Quelle que soit l’action que nous accomplissons, nous
finirons toujours par admettre, si nous nous interrogeons vraiment sur la
finalité que nous visons en l’effectuant, qu’elle consiste dans le bonheur. Ce terme
désigne donc une sorte d’accomplissement parfait, total, de soi, une plénitude,
et aucun être humain ne peut, sans mentir, affirmer qu’il ne veut pas être
heureux. Par conséquent, si le bonheur dépendait de nous, l’humanité dans son
intégralité jouirait d’un bonheur sans restrictions et ce n’est
indiscutablement pas le cas. On peut en conclure que cette condition s’applique
donc à des privilégiés, des chanceux auquel le bonheur serait
« donné » au hasard, sans qu’ils le méritent nécessairement plus que
les autres. C’est bien ce que l’étymologie suggère puisque le bonheur vient du
latin « augurium » qui signifie présage et qui renvoie donc aux
signes favorables envoyés par les Dieux, indépendamment de la volonté des
hommes. (Phase 1 de l’introduction) Pourtant le bonheur signifie un ravissement
si entier de la personne heureuse que l’on a du mal à le définir comme une pure
extériorité qui nous « arriverait ». Notre aspiration au bonheur est
si profonde, si naturelle, si « donnée » que l’on ne voit pas bien
comment nous pourrions ne pas y être pour quelque chose puisque nous ne tendons
qu’à cela. Du bonheur nous pourrions dire donc qu’il est universel en tant qu’aspiration mais indéterminable en tant
qu’objet. En effet, dés qu’il nous faut établir une définition du bonheur
qui conviendrait à tous, nous sommes renvoyés à des contenus relatifs,
particuliers, ancrés dans des dispositions précises. C’est pourquoi Emmanuel
Kant affirme que le bonheur est « un idéal non de la raison mais de
l’imagination fondé uniquement sur des concepts empiriques ». Nous sommes
tous en quête de quelque chose dont il est impossible de donner une définition
qui pourrait valoir pour tous, ce qui nous interdit de concevoir un « mode
d’utilisation ». (fin de la phase 2
de l’introduction) Le bonheur n’a pas de mode d’emploi. Il n’est pas
« automatique » comme le plaisir. Faut-il en conclure qu’il ne dépend
pas de nous d’être heureux ? Ne serait-ce pas justement parce que la
jouissance qui le caractérise n’est pas universalisable qu’il dépend
précisément de nous et seulement de nous, par opposition aux autres, d’être
heureux, comme si dans le bonheur quelque chose de ce qui nous spécifie non
plus en tant qu’humain mais en tant que personne irréductible à une autre se
manifestait ? Se pourrait-il qu’au même titre que notre expérience de
l’existence ou que notre relation à la mort, la recherche du bonheur dessine
les contours de cet espace existentiel singulier, propre à chacun, inhabitable
par qui que ce soit d’autre que nous-mêmes, celui-là même que Michel Foucault
caractérise par la notion empruntée aux grecs de l’antiquité de « souci de
soi » ? Le bonheur n'est-il que question de chance ou l’œuvre même d’un
travail sur soi ?
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