« On soutient communément que
c'est le toucher qui nous instruit, et par constatation pure et simple, sans
aucune interprétation. Mais il n'en est rien. Je ne touche pas ce dé cubique.
Non. Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans durs et lisses,
et réunissant toutes ces apparences en un seul objet, je juge que cet objet est
cubique. Exercez-vous sur d'autres exemples, car cette analyse conduit fort
loin, et il importe de bien assurer ses premiers pas. Au surplus il est assez
clair que je ne puis pas constater comme un fait donné à mes sens que ce dé
cubique et dur est en même temps blanc de partout, et marqué de points noirs.
Je ne le vois jamais en même temps de partout, et jamais les faces visibles ne
sont colorées de même en même temps, pas plus du reste que je ne les vois
égales en même temps. Mais pourtant c'est un cube que je vois, à faces égales,
et toutes également blanches. […] Revenons à ce dé. Je reconnais six taches
noires sur une des faces. On ne fera pas difficulté d'admettre que c'est là une
opération d'entendement, dont les sens fournissent seulement la matière. Il est
clair que, parcourant ces taches noires, et retenant l'ordre et la place de
chacune, je forme enfin, et non sans peine au commencement, l'idée qu'elles
sont six, c'est-à-dire deux fois trois, qui font cinq et un. Apercevez-vous la
ressemblance entre cette action de compter et cette autre opération par
laquelle je reconnais que des apparences successives, pour la main et pour
l'œil, me font connaître un cube ? Par où il apparaîtrait que la
perception est déjà une fonction d'entendement […] et que l'esprit le plus raisonnable y met de lui-même bien
plus qu'il ne croit. »
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