...et ce n'est pas du tout une bonne nouvelle! |
Bonjour à toutes et à tous!
J'espère que vous allez bien
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Nous continuons le cours consacré à l'art. Nous avons vu que selon Nietzsche, aborder l'art sous l'angle de l’œuvre est une trés mauvaise approche. Néanmoins force est de constater qu'aujourd'hui, non seulement cette approche est la notre mais nous pourrions dire que l'art est dénaturé, dépouillé de son efficience originelle qui a plutôt à voir avec la dépense somptuaire dont il était question au début du cours. L'art est soit perçu et utilisé comme "marqueur social" (il faudrait être cultivé et faire partie des milieux favorisés, autorisés pour apprécier une oeuvre 'art), soit réduit à l'oeuvre puis de l'oeuvre au produit. C'est exactement ce passage qu'Andy Wharol, avec un certain cynisme et un indiscutable sens des affaires, valide par des oeuvres qui sont purement et simplement des produits comme la fameuse Campbell's soup.
Deux lieux peuvent être ici évoqués pour illustrer cette césure entre un art pour les milieux autorisés et l’art de la publicité, la standardisation de produits esthétiques à grande consommation: la virgule de Nike, la Campbell’s soup de Andy Wahrol, etc, c’est le musée et la grande surface.
Dans son livre « le quai de Ouistreham », Florence Aubenas décrit le loisir de chômeurs au RMI qui vont au supermarché le samedi après midi pour regarder des salons, des écrans plats, etc, des objets qu’ils ne peuvent acheter mais qui les font rêver.
On peut ici penser à un livre de Gilles Châtelet qui s’intitule: « vivre et penser comme des porcs ». Il n’est vraiment pas question de stigmatiser ces chômeurs dont parle Florence Aubenas, car ce que vise la métaphore peu flatteuse aux porcs est la consommation de masse et personne n’échappe complètement à la consommation de masse même s’il est d’une forme de devoir de contrecarrer le plus que nous le pouvons les effets de cette standardisation car finalement c’est exactement le nihilisme du dernier des hommes selon Nietzsche qui est décrit par Gilles Châtelet dans la violence de cette formulation. Quiconque a déjà nourri des cochons a perçu la voracité de ces mammifères à l’égard de toute nourriture d’ailleurs. L’affluence des grandes surfaces un samedi après-midi n’est pas sans rappeler quelque chose de cet idéal de consommation.
Mais visiter la Chapelle Sixtine au musée du Vatican un jour du mois d’aout. C’est à peu prés la même chose, la métaphore porcine n’est pas moins opérante. Le touriste est parqué et dirigé dans l’orientation d’un flux strictement compartimenté qui doit rester dynamique pour permettre à tout le monde de voir le plafond de Michel Ange. Ici encore la fonction somptuaire de l’oeuvre est totalement invalidée par les conditions mêmes de la rencontre avec l’œuvre. Le selfie joue un rôle déterminant dans cette fonction consommatrice de l’oeuvre d’art considérée comme produit.
Le philosophe Bernard Stiegler évoque ici une nouvelle époque esthétique qui va entraîner des efforts de la part des artistes comme le Bauhaus, le dadaïsme, le surréalisme pour contrecarrer l’efficience capitaliste et réductrice de l’oeuvre. Il s’agit de restaurer la fonction somptuaire de l’art contre le devenir profane du monde. Cette tentative de restauration ne peut se concevoir autrement que par des singularités. Le chasseur de phoque essaie de transformer la chasse en art pour exister et sortir de la seule préoccupation de la subsistance. Ce même souci est repris par les grands artistes du 20e siècle mais il l’est singulièrement. L’art authentique devient une affaire de perception singularisée pour lutter contre le marché de l’art mais il est toujours malheureusement récupéré par lui et cette récupération se fait au détriment des « produits ». Il faut ici accorder une mention spéciale à Andy Wharol (par mention spéciale il ne s’agit pas nécessairement de dire qu’il est un grand artiste) parce qu’il est celui qui a le plus crûment acté cette dévalorisation de l’oeuvre au statut de produit de grande consommation.
Quelque chose cependant résiste à cette dévalorisation, c’est une certaine critique n’émanant ni des hautes classes sociales souhaitant faire de l’art un marqueur de leur supériorité (la culture des bien disants), ni des porcs de la consommation de masse de produits, c’est le peuple qui ne se satisfait de l’enterrement de la fonction somptuaire dont nous avons vu qu’elle définissait probablement le plus adéquatement la fonction de l’art. Il n’y a pas d’art sans sacralisation et il n’y a rien à sacraliser dans une boîte de soupe.
4) L’amour de l’art: fétichisme, narcissisme et individuation
Qu’est-ce que l’esthétique finalement? L’esthétique c’est le goût, c’est la saveur. Il faut restaurer cette origine physique voire sexuelle de l’art. Tout tableau est une sublimation érotique de la vie, de la femme, de l’homme, de l’animal, du monde, etc. Toute œuvre est une célébration d’une énergie dont l’origine et celle de la volonté de puissance et Nietzsche n’a jamais caché l’importance de la pulsion sexuelle dans la volonté de puissance (il suffit de penser à l’importance de la violation des interdits sexuels dans la mythologie grecque pour saisir la portée de ce que Nietzsche veut ici signifier). L’esthétique est donc fondamentalement la sublimation de fonctions érotiques.
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4) L’amour de l’art: fétichisme, narcissisme et individuation
Qu’est-ce que l’esthétique finalement? L’esthétique c’est le goût, c’est la saveur. Il faut restaurer cette origine physique voire sexuelle de l’art. Tout tableau est une sublimation érotique de la vie, de la femme, de l’homme, de l’animal, du monde, etc. Toute œuvre est une célébration d’une énergie dont l’origine et celle de la volonté de puissance et Nietzsche n’a jamais caché l’importance de la pulsion sexuelle dans la volonté de puissance (il suffit de penser à l’importance de la violation des interdits sexuels dans la mythologie grecque pour saisir la portée de ce que Nietzsche veut ici signifier). L’esthétique est donc fondamentalement la sublimation de fonctions érotiques.
L’esthétique est ainsi située au premier plan des fonctions basiques du vivant: la reproduction. Cette perspective est vraiment fondamentale: toute oeuvre d’art est une retenue, une remise à plus tard de la satisfaction érotique, tout comme la philosophie en un sens qui est amour de la sagesse, c’est-à-dire amour par la sagesse de cette retenue de la satisfaction amoureuse, et dans cette retenue, dans cette attente se crée une attention dans laquelle nous nous constituons en tant que personne, en tant qu’individu philosophant. La retenue de la philosophie est le questionnement.
La retenue de l’art est la célébration, le somptuaire par le biais duquel le rapport à la vie est existence et non subsistance. Exister c’est faire durer dans le temps quelque chose qui résiste au pur flux de la subsistance, flux grégaire, indifférencié et chaotique. Le désir chez Spinoza c’est l’effort d’un être pour persévérer dans son être, c’est-à-dire pour maintenir dans son être la cohésion individuelle de son être contre la tendance à la dispersion, au désordre, à l’indifférenciable.
Avec la révolution industrielle et le machinisme, l’art est ramené à la notion de produits ce qui suppose des producteurs et des consommateurs et fait totalement péricliter la notion de gratuité, de somptuarisation de l’art. Dans le cinéma, se créent ainsi des industries dont la tâche est de créer des images qui vont être « vendues » à des consommateurs, de façon à faire apparaître des comportements nouveaux créant la demande de produits nouveaux. Partis de l’esthétique et de cette fonction originellement somptuaire, sacrée, de l’art, on finit par créer des produits dont le but est de générer de nouveaux produits dans une démarche finalement publicitaire.
C’est en ce sens et à la lumière de cette évolution qui se trouve être une dénaturation qu’il s’agit de comprendre aujourd’hui l’aliénation dont l’art est l’objet. Il faut repenser à la définition de Nietzsche et saisir:
1) Que l’art n’est pas l’oeuvre, sans quoi on le ramène à un produit, c’est exactement ce qui est en train de se produire.
2) Que l’art n’est pas une puissance qui se satisfait de consommer. Elle est même le contraire de ça. Il faut comprendre l’exemple du chasseur de phoques de ce point de vue. L’art c’est donner du sens à ce qui sans cela serait pure consommation. La chasse est un art quand il y entre de la célébration c’est-à-dire de la dispense de temps inutile, temps passé par le chasseur à ciseler le manche de son harpon.
3) Que l’art n’est pas non plus un marqueur social qui réclamerait la spécialisation d’un critique d’art dont les analyses d’oeuvres ne seraient compréhensibles que par les élites.
4) Que l’art présente un rapport avec ce processus d’individuation psychique et collective que l’on appelle le bien-être et cela s’oppose totalement à la standardisation des produits imposés par un certain mode d’industrialisation de la culture. Il faut penser à Andy Wharol mais pour dire « non », pour dire qu’il y a une différence fondamentale entre une boîte de soupe et une oeuvre d’art et que cette différence tient dans les ciselures du manche du harpon, dans les grottes de Lascaux.
Pour le dire d’une autre manière, il est impossible de concevoir un art de masse. La plupart des oeuvres de Andy Warhol, c’est du « non-art » absolu, mais la démarche de Andy Wharol est pertinente pour ne pas dire salvatrice: que vous me considériez comme un artiste est proprement hallucinant, c’est le symptôme d’une civilisation des derniers hommes au sens nietzschéen du terme. Il faut réagir aux oeuvres de Andy Wharol mais pas tant pour en critiquer la laideur, ou l’absence de travail, ou de talent, plutôt parce qu’elles ne revêtent aucune fonction de somptuarisation de la vie, de célébration.
La question qui se pose dés lors face à ce constat, c’est-à-dire à cette dénaturation profonde de la célébration de la vie que l’art « est » fondamentalement en tant que puissance (il faut penser ici à la naissance du théâtre dans les dionysies) est celle de notre attitude, sachant que Andy Wharol est comme un point de non retour qui de fait est acté. L’esthétique est aujourd’hui une affaire de produit, de marketing, de standardisation de masse et, de fait, une majorité de la population de l’occident se pose la question du beau dans les produits, dans le design d’un portable ou d’un écran plat ou bien fait un voyage touristique dans lequel il sera parqué comme un porc consommateur de chapelle Sixtine mais reste totalement à l’écart de la puissance esthétique de l’art comme célébration de la vie.
Esthétique vient du grec esthesis qui signifie émotion, sensation. On est anesthésié quand on ne ressent plus de sensations et de fait, tout être humain tracté devant la Joconde par un tour opérateur ne ressent pas l’émotion esthétique de l’art, n’’est plus porté par la moindre force esthétique. Il se fait photographier à côté d’elle pour montrer qu’il était au Louvre et qu’il l’a vue ce qui est faux: il se représente la voyant et cela n’a rien à voir. Comment revenir à l’esthétique sans tomber dans le ressentiment nietzschéen, dans la rancoeur du donneur de leçons qui dit sans arrêt que c’était mieux avant?
Rien ne serait plus catastrophique que de considérer que c’est l’industrie et la technique qui sont responsables de cette dénaturation de l’art aujourd’hui, non seulement parce que cela reviendrait à croire que seules les peintures rupestres de Lascaux sont de l’art (ce qui serait absurde) mais aussi parce que ce serait négliger cette communauté d’origine et de terme de l’art et de la technique aussi bien en grec (techne) qu’en latin (ars: maîtrise, talent habileté). Aucun art ne peut se concevoir sans « technique ». L’art c’est l’excellence de la technique, non pas en ce sens qu’il ne serait que « technique », mais parce que l’excellence de l’usage du harpon consiste dans un « acte » qui serait impossible sans le harpon et en même temps dans lequel une célébration de vie s’effectue.
Mais il existe un sens beaucoup plus profond de cette corrélation entre l’art et la technique. Si nous prenons l’exemple de Cézanne et de ses nombreuses peintures de la sainte Victoire, nous savons qu’elles commençaient pour le peintre par une longue contemplation du motif, contemplation au cours de laquelle Cézanne s’efforce de voir la montagne sans classification linguistique dans une sorte de déconstruction sémantique et lexicale de la perception. La toile, en ce sens ne serait que le produit d’une sorte de perception « native ». Toutefois il ne s’agit pas profondément de cela: en réalité Cézanne déconstruit le motif jusqu’à le réduire à un ensemble de touches dont il disait lui-même qu’elles étaient de petites sensations mais dans ces sensations déjà c’est le pinceau qui insiste à la vision. Il n’est pas faux d’affirmer que Cézanne peint la toile en la voyant mais il la peint avec cette arrière pensée qui se révèle aussi être une anticipation d’acte dans laquelle consiste le coup de pinceau, son format, le contact précis des fibres sur le vernis de la toile. En d’autres termes et pour reprendre la formulation de Henri Bergson, c’est en tant qu’Homo Faber qu’il la voit et qu’il la peint. Un graphiste pixelliserait la montagne. Un cinéaste la parcourrait déjà de déplacements d’angle de vision qui seraient déjà des travellings. Bref, une oeuvre d’art est toujours aussi technique en ceci qu’elle est une expression extérieure de soi et qu’elle atteste dans la vision ou dans l’écoute du monde d’une perception qui est déjà en elle-même structurée par des objets techniques.
En d’autres termes, c’est toujours techniquement qu’on voit, et inversement c’est toujours esthétiquement qu’on fait de la technique. Esthétiquement, cela veut dire « sensitivement » ou sensiblement. Quelque chose de Cézanne anticipe sur la pixellisation des techniques digitales. On ne peut rien comprendre à la perception sans faire le lien avec le technique et inversement toute technique est nécessairement esthétique.
Par conséquent ce n’est pas la technique qui est responsable de cette dénaturation de l’art qui le réduit à être un objet de consommation mais c’est l’impossibilité de retrouver cette dépense somptuaire par le biais de laquelle le chasseur de phoque « s’effectue », persévère dans son existence en inscrivant le geste de la chasse voire celui de tuer le phoque dans un cadre qui est autre que celui de pure et simple subsistance. Il ne consomme pas le phoque, il donne à une pratique une dimension sacrée qui fait sens dans le non-sens de la consommation pure, absurde, entropique, vouée au désordre. Or ce qu’il s’agit de lier dans cette considération effective de l’art c’est cette dépense somptuaire, ce rapport au sacré qui remonte à l’existence même de l’être humain avec ce que Freud appelle le narcissisme primaire, c’est-à-dire l’estime de soi en son acception la plus évidente. L’art a donc deux fonctions: l’une est somptuaire, l’autre est érotique et d’abord narcissique. Dans cette perspective il n’est pas absurde de relier l’oeuvre à tout autre chose qu’un produit, à savoir ce que Daniel Winnicott appelle un objet transitionnel, soit un objet sur lequel le bébé transfère l’amour maternel mais c’est aussi et surtout une sensibilité extrêmement ouverte et créatrice de symboliques que l’on pourrait rapprocher des fétiches des arts primaires.
Pour la semaine prochaine, je vous demande de répondre à ces trois questions:
1) Pensez vous que l'art est plutôt une affaire de "fonctions" (ne pas entendre ce terme au sens utilitaire, fonctionnel, du terme mais plutôt fonction somptuaire) ou d’œuvres? Justifiez
2) Qu'est-ce qui se joue dans cette réduction de l'art à l’œuvre et de l'oeuvre au produit?
3) Peut-on concevoir l'art comme une activité divertissante, mise à la disposition du plus grand nombre?
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