"Peut-on avoir raison contre l'Etat?" - Pourquoi l'Etat?
Dans le très bon site
« la toupie » (http://www.toupie.org/), nous trouvons cette définition de l’Etat :
« Avec une majuscule, l'Etat
désigne la personne
morale de droit public
qui, sur le plan juridique, représente une collectivité,
un peuple
ou une nation,
à l'intérieur ou à l'extérieur d'un territoire
déterminé sur lequel elle exerce le pouvoir suprême, la souveraineté.
L'Etat
est la forme la plus élaborée de la vie commune d'une société humaine. Il exerce son pouvoir par le biais du gouvernement.
L'Etat dispose d'un certain nombre de monopoles comme l'utilisation
légitimée
de la contrainte
physique (pour faire respecter
le loi), la collecte des impôts... Par extension, l'Etat désigne l'ensemble des
institutions et des services qui permettent de gouverner et d'administrer un
pays : ministères, directions, préfectures,
délégations,
administrations
déconcentrées ou décentralisées. »
Nous pouvons en retirer trois
caractéristiques essentielles composant un Etat :
- L’autorité (souveraineté et force)
- L’administration (centralisation)
- Le symbole (on pourrait tout aussi bien
parler ici de « contrat » au sens très fort de ce terme ; le
lien qui relie les citoyens d’un Etat est un lien non pas naturel mais contractuel.
Cela signifie que l’existence de l’Etat exprime de la part de ses administrés
qu’ils ne misent pas sur l’empathie ou sur toute autre relation compassionnelle
valant « de fait » entre les hommes. Vivre dans un Etat c’est donc
accepter de faire à son propre égard un travail d’abstraction, de symbolisation
(je suis bien « moi », avec mon histoire, mon vécu particulier,
unique, irréductible à tout autre, mais en tant que citoyen je ne suis qu’une
toute petite partie d’un ensemble : l’Etat))
Pourquoi y-a-t-il de l’Etat ? Pourquoi
une population éprouve-t-elle cette nécessité d’être dirigée, organisée,
représentée ? L’ethnologue Pierre Clastres a prouvé qu’il existait des
sociétés, notamment en Amazonie, comme les Guaranis, les Jivaros, mais pas
seulement, dans lesquelles les individus n’étaient pas maintenus sous la
régulation d’un Etat, sans pour autant qu’il s’en suive du désordre, du chaos,
des conflits permanents.
« Pourquoi les sociétés primitives sont-elles des sociétés sans
Etat ? Comme sociétés complètes, achevées, adultes et non plus comme
embryons infra-politiques, les sociétés primitives n’ont pas l’Etat parce
qu’elles le refusent, parce qu’elles refusent la division du corps social en
dominants et dominés. La politique des « Sauvages »,
c’est bien en effet de faire sans cesse obstacle à l’apparition d’un organe
séparé du pouvoir, d’empêcher la rencontre d’avance sue fatale entre
institution de la chefferie et exercice du pouvoir. Dans la société Primitive, il n’y a pas d’organe séparé du pouvoir parce
que le pouvoir n’est pas séparé de la société, parce que c’est elle qui le
détient, comme totalité une, en vue de maintenir son être indivisé, en vue de
conjurer l’apparition en son sein de l’inégalité entre maîtres et sujets, entre
le chef et la tribu. Détenir le pouvoir, c’est l’exercer ; l’exercer,
c’est dominer ceux sur qui Il s’exerce : voilà très précisément ce dont ne
veulent pas (ne voulurent pas) les sociétés primitives, voilà pourquoi les
chefs y sont sans pouvoir, pourquoi le pouvoir ne se détache pas du corps un de
la société. Refus de l’inégalité, refus du pouvoir séparé : même et
constant souci des sociétés primitives. Elles savaient fort bien qu’à
renoncer à cette lutte, qu’à cesser d’endiguer ces forces souterraines qui se
nomment désir de pouvoir et désir de soumission et sans la libération
desquelles ne saurait se comprendre l’irruption de la domination et de la
servitude, elles savaient qu’elles y perdraient leur liberté. »
Ce qui est particulièrement intéressant dans
cet extrait du livre de Pierre Clastres, c’est que l’appellation même de
« sociétés primitives » y trouve son origine dans la capacité de ces
« autres sociétés » à suivre une autre voie que celle des
collectivités étatiques. Si nous les considérons comme « peu
évoluées » c’est précisément parce qu’elles ont choisi une modalité de
fonctionnement très différentes de la notre. Lorsque les espagnols et les
portugais débarquèrent en Amérique du sud, ils se dirigèrent
« instinctivement » vers les trois civilisations structurées avec un
Etat : les Mayas, les Aztèques et les Incas pour les connaître (et
évidemment les détruire), mais elle ne les ont connues qu’en tant qu’elles s’y
sont « reconnues » : même souci de l’administration d’un
territoire, même structure pyramidale de la société, même division de la
population en classes.
Nous reviendrons sur ces Sociétés sans classe,
ni domination, ni Etat mais retenons simplement pour l’instant que l’Etat n’est
pas une « fatalité ». Il est possible (rare mais possible) de faire
groupe sans avoir besoin d’une autorité. Pour remonter à l’origine de
« nos sociétés » étatiques, nous retrouvons dans la Grèce antique la
notion de « polis », c’est-à-dire de cité, laquelle est elle-même en
relation avec le concept de « cosmos » : univers ordonné par des
lois. Nous pouvons en déduire que l’idée de s’associer dans une communauté
portant le même nom et faisant de chaque habitant des citoyens soumis à des
règles identiques vient de l’observation d’un ordre dans la nature (croissance,
saisons, cycle de régénération des ressources, etc.) créant par la même le
désir de soumettre une population humaine à des règles ou du moins à un cadre
rendant dés lors quelque chose comme une « action humaine » possible.
En effet, dans la nature, il nous est impossible d’inscrire nos actes
durablement. Avec l’Etat s’institue une sorte de « fond d’écran », de
champ de forces et d’interactions humaines rationnel au sein duquel nos
attitudes, nos postures, nos projets et nos ambitions revêtent un Sens. Il est
particulièrement intéressant, de ce point de vue, de noter que les guaranis et
les Jivaros par exemple sont des Sociétés sans histoire. Elles sont totalement
dépourvues de cette volonté d’inscrire leurs actions sur un support qui en
garderait la trace. Il y a bien pour elles aussi, des conflits, des guerres
avec des sociétés voisines mais il ne leur semble pas nécessaire d’en garder la
mémoire dans une « empreinte ». L’existence de l’Etat semble donc
inconcevable indépendamment de ce souci de donner aux actions humaines une
résonance symbolique, mémorielle, historique, narrative à toutes les
manifestations d’existence humaine.
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