lundi 3 novembre 2014

"Avons-nous le droit d'exister?" (3) - Rapport avec l'euthanasie



Pour aborder rigoureusement ce sujet, il faut se débarrasser d’un certain conditionnement qui, sans que nous nous en apercevions, nous prédispose non seulement à répondre oui, mais aussi à nourrir un préjugé favorable à l’égard du droit. C’est finalement ce conditionnement même qui est la cause de nombreux malentendus sur la question de l’euthanasie. Si une majorité de personnes sont pour le droit à l’euthanasie, c’est parce qu’elles transforment la question de la légalisation de l’aide médicale à la fin de vie en question sur l’opportunité. Or le problème posé n’est pas celui de savoir s’il est « bien » de se tuer lorsque nous souffrons d’une maladie incurable mais celle de savoir si la loi, l’Etat, si le « Tiers » peut reconnaître à « tout citoyen » le droit d’être assisté dans les conditions matérielles et médicales de son suicide. Il existe plusieurs allégories, plusieurs figures divines de la justice dans l’Antiquité Grecque mais, parmi elles, Tyché est toujours représentée avec un bandeau sur les yeux en signe d’impartialité. C’est peut-être ce bandeau qui caractérise le plus profondément le Droit. Ce bandeau signifie que le Droit ne regarde pas les spécificités de chacun. La justice tranche non pas en fonction de la personnalité des acteurs d’une affaire mais « objectivement », « impartialement », « impersonnellement ». La justice n’a pas d’affects, elle ne saurait faire droit dans ses jugements à aucune inclination, à aucune préférence sentimentale. Elle ne ressent ni haine ni amour.

Cela signifie donc que toute référence au Droit d’une action, d’un mouvement, induit un arrachement au socle affectif, personnel et intime dans le giron duquel nous l’éprouvons. Lorsque des victimes se révoltent contre la sentence d’une peine qu’ils jugent trop faible par rapport au tort qu’ils ont subi (notamment la perte d’un proche), ils expriment parfois l’idée qu’ « il n’y a pas de justice », mais le fait que le jugement émis n’ait pas correspondu au ressenti de leur douleur ni à celui de leur soif de vengeance prouve exactement le contraire. C’est parce qu’ils se sont faits une idée fausse de la justice qu’ils ne croient pas en elle. Ils sont finalement venus au procès en attendant qu’on leur rende en « monnaie de jouissance » le comptant exact correspondant à leur somme de douleur. J’ai souffert de tant, payez-moi de tant en faisant souffrir le criminel autant qu’il m’a fait souffrir !


Mais c’est de toute autre chose dont il est question dans une cour de justice. De quoi ? De manifester la présence du « Tiers ». Ce qui est « mal » dans le fait de tuer un homme, ce n’est pas le tort qu’on lui fait en le tuant ni celui que l’on cause à ses proches, ce n’est pas une question de personnes, c’est exactement le contraire, à savoir le fait que l’on ait laissé son intérêt personnel et propre l’emporter sur l’intérêt du Tout. Ce qui s’exprime par la voix de la Justice, c’est l’Etat, soit d’abord l’idée d’une « utilité commune » et il n’y a pas de place, à hauteur de vue de cette utilité commune pour la mort d’un homme causée par les intérêts particuliers d’un autre homme. Il n’y a pas de place, à y réfléchir « vraiment », pour la mort de tout homme membre de cet Etat, tout simplement parce qu’en décrétant la mort de ce citoyen l’utilité cesserait de se vouloir « commune ». Ce que nous faisons, en tant que nous le faisons dans un Etat, c’est-à-dire dans une zone de droit, s’accomplit dans une dimension régie par une autorité commune. C’est ça le Tiers. 

La question de la légalisation de l’euthanasie n’est donc pas celle de savoir si l’on « peut » se donner la mort quand on estime que l’on souffre trop (la réponse est évidemment oui) mais celle de savoir si cette autorité commune peut et doit se glisser entre moi et moi dans la « gestion » de cette question qu’est une souffrance insupportable et l’imminence d’une mort inévitable. 

Rédiger une introduction:
       1) Partir de ce sentiment que nous avons souvent d'être limité, contraint, diminué par les lois.
         2) Le droit d'exister nous apparaît alors comme le plus fondamental parce que le moins incontestable, le plus "inaliénable", celui qu'il est justement impossible que la chose commune du Droit puisse remettre en cause.
        3) Mais précisément si les lois ne peuvent pas le discuter, n'est-ce pas précisément parce qu'il n'est pas du tout un droit parce qu'il n'a rien à voir avec le droit? D'un côté, exister nous apparaît comme une évidence d'autant plus légitime qu'elle est un "fait". Mais d'un autre côté, qu'exister soit un fait, c'est justement ce qui nous empêche d'en faire un Droit.

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