« Je te promets de
t’aimer pendant toute ma vie ! » : voilà un engagement qui
traduit la force d’un sentiment mais c’est aussi un serment qui pose, comme une
vérité accomplie, l’efficience d’une « programmation » amoureuse. Je
dis aujourd’hui la vérité d’un affect qui sera encore « opératoire »
demain. Si nous pensons à l’amour des parents pour leurs enfants, cet
engagement ne nous semble pas déraisonnable, impossible à respecter. A bien des
titres, il apparaît plutôt au contraire, « évident », presque
sous-entendu. Avoir des enfants induit, en effet, un amour inconditionnel,
« donné ». Il fait partie intégrante de l’acte même d’engendrer.
C’est donc à bon droit que l’on peut promettre à ses enfants de les aimer
toujours.
Evoquer les infanticides
qui figurent à la première page des faits divers ne serait pas du tout
convaincant, notamment parce que cela nous contraindrait à invoquer des cas
particuliers, des situations personnelles particulièrement complexes dont nous
ne pourrions rien retirer de généralisable. D’ailleurs si ces affaires heurtent
avec tant de violence notre « jugement », c’est bien parce que
l’affirmation de cet amour naturel et
inconditionnel pour sa progéniture s’impose dans notre esprit.
C’est un argument autrement plus conséquent
que celui qui consiste à interroger la motivation souterraine de cet amour
inconditionnel : ce que l’on aime de notre enfant de si intense que cela
nous semble pouvoir et devoir résister à la puissance d’érosion du temps a-t-il
vraiment à voir avec cette autre personne qu’est notre enfant ? N’est-ce
pas plutôt finalement le pronom possessif que nous aimons ? Le
« Notre » ? Nous sommes attachés à notre enfant comme à une
partie qui s’est détachée de nous-mêmes mais qui reste marquée par l’événement
donné de la filiation, par une éducation empreinte de « nos
valeurs », de « notre milieu », de « notre être ».
Nous n’aimons pas tant le fait « qu’il soit » que le fait qu’il soit
« notre », de telle sorte que l’intensité de l’amour que nous lui
portons est exactement proportionnelle à la force de celui que nous nous
portons à nous-mêmes.
Mais alors qu’avons-nous
promis en nous engageant à l’aimer toute notre vie ? Rien d’autre, en
réalité, que la pérennité de notre attachement à nous-mêmes, ce qui est moins
amour qu’amour-propre, voire égoïsme. Nous sommes fiers de la réussite de nos
enfants parce qu’elle nous donne des raisons de nous satisfaire de nous-mêmes,
mais d’amour pour l’Autre, jamais
finalement il n’en a été question.
Peut-être commençons-nous
de réaliser qu’il n’est pas si
« monstrueux » d’affirmer que l’amour des parents pour les enfants
ainsi que celui des enfants pour leurs parents n’est ni donné, ni
« dû », parce que, si nous partons du principe contraire, il y a
de fortes chances pour que nous évoquions, sans nous en rendre compte,
l’évidence naturelle de l’amour que nous nous portons à nous-mêmes ainsi qu’aux
« choses » que nous possédons.
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