A
la fin du film, Cecily demande à Freud si elle est un monstre et il
répond :
-
« Non, une enfant »
Cette
réponse et ses implications nous permettent de mesurer la profondeur du fossé
qui sépare le « connais-toi toi-même » de Socrate et celui de Freud.
Autant le premier nous invite à maintenir cet espace de transparence de soi à
soi grâce auquel nous sommes toujours en mesure de nous détacher des illusions
du pouvoir, des possessions et du danger
de la démesure, autant le second nous convie à une forme d’acceptation en nous
du monstrueux, de l’innommable, innommable qu’il va précisément s’agir de
nommer dans l’analyse, de façon plus ou moins détournée. Il semble réellement
impossible de définir la psychanalyse Freudienne comme un effort, ou un appel à
être. Même lorsqu’il affirme « Là où le ça était, le Je doit
advenir », Freud n’appelle pas le sujet à se prendre en mains, à s’assumer
mais seulement à s’accepter, à ne pas se croire seulement conscient, à convenir
que nous ne pouvons pas nous socialiser ni nous civiliser sans refouler de
nous, en nous-même, une multiplicité de désirs et de fantasmes du ça.
Finalement Freud nous invite moins à user d’une liberté d’action dont
l’existence serait plutôt douteuse qu’à comprendre les ressorts cachés de nos
actes, de nos pensées.
Dans le film, la discussion entre Freud et son
épouse est particulièrement intéressant : se pourrait-il que nous
n’aimions finalement dans les personnes que nous avons « choisies »
que le reflet d’autres personnes. Freud utilise
l’expression : « image gravée dans mon cœur » mais la
formule poétique n’élude pas la signification profonde de ces paroles et l’écho
qu’elles suscitent avec ses thèses : nous n’aimons jamais quiconque pour
ce qu’il est mais pour ce que nous pouvons transférer d’affections anciennes,
infantiles en lui. La « liberté d’aimer qui nous voulons » apparaît
dés lors une expression vide de sens et de contenu. Si par liberté, nous entendons
l’acte de comprendre ce qui nous anime, alors sans aucun doute, la psychanalyse
nous libère mais si par ce terme nous entendons liberté d’agir, de penser par
soi-même sans être aucunement déterminé par quoi que ce soit, alors le connais
toi toi-même freudien ne participe en aucune façon à notre liberté.
3) Conscience et liberté
- L’indépendance est une notion négative
(non dépendance). Je suis libre quand je ne suis soumis à rien ni à personne.
Débarrassé de toute influence étrangère. L’indépendance c’est ce qui anime le
résistant dans un pays occupé. Etre indépendant c’est agir par soi-même
- L’autonomie vient du grec auto (soi-même) et nomos (la loi). Elle décrit l’acte de
se fixer à soi-même ses propres lois. « L’obéissance à la loi qu’on s’est
prescrite est liberté » dit Rousseau dans le contrat social. Si je ne suis
pas autonome, je laisserai probablement triompher en moi mes désirs, mes
appétits dont la satisfaction peut me donner la fausse impression d’être libre
(confusion liberté / plaisir)mais se révèlent en réalité les agents d’une
addiction, d’une soumission. Etre autonome permet de se donner à soi-même une
loi, un code grâce auxquels on agit réellement (agir et le contraire de
réagir). Autant l’indépendance se définit comme une absence de contraintes,
autant l’autonomie se caractérise par l’obligation. Nous nous sentons obligés
de respecter une loi à laquelle nous avons participé, voire dont nous sommes
les artisans. L’autonomie est la base de la liberté politique au sens que
Rousseau et Kant donnent à ce terme. Elle est néanmoins un concept un peu plus
abstrait que l’indépendance, je peux bien m’être fixé à moi-même cette loi de
prendre une douche tous les matins, il se peut que j’ai besoin d’une autre
personne pour le faire si je suis handicapé (dépendance). Etre autonome c’est
décider par soi-même.
- le libre-arbitre désigne la capacité à être la cause première de ses actes et de ses
pensées. On peut parler ici d’une liberté métaphysique en ce sens que l’on est
réellement « le principe », la cause efficiente de toutes nos
manifestations sans être déterminé par aucune puissance ni réalité. Il est
impossible de démontrer cette liberté parce que cela reviendrait à la justifier
et que sa définition consiste précisément à ne se justifier que par elle-même.
C’est cette conception de la liberté qui pose probablement le plus de problèmes
philosophiques. Croire à son libre arbitre, c’est donner à sa liberté, un
pouvoir d’autodétermination de soi qui nie toute autre détermination.
Nous
retrouvons ces trois concepts à l’œuvre dans trois caractérisations différentes
de la liberté :
a)
Liberté physique et politique (le passage de
l’indépendance à l’autonomie)
Nous
jouissons tous physiquement d’une certaine liberté d’action. Même si nous
sommes soumis à des lois naturelles, c’est dans le cadre des actions qu’elles
rendent effectives que nous situons spontanément notre liberté d’agir. Cela ne
nous viendrait pas en tête de vouloir lever le bras dans un autre cadre que
celui-là même qui nous est imposé par les lois de la gravitation. Exister, pour
nous, signifie s’incarner dans ce corps, corps lui-même informé par les lois du
monde dans lequel il est apparu. Nous pouvons éventuellement rêver d’être Superman,
mais ce super-héros représente moins un idéal de liberté qu’un idéal
d’exogénéité (caractère de ce qui est étranger). Superman c’est la qualité
d’être d’un autre monde dans ce monde.
Une
indépendance pure revient en réalité à n’être contraint par rien ni par
personne. Notre liberté d’action peut donc s’exercer sur tout ce qui est à
notre portée. On jouit ainsi d’une liberté sans limite jusqu’à ce que nous
croisions une liberté plus forte que la notre. La liberté physique est donc
aussi totale que fragile et rien ne peut être garantie par elle ou pour elle.
Le philosophe anglais Hobbes (1588 – 1679) situe précisément dans cette
limitation de la liberté naturelle de tous, la puissance nécessaire de l’Etat.
Notre liberté physique nous donne bien le droit de faire tout ce que nous
pouvons, mais elle est limitée par la loi naturelle, c’est-à-dire la loi qui
nous impose de veiller plus que tout à notre propre conservation. Par conséquent
il nous faut faire une sorte de « troc » par le biais duquel nous
abdiquons de notre liberté physique pour être crédité grâce à l’Etat d’une
liberté réduite mais garantie. C’est donc de son propre mouvement que
l’individu devient un citoyen. En choisissant de vivre sous l’autorité d’un
dirigeant, le citoyen, selon Hobbes n’est plus ni indépendant, ni autonome,
mais il a parfaitement compris qu’il n’existe pour lui pas d’autre possibilité
s’il veut vivre dans un état dans lequel règne une paix durable. La conscience
est-elle vraiment requise pour saisir cette nécessité ? Non pas pour le
philosophe anglais. A aucun moment de ce passage de la liberté naturelle à la
liberté civile, l’individu n’a vraiment à faire appel à sa conscience. C’est
une question de « survie », de rapport de forces et pas du tout une
exigence de liberté qui serait revendiquée et voulue par notre conscience.
C’est tout
ce qui distingue le philosophe anglais de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) qui
situe la liberté, au sens d’autonomie au centre même du contrat social. Comment
peut-on constituer un état préservant la liberté du citoyen ? « On a
beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté, dit Rousseau, ces deux
choses sont si différentes qu’elles s’excluent mutuellement. » On ne saurait
dissocier plus nettement l’indépendance et l’autonomie. Aucun homme ne peut se
rendre indépendant dans une société d’hommes. Mais il peut obéir à la loi qu’il
s’est donné à lui-même au même titre que ces concitoyens (Volonté
générale) : « un peuple est libre quand dans celui qui le gouverne,
il ne voit point l’homme mais l’organe de la loi. La liberté suit toujours
le sort des lois, elle règne ou périt avec elle. »
Par
conséquent, il est clair ici que si la conscience n’est pas requise pour nous
rendre libres au sens d’indépendants, elle l’est sans discussion dés lors qu’il
s’agit de se rendre autonome. Pour Rousseau, la conscience est naturelle, innée
et universelle.
b)
Liberté légale et morale (autonomie – le rapport à la
loi)
« Posséder le Je dans sa représentation : ce
pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur
terre. Par-là, il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience
dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même
personne, c’est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la
dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut
disposer à sa guise ; et ceci même lorsqu’il ne peut pas dire Je, car
il l’a dans sa pensée ; ainsi toutes les langues, lorsqu’elles parlent à
la première personne, doivent penser ce Je, même si elles ne l’expriment pas
par un mot particulier. Car cette faculté (de penser) est l’entendement. »
Ce rapport entre conscience et autonomie est
précisément souligné dans ce passage de « L’anthropologie du point de vue
pragmatique » d’Emmanuel Kant. L’obéissance du citoyen à la loi est placée
sur le même plan que l’obéissance du sujet conscient à sa propre loi. Pourquoi
peut-on disposer de l’animal à sa guise selon Kant ? Parce que l’animal se
laisse guider par ses instincts et ses appétits. Il ne dispose pas de ce
pouvoir de dire « je » qui lui permet non pas seulement de se
distinguer des autres mais aussi en lui de distinguer le moi empirique (le moi
pris dans les sensations et les sentiments, les affects) et le moi transcendantal
(le sujet qui dit je pense, universel, abstrait, « un »). Cela
signifie que l’autonomie ne désigne pas seulement l’aptitude du citoyen à participer
aux lois civiles, mais aussi en lui, sa capacité à ne pas se laisser influencer
par des déterminations extérieures qui tenteraient d’influencer ses pulsions.
La loi désigne précisément l’instrument nécessaire à cette élévation de l’être
humain de son moi empirique à son moi transcendantal. Elle est l’organe même de
l’universalisation, et finalement l’incarnation de la raison.
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