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La question qui nous occupe en cette fin d’année est celle de la représentation humaine des animaux. Qu’est-ce qui se joue pour l’homme dans cette représentation? Rien de moins précisément que son statut d’humain comme nous le fait comprendre Georges Bataille, selon cet article de Miguel Egana: « « les représentations préhistoriques de l’animal par l’homme ont pour fonction de répondre à la question « qu’est-ce qu’un homme? » En produisant la réponse suivante: l’homme est l’animal assassin de sa propre animalité et cet assassinat, c’est l’art qui l’accomplit. »
Par la représentation de l’animal, l’homme acquiert à la fois le statut de symbolisant par rapport à ce qui est symbolisé, un certain rapport à la réalité que l’on peut qualifier de « somptuaire », cette fonction étant finalement l’ancêtre de la pratique artistique, une réponse claire à la question de savoir ce qu’un homme « est » par rapport à l’animal.
En d’autres termes, nous pourrions dire que, d’après Bataille, l’homme est un animal symbolique qui gagne par l’exercice de ce sacrifice propre à cette intelligence symbolique de la représentation un « statut » qui lui est spécifique. Mais il est une autre fonction que ces représentations de Lascaux ou de la grotte Chauvet assure, c’est celle de résister à la mort: « L’art est la présence dans la vie de ce qui devrait appartenir à la mort. Le musée est le seul lieu qui échappe à la mort. » dit André Malraux
Peindre, écrire, composer, photographier, filmer c’est toujours inscrire quelque chose dans une dimension qui n’est plus celle de la mortalité, c’est donner naissance à ce nous qui survivra. Les techniques picturales des peintres de Lascaux sont sans ambiguïté à ce sujet. Leur objectif était bel et bien de donner naissance à des traces indélébiles dont l’inscription sur les murs revêtirait une certaine valeur de témoignage ou de signe. Mais précisément ces hommes n’ont pas choisi de se peindre eux-mêmes. Ils ont décrit des animaux, et cette sacralisation reste un mystère que Bataille de façon peut-être un peu simpliste réduit à l’expression pure de la distinction, du meurtre. L’homme manifeste qu’il dépasse son animalité en représentant l’animal. Autant il est tout à fait exact d’avancer que toute représentation fige et tue ce qu’elle représente, autant il faut bien insister sur le fait que cette sacralisation, ce sacrifice célèbre et immortalise son motif.
Il importe néanmoins d’éclairer cette question de la distinction Homme/ Animal sans totalement négliger que quelque chose se joue dans cette interprétation des peintures rupestres, dans cette place privilégiée de l’animal dans la naissance de l’art et du sacré, et que cette chose pourrait ne pas se limiter au seul présupposé de notre humanité, contrairement à ce que dit Georges Bataille. Précisons: s’il ne fait aucun doute que l’art a un rapport avec l’animal, force est de constater qu’aujourd’hui cette fonction somptuaire est mise à mal, que l’art a été victime d’une double dénaturation:
- D’une part l’art est devenu un marqueur social, une sorte de valeur d’estime ajoutée qui fonctionne moins par l’acquisition véritable d’une émotion authentique que par un effet de réputation dont le selfie est aujourd’hui l’illustration la plus consternante. Nous ne nous déplaçons plus au Musée pour voir mais pour faire voir que nous avons vu. « Il faut voir vu » la Joconde ou la Chapelle Sixtine mais les conditions mêmes dans lesquelles nous voyons ces chefs d’œuvre sont parfaitement incompatibles avec la perception vraie de la valeur somptuaire de l’œuvre. Percevoir une oeuvre, c’est un moment de sa vie que l’on a seulement vécu pour pouvoir en parler, de telle sorte qu’on ne l’a aucunement vraiment vécu.
- D’autre part, le marketing s’est emparé de l’art pour réduire l’oeuvre à des produits. Andy Wharol prend précisément acte de cette dénaturation profonde en peignant ou photographiant une marque de boîte de soupe célèbre: the Campbell soup.
Nous vivons davantage en vibrant davantage à la virgule de Nike ou à la pomme d’Apple qu’à la musique de Mozart ou aux images de Tarkovsky.
Cela signifie que la consommation a repris ses droits par rapport à la somptuarisation, à la célébration de l’art et que cette perte de sens s’accompagne d’un regard sur l’animal qui n’est plus du tout celui de l’immortalisation par la représentation.
Mais alors quel est-il? Celui de l’exploitation.
Dans un livre de science fiction: « Défaite des maîtres et possesseurs », paru en 2017, l’écrivain Vincent Message raconte la colonisation de l’espèce humaine par une autre espèce dont l’un des représentants décrit ici le rapport aux animaux:
« Penser pour eux, donc, c’est découper. Trier. Faire entrer les choses et les êtres dans ces catégories qui une fois refermées repoussent les nouveaux arrivants. C’est affirmer que la continuité du vivant, liquide comme l’eau qui entre toujours dans sa composition, invisible comme les atomes, n’est qu’une apparence illusoire, qu’il est possible et nécessaire d’y creuser des lignes de partage. Et la première de ces frontières, bien sûr, la plus importante, était celle qui les séparait du reste des vivants, qui les faisait trôner au sommet de la création comme des enfants qu’une poignée flous de dieux qu’ils fantasmaient à leur image et dont le discours étrangement tournait toujours en leur faveur auraient élus pour les représenter et pour accomplir leurs desseins . Ces signes d’élection qu’ils semblaient voir partout. Ils étaient les seuls animaux clamaient-ils capables de manipuler des langages symboliques; Les seuls à édifier des villes et à construire des idéologies. Les seuls, pourrait-on ajouter, qui mettaient un vrai point d’honneur à ne pas se laisser manger. Car l’une des raisons qui les avaient le plus fortement incités à concevoir des outils et d’autres moyens de se défendre, c’était de se mettre à part du lot commun , de se hisser en haut de la chaîne alimentaire, de n’être dévorés par personne, du moins de leur vivant. Ils ne concevaient pas de mort plus horrible que d’être mangés par des bêtes et n’avaient pas beaucoup de plaisirs plus grands que de manger des bêtes tous les jours. »
Dans cet extrait nous retrouvons la référence au langage. L’homme pense mais cette pensée ne peut s’activer sans généraliser, abstraire, ramener des perceptions particulières à des termes génériques grâce auxquels ce sont toujours des végétaux, des animaux des minéraux que nous percevons. Nous ne pouvons prendre connaissance de notre milieu qu’en nous le représentant mais cette représentation se fera au mépris de tout ce que telle ou telle réalité avait de singulier. De ce fait, selon Vincent Message, nous ne nous rendons plus sensible au « continuum », mais de quel continuum est-il question ici? De celui dont Diderot décrit au plus prés l'évidente confusion:
« Tous les êtres circulent les uns dans les autres. Tout est en un flux perpétuel. Tout animal est plus ou moins homme, tout minéral est plus ou moins plante, toute plante est plus ou moins animal. Il n'y a qu'un seul individu, c'est le Tout. Naître, vivre et passer, c'est changer de forme. »
Le philosophe français (1713 - 1784) exprime ce qui constitue, selon le colonisateur inventé par Vincent Message, la vérité contre laquelle les civilisations humaines se sont bâties, se sont constituées une « raison », comme si ne s’était agi pour l’espèce humaine que de nier cette opaque et pourtant indiscutable fraternité avec le « Tout » de la nature. Le langage crée des lignes de partage illusoires dans la nature grâce auxquelles nous faisons prévaloir dans nos perceptions la distinction toujours préalable entre l’humain et le non-humain.
La religion (il faut ici insister sur la différence entre le sacré et la religion - Vincent message ne nous parle pas du tout de la même dimension que Georges Bataille) est décrite dans cet extrait comme le corps de doctrine justifiant aux yeux des humains leur domination et leur exploitation de l’animal. L’être humain par son langage a donc posé le cadre d’une perception de la nature lui assurant ce que l’on pourrait appeler le « rôle-titre ». Pour valider cette domination, la religion fournit les dogmes, les rites, les textes fondateurs à partir desquels quelque chose comme une exploitation de l’animal devient possible voire nécessaire. l’Humain est une espèce élue dont le droit est par là même « fondé », appuyé sur le présupposé d’une « élection ».
Dans cet ouvrage dont il ne faut pas oublier qu’il se contente d’illustrer par une fable, par une sorte de procédé qui n’est pas sans rappeler le point de vue d’un regard extérieur sur une société ou une civilisation (les lettres personnes de Montesquieu), l’utilisation des outils est causé par le désir de se mettre à part du « lot commun » comme si les hommes avaient été d’emblée convaincus de leur supériorité, comme si le préjugé de leur exceptionnel destin s’était imposé à eux « comme ça ». Le statut de cette évidence pose question et aussi instructive que puisse apparaître cette fiction elle ne nous permet d’éclaircir ce point. Si les conséquences de cette distinction par le biais de laquelle l’être humain se convainc qu’il n’est pas un animal sont justes et bien vues, les causes ne sont pas éclairées, car ce n’est pas parce que les abus de ce présupposé sont à juste raison dénoncés par cette autre espèce que ses causes sont élucidées.
C'est tout pour aujourd'hui! A demain!
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