« Considérez maintenant pourquoi je vous en
parle. C’est que j’ai à vous expliquer l’origine de la calomnie dont je suis
victime. Lorsque j’eus appris cette réponse de l’oracle, je me mis à réfléchir
en moi-même : « Que veut dire le dieu et quel sens recèlent ses paroles ? Car
moi, je n’ai pas l’impression d’être sage ni de prés ni de loin. Que veut-il
donc dire, quand il affirme que je suis le plus sage ? Car il ne ment
certainement pas ; cela ne lui est pas permis.» Pendant longtemps je me
demandai quelle était son idée ; enfin je me décidai, quoique à grand-peine, à
m’en éclaircir de la façon suivante : je me rendis chez un de ceux qui passent
pour être des sages, pensant que je ne pouvais, mieux que là, contrôler
l’oracle et lui déclarer : « Cet homme-ci est plus sage que moi, et toi, tu
m’as proclamé le plus sage. » J’examinai donc cet homme à fond ; je n’ai pas
besoin de dire son nom, mais c’était un de nos hommes d’État, qui, à l’épreuve,
me fit l’impression dont je vais vous parler. Il me parut en effet, en causant
avec lui, que cet homme semblait sage à beaucoup d’autres et surtout à lui-même,
mais qu’il ne l’était point. J’essayai alors de lui montrer qu’il n’avait pas
la sagesse qu’il croyait avoir. Par là, je me fis des ennemis de lui et de
plusieurs des assistants. Tout en m’en allant, je me disais en moi-même: «Je
suis plus sage que cet homme-là. Il se peut qu’aucun de nous deux ne sache rien
de beau ni de bon ; mais lui croit savoir quelque chose, alors qu’il ne sait
rien, tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas non plus savoir. Il me
semble donc que je suis un peu plus sage que lui par le fait même que ce que je
ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir.» Après celui-là, j’en allai
trouver un autre, un de ceux qui passaient pour être plus sages encore que le
premier, et mon impression fut la même, et ici encore je me fis des ennemis de
lui et de beaucoup d’autres. »
Platon (428- 348 avant JC)
1) Comment peut-on interpréter la formulation de
l’oracle de Delphes : « Connais toi toi-même et tu connaîtras
l’univers et les dieux. »
2) Quel rapport peut-on établir entre cet oracle et la
réponse de la Pythie à Khairéphon selon laquelle aucun homme n’est plus sage
que Socrate en Grèce ?
3) Qu’est-ce qui distingue le savoir et la
sagesse ?
4) Qu’est-ce que la maïeutique ?
5) Comparez la démarche de Socrate avec celle d’un
scientifique d’aujourd’hui.
6) Expliquez : « Il se peut qu’aucun de nous
deux ne sache rien de beau ni de bon ; mais lui croit savoir quelque chose,
alors qu’il ne sait rien, tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas
non plus savoir. Il me semble donc que je suis un peu plus sage que lui par le
fait même que ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir. »
7) Pourquoi pouvons-nous dire de l’attitude de Socrate
qu’elle réside dans « un appel à être » ? Quel rapport avec la
« Philosophie » (amour de la sagesse) ?
8) Diriez-vous de cette incitation à « se connaître
soi-même » qu’elle nous permet de savoir qui l’on est ? Justifiez
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