« L’idée
selon laquelle un homme se doit d’être libre et de penser par lui-même est née
à Athènes au 5e siècle avant Jésus-Christ. A cette époque et dans ce
lieu existait, au cœur de la cité, une place nommée :
« l’agora » sur laquelle tout homme était autorisé à prendre la
parole et à se faire écouter par les autres. On insiste, à juste raison, sur
tout ce que les pays dans lesquels s’exerce une authentique liberté
d’expression doivent à cette époque, à ce lieu, à ces hommes. Mais on oublie
parfois de préciser que ni les esclaves, ni les femmes, ni les étrangers à la
cité n’étaient autorisés à parler sur l’agora.
Ce qui
nous tient lieu d’agora aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux. Nous sommes
passés d’un espace public, réglementé, localisé où les visages sont reconnus, à
une plate forme cachée, virtuelle, individuelle et anonyme, ouverte à tous et
sur laquelle la pression de la loi se fait plus ou moins forte. Ni les orateurs
de l’Antiquité, ni les rédacteurs de la déclaration des droits de l’homme et du
citoyen n’avaient évidemment prévu de telles conditions de circulation de la
parole et de la pensée de chacun au sein de la cité.
La seule
chose qui assure le lien entre ces époques est le terme de « démocratie »
(le pouvoir au peuple (demos)) mais il ne s’agit plus du même peuple. Ce qu’il
nous reste à construire est donc une démocratie numérique au sein de laquelle
la conception du « peuple » est à redéfinir. Peut-être les grecs
n’étaient-ils pas allés jusqu’au bout de la notion de démocratie (puisque
l’exercice de la libre parole était réservé à une certaine partie de la
population), mais en même temps, il n’est pas du tout évident que les réseaux
sociaux favorisent aujourd’hui l’activation d’une pensée qui soit vraiment la
notre. Jamais, donc, nous n’avons été à
la fois plus proches et plus éloignés de cet idéal : un peuple composé
d’individus savants, libres, autonomes et pensant par eux-mêmes. »
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