Le propre d’un terroriste
est d’instaurer un régime de terreur, c’est-à-dire non pas tant d’effrayer une
population mais de la désorganiser, de faire jouer en chacun de nous des
automatismes égoïstes qui nous amènent à privilégier notre vie sur celle de
tout autre. C’est ce que l’on appelle « l’instinct de survie » des
mouvements de panique au sein desquels nous ne pensons plus qu’à nous-mêmes
sans égard pour nos proches. C’est exactement en cela que le terrorisme nous
met en face d’une vraie question : sommes-nous effectivement
« cela » ? L’instinct de survie existe-t-il vraiment ?
Sommes-nous prêts à tout pour rester vivants, y compris écraser les autres,
tous les autres, c’est-à-dire aussi nos enfants, nos parents, nos amis les plus
intimes ?
On peut observer, lorsque ce genre de
discussions ont lieu, que certaines personnes se rallient très rapidement à
l’hypothèse de cet instinct en s’appuyant notamment sur les réactions de la
foule au cours de mouvements de panique, dans le stade du Heysel notamment.
Aucun de nous ne peut effectivement jurer qu’il se comporterait autrement à
l’approche d’un danger.
On peut néanmoins faire
remarquer que l’éthologie (la science du comportement des animaux) a déjà
prouvé à quel point le mot « instinct » est, en lui-même une
imposture, c’est-à-dire un mot vide qui ne recouvre en réalité que notre
ignorance. Nous savons maintenant que de très nombreuses attitudes animales que
nous qualifions auparavant un peu vite d’instinctives, dictées par le patrimoine
génétique d’une espèce, sont en réalité beaucoup plus complexes, beaucoup plus
travaillées, comme si l’intelligence animale, loin d’être innée, se révélait
finalement, tout autant que la notre, voire plus en certaines circonstances,
travaillée, évolutive, transmissible, perfectible. Il est donc fort possible
que certaines attitudes de panique nous soient davantage dictées par certains
mouvements de groupe que par un pseudo instinct. La personne à côté de moi a
peur et fuit donc j’ai peur et je fuis. La terreur que veulent inspirer les
terroristes s’appuie sur un mouvement de contagion. Mais autant il nous serait
impossible de lutter contre un instinct de survie s’il existait, autant il est
envisageable de s’immuniser contre cet effet de contagion. Comment ?
La philosophie de Spinoza
peut nous y aider. Elle se fonde sur cette thèse : « L’effort de
toute chose pour persévérer dans son être n’est rien d’autre que l’essence
actuelle de cette chose ». Cela signifie que nous sommes, non pas un être
mais l’énergie que nous dépensons, que
nous consacrons au fait d’exister. Toute personne se ramène finalement à
« ce qu’elle peut » davantage qu’à ce qu’elle « est » ou
plutôt «pense être ». Ce qui compte ici par rapport à ce que nous disions précédemment,
c’est que tout s’oppose dans cette thèse de Spinoza dénommée le
« conatus » à l’instinct de survie. Nous ne sommes pas prêts à tout
pour survivre mais pour exister, ce qui n’a rien à voir. Un terroriste mise sur
notre instinct de survie, lequel pourrait nous conduire à écraser les autres
pour se sauver soi-même, mais la vérité, c’est que nous sommes animés d’abord
et finalement « seulement » par notre « puissance
d’exister », puissance dont il est absolument impossible de fixer les
limites. Cette puissance se libère à tout instant dans le fait que vous
existez, que vous êtes en cet instant même en train de lire ces lignes. Si vous
les lisez attentivement, cette puissance se dépense à plein régime. Si vous les
lisez vaguement, comme vous pourriez faire autre chose, c’est que votre
conatus, en ce moment, est faible. Que convient-il sereinement d’opposer au
terrorisme ? L’intelligence d’une existence qui sait exactement en quoi
elle consiste et qui ne se retient pas. Cela pourrait se définir en d’autres
termes par l’efficience d’une présence attentive : exister plutôt que
simplement vivre.
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