Il importe de rappeler la question à laquelle nous essayons de répondre dans ce dernier thème de l’année: qu’est-ce qui se joue précisément dans la représentation des animaux par les hommes? Avec Georges Bataille et son étude sur les peintures rupestres, nous avions vu à quel point la réponse était d’importance puisque finalement quelque chose du sacré, de l’art et finalement de l’Humain était impliqué dans cette représentation. Par la peinture, l’être humain se représente ces êtes animés qui sont à la fois si proche de lui mais qui ne semblent pas éprouver ce même souci de la représentation. C’est pourquoi Georges Bataille insistait autant sur la notion de sacrifice. Il s’agit bien d’exalter, de célébrer la puissance ou la beauté de ces animaux mais aussi de s’en distinguer par le fait même qu’ils les représentent.
Ce qui se joue dans cette représentation, c’est donc bel et bien aussi ce qui est de l’ordre de la différence. D’autre part en inscrivant ces peintures sur le support de la roche et avec des techniques picturales impressionnantes par leur longévité, l’Homme ne crée pas seulement cette activité qui selon les termes d’André Malraux « résiste à la mort », à savoir l’art, il se crée aussi une mémoire annexe, exactement ce que l’on appellerait aujourd’hui un « disque dur externe ». C’est très exactement cette caractéristique que Bernard Stiegler reprenant le terme du statisticien Alfred Lotka appelle « l’exosomatisation », à savoir la capacité à créer ses propres organes hors de soi. Le propre de l’homme, c’est d’être exosomatisé.
La question qui se pose à nous est celle de savoir si cette caractéristique peut en effet définir l’homme spécifiquement et rendre compte du fait que c’est toujours à partir de cette exosomatisation qu’il se représente l’animal comme étant un être distinct de lui. L’éthologie est la science du comportement des animaux et les progrès qu’elle a accompli ces derniers années a permis de remettre en cause de très nombreux préjugés sur cette différence. Prenons l’exemple de ces oiseaux dits jardiniers capables de créer des nids très complexes jouant de certains effets de perspective afin d’attirer la femelle. Rappelons que la naissance de la perspective chez les hommes datent de 1425 avec Filippo Brunelleschi.
Nous sommes aujourd’hui complètement revenus de l’idée selon laquelle l’Homme différerait de l'animal par son intelligence, son habileté technique, ou ses aptitudes au rite (il existe également des sortes de rituels chez les animaux et le fait qu’ils s’inscrivent dans des fonctions naturelles comme la reproduction ne changent rien à l’évidence de cette aptitude). Toutefois il ne semble pas qu’il existe des animaux aussi exosomatiques que l’être humain. De nombreux animaux utilisent des outils mais cela ne caractérise pas autant que l’homme leur « être » , leur modalité de présence au monde. Nous parlons aujourd’hui de « l’anthropocène » désignant ainsi cette ère climatique bouleversé par les gaz à effet de serre engendrés par l’être humain. Aucun autre animal ne pose des problèmes de cette ampleur à la biosphère.
N’oublions jamais que les mythes représentent dans l’histoire des hommes les premières tentatives d’explication par le biais desquelles il s’agit de rendre compte de la réalité. Les grecs ont bien discerné cette anomalie dans laquelle l’être humain consiste. Mais quelle est-elle exactement? En quoi consiste cette exosomatisation? Si nous définissions chaque espèce par « ce qu’elle peut », nous serions bien obligés de convenir que l’homme naturellement « ne peut pas grand chose ». C’est exactement ce que décrit les premières séquences du film de Stanley Kubrick: « 2001, Odyssée de l’espace ».
Ce « singe » ou cet « hominidé » qui n’est pas encore homme (le film commence avec cette légende: « l’aube de l’humanité ») est végétarien réduit à disputer aux autres animaux les quelques feuilles qu’ils trouvent sur des arbustes. Il se fait dévorer par un léopard et se terre la nuit tombée dans des cavernes au fond desquelles il reste tétanisé, craintif aux aguets de chaque son synonyme de danger. Puis apparaît miraculeusement cette dalle noire, aux contours polissés, seule verticalité dans un paysage horizontal. A partir de cette émergence qui aura dans tout le film une importance centrale à tous égards, c’est l’Humain qui naît et il advient par la compréhension de l’outil, à savoir cet os avec lequel il va modeler son environnement, tuer d’autres animaux et devenir carnivore, conquérir des territoires qu’il avait perdus et finalement se lancer dans un développement dont chaque étape marquera lien profond indissociable par le biais duquel un nouvel homme point toujours à l’horizon d’une découverte. Mesurons simplement tout ce qui en l’homme a changé à partir du feu, de la pierre taillée, de la roue, et plus proche de nous de la découverte de l’imprimerie, de la machine à vapeur, de l’informatique. C’est l' Homme qui crée des objets techniques mais c’est surtout chaque innovation technologique qui crée aussi un certain homme.
Or, c’est déjà de cela dont nous parle ce mythe. De toutes les espèces qui vont voir le jour, l’Humain sera la plus « problématique » parce qu’il n’est rien de lui-même endosomatiquement mais qu’en même temps, grâce ou par la faute de prométhée il n’y pas de limites naturelles à ce qu’il est susceptible de devenir. Le châtiment de Prométhée (le foie dévoré par un vautour) peut sembler cruel mais, nous aujourd’hui, sommes capables et mieux que toute autre génération d’être Humains de mesurer la faute de Prométhée. Vivant l’anthropocène, nous savons exactement pourquoi le geste de Prométhée qui peut sembler de prime abord généreux pose question.
Il convient de prolonger ce mythe décrit dans un dialogue de Platon: le Protagoras par un terme vraiment fondamental qui est celui de pharmakon, terme qu’en réalité nous avons déjà croisé lors du premier trimestre lorsque il fut question de la supériorité de la parole sur l’écriture telle qu’elle semble soulignée dans le phèdre avec le mythe de Teuth.
Pharmakon est un terme grec qui désigne d’abord la victime sacrificielle d’un rite, le bouc émissaire. Pour vaincre une calamité qui s’est abattue sur une cité, les grecs de l’antiquité chargeait symboliquement un homme ou un animal, un bouc de tous les maux et l’expulsaient de la ville éventuellement pour le mettre à mort en dehors de ses murs. Il s’agissait de purger la ville de son malheur en sacrifiant une victime censée porter sur elle la totalité du mal dont la cité était victime. De cette tradition est née un autre sens du pharmakon, celui de drogue, de philtre ou d’accessoire dont l’effet pouvait être celui du poison ou du remède.
Dans le Phèdre, c’est exactement par ce terme là que l’écriture est désignée, ce qui nous incite à considérer sous un nouveau jour ce passage: Platon ne signifie pas du tout que l’écriture est en elle-même un mal mais qu’elle peut le devenir si elle est mal utilisée, notamment par les sophistes. De la même façon, ce dont Prométhée fait don à l’espèce humaine c’est des pharmaka (pharmakon au pluriel) à partir desquels l’évolution de l’être humain se déploie constamment dans l’ambiguïté du pharmakon: tantôt remède tantôt poison.
C’est tout pour aujourd’hui.
Or, c’est déjà de cela dont nous parle ce mythe. De toutes les espèces qui vont voir le jour, l’Humain sera la plus « problématique » parce qu’il n’est rien de lui-même endosomatiquement mais qu’en même temps, grâce ou par la faute de prométhée il n’y pas de limites naturelles à ce qu’il est susceptible de devenir. Le châtiment de Prométhée (le foie dévoré par un vautour) peut sembler cruel mais, nous aujourd’hui, sommes capables et mieux que toute autre génération d’être Humains de mesurer la faute de Prométhée. Vivant l’anthropocène, nous savons exactement pourquoi le geste de Prométhée qui peut sembler de prime abord généreux pose question.
Il convient de prolonger ce mythe décrit dans un dialogue de Platon: le Protagoras par un terme vraiment fondamental qui est celui de pharmakon, terme qu’en réalité nous avons déjà croisé lors du premier trimestre lorsque il fut question de la supériorité de la parole sur l’écriture telle qu’elle semble soulignée dans le phèdre avec le mythe de Teuth.
Pharmakon est un terme grec qui désigne d’abord la victime sacrificielle d’un rite, le bouc émissaire. Pour vaincre une calamité qui s’est abattue sur une cité, les grecs de l’antiquité chargeait symboliquement un homme ou un animal, un bouc de tous les maux et l’expulsaient de la ville éventuellement pour le mettre à mort en dehors de ses murs. Il s’agissait de purger la ville de son malheur en sacrifiant une victime censée porter sur elle la totalité du mal dont la cité était victime. De cette tradition est née un autre sens du pharmakon, celui de drogue, de philtre ou d’accessoire dont l’effet pouvait être celui du poison ou du remède.
Dans le Phèdre, c’est exactement par ce terme là que l’écriture est désignée, ce qui nous incite à considérer sous un nouveau jour ce passage: Platon ne signifie pas du tout que l’écriture est en elle-même un mal mais qu’elle peut le devenir si elle est mal utilisée, notamment par les sophistes. De la même façon, ce dont Prométhée fait don à l’espèce humaine c’est des pharmaka (pharmakon au pluriel) à partir desquels l’évolution de l’être humain se déploie constamment dans l’ambiguïté du pharmakon: tantôt remède tantôt poison.
C’est tout pour aujourd’hui.
Pour la semaine prochaine je vous demande de répondre à la question suivante:
En quoi la scène extraite de « 2001 Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick décrit-elle exactement la naissance de l’Homme?
Bonne journée
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