« Mais quelle
ingratitude, quelle courte vue en somme que d’aspirer à une suppression de la
culture ! Ce qui subsiste alors, c’est l’état de nature, et il
est de beaucoup plus lourd à supporter. C’est
vrai, la nature ne nous demanderait aucune restriction pulsionnelle, elle
nous laisserait faire, mais elle a
sa manière particulièrement efficace de nous limiter, elle nous met à mort,
froidement, cruellement, sans ménagement aucun, à ce qu’il nous semble, parfois
juste quand nous avons des occasions de satisfaction. C’est précisément à cause de ces dangers dont la nature nous menace
que nous nous sommes rassemblés et que nous avons créé la culture qui doit
aussi, entre autres, rendre possible notre vie en commun. C’est en effet la tâche principale de la culture, le véritable
fondement de son existence, que de nous défendre contre la nature.
On sait que, sur bien des points, elle y parvient
d’ores et déjà relativement bien, elle fera manifestement beaucoup mieux plus
tard. Mais aucun être humain ne cède
au leurre de croire que la nature est dès à présent soumise à notre contrainte,
rares sont ceux qui osent espérer qu’elle sera un jour entièrement assujettie à
l’homme. Il y a les éléments qui
semblent se rire de toute contrainte humaine, la terre qui tremble,
se déchire, ensevelit tout ce qui
est humain et œuvre de l’homme,
l’eau qui en se soulevant submerge et noie toutes choses, la tempête qui les balaie dans son souffle, il y a les maladies que nous reconnaissons, depuis peu seulement,
comme des agressions d’autres êtres vivants,
enfin l’énigme douloureuse de la mort,
contre laquelle jusqu’à présent aucune panacée (1) n’a été trouvée, ni ne le
sera vraisemblablement jamais. Forte de
ces pouvoirs, la nature s’élève contre nous, grandiose, cruelle,
inexorable, elle nous remet sous les yeux notre faiblesse et notre détresse,
auxquelles nous pensions nous soustraire grâce au travail culturel. »
(1) « panacée » : remède universel
FREUD, L’Avenir d’une illusion (1927)
1) Le texte commence par un «Mais » et la première
phrase est exclamative. Freud s’exprime donc d’abord « contre » une
affirmation (qui n’est pas explicitement citée). Laquelle ?
2) « Ce qui subsiste
« alors » » : ce terme « alors » manifeste que
Freud adopte provisoirement un point de vue. Lequel ?
3) « C’est vrai….mais » : Comment
appelle-t-on l’acte qui consiste à faire droit dans son argumentation à un
argument adverse ? Que commence à développer le « mais » ?
4) « C’est précisément à cause de…» : de
cette confrontation à un argument adverse, Freud retire le fondement de son
raisonnement. En quoi consiste-t-il ?
5) « C’est, en effet… ». Quel est l’effet
rhétorique de ce connecteur : « en effet » ?
6) « On sait que… ». De quel registre
d’affirmation est-il ici question ? Est-ce une argumentation ?
7) Mais : l’auteur développe la même procédure que
dans le premier paragraphe. Laquelle ?
8) « Il y a… il y a. Enfin » : quelle est
la figure rhétorique utilisée ici ?
9) Forte de ces pouvoirs : comment qualifiez-vous
le ton de cette dernière phrase ? « Grandiose, cruelle,
inexorable » : Freud utilise à la suite ces trois adjectifs. Quel est
l’effet produit par cette succession ?
10) Composez un
schéma qui pourrait selon vous résumer le sens du texte à partir de ces quatre
notions :
Pulsions Culture
(Education, dressage)
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