Bonjour à toutes et à tous,
Nous continuons l'explication de cette vidéo dont le propos n'est pas seulement d'illustrer parfaitement les notions de nihilisme et de surhumanité (néguanthropocène) dans la philosophie de Friedrich Nietzsche, mais aussi d'articuler de nombreuses notions philosophiques (certaines vues, comme le travail) et d'autres à voir (comme l'art) dans une perspective qui finalement est liée à la crise sanitaire que nous vivons aujourd'hui (crise sanitaire parfaitement représentative de l'anthropocène puisque la cause du covid 19 est la déforestation, c'est-à-dire le fait que l'exploitation humaine des ressources terrestres provoque des effets de proximité entre des espèces animales qui ne sont pas naturellement vouées à cette promiscuité)
Nous en étions aux 4 causes d'Aristote: 1) matérielle 2) efficiente 3) formelle 4) finale (revoir le dernier cours si cette distinction ESSENTIELLE n'est pas comprise). Bernard Stiegler considère avec raison que cette conception de la science n' a plus cours aujourd'hui, en ce sens qu'il s'agit moins de comprendre la réalité que de répondre à des exigences humaines, voire de consommation humaines. La cause efficiente a écrasé toutes les autres causes et surtout la cause finale de telle sorte qu'aujourd'hui ce qui prévaut est la techno-science plutôt que la science. Le meilleur exemple de ce basculement est le trans-humanisme qui consiste à utiliser les technologies dernier cri (nanotechnologies) pour prolonger la vie humaine, pour inclure des processus technologiques dans des organismes vivants au lieu de comprendre et favoriser les processus propres du vivant. Il arrive que des transhumanistes reprennent de façon complètement illégitime la référence au surhumain Nietzschéen pour justifier leurs pratiques, mais c'est totalement inepte. La surhumanité de Nietzsche ne fait qu'une avec le néguanthropocène de Bernard Stiegler. Il faut faire très attention à cela.
Ce qui est arrivé avec la révolution industrielle et s'est poursuivi avec le fordisme, c'est la confiscation par des impératifs de production et donc de consommation de la science, de la technologie, de l'art, du désir, de telle sorte que les comportements humains se massifient, s'uniformisent et deviennent de plus en plus prévisibles. Toute personne utilisant le net, y effectuant des recherches, est immédiatement l'objet de processus de captation algorithmique dont la vitesse et la puissance sont telles qu'elle dépasse l'entendement, au sens propre. Quoi que nous fassions, nous ne savons plus exactement ce qui se fait au travers de ce que nous faisons et ce qui s'y fait c'est que nous sommes nous-mêmes pris dans les impératifs de production et de consommation. C'est cela la prolétarisation. Il n'est pas vraiment nécessaire de penser à Matrix et à ces hommes cultivés dans des caissons de leur naissance jusqu'à leur mort? Il suffit d'interroger par exemple les causes de l'obésité aux EU et en France pour pointer inévitablement cette culture qui précisément n'a plus aucun rapport avec LA culture. C'est cela qui justifie l'appel de Bernard Stiegler à la constitution de nouveaux savoirs. Si nous ne réagissons pas contre cette massification, cette captation et cette calculabilité des réflexes humains qui s'effectue par les technologies numériques, nous nous dirigeons tout droit vers l’accélération de l'entropie, laquelle correspond à l'anthropocène. Il faut créer et cultiver de nouveaux savoirs parce que cela va dans le sens du néguantropocène. Penser, c'est compenser l'entropie. c'est aussi la raison pour laquelle il faut adopter une nouvelle attitude en philosophie: critiquer et dépasser les auteurs. Nietzsche n'a pas reconnu la notion d'entropie, mais il complètement perçu le potentiel nihiliste de la mort de Dieu , de la diffusion de la presse , du développement de la techno-science. Il ne s'agit pas de rejeter Nietzsche mais d'en faire la critique pour utiliser tout ce qu'il a pensé qui puisse nous aider aujourd'hui à créer de nouveaux savoirs
Ce qui est expliqué ici se situe entre 16:00 et 36:00
C'est bon? Nous en étions là.
Suit alors l’un des passages les plus importants de cette interview, c’est une nouvelle définition de la philosophie. Il ne s’agit pas de reprendre ce que Heidegger, Nietzsche, Kant ont dit. Il faut les critiquer, en un sens qui n’est pas du tout polémique, mais en un sens Kantien. Emmanuel Kant a écrit les trois critiques pour définir des limites à l’exercice des facultés. Stiegler se propose de voir les limites des grands philosophes afin de les rendre utiles et capables de nous aider à penser aujourd’hui. Soyons plus clairs et reprenons les 3 philosophes auxquels pense particulièrement Stiegler: Marx, Nietzsche et Heidegger. Ces trois philosophes nous sont déjà en eux-mêmes extrêmement utiles pour penser ce qui nous arrive, mais ils ne prenaient pas en compte l’entropie, ni suffisamment selon Stiegler la notion d’inconscient freudien. C’est leur limite. Affranchissez les de ces deux limites et nous pourrons rendre plus efficientes encore les théories de ces penseurs.
Chacun voit bien en effet en quoi la reconnaissance de l’entropie change totalement notre vision de l’univers. Nietzsche reconnaît bien l’importance de l’inconscient, mais probablement Stiegler considère-t-il que Freud s’est penché de façon plus impliquée sur tout ce que cela changeait précisément dans notre conception des sociétés, des religions, etc. Nietzsche s’intéresse à l’inconscient de la volonté de puissance alors que Freud s’intéresse vraiment à l’inconscient tel qu’il transfigure la conception du sujet, et du sujet dans une société donnée avec le sur-moi, le ça, etc. Or Le petit neveu de Freud , Edward Bernays a utilisé la notion d’inconscient de son grand oncle pour inventer le marketing, c’est-à-dire transformer les individus en consommateurs, malgré eux. On pourrait encore creuser cette ligne de parenté et nous découvrirons que le petit fils d’Edward Bernays est Marc Randolph, le fondateur de Netflix.
Chacun voit bien en effet en quoi la reconnaissance de l’entropie change totalement notre vision de l’univers. Nietzsche reconnaît bien l’importance de l’inconscient, mais probablement Stiegler considère-t-il que Freud s’est penché de façon plus impliquée sur tout ce que cela changeait précisément dans notre conception des sociétés, des religions, etc. Nietzsche s’intéresse à l’inconscient de la volonté de puissance alors que Freud s’intéresse vraiment à l’inconscient tel qu’il transfigure la conception du sujet, et du sujet dans une société donnée avec le sur-moi, le ça, etc. Or Le petit neveu de Freud , Edward Bernays a utilisé la notion d’inconscient de son grand oncle pour inventer le marketing, c’est-à-dire transformer les individus en consommateurs, malgré eux. On pourrait encore creuser cette ligne de parenté et nous découvrirons que le petit fils d’Edward Bernays est Marc Randolph, le fondateur de Netflix.
Il ne s’agit pas toutefois seulement de critiquer ces auteurs en les débarrassant de ces limites qu’ils se sont imposées à eux-même et qui les a empêché de penser certaines choses que nous vivons aujourd’hui (même si le génie de Nietzsche consiste à les avoir quand même conçues comme nous le verrons plus tard) mais aussi de comprendre précisément ce qui s’est passé avec le numérique. Il s’agit sans conteste de l’un des instruments les plus à même de créer de nouveaux savoirs et pourtant il s’avère en réalité participer de cette calculabilité des activités humaines et de cette crétinisation des masses dont les réseaux sociaux nous offre le spectacle permanent. Comment rendre compte de ce détournement affligeant?
Pour Stiegler, cette mutation est récente: elle date de 10 ans à peu prés, de la diffusion de l’usage du smartphone et de FaceBook. Il faut distinguer Internet et le World Wide Web. Ce dernier est un système permettant de consulter des sites et fut mis au point au CERN dans un but qui est d’abord celui d’une communication et d’une lecture de textes en vue de la recherche scientifique. Le Web est donc un système éditorial qui permet de créer une agora nouvelle au sein de laquelle des questions fondamentales comme celle du Nucléaire serait l’enjeu de communications et de dialogues avec des non spécialistes. Il s’agissait donc bel et bien de créer une nouvelle conception de savoirs, une nouvelle construction des savoirs avec des facilités et des rapidités de parution inconnues jusqu’alors. C’était ça le Web à l’origine.
Mais dans les années 2000, s’est mise en place une politique de captation des données à visée commerciale par quoi ce qui était né dans la perspective de créer du savoir est devenu la possibilité de déterminer des profils de consommateurs. C’est comme si l’entropie s’effaçait avec succès de reprendre ces droits en rendant calculable donc prévisible une nouveauté. Finalement c’est bine à ce jeu d’opposition entre de l’imprévisible et du calculable que nous assistons sachant que l’enjeu de cette lutte continuelle est le retardement du chaos. Le web a été criblé d’algorithmes de captation des données permettant de contrôler et d’orienter son flux.
Un trader travaille avec une machine dont la vitesse atteint 200 millions de m/s, alors que sa vitesse nerveuse à lui est de 2 m/s. Il travaille avec une machine dont la vitesse de calcul dépasse la sienne de façon exponentielle. Chacun de nous est doté d’un entendement et d’une raison, distinction que l’on retrouve notamment chez Emmanuel Kant. L’entendement, c’est le raisonnement, le calcul. La raison c’est ce qui peut faire sens de tout cela. C’est important de réaliser cela parce que mon entendement peut être capable de concevoir un raisonnement sur la faisabilité d’un acte que ma raison refuse de faire, parce qu’elle sait que son sens est incohérent, ne va nulle part, est nuisible. Si nous reprenons l’exemple du trader et que nous le rapprochons de la notion d’exosomatisation, tout s’éclaire: l’informatique nous permet d’accroître la puissance de notre entendement, de nos calculs mais la raison elle est dépassée, écrasée par cette puissance exosomatique. De plus on fait rentrer le comportement même du tracer dans une analyse de comportement calculable par quoi quelque chose de son existence devient de fait niée, calculée, analysée en tant que consommateur. Le calcul nous prend de vitesse en permanence; ce par quoi nous calculons devient ce par quoi nous devenons calculables et, donc n’offrons plus la moindre résistance à l’entropie. C’est ça qui est intéressant chez Bernard Stiegler. Si la calculabilité participait de la néguentropie, il n’y aurait aucun mal mais c’’est tout le contraire qui est vrai. Tout système vivant est un système ouverte et tout système ouvert crée de l’imprévisibilité par quoi il oppose de la bifurcation à l’entropie mais seule notre raison peut faire de la bifurcation. Si l’on me donne les moyens d’accroître la fonction de mon entendement et que l’on rend calculable ce qui me permet de calculer à une vitesse incommensurable, alors on accroît pour tous les hommes utilisant le numérique de l’entropie.
Pour Kant, c’est à la raison de juger, l’entendement ne fait que produire des données qui s’offrent au jugement de la raison. Nous atteignons une époque où l’entendement du numérique nous dépasse de tous les points de vue: celui de la vitesse et celui de la calculabilité.
Mais dans les années 2000, s’est mise en place une politique de captation des données à visée commerciale par quoi ce qui était né dans la perspective de créer du savoir est devenu la possibilité de déterminer des profils de consommateurs. C’est comme si l’entropie s’effaçait avec succès de reprendre ces droits en rendant calculable donc prévisible une nouveauté. Finalement c’est bine à ce jeu d’opposition entre de l’imprévisible et du calculable que nous assistons sachant que l’enjeu de cette lutte continuelle est le retardement du chaos. Le web a été criblé d’algorithmes de captation des données permettant de contrôler et d’orienter son flux.
Un trader travaille avec une machine dont la vitesse atteint 200 millions de m/s, alors que sa vitesse nerveuse à lui est de 2 m/s. Il travaille avec une machine dont la vitesse de calcul dépasse la sienne de façon exponentielle. Chacun de nous est doté d’un entendement et d’une raison, distinction que l’on retrouve notamment chez Emmanuel Kant. L’entendement, c’est le raisonnement, le calcul. La raison c’est ce qui peut faire sens de tout cela. C’est important de réaliser cela parce que mon entendement peut être capable de concevoir un raisonnement sur la faisabilité d’un acte que ma raison refuse de faire, parce qu’elle sait que son sens est incohérent, ne va nulle part, est nuisible. Si nous reprenons l’exemple du trader et que nous le rapprochons de la notion d’exosomatisation, tout s’éclaire: l’informatique nous permet d’accroître la puissance de notre entendement, de nos calculs mais la raison elle est dépassée, écrasée par cette puissance exosomatique. De plus on fait rentrer le comportement même du tracer dans une analyse de comportement calculable par quoi quelque chose de son existence devient de fait niée, calculée, analysée en tant que consommateur. Le calcul nous prend de vitesse en permanence; ce par quoi nous calculons devient ce par quoi nous devenons calculables et, donc n’offrons plus la moindre résistance à l’entropie. C’est ça qui est intéressant chez Bernard Stiegler. Si la calculabilité participait de la néguentropie, il n’y aurait aucun mal mais c’’est tout le contraire qui est vrai. Tout système vivant est un système ouverte et tout système ouvert crée de l’imprévisibilité par quoi il oppose de la bifurcation à l’entropie mais seule notre raison peut faire de la bifurcation. Si l’on me donne les moyens d’accroître la fonction de mon entendement et que l’on rend calculable ce qui me permet de calculer à une vitesse incommensurable, alors on accroît pour tous les hommes utilisant le numérique de l’entropie.
Pour Kant, c’est à la raison de juger, l’entendement ne fait que produire des données qui s’offrent au jugement de la raison. Nous atteignons une époque où l’entendement du numérique nous dépasse de tous les points de vue: celui de la vitesse et celui de la calculabilité.
Le world wide web était donc un instrument de lutte contre la crétinisation des masses par des algorithmes (la data économie). Stiegler reprend littéralement l’’expression: « cela dépasse l’entendement », c’est de la vie incalculable. Ce qui est vivant n’est pas calculable parce que la vie est à la fois certes, cette énergie qui à cause de l’entropie va vers toujours plus de chaos mais aussi et finalement surtout se révèle capable de retarder cette perte. Exister c’est remettre à plus tard le moment de se disperser dans le chaos, ce qui implique de créer contre la prévisibilité du désordre de la création d’ordre, ce que Stiegler appellera plus tard de nouvelles rationalité, du savoir imprévisible, improgrammable, comme l’est une toile de Van Gogh, qui effectivement dépasse l’entendement parce qu’elle prend sur elle cette fonction doublement vitale de la vie de créer de l’ordre inattendu dans une prévisibilité de désordre programmée. Il y a dans la vie quelque chose qui est irréductible à la physique, aux mathématiques.
Le paradoxe est que le Web créé en Europe est finalement délaissé par l’Europe, en tout cas, délaissé dans l’esprit qui lui donné naissance: créer de nouveaux savoirs. L’Europe n’investit plus dans la recherche et part du principe que c’est le marché qui doit financer la recherche ce qui est une erreur colossale dont on voit bien les dommages dans le domaine pharmaceutique. Nous vivons aujourd’hui dans une médecine rentable qui est là pour nous vendre des produits et pas dans une médecine qui nous soigne. Il faut reprendre la main sur le web lui rendre son rôle d’innovation, la rétablir dans sa fonction néguentropique.
De la même façon que la biologie n’est pas réductible à la physique, l’exosomatisation n’est pas réductible à la logique. Pour la comprendre dans toutes ses implications il faut faire ce saut qui précisément a à voir avec la néguentropie. Il faut dont ré-élaborer des politiques de recherche scientifique rendant possible l’émancipation du web à l’égard de la data- Economy. Bernard Stiegler propose un mémorandum over-understanding. Repenser l’avenir non pas seulement des nations mais de la planète en totalité à travers une nouvelle politique. Il convient donc de repenser au niveau de l’ONU, au niveau de l’inter-Nation, lesquelles sont des localités néguentropiques, un droit planétaire qui intègre la question de l’entropie et de la néguentropie.
Bernard Stiegler reprend un terme hérité de Marcel Mauss « l’inter-nation ». La nation est une localité néguentropique. Pourquoi? Parce qu’elle crée de la communauté politique, historique, religieuse. La nation fait sens et fait advenir de la non calculabilité. Il s’agit donc de créer un droit planétaire qui sans se substituer aux droits locaux va prendre en compte la nécessité de la néguentropie. De la même façon il est urgent de fonder une macro-économie, une nouvelle industrie reposant sur la valorisation de la néguentropie. Le problème de l’économie capitaliste n’est pas tant qu’elle soit inégalitaire, qu’elle provoque des injustices sociales mais surtout qu’elle valorise l’entropie, elle accélère le chaos. C’est comme si l’humanité descendait un escalier mécanique qui descend déjà vers le chaos.
L’urgence est telle que l’impératif de créer ce que Stiegler appelle de nouveaux "agencements » (référence à Deleuze) entre les disciplines de façon à créer une recherche contributive est absolument requis maintenant, immédiatement. Cela suppose une organisation politique tout autre que celle que nous connaissons. Sur un territoire donné, avec des objets données, des techniques informatiques communes à tous les actrices et acteurs, des chercheurs, des citoyens, des artistes vont créer des savoirs nouveaux, des bifurcations, des protocoles de ralentissement de l’entropie. L’informatique est un outil qui a été conçu dans une finalité contributive. Il faut comprendre cet enjeu. Imaginons que la découverte de l’imprimerie ait été utilisée pour vendre d’abord des prospectus publicitaires. C’est finalement un peu ce qui est en train de se passer avec le web. L’imprimerie a provoqué une démocratisation des savoirs et internet pourrait générer une appropriation par les citoyens de la chose publique mais cela suppose que nous débarrassions le net des Big Data, de la "data économie".
Il est donc question non seulement de croiser les disciplines mais aussi de faire travailler ces spécialistes du savoir avec la population d’un territoire. C’est la reprise de la notion de recherche-action telle qu’elle avait été lancée il y a 60 ans. Les technologies numériques permettent de créer des communautés de savoir. Reproduire des savoirs en liaison avec des territoires, c’est exactement le contraire de la généralisation. Mais cela suppose de reconstituer, de reconfigurer les réseaux pour qu’ils soient effectivement sociaux. Aujourd’hui, tout ce qui se produit dans les réseaux est transformée en données calculées par des algorithmes ce qui crée du calculable. La néguentropie ne peut se concevoir qu’en tant qu’elle insinue du non calculable dans la dynamique prévisible du chaos. Plus on crée du non programmable, plus on retarde la prévisibilité du désordre. C’est ça le néguentropique: l’efficience d’un système ordonné non programmable (finalement, quand on y pense vraiment, c’est une oeuvre d’art). L’effectivité de cette recherche contributive passe donc par la transformation de l’outil numérique et des réseaux sociaux pour créer des délibérations citoyennes, rendre possible le dialogue grâce à ces nouveaux instruments. Le paradoxe est là: jamais l’humanité n’a disposé d’autant de moyens de créer de la citoyenneté, de la délibération, de la démocratie, de la pensée populaire, et jamais nous n’avons été aussi contrôlés, aussi influencés, aussi manipulés et orientés vers la consommation. Peut-on envisager l’utilisation même de la computation informatique avec une finalité néguentropique?
Le paradoxe est que le Web créé en Europe est finalement délaissé par l’Europe, en tout cas, délaissé dans l’esprit qui lui donné naissance: créer de nouveaux savoirs. L’Europe n’investit plus dans la recherche et part du principe que c’est le marché qui doit financer la recherche ce qui est une erreur colossale dont on voit bien les dommages dans le domaine pharmaceutique. Nous vivons aujourd’hui dans une médecine rentable qui est là pour nous vendre des produits et pas dans une médecine qui nous soigne. Il faut reprendre la main sur le web lui rendre son rôle d’innovation, la rétablir dans sa fonction néguentropique.
De la même façon que la biologie n’est pas réductible à la physique, l’exosomatisation n’est pas réductible à la logique. Pour la comprendre dans toutes ses implications il faut faire ce saut qui précisément a à voir avec la néguentropie. Il faut dont ré-élaborer des politiques de recherche scientifique rendant possible l’émancipation du web à l’égard de la data- Economy. Bernard Stiegler propose un mémorandum over-understanding. Repenser l’avenir non pas seulement des nations mais de la planète en totalité à travers une nouvelle politique. Il convient donc de repenser au niveau de l’ONU, au niveau de l’inter-Nation, lesquelles sont des localités néguentropiques, un droit planétaire qui intègre la question de l’entropie et de la néguentropie.
Bernard Stiegler reprend un terme hérité de Marcel Mauss « l’inter-nation ». La nation est une localité néguentropique. Pourquoi? Parce qu’elle crée de la communauté politique, historique, religieuse. La nation fait sens et fait advenir de la non calculabilité. Il s’agit donc de créer un droit planétaire qui sans se substituer aux droits locaux va prendre en compte la nécessité de la néguentropie. De la même façon il est urgent de fonder une macro-économie, une nouvelle industrie reposant sur la valorisation de la néguentropie. Le problème de l’économie capitaliste n’est pas tant qu’elle soit inégalitaire, qu’elle provoque des injustices sociales mais surtout qu’elle valorise l’entropie, elle accélère le chaos. C’est comme si l’humanité descendait un escalier mécanique qui descend déjà vers le chaos.
L’urgence est telle que l’impératif de créer ce que Stiegler appelle de nouveaux "agencements » (référence à Deleuze) entre les disciplines de façon à créer une recherche contributive est absolument requis maintenant, immédiatement. Cela suppose une organisation politique tout autre que celle que nous connaissons. Sur un territoire donné, avec des objets données, des techniques informatiques communes à tous les actrices et acteurs, des chercheurs, des citoyens, des artistes vont créer des savoirs nouveaux, des bifurcations, des protocoles de ralentissement de l’entropie. L’informatique est un outil qui a été conçu dans une finalité contributive. Il faut comprendre cet enjeu. Imaginons que la découverte de l’imprimerie ait été utilisée pour vendre d’abord des prospectus publicitaires. C’est finalement un peu ce qui est en train de se passer avec le web. L’imprimerie a provoqué une démocratisation des savoirs et internet pourrait générer une appropriation par les citoyens de la chose publique mais cela suppose que nous débarrassions le net des Big Data, de la "data économie".
Il est donc question non seulement de croiser les disciplines mais aussi de faire travailler ces spécialistes du savoir avec la population d’un territoire. C’est la reprise de la notion de recherche-action telle qu’elle avait été lancée il y a 60 ans. Les technologies numériques permettent de créer des communautés de savoir. Reproduire des savoirs en liaison avec des territoires, c’est exactement le contraire de la généralisation. Mais cela suppose de reconstituer, de reconfigurer les réseaux pour qu’ils soient effectivement sociaux. Aujourd’hui, tout ce qui se produit dans les réseaux est transformée en données calculées par des algorithmes ce qui crée du calculable. La néguentropie ne peut se concevoir qu’en tant qu’elle insinue du non calculable dans la dynamique prévisible du chaos. Plus on crée du non programmable, plus on retarde la prévisibilité du désordre. C’est ça le néguentropique: l’efficience d’un système ordonné non programmable (finalement, quand on y pense vraiment, c’est une oeuvre d’art). L’effectivité de cette recherche contributive passe donc par la transformation de l’outil numérique et des réseaux sociaux pour créer des délibérations citoyennes, rendre possible le dialogue grâce à ces nouveaux instruments. Le paradoxe est là: jamais l’humanité n’a disposé d’autant de moyens de créer de la citoyenneté, de la délibération, de la démocratie, de la pensée populaire, et jamais nous n’avons été aussi contrôlés, aussi influencés, aussi manipulés et orientés vers la consommation. Peut-on envisager l’utilisation même de la computation informatique avec une finalité néguentropique?
C'est tout pour aujourd'hui. Prenez soin de vous!
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