Aujourd'hui, nous revenons sur la distinction fondamentale entre le droit naturel et le droit positif
C'est l'heure de bosser! |
Mais plaçons nous dans une hypothèse hautement surréaliste: quelle aurait été la réaction d’Antigone si l’on avait porté à sa connaissance les rites post mortem des tribus amérindiennes qui, loin d’enterrer leur morts, les installent sur un promontoire pour que leurs corps décomposés se dispersent plus vite à l’air libre? Le droit naturel s’oppose au droit coutumier ainsi qu’au droit positif. Le droit coutumier c’est un droit qui s’appuie exclusivement sur les traditions et les habitudes d’une société particulière. Le droit positif c’est le droit effectif tel qu’il est appliqué à un moment donné dans un pays donné. Le droit naturel (s’il existe) est inné, il s’enracine en l’être humain et pas dans le citoyen de telle ou telle nationalité, il est non écrit, intuitif (Aristote parle de « divination »), immuable (il ne change pas), universel. Le droit positif est acquis, il ne vaut que dans les limites d’un état, il est écrit, il évolue, il est appliqué par la force publique: on ne peut physiquement y déroger. Le droit coutumier c’est le droit qui a prévalu en Europe au moyen-âge, une sorte d’évidence portée et appliquée par les traditions religieuses, par les mentalités, par les traditions, et surtout par les coutumes d’une société. Mais qu’est-ce que la coutume? Il est peu de définitions qui puissent rivaliser avec la brièveté fulgurante et géniale de la définition de Pascal:
« Les pères craignent que l’amour naturel des enfants ne s’efface. Quelle est donc cette nature sujette à être effacée ? La coutume est une seconde nature, qui détruit la première. Mais qu’est‑ce que nature ? Pourquoi la coutume n’est‑elle pas naturelle ? J’ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature. »
« Les pères craignent que l’amour naturel des enfants ne s’efface. Quelle est donc cette nature sujette à être effacée ? La coutume est une seconde nature, qui détruit la première. Mais qu’est‑ce que nature ? Pourquoi la coutume n’est‑elle pas naturelle ? J’ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature. »
Il faut vraiment suivre le raisonnement de pascal avec attention pour bien en saisir la conclusion qui finalement consiste ni plus ni moins qu’à nier l’ancrage naturel d’une attitude, d’une règle ou d’un instinct supposé. On parle ainsi de l’amour « naturel » de l’enfant pour ses parents, comme si cet amour était génétique, lié à ses géniteurs biologiques. Or de fait tous les enfants n’aiment pas leurs parents, loin s’en faut. Comment cela peut-il s’expliquer? Par le fait que la coutume, l’habitude peut inspirer des sentiments qui ne sont pas naturels: la seconde nature détruit la première nature. Mais quelle est-elle cette première nature? Demande alors Pascal et sa réponse est le terme et l’idée essentielle de cette pensée: elle n’en est pas une: il n’y a pas de nature, il y a des coutumes, première ou seconde. L’idée qu’il y ait quoi que ce soit de naturel en l’homme est finalement réfutée par le fait que si c’était bel et bien dans la nature qu’était ancré l’amour des pères, il serait immuable, ancré, indéracinable. Or il l’est, cet amour n’est pas un sentiment naturel mais une coutume tenace sujette à des affaiblissements voire à la totale destruction. Rien n’est inné, naturel, tout est acquis, tout est affaire de coutume, d’habitudes, d’Habitus (de façons d’être) selon Bourdieu.
Un autre argument de Pascal contre le droit naturel consiste à poser que s’il existait nous vivrions toutes et tous la différence entre les droits positifs des états comme quelque chose d’inadmissible, d’inacceptable. Or ,de fait, c’est bien ainsi que le droit positif est rendu:
« Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. Ils confessent que la justice n'est pas dans ces coutumes, mais qu'elle réside dans les lois naturelles communes en tout pays. Certainement ils le soutiendraient opiniâtrement si la témérité du hasard, qui a semé les lois humaines, en avait rencontré au moins une qui fût universelle. Mais la plaisanterie est telle que le caprice des hommes s'est si bien diversifié qu'il n'y en a point (de générale).
Le larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant qu'un homme ait droit de me tuer parce qu'il demeure au-delà de l'eau et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n'en aie aucune avec lui ? »
Comme à son habitude, Pascal ne manque point de cynisme mais son ironie est « porteuse », dense, blessante comme le sont toujours les vérités contenues parfois dans certaines insultes. Nous faisons tous comme si nous nous comportions avec justice parce que nous respectons les lois, ou certains principes de vie que nos parents nous ont inculqués? Nous pensons de bonne foi que cette justice est fondée universellement, naturellement. Il va de soi que l’on doit respecter sa mère, que l’on doit porter assistance aux faibles, que la femme est en tous points l’égale de l’homme, etc. Mais en même temps, nous savons bien que d’autres sociétés ou civilisations ne suivent pas nécessairement ces règles et qu’elles ne sont pas universelles, preuve qu’elles constituent seulement des coutumes valant ici mais invalides ici et en réalité aucune loi générale ne semble pouvoir s’appliquer universellement dans tous les pays. Nous pouvons bien y réfléchir mais même le « tu ne tueras point » n’est pas observable par le militaire en temps de guerre. Rien ne s’impose à l’homme comme principe de vie du simple fait de sa nature.
Un jus naturaliste comme Montesquieu peut nous opposer l’argument suivant: "Dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste que ce qu’ordonnent ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on ait tracé la cercle, tous les rayons n’étaient pas égaux. »
Ici encore il faut bien entendre le raisonnement de l’auteur qui consiste à faire un parallèle entre la définition conceptuelle d’un cercle et l’intuition du droit naturel. Il est tout aussi impossible à un élève de géométrie de tracer physiquement un cercle sans avoir déjà en lui la définition pure du cercle qu’il l’est à un juriste de faire une loi sans avoir en lui le sentiment pur, naturel du juste. Il y a des idées innées dans la géométrie comme l’idée d’une figure dont tous les points sont à égale distance du centre et une idée innée de ce qui est juste en fonction de laquelle on peut édicter des lois. Mais en réalité, la formule de Montesquieu ne tranche aucunement la vraie question, car comment l’idée de cercle est-elle apparue dans l’esprit humain? Ne serait-ce pas finalement un fait d’expérience plus que par une sorte de pressentiment universel de la figure du cercle. Les hommes chaque jour voit se lever un cercle doré et peut-être est-ce à partir de sensations physiques, concrètes, particulières qu’ils conçoivent des idées universelles, abstraites, des concepts. Le cercle est peut-être né par convention en ce sens que les hommes ont décidé de créer l’idée d’une figure dont tous les points sont à égale distance du centre, tous hommes les hommes d’une certaine contrée décident de faire appliquer certaines lois qui ne seront pas celles d’une contrée voisine, à partir de quoi se créent des habitudes différentes créant des territoires distincts et ainsi de suite.
Comme on le voit la notion de droit naturel est à la fois très tentante et très problématique: tentante parce que nous avons envie d’avoir des arguments contre des conceptions culturelles selon lesquelles il serait juste, par exemple de lapider des femmes adultères (talibans) et problématique parce que la question se posent de savoir si ce n’est pas en tant qu’européen que j’ai cette envie. Sur cette question il faut lire le cours de l’année dernière sur ce blog: Si le droit est relatif aux temps et aux lieux, faut-il renoncer à l’idée d’une justice universelle?
Si nous reprenons chacun de ces trois points, nous réalisons non seulement que le droit évidemment fait l’objet de nuances, de distinctions mais qu’en un sens, il réside tout entier dans ce que l’on pourrait appeler un art de la nuance, un sens de l’ambiguïté qu’il est impossible de saisir sans convenir qu’il est à la fois profondément nécessaire et indiscutablement problématique dans sa nature même. Mais c’est peut-être d’abord cette question de la nécessité qui nous intéresse au plus haut point. Nous nous posons continuellement la question: « de quel droit…? » Comme si l’efficience physique ne suffisait pas à justifier un acte. L’être humain pose comme source de légitimité des actions humaines le droit. Où vas-tu chercher le droit de faire telle ou telle chose? Il y a là une question de « cohésion », d’intégrité de l’attitude, de l’ethos. Au-delà de la question de savoir si nous avons l’aptitude physique d’accomplir tel ou tel geste se pose la question de savoir si nous pouvons l’assumer, le revendiquer, nous y accomplir nous-mêmes en le faisant.
Sous une toute autre forme, nous retrouvons un peu ce que nous avions déjà développé dans le cours sur Autrui, à savoir la notion d’ipséité tel que Paul Ricoeur la conçoit. Tout sujet humain a une épaisseur éthique à conquérir, à tenir, à supporter. Si je promets quelque chose à quelqu’un je consiste tout entier dans cette capacité à tenir ma parole, à me porter garant d’Autrui, à ne pas me dérober devant cet appel à lui porter secours s’il est menacé (38 témoins). De quel droit fais-tu cela? De cette nécessité à exister, à jouir de cette consistance éthique authentique grâce à laquelle répondant d’autrui, répondant à autrui, je sais, je sens que je suis totalement légitimé à agir. Mais ne sommes-nous pas en train d’évoquer un devoir, une sorte de dette première, fondamentale, étrangement toujours préalablement contractée à l’égard de l’humanité d’autrui, comme ci chacune, chacun de nous naissait en situation de débiteur à l’égard de l’humanité de mon prochain (voire de la vie)? Nous savons bien que pour de nombreux chrétiens, leur existence même se conçoit dés l’abord dans sa factualité même comme une dette contractée à Dieu lui-même. Mais n’est-ce pas finalement une sorte de représentation religieuse d’une efficience morale, d’un devoir dont nous sentons toutes et tous la puissance à l’égard de toute être humain?
Un autre argument de Pascal contre le droit naturel consiste à poser que s’il existait nous vivrions toutes et tous la différence entre les droits positifs des états comme quelque chose d’inadmissible, d’inacceptable. Or ,de fait, c’est bien ainsi que le droit positif est rendu:
« Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. Ils confessent que la justice n'est pas dans ces coutumes, mais qu'elle réside dans les lois naturelles communes en tout pays. Certainement ils le soutiendraient opiniâtrement si la témérité du hasard, qui a semé les lois humaines, en avait rencontré au moins une qui fût universelle. Mais la plaisanterie est telle que le caprice des hommes s'est si bien diversifié qu'il n'y en a point (de générale).
Le larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant qu'un homme ait droit de me tuer parce qu'il demeure au-delà de l'eau et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n'en aie aucune avec lui ? »
Comme à son habitude, Pascal ne manque point de cynisme mais son ironie est « porteuse », dense, blessante comme le sont toujours les vérités contenues parfois dans certaines insultes. Nous faisons tous comme si nous nous comportions avec justice parce que nous respectons les lois, ou certains principes de vie que nos parents nous ont inculqués? Nous pensons de bonne foi que cette justice est fondée universellement, naturellement. Il va de soi que l’on doit respecter sa mère, que l’on doit porter assistance aux faibles, que la femme est en tous points l’égale de l’homme, etc. Mais en même temps, nous savons bien que d’autres sociétés ou civilisations ne suivent pas nécessairement ces règles et qu’elles ne sont pas universelles, preuve qu’elles constituent seulement des coutumes valant ici mais invalides ici et en réalité aucune loi générale ne semble pouvoir s’appliquer universellement dans tous les pays. Nous pouvons bien y réfléchir mais même le « tu ne tueras point » n’est pas observable par le militaire en temps de guerre. Rien ne s’impose à l’homme comme principe de vie du simple fait de sa nature.
Un jus naturaliste comme Montesquieu peut nous opposer l’argument suivant: "Dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste que ce qu’ordonnent ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on ait tracé la cercle, tous les rayons n’étaient pas égaux. »
Ici encore il faut bien entendre le raisonnement de l’auteur qui consiste à faire un parallèle entre la définition conceptuelle d’un cercle et l’intuition du droit naturel. Il est tout aussi impossible à un élève de géométrie de tracer physiquement un cercle sans avoir déjà en lui la définition pure du cercle qu’il l’est à un juriste de faire une loi sans avoir en lui le sentiment pur, naturel du juste. Il y a des idées innées dans la géométrie comme l’idée d’une figure dont tous les points sont à égale distance du centre et une idée innée de ce qui est juste en fonction de laquelle on peut édicter des lois. Mais en réalité, la formule de Montesquieu ne tranche aucunement la vraie question, car comment l’idée de cercle est-elle apparue dans l’esprit humain? Ne serait-ce pas finalement un fait d’expérience plus que par une sorte de pressentiment universel de la figure du cercle. Les hommes chaque jour voit se lever un cercle doré et peut-être est-ce à partir de sensations physiques, concrètes, particulières qu’ils conçoivent des idées universelles, abstraites, des concepts. Le cercle est peut-être né par convention en ce sens que les hommes ont décidé de créer l’idée d’une figure dont tous les points sont à égale distance du centre, tous hommes les hommes d’une certaine contrée décident de faire appliquer certaines lois qui ne seront pas celles d’une contrée voisine, à partir de quoi se créent des habitudes différentes créant des territoires distincts et ainsi de suite.
Là, il n'y a aucun rapport à part le cercle: "the ring"...Voilà, voilà! |
Si nous reprenons chacun de ces trois points, nous réalisons non seulement que le droit évidemment fait l’objet de nuances, de distinctions mais qu’en un sens, il réside tout entier dans ce que l’on pourrait appeler un art de la nuance, un sens de l’ambiguïté qu’il est impossible de saisir sans convenir qu’il est à la fois profondément nécessaire et indiscutablement problématique dans sa nature même. Mais c’est peut-être d’abord cette question de la nécessité qui nous intéresse au plus haut point. Nous nous posons continuellement la question: « de quel droit…? » Comme si l’efficience physique ne suffisait pas à justifier un acte. L’être humain pose comme source de légitimité des actions humaines le droit. Où vas-tu chercher le droit de faire telle ou telle chose? Il y a là une question de « cohésion », d’intégrité de l’attitude, de l’ethos. Au-delà de la question de savoir si nous avons l’aptitude physique d’accomplir tel ou tel geste se pose la question de savoir si nous pouvons l’assumer, le revendiquer, nous y accomplir nous-mêmes en le faisant.
Sous une toute autre forme, nous retrouvons un peu ce que nous avions déjà développé dans le cours sur Autrui, à savoir la notion d’ipséité tel que Paul Ricoeur la conçoit. Tout sujet humain a une épaisseur éthique à conquérir, à tenir, à supporter. Si je promets quelque chose à quelqu’un je consiste tout entier dans cette capacité à tenir ma parole, à me porter garant d’Autrui, à ne pas me dérober devant cet appel à lui porter secours s’il est menacé (38 témoins). De quel droit fais-tu cela? De cette nécessité à exister, à jouir de cette consistance éthique authentique grâce à laquelle répondant d’autrui, répondant à autrui, je sais, je sens que je suis totalement légitimé à agir. Mais ne sommes-nous pas en train d’évoquer un devoir, une sorte de dette première, fondamentale, étrangement toujours préalablement contractée à l’égard de l’humanité d’autrui, comme ci chacune, chacun de nous naissait en situation de débiteur à l’égard de l’humanité de mon prochain (voire de la vie)? Nous savons bien que pour de nombreux chrétiens, leur existence même se conçoit dés l’abord dans sa factualité même comme une dette contractée à Dieu lui-même. Mais n’est-ce pas finalement une sorte de représentation religieuse d’une efficience morale, d’un devoir dont nous sentons toutes et tous la puissance à l’égard de toute être humain?
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