Ce sujet est difficile, pas davantage que les
autres dans son traitement, mais certainement plus dans sa compréhension. On
pourrait l’interpréter, de façon précipitée et fausse, de la façon
suivante : « méritons-nous d’exister ? » et s’efforcer
de répondre à cette question qui en elle-même, n’a pas grand sens. Il faudrait
ici comme ailleurs, interroger le présupposé : « exister, est-ce une
affaire de mérite ? » Mais c’est ici de « Droit » dont il
est question, le problème est donc en réalité : « exister : est-ce une affaire de
droit ? »
En arriver là, c’est déjà pas
mal mais nous ne sommes pas à la fin de nos peines, car ,en même temps, ce
n’est que le début de la réflexion. Si exister n’était pas une affaire de droit,
de quoi serait-il question ? De « fait » : exister, c’est
un fait « brut », donné, c’est « comme ça ». Il n’y a pas
lieu d’en discuter puisque « c’est ». Hamlet peut bien réfléchir à la
question « être ou ne pas être » ; pour se la poser, pour la
penser, il faut bien exister d’abord.
Donc, de ce point de vue, « être ou ne pas être », ce n’est pas du
tout la question puisque tant que je me la pose, « je suis » et « point barre ».
Ainsi on comprend mieux la
question, c’est-à-dire qu’on réalise le piège dans lequel on a failli tomber si
nous avions réagi de façon quasi compulsive en nous indignant du fait que l’on
ose poser la question. Le sujet ne vise pas à remettre en cause le droit que
nous aurions d’exister mais à poser la question de savoir si le fait que nous
existions « regarde » le droit ?
La référence que nous avons
faite à l’euthanasie doit se comprendre exactement dans les mêmes termes car
c’est du même malentendu dont il est question : les sondages qui montrent
qu’une majorité de français sont « pour » la légalisation de
l’euthanasie prouvent que la plupart des sondés répondent probablement à la
question de savoir si l’on peut disposer de sa propre vie quand on juge qu’on
ne peut pas la supporter alors que la vraie question est de savoir si l’acte du
suicide dans des conditions de souffrance extrême et désespérée peut être
reconnu « légalement », avec tout ce qu’implique ce terme de
légalité, de Droit, à savoir en premier lieu un processus de
« généralisation », d’exposition sur la place publique. Est-ce que
cela « regarde » le Droit qu’on se tue ? De la même façon est-ce
que cela regarde le Droit qu’on existe ?
Quand nous avons le droit de
faire quelque chose, cela signifie que nous y sommes autorisés dans le cadre
déterminé d’une utilité commune,
c’est-à-dire que cette action n’est pas jugée comme étant incompatible avec les
intérêts de la communauté dont nous sommes membres. Ce point est tellement
fondamental qu’il faut lui donner une illustration concrète, aussi
déstabilisantes que soient les conclusions auxquelles l’exemple choisi va nous
permettre d’aboutir. Quand un mari bat sa femme dans le cadre de la vie « (supposée)
privée » de leur vie conjugale, il est justiciable, il a des comptes à
rendre à la justice, non pas parce qu’il fait mal à son épouse, non pas parce
qu’il lui cause du tort, à ELLE.
Ce n’est pas du tout une question de
souffrance infligée à une autre personne, c’est
que son acte n’est pas compatible avec les intérêts de la communauté. En
d’autres termes, il y a quelque chose d’un « vivre ensemble », d’un « vivre
en collectivité » qui est réfuté par son action, et c’est exactement là le
sens le plus profond de cette notion de « Tiers ». C’est cela le
bandeau qui rend « heureusement »,
justement, équitablement, la justice aveugle.
La défense des faibles contre les forts ne se fait en aucune façon par
« amour » ou par compassion à l’égard des faibles, mais simplement
pour maintenir l’effet de cohésion d’un ensemble au sein duquel les intérêts de
l’un ne peuvent pas prévaloir sur celui des autres.
Si l’on regarde dans un dictionnaire, comme le Littré, on
trouve cette définition du droit : « Le droit est « l'ensemble
des règles qui régissent la conduite de l'homme en société, les rapports
sociaux. », ou de façon plus complète, « l'ensemble
des règles
imposées aux membres d'une société pour que leurs rapports sociaux échappent à
l'arbitraire et à la violence des individus et soient conformes à l'éthique
dominante ». Le passage le plus important est
celui-ci : « pour que leurs rapports sociaux échappent à
l’arbitraire et à la violence des individus ». Le droit, c’est finalement
la réalisation par un individu de ceci qu’il n’est rien de ce qu’il fait qui
échappe à la dimension interactive d’un « ensemble », d’un lieu « commun ».
C’est comme si le droit avertissait le mari violent en
ces termes : « Tu ne peux pas battre ta femme, pas parce que
c’est « mal », mais parce que cela nuit à la texture du « vivre
ensemble » comme un accroc dans les mailles d’un tricot qui ne doit pas se
désunir, se déliter. Nous n’allons pas te punir pour te faire mal mais pour que
les mailles puissent se tenir, se resserrer, faire vraiment « un
tricot ».
Maintenant, nous comprenons VRAIMENT la question, parce
que nous y voyions un peu plus clair sur le droit. La question ne consiste pas
du tout à se demander s’il est juste d’exister mais si ce fait s’offre ou pas
aux déterminations d’une autorité « commune », et jusqu’à quelles
limites convient-il d’entendre l’étendue, l’esprit de cette communauté (droit
positif, droit naturel).
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