Il est
absolument impossible de rédiger notre introduction si nous n’avons pas réalisé
la difficulté du sujet, c’est-à-dire si nous n’avons pas exploré sa profondeur
problématique. C’est justement quand nous aurons compris que nous ne pouvons
pas réellement nous sortir d’une telle question que nous pouvons
« paradoxalement » considérer que nous commençons d’entrer dans un
sujet. Si l’épreuve du baccalauréat dure quatre heures, ce n’est pas un hasard,
cela signifie que nos correcteurs souhaitent que nous allions le plus loin
possible dans cette exploration. Il serait vraiment dommage que nous
comprenions toute la complexité d’une question et que, par paresse, nous
n’exprimions pas les contradictions les plus ultimes dans lesquelles le
problème posé nous a plongé.
Il convient de bien saisir que la notation de
l’épreuve rendra nécessairement compte de cette séparation entre deux profils
de candidats devant la difficulté de tout sujet de philosophie : celles et
ceux que la difficulté à trancher et la nécessité d’approfondir sans cesse davantage
amènent à abandonner la réflexion et de l’autre côté, celles et ceux qui ont
compris que c’est quand la difficulté est bien comprise que l’on commence à
traiter le sujet. Ce n’est pas vraiment notre réponse qui est attendue mais l’exploration
continue, progressive et détaillée d’un paradoxe.
Nous pouvons maintenant
reprendre les trois étapes d’une introduction. Dans un premier temps, il faut
montrer que cette question ne se pose pas seulement d’un point de vue
philosophique mais qu’elle trouve son origine dans la vie courante, dans le
quotidien de chacun de nous. Une dissertation consiste précisément à
approfondir philosophiquement des contradictions qui nous apparaissent dans le
flux de notre vie ordinaire, mais que le cours habituel de notre existence nous
empêche de « creuser ». On comprend donc pourquoi il est très
maladroit de commencer en écrivant : « Ce sujet nous interroge
sur… ». Il faut d’abord évoquer une situation, une pensée commune, une
référence qui nous permettra d’amener concrètement le problème posé par le
sujet.
L’intention
philosophique de poser un problème
vient juste après. Cette situation que nous venons d’évoquer manifeste un
paradoxe. Lorsque nous discutons avec quelqu’un et que nous défendons un point
de vue opposé au sien, nous partons du principe que nous avons raison, tout
simplement parce que le dialogue devient un combat qu’il faut gagner pour ne
pas perdre la face, mais personne n’est dupe. Chacun sait bien dans ce prétendu
échange d’arguments qu’il s’agit moins de dire la vérité que de l’emporter,
comme dans un duel. Il n’est pas rare que de telles « discussions »
se terminent par un « à chacun ses opinions » qui manifeste assez
clairement l’échec du débat car, d’un point de vue logique, il est
impossible que deux affirmations
contraires « simples » (sur le temps qu’il fera demain par exemple)
puissent s’opposer sans que l’une ait raison et l’autre tort. Nous aimerions
bien alors « savoir » que l’on a raison, c’est-à-dire précisément
sortir de cette mauvaise foi, de ce petit jeu dont nous percevons bien, en
réalité, qu’il ne nous permet pas de progresser authentiquement. Pour s’en
convaincre, il suffit d’envisager un dialogue entre une personne qui dit une
vérité et une autre qui le contredit. Si la première finit par convaincre la
seconde, qu’a-t-elle gagné réellement ? Eventuellement le sentiment d’une
certaine « supériorité », mais objectivement, cette impression est
très, très inférieure à ce qu’a gagné la seconde qui a réussi à se défaire
d’une erreur et qui maintenant sait quelque chose qu’elle ignorait avant. En
d’autres termes, celui qui a gagné sur le plan le plus important : la
vérité, est exactement celui qui a perdu sur le plan inférieur du simple duel
d’opinions.
La
question qui nous est posée ici est donc celle de la possibilité d’accéder à un
niveau de certitude objective, indubitable (dont on ne peut douter) qui dépasse
complètement le cadre superficiel et étroit d’une quête de pouvoir, d’un petit
jeu rhétorique dans lequel il importe seulement de donner l’impression que l’on
a raison. Mais s’il existe des domaines dans lesquels cette objectivité nous
semble tout-à-fait réelle, effective, comme les mathématiques ou les prévisions
que nous exprimons sur un événement futur, il en est d’autres pour lesquels
l’idée même de « vérité » est beaucoup moins évidente. Pouvons-nous
savoir si nous avons raison à chaque fois que nous faisons tel ou tel choix
dans notre vie, alors même qu’il n’est pas bien sûr qu’il existe quelque part une norme de ce que doit être une vie
humaine ?
Nous comprenons maintenant le sujet et
nous réalisons à quel point il nous interroge finalement sur l’acquisition de
la chose qui probablement nous importe le plus et qui, en même temps, nous
échappe le plus : la certitude de ne jamais
nous tromper, l’assurance de suivre « le bon chemin », de faire à toute
occasion le bon choix, la juste chose à faire, de mener une existence, conforme
en toutes choses, » à ce qu’elle a à être » (mais évidemment nous ne
savons si une existence « a à être » autre chose que ce qu’elle est
en train de devenir dans cet instant présent).
A la fin de notre introduction, nous
formulons la problématique, c’est-à-dire, le paradoxe contenu dans le sujet,
avec le plus de précision possible. Mais
rien ne nous interdit, après notre introduction, de consacrer un petit
paragraphe à l’expression plus détaillée, plus affûtée de ce problème.
Aucun correcteur ne peut être insensible à la volonté affirmée d’un candidat de
bien spécifier, délimiter son sujet. Par contre, l’exposition de notre plan
n’est pas obligatoire, loin de là. Nous en avons un avant de commencer à
rédiger mais il n’est pas nécessaire de le révéler, pour deux raisons :
a) Si nous avons un plan, suivons-le plutôt que de dire
que nous allons le suivre. De nombreux candidats présentent un plan très
« alléchant », mais sans lui donner de véritable contenu et leur
description se réduit alors à une déclaration de bonnes intentions (voilà ce
que j’aurais écrit si j’avais eu de quoi remplir mes objectifs)
b) De nombreuses idées nouvelles et pertinentes vont
nous venir pendant notre travail d’écriture. Il faudra leur faire place quitte
à changer éventuellement notre intention première. Il est donc inutile et
maladroit de s’enfermer obstinément dans un schéma figé.
Différents
types de plan sont envisageables. Le plus pratiqué est le plan dialectique : on développe d’abord le oui, ou le non à la question posée,
puis la réponse contraire, et enfin on essaie de montrer qu’il existe une autre
dimension du sujet qui dépasse celle des deux premières parties. Cette autre
dimension est assez claire par rapport à ce sujet. Autant, dans les deux
premières parties, nous pouvons traiter la question de savoir s’il existe un
critère qui nous permette d’acquérir la certitude d’avoir raison (oui et non),
autant dans la troisième, nous pouvons nous interroger sur l’existence d’un
critère par rapport auquel avoir raison aurait ou pas du sens (est-ce
qu’ « avoir raison » veut vraiment dire quelque chose, ou bien,
sommes-nous renvoyés à la nécessité de faire ce que nous pouvons dans une
réalité dépourvue de norme, de vérité, d’idéal ?)
Mais nous pouvons adopter un autre type de plan,
dit « progressif ». Il consiste à se rendre compte que la question
peut se concevoir selon différents sens et à traiter ses différents sens en
partant du plus simple jusqu’au plus complexe, au plus profond. Nous pouvons,
par exemple, construire notre dissertation autour de trois axes : a) le
point de vue ontologique (l’ontologie est l’étude de l’être, ce qui est – on
peut évoquer ici Descartes (et Matrix) et tout ce qui a été vu sur l’existence
comme certitude indubitable) b) le point de vue scientifique (notamment
l’opposition entre les mathématiques dans lesquels tout étant démontré, nous
pouvons savoir que nous avons raison et la physique pour laquelle
l’expérimentation nous permet de progresser mais jamais de savoir
définitivement) c) le point de vue moral et son opposition à l’éthique (pour la
morale, il y a clairement un bien et un mal en fonction desquels nous devons
toujours bien orienter nos intentions et nos actions alors que l’éthique
envisage davantage nos choix par rapport à des situations qui ne valent
qu’ « au cas par cas »).
Il
n’existe pas un modèle de plan que l’on pourrait appliquer aveuglément à toute
dissertation. Chacun de nous doit réfléchir en tenant compte résolument de deux
paramètres : a) ce qui est vraiment dans le sujet, ce qui permet de le
traiter à la fois dans sa totalité et sa spécificité.
b) ce que nous avons envie de
traiter, ce qui nous semble le plus problématique, le plus complexe et aller le
plus loin dans ce sujet.
Ce dernier point est
fondamental et difficile à gérer : une dissertation doit manifester à la
fois notre acquisition d’une technique de dissertation, d’un certain style
d’écriture philosophique, d’une habitude de questionnement façonnée par
l’habitude et le travail entrepris durant toute une année, mais il doit aussi marquer un engagement plus profond, c’est-à-dire le
fait que nous avons parfaitement saisi que ce n’est pas seulement en tant
qu’élève que nous réfléchissons à la question parce que la division entre
l’être humain et l’élève, en philosophie, est absolument impossible,
intenable, contre-productive. Quelque chose de votre investissement dans
l’existence doit se libérer dans votre écriture (et vous y gagnerez sur un tout
autre plan que celui de la notation).
Tous les
plans sont donc valides à condition 1) que nous nous y retrouvions
(c’est-à-dire que nous traitions vraiment ce qui nous importe 2) que nous ne
fassions pas de hors sujet 3) que notre traitement soit le plus complet
possible. C’est dans cet esprit, par exemple que nous pouvons discerner trois
parties dans le traitement de la question : « Puis-je savoir que
j’ai raison ? » :
a)
Puis-je trouver un critère qui me permette d’acquérir avec un degré de
certitude absolue la garantie de la justesse et de l’exactitude de mes pensées,
de mes jugements, au-delà du seul sentiment d’avoir raison ?
b)
« Avoir raison » : est-ce une conviction que nous pouvons
obtenir par un travail de démonstration (mathématique, science) ou par la force
de révélation d’une intuition (confiance, foi, religion) ?
c)
Existe-t-il « une » vérité, un idéal, une définition du
« bien » au regard desquels nous pourrions
« avoir raison » ou bien sommes-nous voués à « nous
débrouiller » seuls, à considérer que l’action juste est finalement
« juste l’action » ?
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