Un enfant fait de la
balançoire prés de deux mères de famille qui discutent. Au cas où nous aurions du mal à saisir la
situation, un panneau nous précise qu’il s’agit d’ « UN ENFANT »
puis d’ « UNE BALANCOIRE ». L’une des mamans demande à
l’autre : « Ce n’est pas un peu dangereux ? ». La
vraie question nous est suggérée par un autre panneau : « EST-IL
ASSURE ?» La femme interrogée ne fait ni une ni deux : elle saisit
immédiatement son portable et appelle son assurance qui la
« rassure ». Quelle est la nature de ce réconfort ? « En
cas d’accident grave, une indemnisation est prévue pour tous les membres de la
famille. » La mère sourit tranquillement en reposant son téléphone, le visage
calme et apaisé. L’intégrité physique de son enfant peut être menacée, elle ne
le sera que d’un point de vue corporel puisque les frais d’hôpitaux seront pris
en charge par l’assurance. Il y a donc deux personnes chez l’enfant :
celle qui fait de la balançoire et celle qui, grâce au contrat d’assurance
signé par ses parents, jouit d’une forme d’ « immunité capitalistique ».
C’est très exactement ce que recouvre le terme d’« indemnité ». Même
blessé gravement, quelque chose de lui restera indemne. Quoi exactement ?
Ce qu’il coûte.
C’est exactement le même
processus de conversion comptable que celui qui permet à cet
« optimiste » de recouvrir l’événement de sa mort de la seule vraie
question : « qui paiera ses obsèques? » « Bon vivant
rime avec prévoyant. » nous dit-il en épluchant « mollement »
une carotte. Il y a en lui la personne physique qui va disparaître et la personne
contractuelle qui, grâce à son argent, va survivre à sa propre disparition et,
de l’au-delà, sortir de son portefeuille l’argent payant le cercueil, la mise
en bière, la cérémonie. On prévoit « avant » ce qui va se passer « après » afin
de ne pas trop se concentrer sur le « pendant ». Ce qu’il s’agit
d’exorciser dans les deux publicités, c’est le scandale d’une existence de
« prime time », c’est l’efficience de notre mortalité, ce que l’on
appelle en philosophie notre « contingence », c’est-à-dire le fait
que notre existence n’est soutenue par le mouvement d’aucune nécessité.
Le présent c’est le temps
que le Stoïcisme, l’Epicurisme nous invitent à habiter parce qu’il est le seul
qui dépende effectivement et exclusivement de nous. Il est clair que la
philosophie stoïcienne est absolument incompatible avec l’approche de
l’existence défendue par la notion même de « contrat d’assurance »
(laquelle consiste finalement à se concentrer sur les temps de notre vie que
nous ne vivons pas et ne vivrons jamais). Il convient de prêter la plus grande
attention au fait que de telles publicités soient « possibles », car
si nous comprenons qu’elles existent du point de vue des assurances qui paient
pour qu’elles soient produites et contribuent à leur donner ainsi des clients,
il est plus problématique que des publicitaires estiment que nous puissions les
regarder, c’est-à-dire que nous consentions sans réagir à cette conception décalée de "l'urgence". Le vrai danger, ce n'est pas la blessure qui peut toucher l'enfant mais la contrainte de frais inattendus à couvrir.
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