler en lui tout ce qu’il y a de désirable dans le fait non seulement se se sentir exister mais de participer au l’accroissement de puissance de toute autre sentence d’exister parce que finalement il est une dimension où nécessairement elles se rejoignent pourquoi? Parce que Etre est UN. L’agresseur est un imbécile, un ignorant, un maladroit, un amnésique de l’être, c’est-à-dire un dasein qui se nie absurdement en tant que dasein parce qu’il se ferme de façon incompréhensible  à la Sorge, probablement parce que la société, ou son entourage ou « une certaine façon viciée de penser », lui fait croire qu’un petit plaisir est supérieur à ce que Spinoza appelle la joie, le fait de libérer sa puissance d’agir au contact d’autres puissances d’agir que l’on libère aussi (parce qu’être finalement est la libération d’une puissance « UNE ») Le mal est toujours accompli par des êtres  qui sont en proie à la non réalisation de ce que c’est qu’être.

Mais Pierre aussi, probablement pour des raisons plus retorses, plus troubles, tombent finalement dans la même apathie, dans le même oubli. Evidemment une réflexion poussée sur l’individualisme, sur le pouvoir toxique que des modes de vie et de penser fondés sur l’intérêt personnel, l’oïkos, la supériorité de l’intérêt privé sur la chose politique, sur des principes de régulation économique basés sur l’appât du gain et sur la chrématistique commerciale peuvent    entraîner comme conséquences désastreuses permettrait d’expliquer pour une bonne part ce qui s’est probablement passé dans l’esprit de Pierre.  La question (morale)  de savoir ce qu’il aurait dû faire est peut-être mal posée. Meilleure serait celle qui interrogerait le « comment et où être le plus? ». Et c’est ici toute la supériorité d l’éthique sur la morale qui se profile.  Comment positionner mon être dans la configuration la plus conforme au conatus, au désir de donner tout mon comptant d’être et de puissance, de libérer le plus possible ma puissance d’agir? En intervenant . 

  • Mais cela met en danger ta vie.
  • Oui probablement mais que me restera t-il à vivre si je ne suis plus, si je n’y suis plus?

Nous retrouvons ici la distinction entre vivre et exister et la tenace illusion selon laquelle il nous faudrait vivre AVANT d’exister, illusion vraiment dommageable et dont malheureusement chaque jour nous donne des illustrations pitoyables.  L’apoptose dont il a été récemment question nous a pourtant démontré par A+B à quel point le mort d’ordre « vivre à tout » pris était à tout point de vue faux, organiquement inopérant puisque de fait, tout organisme EST un mixte de vie et de mort, puisque de fait nos cellules sont d’emblée faites pour mourir et que c’est grâce à cela que l’on est.  La nature veut être à tout prix, mais cela n’a rien à voir avec un quelconque instinct de survie.

Le film nous décrit parfaitement cette existence fantomatique de Pierre dés qu’il a compris qu’il avait failli non pas tant au devoir être, au déontique mais à la toute simplicité d’être. Le droit naturel l’emporte sur tout devoir et c’est exactement ce qui induit une éthique, un ethos. Ce n’est même pas une question de comportement citoyen, de bonne conscience (pas du tout), ni de pitié ou de commisération, mais de sollicitude viscérale profonde de tout dasein à l’égard de ce qui le préoccupe toute à la fois intimement et universellement: le souci de l’être, le soin apporté à ce que c’est qu’être, le tact requis par la nécessité de laisser intact ce que c’est qu’être et donc de prendre soin, d ‘être viscéralement intéressé à ce que c’est qu’être pour tout être.




Evidemment, chacune et chacun des lecteur.trice.s de cet article est en train de se dire  que c’est bien gentil tout ça mais qu’on se représente mal Pierre sortir de chez lui à 3h du matin pour aller secourir Sabine et  commencer à disserter avec l’agresseur de la sorge dans la philosophie existentielle de Heidegger ou de la philia chez Aristote. Et de fait, il est vraiment douteux que Spinoza, Heidegger, ou Aristote défendrait une telle attitude. Mais c’est là justement le terme à prendre en compte: l’attitude, l’ethos. Tout ceci à la fin des fins est une question d’attitude. Pourquoi avons nous tant à nous soucier de notre attitude parce que c’est la seule voie du dasein, parce que de fait nous ne savons pas comment être et que la seul chose à faire est d’accepter cette contingence, de la vivre, et donc d’assumer le faut de nous soucier de l’être ce qui signifie que toute affaire cessante, dans cette situation quoi qu’il nous en coûte nous devons  agir pour libérer e protéger des puissances d’agir, aussi bien celle de Sabine qui est en grave danger que celle de l’agresseur qui elle est en danger d’amnésie (et en ce moment il y a beaucoup beaucoup de personnes qui sont en  train de perdre le souci de l’être). 

La vie nous place parfois dans ces situations là où il va peut-être falloir choisir entre Etre et vivre, et nous ne pouvons pas nous empêcher de trouver héroïque, idéal, romantique et un peu timbré celle ou celui qui préfère être que vivre mais c’est une vision totalement biaisée. C’est justement le souci de MON être qui m’impose d’avoir le souci de ce que c’est qu’être pour tout le monde, à tout occasion, en tout lieu. Ce n’est pas de l’héroïsme, c’est du bon sens (presque de l’égoïsme même si le terme est mal choix parce que ce n’est pas l’égo qui est ici en question mais le dasein). Il ne fait aucun doute que l’évolution des sociétés, des économies, des habitus des civilisations a placé entre nous des murs, des inégalités sociales, ethniques, économiques, etc, des intérêts corporatistes différents, jusqu’à nous faire accréditer des conduites totalement iniques et dépourvues de toute efficience existentielle. Seulement voilà: on aura beau inventer, suivre et plébisciter comme des crétins des mots d’ordre nationalistes, individualistes défendant à chacun et chacun de penser d’abord à son oïkos ou à sa patrie natale, de fait nous existons et certaines philosophies nous invitent non pas tant à réfléchir qu’à ne pas lâcher cette efficience première et absolument donnée, originale, irrévocable: l’être. En tant qu’existant je ne peux pas ne pas prendre soin de ce que c’est qu’être pour la totalité des ressentis d’existence qui en cet instant concourt ensemble à ce que c’est être pour tout être en tout lieu. Ici se libère une universalité qui contrairement à ce que pensait Aristote ne se limite pas aux humain.e.s. La philia c’est ce qui prévaut indifféremment pour toutes les formes d’être qui ne font que cultiver à leur façon d’autre faon de donner d’autres façons d’être à Dieu (au sens spinoziste du terme). Louise ne peut absolument pas aimer Pierre tout simplement parce qu’il a perdu toute raison et possibilité de s’aimer lui-même. Nous pouvons aimer n’importe qui au gré de circonstances plus ou moins favorables sauf celle ou celui qui, ne serait ce qu’une seconde, s’est absurdement rétracté au souci de l’être, ce qui nécessairement l’exclue de la philia, c’est-à-dire de l’amour. 

Toute hiérarchie des préférences familiales, régionalistes,  nationalistes éprouve ici sa plus radicale absence de tout lieu d’être. Non, nous ne pouvons pas préférer notre famille à nos amis, nos amis à nos voisins, nos voisins à nos compatriotes, nos compatriotes aux étrangers tout simplement parce que personne ne nous le demande, et aussi parce qu’il n’y a pas ici de voisins, de compatriotes, ni même d’humains, Il y a un choeur d'existant.e.s, ce que Deleuze appelle la clameur de l’être. A chacune et à chacun sa tessiture de voix mais de fait, nous « sommes » et pas là même sommes intéressé.e.s à ce que de l’être soit, quelque soit la multiplicité des façons dont toutes ces formes d’être se sentent exister. Ici s’éprouve la différence entre celle ou celui qui, au cri de Sabine, dira: « je préfère protéger mes proches » (mais de quoi, au juste?) et celle ou celui qui ne se posera pas de question parce que, s’il est vrai qu’être s’impose à moi comme question, il ne fait aucun doute que cet être en question est le mien et qu’il s‘active  en cet instant. Rien ne saurait être plus vrai que cela, mais surtout maintenant. Agir et sortir de chez soi pour aider Sabine c’est être, et pas devoir être. Rester chez soi et se raconter la fausse histoire de sa surdité (je n'ai rien entendu), c'est être " peu", voire n'être pas, vivre certes, mais sans être. C'est la définition même du zombie.




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