Bonjour,
J’espère que vous allez bien et que vous parvenez à concentrer votre attention sur les cours. Vous avez un sujet de dissertation ou un texte à expliquer pour le 10 avril sur pronote. Si c’est nécessaire je peux également le publier ici, mais j’insiste:
- Sur la nécessité de rendre ce travail, non seulement pour s’entraîner à l’épreuve de Philosophie du bac, mais aussi parce qu’il vous fournit un fil rouge et un angle de lecture pertinent pour entrer dans l’œuvre. Ayez, s’il vous plaît, constamment ce sujet ou ce texte dans votre esprit, comme une arrière pensée pour aborder les séances. Si vous avez des questions sur ce sujet ou sur ce texte, n’hésitez pas à les formuler. Je consacrerai probablement un ou deux articles pour vous aider, mais il faut que vous m’aidiez un peu en me précisant vos difficultés, vos besoins pour aborder cette question ou ce texte (Attention, ce n’est pas parce que le texte se situe à la fin de l’œuvre qu’elle n’aborde pas des questions ou des notions qui sont déjà présentes dans ce que nous expliquons en ce moment).
- Sur l’opportunité de répondre aux petites questions que je pose de temps à autre à la fin des cours (cela me permet de savoir si le suivi des cours est correct. Ne vous laissez pas décrocher quitte à me demander de revenir sur un point déjà abordé il y a une semaine. Cela ne pose aucun problème).
Tout va bien? Alors allons-y! (Si vous me dites: "Non!", j'entends rien)
Je sais: j'ai changé de look mais ça met en forme non? Non? |
Nous allons expliquer aujourd’hui le 5e paragraphe. Je vous rappelle que j’ai donné des titres à l’explication mais que le plus important, pour vous, est toujours de vous repère par rapport aux §. Lisez-le avant de suivre le cours d’aujourd’hui.
J’ai appelé le 2 du II) Vérité et langage:
2) Métaphore et conceptualisation
§5: Seule sa faculté d’oubli…du moins pas, à coup sûr, de l’essence des choses: Finalement, la vérité, telle qu’elle est instituée en devoir moral par Kant se caractérise par deux présupposés, tout deux également contestables:
Le premier présupposé réside dans la capacité des mots de rendre compte d’une situation réelle: mon ami est chez moi. Je dis la vérité quand ce que je dis est conforme à ce qui est. La vérité considérée ici est donc l’adéquation entre le réel et le discours qui se donne comme objet ce réel même.
Le second, revendiqué par Kant, au contraire du premier, est la valeur morale du vrai. Si je mens, je fais du mensonge une loi universelle. Or aucune société, aucune humanité ne peut se constituer sur le fond du mensonge car cela revient à rendre impraticable tout pacte, tout contrat, toute loi.
Ce que l’on reproche au menteur donc, est moins de ne pas dire la vérité que de ne pas se rallier à ce qui est susceptible de faire consensus. La vérité dont parle Kant est finalement à tel point commanditée et déformée par l’exigence morale qu’elle n’est « que » morale. Plus encore qu’un conteur d’histoires, il faudrait se représenter dans la situation présentée par Kant dans son opuscule « d’un prétendu droit de mentir par humanité » un homme qui répondrait aux assassins: « je ne suis pas sûr que les mots puissent rendre compte exactement de la présence ou de la non-présence de mon ami chez moi ». Deux formes d’intransigeance, de justesse, d’exactitude s’opposent en fait ici entre Kant et Nietzsche. Autant pour le premier il faut dire la vérité, quoi qu’il en coûte « affectivement », autant pour le second, il faut être suffisamment pointilleux pour remarquer qu’aucun énoncé ne se situe jamais dans la juste retranscription de ce qu’il prétend décrire. Tout mot constitue déjà en soi un saut métaphorique qui nous situe d’emblée dans une interprétation humaine d’un fait. Il faut déjà concéder que la personnalité de mon ami puisse se résumer à son nom ou à sa qualification: se réduit-il à être « mon ami », est-ce la seule chose qui le détermine? Qu’il soit « présent » pose également question: physiquement ou mentalement? Qu’est-ce qu’une présence physique? Etre « chez moi » peut également vouloir dire plusieurs choses.
Que la vérité puisse être « dite » repose sur le présupposé selon lequel les mots pourraient rendre compte d’une situation particulière par des mots communs, ce qui, évidemment est impossible. Une fois cette première erreur avalisée, on fait de cette interprétation une loi universelle. La « vérité » désignera ainsi une sorte de ralliement à une hallucination collective valant comme version officielle de ce que tout homme peut dire d’une situation. Comment ne pas voir que l’interdit moral Kantien de mentir sanctionne en réalité non pas la perversité du supposé menteur mais la dissidence d’un regard parfaitement conscient de l’approximation nominale?
Nous partons du principe que le mot vaut pour la chose puis nous activons une pure logique de mots. Une fois posé, par exemple, que l’opposition entre « être là » et « n’être pas là » puissent être appliquée à la définition de mon ami, alors le principe de non-contradiction valant dans le langage, il semble évident que l’on puisse dire quelque chose de vrai sur cette situation. Pourtant cette vérité repose sur la validité d’un accord, d’un consensus dont le principe est parfaitement arbitraire, voire faux parce qu’aucun mot, jamais, ne dira la singularité d’une chose ou d’un fait. Et c’est par ce tour de passe-passe que l’homme appelle vérité ce qui « en vérité » est tautologique (A=A est une tautologie) et « se prépare à empocher éternellement des illusions en guise de vérités. »
« Qu’est-ce qu’un mot ? » demande ce jeune professeur de Philologie, et sa réponse pose vraiment question: « la transposition sonore d’une excitation nerveuse ». Ainsi formulée, cette réponse semble plutôt convenir au cri, cela même dont André Martinet, par exemple, dira qu’il n’est pas un signe linguistique. Mais Nietzsche parle ici de « transposition ». Le propre d’un mot est de consister dans une séquence sonore valant pour une expérience qui nous nécessairement affecté d’une certaine manière. Nous touchons une réalité et décidons de rendre compte de cette réalité par le mot « pierre ». Ce vocable désignera toutes les réalités nous affectant approximativement de la même façon, et nous dirons qu’elle est « dure » pour qualifier l’impression que produit cette réalité sur nos nerfs capteurs telle qu’elle est décryptée par notre cerveau. Que la pierre existe en dehors de l’impression qu’elle nous fait est déjà une extrapolation (on extrapole quand on tire une conclusion rapide, précipitée et infondée à partir d’une observation), une supposition très audacieuse, puisque elle ne s’est manifestée à nous qu’en provoquant un choc sur nos nerfs sensibles.
Le philosophe George Berkeley (1685 - 1753) n’a finalement jamais franchi ce pas audacieux et sa philosophie soutient que rien n’existe à moins de percevoir ou d’être perçu. Rien n’existe sans être en cet instant est train de percevoir ou d’être perçu. Mais même sans aller jusqu’à évoquer cette thèse immatérialiste, on peut invoquer ici l’argument du rêve tel qu’il est utilisé par Descartes ou par Nietzsche lui-même à plusieurs reprises. Aucune impression ne saurait par elle-même me garantir l’extériorité de l’objet ou de la situation qui me semble la provoquer.
Mais nous ne nous contentons pas de dire arbitrairement et sans preuve que la pierre existe, nous précisons qu’elle est « dure », c’est-à-dire que nous qualifions cette chose dont nous supposons l’existence avec une caractéristique qui ne concerne que notre ressenti, que l’impression qu’elle nous cause, comme si l’effet que cette pierre occasionne sur notre sensibilité pouvait servir correctement et exactement à la décrire « telle qu’elle est ». De ceci qu’elle nous affecte de telle manière, nous en déduisons qu’elle est définissable en elle-même par la sensation qu’elle « nous » cause. Il semble difficile de rendre compte de ces insuffisances, de ces facilités que l’homme s’accorde à lui-même, sans invoquer le langage, puisque c’est par lui que ces extrapolations gagnent leur droit de cité en dessinant un seuil de validité humaine. De fait toutes les « pierres » sont « dures » pour tous les hommes, mais, en même temps, il est vrai que nous pourrions placer entre guillemets la totalité des termes d’une langue.
Il ne fait pas de doute qu’en lisant ce 5e paragraphe, quelque chose de nous est à la fois touché et réticent aux thèses de Nietzsche: il « faut bien » que nous utilisions ces mots, aussi imparfaits soient-ils, sans quoi « il n’y aurait rien à dire de rien » et toute notre espèce serait réduite à une sorte d’expectative inerte, aveugle et stupide devant la profusion du réel. Mais pourquoi le faudrait-il? Et surtout qu’est-ce qui s’exprime au travers de cette approximation linguistique inconsciemment élevée au rang de certitude par la communauté humaine? Une chose semble sûre pour Nietzsche, c’est qu’il ne s’agit pas de notre instinct de vérité. Bien au contraire, cet arbitraire du langage semble au contraire porter la marque d’un désir de tromper et d’être trompé. C’est bien notre intellect qui se déploie dans l’incroyable amplitude de cette ruse anthropocentriste du langage.
Quelque chose du style d’écriture de Nietzsche se développe dans la violence de ce paragraphe, lequel est à la fois provocateur et révélateur. Il est éclairant parce que tous les points de cette critique de l’arbitraire de la langue touchent juste mais il est aussi provocateur parce que Nietzsche fait semblant de ne pas connaître les arguments de la thèse contraire, lesquels reviennent à justifier cette approximation par la nécessité de penser le réel, et surtout par la capacité du langage à préciser continuellement ses énoncés, à réduire la marge d’erreur inhérente à son propre exercice. S’il n’est pas totalement vrai que la pierre soit dure, cela n’est pas non plus totalement faux et il existe bien quelque chose de la vérité de ce phénomène qu’est « la pierre » qui se voit rendu par cet énoncé.
D’autre part, comme le fait remarquer Marc De Launay dans son commentaire, Nietzsche semble faire comme si les philosophes ne s’étaient pas rendus compte de cette approximation alors que Kant lui-même insiste sur l’analyse toujours douteuse que l’on peut faire d’un concept, parce que celui-ci contient nécessairement « beaucoup de représentations obscures ». De plus, toute critique du langage manque de la distance induite par la notion même de critique: ce sont encore des mots qui pointent ici leur insuffisance et si, en effet, il pouvait exister une vérité qui demeure en deçà du fait d’être dite, donc trahie, on ne voit pas comment le langage pourrait la susciter sans en « faire signe », donc encore et toujours « langage ».
Nietzsche n’en poursuit pas moins son réquisitoire. Peut-être ne pouvons-nous penser qu’en symbolisant, mais cela ne saurait nous empêcher de perçoir tout ce que cette symbolisation implique de dirigisme, de fétichisme, de prise de position autoritaire et unilatérale. Nous donnons des genres aux végétaux, nous désignons des espèces par des qualités qui conviendraient tout autant à d’autres espèces. Nous « classons » et les critères mêmes de ce classement sont discutables, partiaux, ineptes. Chaque langue ne poursuit en réalité qu’un seul objectif: créer une communauté, une convention, un ensemble de membres liés entre eux par l’usage des mêmes dénominations. S’il en allait autrement, nous ne pourrions pas rendre compte de la multiplicité des langues.
Nous retrouvons sous la plume de Nietzsche les termes mêmes de la querelle du Cratyle de Platon et Nietzsche comme Saussure plus tard mais avec un esprit très différent voire opposé, se range du côté de Hermogène: il n’y a pas de rudiment de lien naturel entre le signifiant et le signifié. Une langue est intégralement conventionnelle. Elle ne vise qu’à souder une collectivité. Il n’est pas question de rendre compte de « la chose en soi ». Notons que Kant serait parfaitement d’accord avec cette affirmation puisque il est l’auteur même de cette distinction entre le noumène (chose en soi) et le phénomène (chose perçue).
La nouveauté de Nietzsche réside dans l’importance qu’il accorde à la métaphore dans le travestissement dont le langage est l’instrument. Peut-être sommes-nous trop attentifs aux métaphores poétiques pour nous apercevoir que l’idée même de donner un nom à une chose est elle-même métaphorique. Le génie de Nietzsche consiste ici à montrer que ce processus que l’écrivain utilise explicitement, artistiquement s’effectue en réalité continuellement et de façon implicite dans toute procédure de désignation. Le langage n’est donc pas une retranscription du réel dans laquelle un certain registre imagé et littéraire se donnerait le droit d’inventer des métaphores dans une visée esthétique mais il est fondamentalement un processus de métaphorisation du réel par le biais duquel nous sommes d’emblée sans nous apercevoir placé sur un autre plan que celui du réel.
On va en rester là pour aujourd’hui. Pas de petites questions, mais rassurez-vous ça ne va pas tarder (je sais: ça ne vous rassure pas du tout)
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Portez vous bien et à demain! Je vous souhaite une excellente journée!
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