Pour aborder rigoureusement
ce sujet, il faut se débarrasser d’un certain conditionnement qui, sans que
nous nous en apercevions, nous prédispose non seulement à répondre oui, mais
aussi à nourrir un préjugé favorable à l’égard du droit. C’est finalement ce
conditionnement même qui est la cause de nombreux malentendus sur la question
de l’euthanasie. Si une majorité de personnes sont pour le droit à
l’euthanasie, c’est parce qu’elles transforment la question de la légalisation
de l’aide médicale à la fin de vie en question sur l’opportunité. Or le
problème posé n’est pas celui de savoir s’il est « bien » de se tuer
lorsque nous souffrons d’une maladie incurable mais celle de savoir si la loi, l’Etat,
si le « Tiers » peut reconnaître à « tout citoyen » le
droit d’être assisté dans les conditions matérielles et médicales de son
suicide. Il existe plusieurs allégories, plusieurs figures divines de la
justice dans l’Antiquité Grecque mais, parmi elles, Tyché est toujours représentée
avec un bandeau sur les yeux en signe d’impartialité. C’est peut-être ce
bandeau qui caractérise le plus profondément le Droit. Ce bandeau signifie que
le Droit ne regarde pas les spécificités de chacun. La justice tranche non pas
en fonction de la personnalité des acteurs d’une affaire mais
« objectivement », « impartialement »,
« impersonnellement ». La justice n’a pas d’affects, elle ne saurait
faire droit dans ses jugements à aucune inclination, à aucune préférence sentimentale.
Elle ne ressent ni haine ni amour.
Cela signifie donc que toute
référence au Droit d’une action, d’un mouvement, induit un arrachement au socle
affectif, personnel et intime dans le giron duquel nous l’éprouvons. Lorsque
des victimes se révoltent contre la sentence d’une peine qu’ils jugent trop
faible par rapport au tort qu’ils ont subi (notamment la perte d’un proche),
ils expriment parfois l’idée qu’ « il n’y a pas de justice »,
mais le fait que le jugement émis n’ait pas correspondu au ressenti de leur douleur
ni à celui de leur soif de vengeance prouve exactement le contraire. C’est
parce qu’ils se sont faits une idée fausse de la justice qu’ils ne croient pas
en elle. Ils sont finalement venus au procès en attendant qu’on leur rende en
« monnaie de jouissance » le comptant exact correspondant à leur
somme de douleur. J’ai souffert de tant, payez-moi de tant en faisant souffrir
le criminel autant qu’il m’a fait souffrir !
Mais c’est de toute autre
chose dont il est question dans une cour de justice. De quoi ? De
manifester la présence du « Tiers ». Ce qui est « mal »
dans le fait de tuer un homme, ce n’est pas le tort qu’on lui fait en le tuant
ni celui que l’on cause à ses proches, ce n’est pas une question de personnes,
c’est exactement le contraire, à savoir le fait que l’on ait laissé son intérêt
personnel et propre l’emporter sur l’intérêt du Tout. Ce qui s’exprime par la
voix de la Justice, c’est l’Etat, soit d’abord l’idée d’une « utilité
commune » et il n’y a pas de place, à hauteur de vue de cette utilité
commune pour la mort d’un homme causée par les intérêts particuliers d’un autre
homme. Il n’y a pas de place, à y réfléchir « vraiment », pour la
mort de tout homme membre de cet Etat, tout simplement parce qu’en décrétant la
mort de ce citoyen l’utilité cesserait de se vouloir « commune ». Ce
que nous faisons, en tant que nous le faisons dans un Etat, c’est-à-dire dans
une zone de droit, s’accomplit dans une dimension régie par une autorité
commune. C’est ça le Tiers.
La question de la légalisation de l’euthanasie n’est
donc pas celle de savoir si l’on « peut » se donner la mort quand on
estime que l’on souffre trop (la réponse est évidemment oui) mais celle de
savoir si cette autorité commune peut et doit se glisser entre moi et moi dans
la « gestion » de cette question qu’est une souffrance insupportable
et l’imminence d’une mort inévitable.
Rédiger une introduction:
1) Partir de ce sentiment que nous avons souvent d'être limité, contraint, diminué par les lois.
2) Le droit d'exister nous apparaît alors comme le plus fondamental parce que le moins incontestable, le plus "inaliénable", celui qu'il est justement impossible que la chose commune du Droit puisse remettre en cause.
3) Mais précisément si les lois ne peuvent pas le discuter, n'est-ce pas précisément parce qu'il n'est pas du tout un droit parce qu'il n'a rien à voir avec le droit? D'un côté, exister nous apparaît comme une évidence d'autant plus légitime qu'elle est un "fait". Mais d'un autre côté, qu'exister soit un fait, c'est justement ce qui nous empêche d'en faire un Droit.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire