jeudi 17 septembre 2015

"Puis-je savoir que j'ai raison?" - Réflexions sur un plan possible + indications sur la méthodologie de l'introduction


Lorsque nous affirmons que nous savons que nous avons raison, nous suggérons que notre jugement est le résultat d’un travail, d’une réflexion. Ce n’est pas seulement de l’échange d’idées ou du débat d’opinions dans lesquels il s’agit d’avoir raison « contre » quelqu’un. Peut-on avoir assez de distance, d’objectivité pour ne plus seulement supposer, imposer ou partir du principe que l’on a raison, mais réellement le « savoir ? Nous percevons ainsi à quel point nous sommes interrogés sur la possibilité de l’affirmation d’une vérité qui ne soit pas seulement « la notre », même lorsque la question ou le problème qui se pose à nous est très personnel. Sommes-nous bien sûr qu’il existe une vérité, une bonne décision pour tout, à toute occasion offerte par la vie ? C’est bien là l’un des aspects les plus intéressants et les plus difficiles de la question posée : savoir que j’ai raison suppose qu’il y a forcément un résultat à trouver, un bon choix à faire, une solution « idéale » à appliquer quelque part. On part ainsi du principe selon lequel la vie réelle, matérielle que nous menons est à mettre en perspective avec une vie idéale, parfaite, exacte que nous devrions vivre et à l’égard de laquelle nous effectuons tantôt des écarts tantôt des concordances. C’est ce que certaines personnes appellent « le droit chemin », la voie à suivre, etc. Savoir que j’ai raison dans toutes les situations de ma vie signifie alors réaliser cet idéal, avoir l’intuition de cette vie exacte, parfaite, juste et l’appliquer.

Mais cette représentation d’une vie juste, vraie qu’il reviendrait à chacun de nous de matérialiser : est-elle autre chose qu’une illusion ? N’est-ce pas une idée trop belle pour être vraie ? Nous avons envie de croire qu’il y a une vie parfaite à réaliser parce que, sans cette croyance, nous sommes vraiment jetés dans l’inconnu, dans une réalité étrangère, imprévisible, où rien n’est fait et tout est à faire. S’il n’existe nulle part de voie à suivre, de vie juste à l’égard de laquelle nous aurions raison ou tort, alors notre vie ne serait vraiment que ce qu’elle est en train d’être, sans visée, sans idéal, sans sens prédéfini. Jusqu’où pouvons-nous aller dans l’effort de représentation, de conception et surtout d’acceptation d’une existence qui serait à chaque instant à improviser ? Ne serait-ce pas ça : la liberté (avec tout ce que cela suppose de frayeur, voire de panique) ?
Nous voyons ainsi peu à peu se dessiner des « plans de complexité » dans la question du sujet :
-       Cette question consiste d’abord à s’interroger sur la possibilité de trouver un critère (un test) qui nous garantirait absolument la justesse de notre jugement, l’exactitude de nos démarches de recherche, la pertinence de nos choix de vie, etc. (dans cette perspective, nous nous intéressons particulièrement à tout ce que le savoir suppose de certitude, d’achèvement, d’objectivité).
-       Dans un second temps, la question se pose de savoir si le fait d’avoir raison est une question de preuve, de savoir ou plutôt d’intuition, de confiance, voire de pressentiment, de ressenti, d’adéquation à soi (avoir raison : est-ce une question de savoir ou de confiance en soi ? N’est-il pas nécessaire parfois de se dire que l’on a raison pour effectivement agir « correctement » ? Est-ce une question de vérité objective ou d’honnêteté, d’aplomb dans l’attitude ?).
-       Enfin, « puis-je savoir que j’ai raison ? » est un problème qui nous questionne sur notre relation avec un idéal de vie, un Sens, une vérité. Y’a-t-il quelque part une justesse, une perfection, un Bien par rapport auquel nous aurions raison ou tort ? (c’est une question très différente de la première que nous avons posée car nous nous interrogions alors sur la possibilité d’une personne à trouver un critère alors que ce qui nous intéresse ici est le fait d’envisager qu’il n’y ait nulle part de critère, de norme. « Avoir raison » : est-ce une expression qui a vraiment un sens, un contenu ? Dans quelle mesure, ne s’agit-il pas de mots vides ? Je ne pourrai pas savoir que j’ai raison parce que cette expression : « savoir que l’on a raison » reposerait sur un postulat que finalement rien ne fonde. Peut-être nous amusons-nous à poser la question pour nous détourner du fait (un peu terrifiant) qu’elle n’a aucun lieu de se poser.

Nous pouvons maintenant rédiger notre introduction. Comment s’y prend-t-on en Philosophie ? Il y a trois étapes :
-       Il s’agit d’abord d’amener la référence au problème posé par le sujet en partant de la vie courante, du quotidien (n’oublions pas que toute référence à notre vie privée, personnelle, serait très maladroite) de Monsieur « tout le monde ». Il est impossible de commencer notre introduction par « ce sujet nous interroge sur… »
-       Ensuite, il faut montrer qu’il y a un problème, une contradiction. Il n’est pas question d’utiliser tout de suite un style ou des références trop philosophiques mais de marquer notre compréhension du paradoxe soulevé par la question.
-       Enfin, il convient de formuler le problème de la façon la plus rigoureuse, claire précise et philosophique possible (éventuellement en montrant que nous avons bien saisi le rapport avec certaines notions qui ne figurent pas explicitement dans le sujet mais qui y sont implicitement contenues. Pour « Puis-je savoir que j’ai raison ? », les notions de certitude, d’objectivité, de vérité sont évidemment sous entendues par l’énoncé). Un sujet de philosophie est souvent assez court, général, voire vague. Il s’agit alors pour nous de manifester dans notre reformulation un effort de lucidité, d’attention, d’approfondissement, comme si nous disions à notre correcteur : « ce qui nous est demandé en fait, c’est ça… »
Prenons comme exemple le sujet suivant : « Avons-nous besoin d’être aimé(e)? ».  Voici une introduction qui essaie de reprendre clairement les trois étapes décrites :

« Nous avons déjà éprouvé ce sentiment de sécurité et de confiance en soi dont nous gratifie l’amour de nos proches. Etre aimé(e), c’est d’abord faire l’expérience d’une forme d’approbation inconditionnelle, indépendante de nos actions. La plupart des parents aiment naturellement, « évidemment » leurs enfants (première étape : amener le sujet en partant de la vie courante). Cette acceptation de notre personne ne s’appuie pas sur des raisons, sur notre mérite, mais sur la force irrésistible d’un lien familial ou sentimental qui ne peut ni finalement ne doit se justifier. Or, nous sommes également voués à devenir des membres à part entière de la société, des travailleurs reconnus par différentes institutions, des sujets ayant des comptes à rendre à la loi, des individus pourvus de droits, des personnes morales, etc. Aucun de ces statuts ne fait référence à l’amour comme sentiment prenant place parmi les droits ou les devoirs de l’homme. L’amour n’est pas reconnu comme l’un des « droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme »  (déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789). Pour autant, il n’est pas bien sûr que nous puissions vivre sans lui (deuxième étape : exprimer la contradiction présente dans le sujet). La plus fondamentale nécessité de tout être humain est-elle d’être l’objet de l’amour de son prochain ou bien d’être reconnu par lui comme un être distinct, libre et digne d’être respecté ? Avons-nous besoin d'être l'objet de l'amour des autres ou sujet de droit ? (troisième étape : formuler le problème en utilisant les notions implicitement contenues dans le sujet) »
Peut-être réalisons-nous plus clairement maintenant qu’il ne faut pas se précipiter pour rédiger l’introduction. Lorsque nous lisons celle-ci, nous comprenons que le sujet a bien été perçu parce que le vrai problème posé par la question : « avons-nous besoin d’être aimé(e)? » est celui de l’altérité (le fait d’être autre). Nous savons bien, par exemple, que le vrai danger pour l’enfant aimé de ses parents est de n’être jamais reconnu par eux comme une personne distincte,  existant par soi, à part entière. Etre passionnément aimé, c’est courir le risque d’être l’objet d’un amour cannibale de la part d’un être qui ne fait pas la différence entre lui et nous. Mais peut-être l’amour passion n’est-il pas l’amour authentique ?
Il faut du temps pour clairement discerner le problème contenu dans une question. C’est la raison pour laquelle toute précipitation est exclue. Nous pouvons être certains d’avoir trouvé le problème lorsque nous sommes allés au bout de la contradiction contenue dans la question. Ici, par exemple, nous voyons bien maintenant à quel point, selon que nous parlions de l’amour passion ou d’un amour plus « raisonnable », nous avons besoin ou pas d’être aimé(e). Nous n’avons sûrement pas besoin d’être la cible d’un amour passionné parce qu’alors nous ne sommes pas reconnu en tant que personne, sujet, mais nous sommes réduit au statut d’objet (être l’objet d’une adoration de la part de l’aimant(e) est sûrement gratifiant, en un sens, mais il est plus qu’urgent de se défier de ce type d’attachement car il vise à nous enfermer dans une image qui, aussi flatteuse soit-elle, est illusoire).

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