L’épreuve du Baccalauréat consiste à réaliser en 4h
soit une dissertation (sujets 1 et 2), soit une explication de texte (sujet 3).
Cette méthodologie ne concerne que le choix du sujet 1 et 2.
1) Le choix
du sujet
Le sujet qu’il faut que
nous choisissions est celui qui en un sens nous embarrasse le plus. On entre
dans un sujet quand on réalise que l’on ne peut pas vraiment en sortir. Il y a
dans tout énoncé de dissertation ce que l’on pourrait appeler une spirale de
questionnement, un mouvement non pas d’inspiration mais d’aspiration qui doit
nous « happer ». Il est impossible de répondre définitivement par
l’affirmative ou la négative. Cet embarras que nous éprouvons devant une
question « trouble » dont la réponse varie suivant le sens que l’on
donne à telle ou telle expression, c’est finalement la matière de la
dissertation elle-même qu’il va nous falloir organiser. S’il n’y a pas de gêne,
il ne peut pas y avoir de dissertation. Par conséquent le critère du choix du
sujet est ce trouble même, voire éventuellement ce début de clarification qui
peut pointer dans notre esprit : « ça dépend du sens que l’on
donne à telle expression du sujet », on voit bien que si on la prend dans
tel sens, la réponse est « oui » mais dans tel autre, la réponse
serait plutôt non.
Être intéressé par un
sujet, c’est donc d’abord être embarrassé par lui et il faut se méfier de
l’effet d’attraction de certains énoncés dont nous pensons que nous apprécions
les thèmes. « Ah ça, c’est vraiment ma question ! » Si nous
avons un avis déjà tranché sur une question, une idée « arrêtée », il
y a très peu de chances que nous soyons performants. Il n’est pas vraiment
question dans une dissertation d’affirmer une prise de position, de revendiquer
tel ou tel parti pris sur tel sujet. On ne choisit pas un sujet parce que l’on
a des choses à dire mais parce qu’il y a en lui un questionnement à poser et
que l’on voit pourquoi.
2) L’utilisation
du brouillon
La formulation de la problématique, du plan et de
l’introduction est loin d’être évidente. Il convient donc d’utiliser pour ces
trois phases son brouillon.
a)
Problématique
L’énoncé du sujet pose de
façon simple un problème compliqué, un paradoxe dont il est la face visible, la
partie immergée. C’est à nous de remonter à la source même de cette ambiguïté
et de la formuler clairement, autant qu’on le peut. Par exemple, sur le
sujet : « peut-on douter de soi-même ? », il faut
rapidement dépasser l’idée courante selon laquelle on doute de ses capacités
dans tel ou tel domaine. La réponse serait trop évidente pour constituer
vraiment le problème. Peut-on douter de soi-même sans être précisément celui
qui doute et donc celui qui, indiscutablement fonde par lui-même sa propre
existence en doutant ? C’est exactement le cogito de Descartes. En un
sens, on fait forcément semblant de douter de soi parce que l’on prouve son
existence en doutant…à moins qu’il existe un doute plus puissant que celui du
sujet, un doute qui pourrait manifester l’efficience d’une puissance de pensée
étrangère, « autre » à nous-même (éventuellement l’inconscient de
Freud ou la volonté de puissance de Nietzsche). Lorsque l’on discerne ainsi des
ouvertures dans le questionnement qui nous font passer à de nouvelles
« strates » de complexification d’un sujet, on peut être sûr que l’on
a compris le problème. « Le doute qu’un sujet peut éprouver quant à
l’existence ou à la nature de son « moi » peut-il s’appuyer sur une
autre instance que lui-même, que son statut de sujet ? »
b)
Plan
Le plan sert précisément
à organiser ces strates. Nous percevons bien dans cette descente dans la
complexité d’un sujet que nous passons d’un étage à un autre plus bas, plus
profond, plus intéressant. Après avoir formulé rapidement et éventuellement
sans ordre toutes nos idées et nos références au brouillon, nous allons devoir
hiérarchiser des plans pour ordonner notre dissertation. Il suffit de passer
toujours du plus simple au plus complexe, au plus subtil. Par exemple sur ce
sujet : « Peut-on douter de soi ? », on peut commencer
par évoquer l’absence de doute sur soi de l’opinion via des préjugés (partie 1)
puis lui opposer la démarche de Descartes qui consiste à douter de soi au fil
d’une procédure méthodique (Partie 2) Mais précisément cette démarche se
retourne sur elle-même et prouve que douter de soi c’est faire l’épreuve de ce
qui dans le sujet est absolument hors de doute : sa pensée donc son
existence (Partie 3). Toutefois cette conclusion est gravement remise en cause
par l’hypothèse de l’inconscient décrite par Freud (« le moi n’est pas
maître dans sa propre maison » - Partie 4)
Il est également possible
d’ordonner ses parties au gré d’une réponse positive puis négative et enfin
d’un dépassement de la contradiction. Cela revient un peu au même mais il
importe absolument de rédiger une 3e partie. Ici on perçoit bien que
l’opposition entre l’opinion et Descartes se situe à un niveau assez
superficiel, celui-là même que Descartes dépasse en plaçant la question sur un
terrain métaphysique, sur un questionnement vraiment ontologique (3e
partie)
3) L’introduction
Elle se compose de trois
étapes et représente un moment décisif dans la dissertation. En la lisant,
notre correcteur pourra d’emblée se faire une idée sur la rigueur philosophique
de notre approche et sur notre aptitude à avoir vraiment compris le sujet (le
hors sujet est le défaut le plus courant et le plus rédhibitoire) :
a) Il convient d’amener
progressivement la formulation du problème, en partant de situations simples ou
de pensées assez communes. Les phrases d’accroche à éviter
sont : « de tout temps les hommes se sont posés la question de
savoir si… » ou encore « ce sujet nous interroge sur… » ou encore « lequel d’entre nous ne s’est
pas retrouvé dans cette situation.. ». Il faut évoquer simplement un cadre
au sein duquel on sait très bien que le problème contenu dans le sujet se pose
mais de façon assez première et superficielle.
b) En partant de cette
approche ciblée, on se situe maintenant sur un terrain plus philosophique.
Finalement dans la vie courante, nous ne nous donnons pas le temps
d’approfondir vraiment les ambiguïtés dans laquelle nous pouvons nous retrouver
dans la réalité quotidienne. Il y a là un problème et il va falloir pointer ce
paradoxe.
c) il s’agit maintenant
de le formuler le plus rigoureusement possible en sachant que tout se joue ici.
Notre correcteur saura si nous avons compris ou non le sujet.
(Exemple
d’introduction type sur le sujet : Peut-on douter de soi-même ?
Nous jugeons
parfois que nous ne sommes pas à la hauteur d’une tâche ou d’un projet. L’image
idéale que nous nous étions faite de nous-mêmes s’effondre et nous considérons
que nos capacités n’ont pas correspondu à ce qu’elles auraient du produire. Nous
doutons de nous-même, mais par ce terme nous désignons finalement l’écart entre
le portrait avantageux que nous avions dressé de nous-mêmes et la réalité. Nous
nous étions fixé un « devoir être » et nous estimons que nous ne
sommes pas parvenus à l’atteindre, à l’incarner. (premier moment de
l’introduction) Mais que voulons-nous dire exactement par cette expression ?
Cela ne peut pas signifier que nous doutons de notre existence dans ce cas de
figure puisque nous avons été à la fois celui qui s’est fixé un objectif et
celui qui a échoué à l’accomplir. Il y a bien ici la manifestation d’une
réflexivité et finalement d’une affirmation de soi, fût-ce pour
s’autocritiquer. Pour douter de soi, il faut se mettre à distance de soi et se
juger comme si nous étions un autre. Douter de soi, c’est se voir faillible,
déficient, mais aussi dépréciative soit-elle cette évaluation marque
l’exhaustivité (exhaustivité : le fait d’être total) d’une présence à soi,
d’une conscience qui dans l’expression même de son insuffisance accapare le
champ de cette mise en accusation. Si je manque d’être celui que j’espérais
être, je n’en suis pas moins doublement existant en tant que sujet et qu’objet
de ce doute, et plus je suis l’objet de cette remise en cause de mes
possibilités, plus je manifeste « sans aucun doute » mon existence
réelle en tant que sujet de ce doute. Nous sommes confrontés à un paradoxe
puisque douter de soi-même, c’est bien ce que nous pouvons faire mais sitôt que
nous le faisons, nous ne pouvons plus douter. Je peux douter de ce que je suis ou de ce que je pensais être, mais je
ne peux pas douter que je sois. (C’est le deuxième moment de
l’introduction : la problématisation. Mais cette démarche qui est celle-là
même du Cogito de Descartes peut dés lors nous apparaitre comme légèrement
truquée, pipée puisque le sujet qui l’entreprend sait très bien qu’elle ne le
remet pas vraiment en cause. Dans quelle mesure ne fait-il pas semblant de
douter de lui puisque il sait très bien qu’il se prouvera d’autant plus dans
l’exercice de ce doute prétendument radical ? N’existerait-il pas un doute
plus puissant que celui-là même décrit par Descartes, un doute qui ne viendrait
pas de ma conscience mais qui l’engloberait, qui la situerait elle-même comme
ce dont on peut douter ? Peut-on douter de soi-même sans être celui qui
doute, de telle sorte que notre existence même de sujet serait marquée par le
soupçon d’être fictive ? (C’est le troisième et dernier moment de
l’introduction : la formulation de la problématique)
4) Le style d’écriture
Rédiger une dissertation de
philosophie suppose que l’on se distancie le plus possible d’un style
d’écriture qui viserait à l’affirmation personnelle d’une pensée :
« moi, je pense que… A mon avis….Pour moi… En ce qui me concerne»
sont des expressions à bannir absolument. Il s’agit de s’interdire toute prise
de position qui dénoterait un parti pris sur le sujet, la volonté de se
positionner gratuitement de tel ou tel côté. Rien de notre existence
particulière, personnelle et privée ne doit pointer dans notre écriture.
L’utilisation du « Je » est possible mais seulement à condition qu’elle
émane d’un sujet universel, exactement de la même façon que Descartes lorsqu’il
dit « je pense donc je suis ». Ce « je » ne désigne
aucunement « moi, René Descartes né à La Haye, etc. », mais toute
personne suivant le même raisonnement. Le style d’écriture est donc impersonnel
(« On peut en déduire que… Il en résulte que… Il apparaît que… etc.). Même
le « toi-même » du « Connais toi toi-même » de Socrate
n’est pas un appel à se portraiturer en tant que personne particulière (mais à
la prise de conscience de chacun de nous). Ce que nous écrivons doit pouvoir se
dire aussi et se faire comprendre de tout homme en tout lieu et en tout temps.
I nous faut jouer pleinement la carte de l’écriture, en tant qu’elle s’oppose à
l’oralité. Quand nous parlons devant des personnes ou avec tel interlocuteur,
nous allons nécessairement chercher à le persuader, à gagner sa confiance, à
multiplier les signes de complicité, jusqu’à éventuellement modifier le sens
même de notre discours. C’est de ce genre de compromissions que l’écrit est
totalement dépourvu. Nous y suivons simplement le fil d’une argumentation
rigoureuse, sans nous laisser distraire par la tentation de nous faire des amis
en parlant. Quiconque veut voir clair dans une question devrait écrire plutôt
que parler et c’est aussi à cela, voire surtout que peut servir une
dissertation.
Ce dernier point est
crucial et peut sembler paradoxal : quand nous écrivons, nous sommes seuls
alors que nous parlons à d’autres mais en réalité, c’est justement dans
l’écriture que nous parlons vraiment à l’Autre, parce que toute prise de parole
s’inscrit d’abord dans un milieu au sein duquel nous voulons nous intégrer ou
du moins nous faire reconnaître, de telle sorte que notre propos sera toujours
connoté en fonction de l’entourage.
Le style d’écriture d’une
dissertation est argumentatif. Cela signifie qu’aucune phrase ne peut figurer
sur la page sans être justifiée par celle qui la précède, ou par une évidence
qu’il est vraiment impossible de remettre en cause. L’utilisation des
connecteurs logiques (car, donc, par conséquent, en effet) est donc très
vivement conseillée). En un sens, il n’est finalement question que d’exprimer
dans la phrase à venir ce que l’on peut déduire de la phrase précédente. Les
propositions ne font pas que se suivre, elles s’impliquent.
5) Rédiger
les paragraphes
Il faut quasiment s’imposer
de changer de paragraphe et de marquer un alinéa toutes les vingt ou trente
lignes en moyenne. C’est tout simplement pour nous la possibilité de faire
comprendre à notre correcteur que nous passons à une autre idée ou plus
clairement d’une partie à une autre, d’une sous-partie à une autre. Dans chaque
partie, il devrait y avoir au moins trois paragraphes. Dans cette limite, nous
nous efforçons de poser « un » argument de telle sorte que nous
pouvons simplement en regardant notre dissertation faire le compte des idées
défendues rien qu’en comptant le nombre de paragraphes.
Il est possible de décider
à l’avance de nos paragraphes en concevant le plan.
Exemple : Peut-on douter de
soi-même ?
Plan
1-
Douter de
soi : son être en question (réponse affirmative)
a-
Nous disposons
d’autant de personnalités que d’entourages
b-
Nous faisons
l’expérience de notre « manque à être » en prenant conscience de
cette capacité à nous conformer aux codes en vigueur exigés par tel ou tel
milieu.
c-
« L’existence
précède l’essence » - Sartre
2-
Douter de
soi : l’existence en question (réponse affirmative et négative)
a-
Je peux douter
de moi mais puis-je douter que j’existe ? (Descartes)
b-
Douter que
j’existe c’est exister en tant que « chose qui pense (Descartes). Donc au
final je ne peux pas douter de moi-même
c-
Mais du coup
tout cela ne serait-il pas seulement du semblant ? Le doute de soi comme
figure de style purement rhétorique
3-
Le
« je pense » comme effet de langage (réponse négative)
a-
« L’étranger
dans la place » - Le horla de Maupassant (du doute à la terreur)
b-
« Le moi
n’est pas maître dans sa propre maison (l’inconscient chez Freud)
c- Le Je de l’énoncé et le je de l’énonciation (Jacques Lacan)
Il n’est pas évident ni
facile de concevoir un plan aussi détaillé en 4h mais si c’est le cas chacune
des sous-parties désigne une thèse accompagnée souvent d’une référence qui constitue
un paragraphe. Rédiger sa dissertation à partir d’un plan détaillé nous permet
ainsi de savoir à l’avance où et comment marquer les alinéas.
6) Transitions,
exemples et références
Nous ne devons pas avoir
peur d’exprimer clairement les enchaînements de pensée logique qui justifient que
nous passions de telle partie à telle autre, de telle sous-partie à telle
autre. Chaque phrase étant reliée à la suivante par la dynamique d’un « sens »,
il est toujours possible et nécessaire de faire apparaître littéralement ces
rapports d’implication de paragraphes à paragraphes. Cet effort de transition est
toujours motivé par le sens, l’implication du contenu du paragraphe et pas du tout par l’exigence formelle de
rédiger une dissertation. Cela signifie qu’il ne faut jamais écrire de
formulation du type : « maintenant que nous avons la réponse
positive, intéressons-nous à la réponse négative. »
Les
exemples prouvent que nous comprenons assez ce que nous développons pour faire
le rapprochement avec des situations de la vie courante ou avec des scenarii de
films. Ils ne démontrent rien mais font parfois naître de nouvelles pistes. Les
éléments que nous avions dégagés par le raisonnement s’incarnent alors dans un
moment de la vie réelle. C’est plus clair et cela prouve que nous ne parlons
dans le vide.
Les
références sont cruciales. Evoquer les prises de position argumentées des
auteurs, c’est bénéficier d’un appui considérable. Que nous y adhérions
nous-même ou pas du tout ne doit pas entrer en ligne de compte. Tout philosophe
« reconnu » décrit une prise de position cohérente et argumentée sur
un sujet, c’est un support sur lequel nous pouvons vraiment nous appuyer à
condition de l’exprimer sans le trahir.
7) Conclusion
« La bêtise consiste à vouloir conclure » -
Flaubert: faut-il en déduire qu’une conclusion serait forcément bête? Non car
notre dissertation n’est pas interminable, même si le problème abordé est
rigoureusement insoluble. Nous avons bien rendu compte du fait que ce sujet
avait plusieurs strates de significations, qu’il était complexe et nous avons
exploré cette consistance «étagée». Par conséquent un certain chemin a été
parcouru et c’est de ce « trajet » qu’il faut donner idée en
conclusion: « Nous sommes partis de cette thèse selon laquelle….ce qui
nous a amené à considérer…. ». Nous récapitulons les points importants de
notre travail.
Puis, nous formulons, en
toute humilité (« Il semble que… », nous pouvons en déduire
que… », bref pas de formule trop tranchée) ce qui nous apparaît moins
comme la réponse vraie que comme la perspective la plus intéressante, en
exprimant toutes les nuances à la question que nous avons relevées dans notre
dissertation.
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