ça, c'était avant que.... |
...je réalise qu'on avait cours de philo |
La question de la représentation de l’animal par l’homme est la dernière que nous étudierons cette année (ça tombe bien parce que nous arrivons à la fin). Or nous nous trouvons à présent à un tournant de cette réflexion. Partis avec Georges Bataille de la question de l’enjeu de cette représentation (le sacrifice de l’animalité et la naissance de l’art), nous avons petit à petit abordé la question du « comment » de cette représentation. L’art des peintures rupestres marquent indissociablement deux mouvements:
- Celui de la dépense somptuaire, du sens du sacré (l’homme se détache de préoccupations dites « horizontales », c’est-à-dire impliquées exclusivement dans des tâches sociales de vie, de production, de rendement ) pour se consacrer à une activité verticale qui n’apporte rien à la communauté ni même à soi « directement » et qui consiste simplement à célébrer, à consacrer par la représentation des animaux.
- Celui de l’immortalité et de la volonté d’inscrire sur un support extérieur quelque chose qui résistera à la mort individuelle et traversera les années. C’est l’immortalité de l’art telle que Malraux la désignera comme la caractéristique la plus importante de l’art.
- Celui de la dépense somptuaire, du sens du sacré (l’homme se détache de préoccupations dites « horizontales », c’est-à-dire impliquées exclusivement dans des tâches sociales de vie, de production, de rendement ) pour se consacrer à une activité verticale qui n’apporte rien à la communauté ni même à soi « directement » et qui consiste simplement à célébrer, à consacrer par la représentation des animaux.
- Celui de l’immortalité et de la volonté d’inscrire sur un support extérieur quelque chose qui résistera à la mort individuelle et traversera les années. C’est l’immortalité de l’art telle que Malraux la désignera comme la caractéristique la plus importante de l’art.
Pour peindre, les hommes préhistoriques ont utilisé des techniques à la fois dans les instruments employés pour graver que pour la pigmentation. Et c’est finalement cela qui pose question, car même si nous savons que d’autres animaux comme les oiseaux jardiniers d’Australie font également usage de certaines techniques et d’un savoir faire de la perspective pour créer des nids complexes afin d’attirer la femelle, nous ne relevons pas chez les autres animaux la même capacité à créer des artefacts que pour l’animal humain. Ce dernier est sans conteste l’animal le plus « exosomatique » de la création et c’est bien finalement ce que l’on retrouve aussi bien dans le mythe de Prométhée que dans les premières images de « 2001, odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick. L’Humain est, comme le dit Nietzsche « un passage », c’est-à-dire qu’il crée hors de lui ses propres organes: sa mémoire, ses « jambes », ses armes, sa pensée. Il n’est rien par lui-même, endosomatiquement, contrairement à ses espèces qui possèdent des capacités naturelles précises, utiles à l’écosystème. Ce que nous décrit « 2001, Odyssée de l’espace » c’est justement ce passage par le biais duquel, suivant les ondes émises par la dalle, l’être humain déploie son influence dans la totalité du système solaire pour découvrir enfin que le rapport qui l’anime est celui d’un cycle infini dans le temps plutôt que celui d’une extension sans limites dans l’espace (il FAUT voir ce film et persévérer même si certaines séquences sont très longues).
Ce tournant dans le cours consiste dans la question de la spécificité en laquelle consiste l’animal humain. Ce qui se joue dans la représentation animale a un rapport avec une spécificité humaine, comme le dit Georges Bataille. Représentant des animaux, l’homme s’interroge sur ce qu’il est en propre, sur ce qui se joue dans ces artefacts qu’il utilise pour peindre, sur cette mémoire qu’il projette sur un support extérieur, et cette réflexion est d’un tout autre niveau que celle de toutes les tentatives menées pour les hommes pour se représenter eux-mêmes comme supérieurs aux animaux, que ce soit par la morale, par la pensée, ou par l’art de faire société.
Car finalement ces trois critères ont été mis en question par les apports les plus récents de l’éthologie (science du comportement des animaux). Comme Freud l’avait bien compris, l’un des obstacles les plus tenaces à la science est l’amour propre et de nombreuses réalisations scientifiques sont d’abord des blessures narcissiques. Nous observons bien à quel point nos observations du monde animal progressent à mesure que nous nous dépouillons des présupposés de ce qu’une intelligence ou une pensée devrait être. Si l’intelligence était par nature exosomatique, alors oui, il est clair que l’homme serait sans conteste l’animal le plus intelligent de la création mais il est toujours plus facile d’être le champion d’un critère que l’on a soi-même établi en tant que critère et aussi loin que l’on puisse aller dans les analyses des défenseurs de la supériorité humaine, nous verrons toujours à l’oeuvre un processus de cette nature: se donner la palme d’une compétition dont on a soi-même conçu et ordonné le critère de compétitivité. Que l’intelligence soit exclusivement exosomatique n’est pas du tout évident et c’est précisément cette nature exosomative de l’évolution de l’animal humain qui aujourd’hui pose problème puisque c’est elle qui précipite ce que les climatologues appellent « l’anthropocène ».
Avant d’approfondir cette particularité humaine (car particularité il y a), il importe d’abord de démonter très précisément les arguments des défenseurs de la supériorité humaine. L’entomologiste Jean Henri Fabre (1823 - 1915) commentant l’attitude de « l’abeille chalicodome des murailles » ne peut s’empêcher d’y lire comme la répétitivité d’une activité automatique, stéréotypée, stérile, dépourvue de toute pensée. En effet ’abeille revenant de sa récolte de pollen entre successivement de deux manières différentes dans la cellule, d’abord tête la première pour vider le contenu de son jabot puis à reculons pour se brosser l’abdomen et déposer le trop plein encore présent dans son estomac. L’entomologiste laisse l’abeille faire sa première entrée mais empêche la seconde en bloquant l’accès à la cellule. Or l’abeille reprenant l’opération entre à nouveau tête la première alors qu’elle n’a plus rien à déposer par cette extrémité : « Reprise de la manoeuvre de l’insecte, dit Fabre, toujours la tête en premier lieu, reprise aussi de mon coup de paille (bloquant l’ouverture de la cellule). Et cela se répète ainsi tant que le veut l’observateur. » Fabre en déduit immédiatement l’absence d’intelligence de l’abeille qui accomplit sa tâche de façon tellement mécanique et aveugle, selon lui, qu’elle ne se rend pas compte qu’il est inutile de rentrer à nouveau tête la première puisque elle n’a plus rien à déposer par le devant.
Ce dont il ne se rend pas compte, c’est qu’il a instauré entre les différentes séquences du retour de l’abeille ses propres schémas de causalité et de finalité: c’est « en vue de » déposer ce qu’elle a dans son abdomen que l’abeille rentre dans sa cellule. Mais ce rapport de finalité entre les différentes phases de la gestuelle de l’abeille est seulement dans l’esprit de l’observateur et c’est bien au regard de ce schème qu’en effet cette répétitivité apparaît comme une absence d’esprit et de conscience. Que dirait Jean-Henri Fabre devant une « danse humaine » en apercevant les artistes accomplir des gestuelles rythmiques réitérées? Qu’ils dansent, et rien ne nous prouve que ce que nous appelons « travail » chez les abeilles ne soit pas un jeu plus qu’une activité soumise à des exigences de rentabilité.
Il ne fait absolument aucun doute qu’il existe chez les animaux des modalités d’intelligence endosomatique sans équivalent chez les hommes. La distinction fondamentale entre les hommes et les animaux réside exactement dans ce nous dit le mythe de Prométhée. A l’homme il a fallu des artefacts, des pharmaka, c’est-à-dire des accessoires extérieurs, des prothèses. L’homme est un animal prothétique qui ne consiste exclusivement que dans le devenir de ses inventions. Celles-ci, comme tout pharmakon, sont autant des poisons que des remèdes, ou plus encore des poisons qui ne peuvent se combattre que par eux-mêmes. L’être humain a l’intelligence dangereuse de ses pharmaka et endosse la responsabilité de devoir transformer ces artifices potentiellement dommageables en artifices thérapeutiques, en médicament. Cette dimension pharmacologique de l’outil, c’est bien ce que Stanley Kubrick nous donne à voir par l’un des premiers usages de l’os découvert par l’homme qui consiste à reconquérir le point d’eau perdu au début du film en tuant l’un des membres de la tribu adverse.
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