Bonjour,Je vous invite vraiment à me poser des questions sur le cours d’hier. Certaines et certains d’entre vous l’ont fait en me posant des questions auxquelles je vais essayer de répondre, mais je souhaiterai auparavant insister sur le fait 1) qu’il faut vraiment vous poser d’abord la question du sujet 2) qu’il y a nécessairement un rapport avec l’oeuvre de Nietzsche que nous étudions parallèlement. Pour être encore plus direct, j’ai posé une question susceptible de vous amener à convoquer et à réfléchir à ce que l’on pourrait considérer comme la thèse essentielle de Nietzsche. Dans « Vérité et mensonge au sens extra-moral ».
Considérez que le cours d’aujourd’hui est une sorte de remise de celui d’hier et d’avant hier qui essaie de l’éclaircir, de vous aider à répondre à cette question même si vous choisissez le texte. Je vais essayer de répondre aujourd’hui à 5 questions:
1) Pourquoi la science se définit-elle comme effet de contrainte?`
2) Que désigne le critère d’économie?
3) Pourquoi la réalité n’est-elle définissable que négativement?
4) Pourquoi une hypothèse est-elle une fiction? Qu’est-ce que cela implique par rapport au sujet?
5) Quelle est la vision de l’art défendue par Hegel?
Peut-être faut-il revenir aux cinq critères qui définissent ce qu’il faut que soit une proposition pour être scientifique, tout en ayant bien présent à l’esprit la question du sujet:
- La cohérence interne: une proposition scientifique est nécessairement logique. Elle ne peut être contradictoire en elle-même. Ici l’effet de contrainte est purement celui de la cohérence à soi de la thèse défendue.
- La conformité avec la réalité observable. C’est l’effet de contrainte du réel qui nous intéresse le plus: ce que le scientifique énonce ne peut pas être en contradiction avec les phénomènes observables. Il semble donc qu’il soit tout le contraire d’une fiction.
- La prédiction: comme il s’agit de rendre compte du réel, la science étudie les lois qui s’exerce dans le déterminisme naturel: si telle chose se produit, c’est parce que telle cause la déclenche.
Nous répondons aussi ici à la 2e question:
2) Le principe d’économie: considérons la thèse de Darwin sur l’évolution des espèces. Pourquoi est-elle scientifique, au-delà de la rigueur des raisonnements de son auteur? Elle se base sur un minimum de principes. Elle s’efforce d’examiner les espèces du point de vue des simples conditions de leur survie, sans multiplier les postulats. Elle parvient à se débarrasser d’un certain nombre d’a priori (venant notamment de la religion) et définit les espèces comme des flux vitaux ayant à s’adapter à leur milieu. Plus une théorie au contraire se donne des postulats, moins elle est scientifique puisque les postulats sont des a priori à partir desquels on peut développer des chaînes de raisonnement. Disons que la scientificité d’une théorie se mesure à ce qui en elle tient de la pure déduction. Evidemment il ne pourrait peut-être pas exister de thèse scientifique sans postulat, sans point de départ, mais une fois posé ce principe, la suite doit être simplement déduite avec un maximum de rigueur, c’est tout.
- La falsifiabilité: une proposition est scientifique si elle prend le risque d’être réfutée. Avancer que Dieu existe est une thèse religieuse qui n’est pas réfutable. Au contraire, la science n’avance que des thèses qui sont susceptibles d’être contredites par un raisonnement ou par un fait (expérience). C’est là une idée défendue par Karl Popper. Nous pouvons insister sur ce critère. Popper essaie de trouver un critère distinguant une proposition scientifique d’une proposition politique, religieuse ou philosophique. Si, par exemple, je dis que Dieu existe, je suis croyant et ma proposition n’est pas falsifiable, cela veut dire que je ne peux pas énoncer une expérience qui permettrait de prouver la validité ou la non validité de ma thèse. Et c’est la même chose pour la politique. Par exemple nous avons vu que l’écroulement des régimes communistes n’était pas la preuve que le marxisme était une théorie économique non viable parce que finalement le marxisme n’a jamais été appliqué jusqu’à son terme par aucune économie réelle. On peut toujours discuter la politique, l’économie, la philosophie. La science non! Aucune proposition ne peut être énoncée sans être falsifiable, ce qui veut dire « testable ».
4) Je vais profiter de la référence à Popper pour répondre à la question 4, parce que quelque chose de fondamental pour le sujet se produit par rapport à la falsifiabilité. De prime abord, on a tendance à considérer que ce critère répond plutôt « non » à la question. Croire en Dieu, c’est croire à quelque chose que l’on ne peut prouver (on peut l’éprouver mais pas le prouver). Par conséquent, Dieu peut être considérer par un athée comme une fiction. La science, au contraire, ne dit rien sans être passé par la réalité observable du phénomène qui donc ne peut être fictif. Mais le rôle de l’expérience et notamment la place que ce protocole a pris dans la science moderne (voir le texte de Kant) a souligné le rôle anticipateur de l’idée du scientifique. Et cela change complètement la donne. Prenons l’exemple du vaccin: c’est une idée très audacieuse qui peut sembler logique mais qui suppose que le chercheur envisage d’inoculer la maladie pour s’en prémunir. Or avant d’être testée, cette idée est bel et bien « une fiction ». On pensait d’abord que l’expérience et la falsifiabilité étaient des garanties interdisant le scientifique d’avoir recours à la fiction et nous nous rendons compte au contraire qu’en fait l’hypothèse est une fiction. Allons même plus loin: est-ce que le scientifique va vraiment se satisfaire du résultat négatif de l’expérience? Non bien sûr il va corriger sa théorie jusqu’à ce que le réel cède et finalement nous pourrions envisager de regarder notre réalité comme étant le laboratoire du scientifique, à savoir le lieu dans lequel non seulement il teste ses idées mais aussi celui où il finit toujours par les imposer. Faire une expérience, c’est finalement mettre en place et en marche un processus au terme duquel de la fiction va devenir de la réalité, ce qui change tout à notre sujet.
3) Pourquoi la réalité ne peut-elle se définir que négativement. Il fait préciser que ce que je vais développer ici est plutôt à placer au début de la dissertation. Vous avez bien réalisé qu’en fait dans une dissertation on part souvent de définitions que l’on va compliquer au fur et à mesure pour finalement se rendre compte que des notions de prime abord incompatibles sont plus proches que nous ne le pensions auparavant. C’est ce qu’il va falloir faire par rapport à la distinction du réel et de la fiction. Mais ici, justement on est seulement au début et il faut insister sur ce qui de la réalité est contraire à la fiction. Et nous pouvons insister sur tout ce que cette notion de réel a de résistant, d’incontournable. La réalité, c’est ce qui s’impose à nous sans que l’on puisse faire autrement puisque C’EST la réalité. Cette notion est très proche de celle d’existence. Le réel c’est ce qui s’oppose au possible. 500 € désigne une somme d’argent donnée, représentable, comptable pour l’esprit humain. Ce n’est pourtant pas la même chose de penser à la somme de 500€ et d’avoir réellement cette somme dans la poche. On peut toujours approcher le réel pour la fiction, on ne parviendra pas à appréhender par la pensée ce qui fait que le réel ajoute à tout ce qu’il contient cette dimension d’’exister vraiment. La pensée peut se faire une représentation de tout ce qui existe mais pas de ce fait que cela existe. C’est en ce sens que la réalité est fondamentalement négative: elle est ce qui résiste à la pensée, ce qui résiste à la capacité de concevoir des faits comme seulement possibles.
5) Que veut dire Hegel quand il écrit: « le besoin universel de l’art est donc le besoin rationnel qu’a l’homme d’élever à sa conscience spirituelle le monde extérieur et intérieur pour en faire un objet dans lequel il reconnaît son propre moi ». Prenons des exemples concrets: Hegel considère que l’art est une création, c’est-à-dire que l’homme peignant tel paysage par exemple crée par ce paysage quelque chose qui avant lui n’était pas. Mais de quoi s’agit-il? Le paysage n’était que là, il ne revêtait aucun dimension spirituel générale, signifiante, abstraite. L’oeuvre d’art est une création qui permet à l’homme de donner à la nature une valeur idéale spirituelle, supérieure. C’est comme si grâce à lui la réalité devenait un idée. Pensons à toutes ces oeuvres qui sont devenues des idées, des idéaux: la Joconde, la liberté guidant le peuple, l’hymne à la joie de Beethoven, etc. Nous vivons dans une réalité sensible mais, grâce à l’artiste, telle ou telle séquence de cette réalité sensible devient intelligible, spirituelle, élevée. L’artiste est un créateur qui rend éternel et figé des instants fugitifs et leur insuffle ainsi une dimension supérieure.
Il ne faut pas hésiter à me poser d’autres questions que nous pouvons traiter en cours.
Voici celles que je vous pose pour la fin de semaine:
1) Pourquoi est-il impossible d’approcher des oeuvres littéraires sans leur reconnaître « un effet de réel » (il est impossible de répondre à cette question sans lire tout ce qui a été dit ici sur Pierre Bourdieu). Donnez des exemples
2) En quoi consiste la révolution de la science moderne (Galilée) selon Emmanuel Kant?
3) Selon Merleau-Ponty, qu’est ce qui distingue le scientifique de l’artiste? Etes-vous d’accord avec lui? Pourquoi?
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