« Une différence
capitale apparaît aussi dans la situation où la communication a lieu. Le
message des abeilles n’appelle aucune réponse de l’entourage, sinon une
certaine conduite, qui n’est pas une réponse. Cela signifie que les abeilles ne
connaissent pas le dialogue, qui est la condition du langage humain. Nous
parlons à d’autres qui parlent, telle est la réalité humaine. Cela révèle un
nouveau contraste. Parce qu’il n’y a pas de dialogue pour les abeilles, la
communication se réfère seulement à une certaine donnée objective. Il ne peut y
avoir de communication relative à une donnée « linguistique » ; déjà parce qu’il
n’y a pas de réponse, la réponse étant une réaction linguistique à une
manifestation linguistique ; mais aussi en ce sens que le message d’une abeille
ne peut être reproduit par une autre qui n’aurait pas vu elle-même les choses
que la première annonce. On n’a pas constaté qu’une abeille aille par exemple
porter dans une autre ruche le message qu’elle a reçu dans la sienne, ce qui
serait une manière de transmission ou de relais. On voit la différence avec le
langage humain, où, dans le dialogue, la référence à l’expérience objective et
la réaction à la manifestation linguistique s’entremêlent librement et à
l’infini. L’abeille ne construit pas de message à partir d’un autre message.
Chacune de celles qui, alertées par la danse de la butineuse, sortent et vont
se nourrir à l’endroit indiqué, reproduit quand elle rentre la même
information, non d’après le message premier, mais d’après la réalité qu’elle
vient de constater. Or le caractère du langage est de procurer un substitut de
l’expérience apte à être transmis sans fin dans le temps et l’espace, ce qui
est le propre de notre symbolisme et le fondement de la tradition linguistique.
Si nous considérons maintenant le contenu du message, il sera facile d’observer
qu’il se rapporte toujours et seulement à une donnée, la nourriture, et que les
seules variantes qu’il comporte sont relatives à des données spatiales. Le
contraste est évident avec l’illimité des contenus du langage humain.
1) Quels sont les critères qui différencient le langage
humain et la communication des abeilles, selon Benveniste ? Développez
chacun d’eux et montrez que chaque critère découle du précédent.
2) La communication des abeilles est plus
« pauvre » que le langage humain mais elle est aussi plus efficace en
un sens. Pourquoi ?
3) Quelle est la différence entre signifier et
signaler ? Pourquoi ce texte nous permet-il de mieux la comprendre ?
4) Les mots, selon vous, nous permettent-ils de saisir
la réalité ou nous empêchent-ils de la vivre ? (Faites référence au texte
et prenez éventuellement d’autres exemples)
5) Pourquoi la communication des abeilles, selon Benveniste,
confirme-t-elle la thèse d’Aristote selon laquelle les hommes sont les seuls à
organiser leur vie communautaire en cité (Polis) ?
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