vendredi 30 mai 2014

Préparer le bac à partir de sujets type - Comprendre et problématiser (4)




Sujet 1 :    « Y-a-t-il de l’inacceptable ? »


Sujet 2 :    « Toute vérité est-elle démontrable ? »


Sujet 3 :

Expliquez le texte suivant. La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension du texte, du problème dont il est question.


« Il est assez curieux qu’en parlant du devoir on pense à quelque chose d’extérieur bien que le mot lui-même indique qu’il s’applique à quelque chose d’intérieur ; car ce qui m’incombe, non pas comme à un individu accidentel, mais d’après ma vraie nature, est bien dans le rapport le plus intime avec moi-même. Le devoir n’est pas une consigne, mais quelque chose qui incombe. Si un individu regarde ainsi le devoir, cela prouve qu’il s’est orienté en lui-même. Alors le devoir ne se démembrera pas pour lui en une quantité de dispositions particulières, ce qui indique toujours qu’il ne se trouve qu’en un rapport extérieur avec lui. Il s’est revêtu du devoir, qui est pour lui l’expression de sa nature la plus intime. Ainsi orienté en lui-même, il a approfondi l’éthique et il ne sera pas essoufflé en faisant son possible pour remplir ses devoirs. L’individu vraiment éthique éprouve par conséquent de la tranquillité et de l’assurance, parce qu’il n’a pas le devoir hors de lui, mais en lui. Plus un homme a fondé profondément sa vie sur l’éthique, moins il sentira le besoin de parler constamment du devoir, de s’inquiéter pour savoir s’il le remplit, de consulter à chaque instant les autres pour le connaître enfin. Si l’éthique est correctement comprise, elle rend l’individu infiniment sûr de lui-même ; dans le cas contraire elle le rend tout à fait indécis, et je ne peux pas m’imaginer une existence plus malheureuse ou plus pénible que celle d’un homme à qui le devoir est devenu extérieur et qui, cependant, désire toujours le réaliser.
                                                                      KIERKEGAARD, Ou bien... ou bien.






Sujet 1 :
Dans l’histoire et l’actualité, de nombreux évènements ont des conséquences humaines suffisamment dramatiques et douloureuses pour que nous les jugions indésirables. Nous aurions préféré qu’ils ne se produisent jamais. Mais que refusons vraiment d’eux ? Ce qu’ils sont ou le fait qu’ils soient, leur contenu ou leur évènementialité ? Pour qu’il y ait de l’inacceptable, encore faut-il qu’il y ait quelque chose à ne pas accepter et ce « quelque chose » ne saurait être jugé comme inadmissible sans « s’offrir » à la possibilité d’un jugement défavorable. Affirmer qu’un événement historique, une parole émise sont inacceptables revient donc à poser un jugement de droit sur un fait bien réel. En un sens, nous sommes tenus de reconnaître qu’il faut qu’une chose soit pour que nous jugions qu’elle serait mieux en n’étant pas, mais alors de quoi parlons-nous puisque, de fait, cet événement s’est produit ? Dans la réalité, ce que nous avons vécu, c’est la nature liée et indissociable entre ce que l’événement a été et « le fait » qu’il a été, entre son contenu et son apparition dans l’existence. En un sens, il y a toujours quelque chose de décalé, voire d’incongru, dans notre habitude de commenter, de juger des situations, des évènements, à savoir qu’aussi injuste et tragique qu’il ait été, cet événement s’est intégré, en tant que chose effectivement advenue, à ce fond de réalité donnée à partir duquel « maintenant » je le condamne. Qu’il y ait un « maintenant » de la condamnation, c’est ce qu’a rendu réel le maintenant de la tragédie que je condamne. Je peux bien dire qu’il ne peut pas exister d’humanité si l’on accepte les camps de la mort (ce qui est vrai dans l’acception morale du terme « humanité »), la réalité c’est que l’humanité (au sens biologique d’espèce) vit « avec » le fait pur, brut, donné d’avoir accepté les camps de la mort, non pas de les avoir approuvé (qui le pourrait ?) mais de « vivre avec ».

Nous comprenons ainsi l’ambiguité de cette notion d’inacceptable. Il faut qu’elle existe pour que nous puissions clairement définir ce dans quoi il est impossible qu’un ordre humain se constitue. Il nous faut des interdits, des références historiques négatives à partir desquelles nous pouvons et devons affirmer « plus jamais « ça » », mais en même temps, il nous impossible de vivre aujourd’hui sans cohabiter avec « ça ». Ce critère de droit de l’inacceptable, nous l’acceptons bel et bien de fait, et c’est précisément peut-être dans toute cette ambiguité que l’animal humain « se configure » dans sa plus grande noblesse, en se maintenant au seuil du jugement de l’indignité, parce que ce jugement aussi justifié soit-il ne revêt qu’une amplitude limitée. Il y a une beauté et une réalité du devenir humain qui trace humblement son chemin à l’ombre de toutes ces prises de position comminatoires posturales et creuses (de nombreux intellectuels d’aujourd’hui jouissent d’une aura médiatique qui semble à la mesure de leur propension à condamner encore et toujours la modernité au lieu d’essayer de la comprendre).  
On ne voit pas bien comment il serait possible voire décent de concevoir l’horreur des camps de concentration comme un « certain angle » ou un « certain regard ». Que cela se soit produit, c’est « trop » pour nous, c’est inconcevable. Mais précisément, ce n’est pas parce que c’est inconcevable que cela ne fût pas « réel », si bien que quelque chose de nous « vit avec », donc en un sens, l’accepte, l’endure, le supporte. Il y a d’un côté ce que ma raison peut se représenter et de l’autre ce avec quoi mon existence doit cohabiter. Voltaire peut bien condamner le tremblement de terre de Lisbonne, quelque chose de lui « fait avec » dans ce temps même au cours duquel il nous expose les mille et une raisons justifiant qu’il n’aurait jamais du avoir lieu. Il importe donc de distinguer clairement ce qui en nous « juge » et d’autre part ce qui « compose » avec des faits qui sont ce qu’ils sont. Voltaire et son souci constant de condamner l’inhumain ne nous décrirait-il pas finalement les mille et une façons de vivre ailleurs qu’ici et maintenant ? Probablement faut-il que l’homme définisse clairement ce qui « de son point de vue d’homme » ne peut pas être accepté mais en même temps n’est-ce pas là ce point de désancrage à partir duquel l’être humain est de toutes les créatures vivantes celle qui vit le moins dans le réel ? Autrement dit, il faut qu’il y ait de l’inacceptable sans quoi les potentialités humaines à faire le mal se trouveraient libérées et débarrassées de toute limite, mais en même temps la question se pose de savoir dans quelle mesure cette capacité de l’homme à engendrer des catastrophes ne viendraient pas elle-même de ce souci de définir des limites, des « critères d’acceptabilité ». Après tout, ce qui est inacceptable dans les camps, n’est-ce pas précisément le jugement nazi au regard duquel il est inacceptable que les juifs soient ? Mais alors faut-il « tout accepter » et que signifie exactement cette expression ?







Sujet 2: Il semble difficile, voire risqué d’admettre comme vraie toute proposition qui prétendrait l’être. Si nous considérons qu’un jugement est vrai, ce n’est pas parce qu’il est émis mais parce que la réalité sur laquelle il porte est conforme à ce qu’il affirme. De ce point de vue rien n’est vrai sans être l’objet d’une démonstration. Nous ne pouvons pas nous fier à une thèse par elle-même. Rien ne va de soi. Cela signifie donc qu’aucune proposition ne saurait être admise comme vraie indépendamment d’un référentiel. Nous adhérons à une vérité démontrée lorsque nous suivons le fil de l’argumentation, de la justification, de l’enchaînement des preuves qui conclue à cette proposition. Si toute vérité est démontrable, cela signifie donc qu’il n’existe de vérité que déduite, produite par un processus de relation entre des principes et des conclusions. Or, comme le fait remarquer Pascal, il existe des vérités de raison et des vérités de cœur, c’est-à-dire que nous éprouvons des certitudes issues de démonstrations mais aussi par intuition. « Car la connaissance des premiers principes, comme qu’il y a de l’espace, temps, mouvements, nombres est aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Il ne saurait donc exister de vérités démontrables qu’à partir de principes reconnus et posés comme vrais sans démonstration.





















Cette question prend une nouvelle dimension lorsque nous la mettons en perspective avec la notion de déterminisme. Si rien ne saurait se produire sans cause, alors aucun phénomène ne saurait être compris sans être démontré c’est-à-dire sans que l’esprit de l’observateur ne s’efforce de remonter à son origine. Tout est démontrable en droit comme l’affirme Laplace : « Nous devons donc envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’Analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle et l’avenir, comme le passé serait présent à ses yeux. » L’idéal de rigueur et de rationalité de la science s’appuie sur l’efficience causale des phénomènes. Je peux démontrer la vérité de cette proposition selon laquelle mon stylo va tomber si je le lâche en suivant les démonstrations de Newton sur la gravitation universelle
Mais en même temps, puis-je vraiment prédire la vérité de cette chute sans anticiper sur un instant qui ne s’est pas encore « produit » ? Ne serait-ce pas nier quelque chose de fondamental de l’instant présent ? Quoi ? Sa dimension imprévisible. Si tout est démontrable, alors tout est prévisible ; or ce n’est évidemment pas le cas. Quelque chose de cet instant que nous vivons, en tant que nous le vivons est l’ultime moment d’un univers connu, touchant la frontière avec un chaos imprévisible. C’est précisément ce liseré ténu entre l’univers prévisible et démontrable de la science et le chaos absurde et imprédictible de la réalité qui « rend présent le Présent ». Vivre cet instant présent c’est donc éprouver cette ligne de frontière entre un idéal scientifique de démontrabilité absolue et l’efficience brute d’une réalité instante imprévisible.
Toute la difficulté de ce sujet vient donc des deux axes par le biais desquels il convient de l’orienter selon que l’on prête attention au « Toute » ou au terme « démontrable «  (par opposition à « démontrée »). Pascal nous permet de répondre « non » à la question puisque il existe des vérités démontrées mais que toute vérité ne saurait être démontrable (en tant qu’elle s’appuie sur des « vérités de cœur »). Toutefois, il est alors possible de relancer la dissertation en insistant sur le fait que la question ne porte pas sur le problème de savoir si toute vérité est démontrée mais si elle est démontrable en droit. Ce n’est pas parce que l’on ne peut pas démontrer l’existence du Big Bang que l’on ne peut pas insinuer en lui le champ d’une démonstrabilité scientifique efficiente (quand Pascal dit que l’espace est une vérité d’intuition, les recherches actuelles sur le Big Bang le contredisent).
Sujet 3

Dans le langage commun, le terme « éthique » est plus ou moins synonyme de celui de « moral ». Il serait question dans les deux cas de déterminer une attitude « droite », de savoir comment il convient de se comporter dans telle ou telle situation pour que notre attitude puisse être qualifiée de « juste », satisfaisante d’un point de vue déontologique. Mais le propre de la philosophie est de marquer les nuances et de considérer que deux mots distincts ne peuvent recouvrir la « même » signification (sans quoi ils ne serait pas « deux »). Dans ce passage, Kierkegaard utilise la notion transversale de « devoir » pour affirmer qu’il s’impose davantage à nous d’un point de vue éthique qu’à partir d’une réflexion morale. Autant la morale, telle que Kant en a défini le fondement, repose sur le rapport de l’individu à la loi, à la forme même de la loi, à savoir l’universel, autant l’éthique pointe vers une intégrité de soi à soi, dans une sorte d’affermissement intime, profond de sa subjectivité. D’un point de vue éthique j’agis bien quand j’agis tout uniment, quand je ne fais qu’un avec ma décision, avec mon action, étant entendu que l’on ne peut pas agir dignement quand on tergiverse, quand on hésite, quand on essaie de ménager des intérêts divers.



A la question : « que dois-je faire ? » Kierkegaard répond donc : « être moi-même », trouver en moi, et en moi seul, l’assise, l’aplomb qui me permettra de décider sans état d’âme, avec une assurance d’autant plus ferme qu’elle sera nourrie des racines les plus profondes de mon être. Rien n’est moins ambigu que cette notion de devoir : elle s’adresse exclusivement à notre conscience de personne mais, en même temps, elle exerce sur nous une pression qui semble venir de l’extérieur, des lois, des impératifs de notre cohabitation avec les autres. Nous nous sentons tenus de faire notre devoir relativement à des obligations qui dépassent largement des limites de notre petite personne : notre nation, l’humanité. Mais Kierkegaard distingue le respect de la consigne, c’est-à-dire l’obligation à laquelle nous nous soumettons sans l’intérioriser et l’observation de notre devoir, lequel nous engage intimement. Nous n’avons aucun compte à rendre à qui que ce soit excepté nous-mêmes, mais ce n’est pas une mince affaire, pour tout homme, que d’être à la hauteur de ce que son intégrité commande. Kierkegaard essaie ici d’en finir avec un malentendu. Pourquoi avons-nous tant de mal à faire notre devoir ? Parce que nous nous trompons sur sa nature. Il n’est pas aisé de répondre toujours à l’appel de notre devoir, mais en même temps, dés lors que nous l’avons justement situé en nous et non hors de nous, le remplir n’est plus une tâche harassante parce que cela ne fait plus qu’un avec le fait d’être soi-même. La difficulté que nous éprouvons à agir conformément au devoir est de même nature que celle que nous ressentons à nous trouver nous-mêmes, à saisir en tout lieu, à toute occasion, la posture appropriée, droite, celle dans laquelle notre être se retrouve et se libère pleinement. C’est cela « assumer » : se sentir consister totalement et exclusivement dans « ce » geste, parce que c’est « nous ». La conception de l’éthique décrite par Kierkegaard se distingue donc totalement de la vision kantienne du devoir dictée par la morale.



jeudi 22 mai 2014

Préparer le bac à partir de sujets type - Comprendre et problématiser (3)



Sujet 1 :    « Y-a-t-il une vertu spécifiquement politique ? »



Sujet 2 :    « Suis-je responsable de mes actes ? »



Sujet 3 :

Expliquez le texte suivant. La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension du texte, du problème dont il est question.


« Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être. Nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et conserver notre être imaginaire, et négligeons le véritable. Et si nous avons ou la tranquillité ou la générosité ou la fidélité, nous nous empressons de le faire savoir afin d’attacher ces vertus-là à notre autre être et les détacherions plutôt de nous pour les joindre à l’autre. Nous serions de bon cœur poltrons pour en acquérir la réputation d’être vaillants. Grande marque du néant de notre propre être, de n’être pas satisfait de l’un sans l’autre, et d’échanger souvent l’un pour l’autre. »
                                                         PASCAL


Sujet 1 :
Nous accomplissons une action vertueuse quand nous agissons de façon noble, juste, désintéressée. Etre vertueux, c’est faire passer ses intérêts personnels au second plan par rapport à une exigence morale, et cela de façon inconditionnelle, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas en attendre un profit par quelque biais que ce soit. Il existe néanmoins une justification qui, sans être morale, peut être alléguée pour rendre raison d’un acte, soit la réalisation d’une démarche nécessaire d’un point de vue politique. Il n’est pas question ici d’agir simplement à titre personnel, mais pour autant, la finalité d’une initiative politique n’est pas nécessairement morale.

 Dans la pièce de Sophocle : Antigone, Créon demande à sa nièce de prendre en compte les intérêts de sa cité et de les faire prévaloir sur son devoir moral d’honorer la dépouille de son frère, comme s’il existait une forme de vertu à violer un commandement moral que l’on pourrait dire « de première nécessité » au nom des intérêts supérieurs de la cité (polis en grec). Il n’est pas question pour le roi de Thèbes de faire reconnaître à Antigone qu’il est bien de ne pas enterrer le cadavre de son frère, mais simplement de lui faire reconnaître la légitimité d’une motivation, l’efficience d’une justification suffisamment valide pour s’intercaler dans le champ habituel de ces idéaux moraux censés déterminer nos actions et parfois les court-circuiter. C’est alors comme si l’on posait l’existence d’une vertu spécifiquement politique susceptible de dépasser l’obligation de respecter les impératifs de la seule vertu morale. Le problème posé par cette motivation d’une autre nature est celui de l’utilisation du terme de vertu, car autant nous pouvons envisager qu’il est peut être nécessaire de prendre en compte les implications politiques d’une initiative, autant il est problématique de leur assigner une « légitimité », de leur donner le statut d’un « devoir » auquel il serait vertueux de se soumettre. Pouvons nous admettre que des motivations d’ordre politique prévalent dans certaines de nos actions jusqu’à constituer pour nous un devoir auquel il serait vertueux de se conformer ?

Sujet 2 :
Tout être conscient sait ce qu’il fait. Il n’agit pas sans se rendre compte qu’il agit et peut donc légitimement être considéré comme ayant des comptes à rendre sur son geste. Si je frappe consciemment une personne pour lui voler son portefeuille, je le fais volontairement, sciemment et il semble juste que j’ai à subir les conséquences légales d’une telle agression, soit la sanction. Etre conscient c’est avoir à répondre de ses actes, c’est-à-dire en endosser la « responsabilité ». Mais il nous arrive d’agir inconsciemment, de faire des lapsus, de penser sans savoir que nous pensons, de rêver. Il existe donc, dans notre vie, une quantité importante de mouvements, de paroles, de pensées, d’actions que nous accomplissons à notre insu et lorsque nous réfléchissons, nous nous rendons compte qu’il existe, même dans les actes que nous croyons exécuter consciemment, une part cachée voire déterminée, conditionnée par une motivation « autre » qui n’est aucunement de notre fait.

 La question se pose donc de savoir si cette responsabilité que la justice et la morale considèrent comme faisant partie intégrante de notre statut de sujet, de citoyen est une notion qu’il est réellement possible d’assigner à tout homme. Dés lors que nous reconnaissons de l’inconscient dans nos motivations, nos pensées, nos gestes, pouvons nous être considérés comme les initiateurs authentiques de nos actions et de nos supposées « décisions » ? Peut-être sommes-nous tentés de répondre prématurément « non » à cette question mais le problème consiste alors à se représenter une société composée d’individus auxquels il serait impossible d’assigner la responsabilité de leurs actes. Si l’attitude de chacun de nous ne fait que suivre des déterminations extérieures dont on ne peut pas « situer » l’origine dans notre liberté de sujet, de personne, alors il en serait des hommes comme des éléments et nous serions confrontés au même degré de fatalité et de résignation devant les débordements humains que devant les dégâts qu’un cyclone provoque dans les régions qu’il traverse. La notion de responsabilité nous place donc devant un dilemme : il faut qu’un homme puisse répondre de ses actes pour que l’idée d’une société composée d’individus libres puisse être autre chose qu’un idéal vain de la raison, mais en même temps, nous réalisons bien que cette responsabilité s’appuie sur la fiction d’une humanité exclusivement consciente et créatrice de ses prises de décision. Nos institutions nous considèrent, peut-être à tort, comme les seuls initiateurs et constructeurs de nos actions, mais si elles ne le faisaient pas, en quoi seraient-elles institutrices d’un ordre humain ? Renoncer à l’idée d’un sujet responsable, n’est-ce pas renoncer à la possibilité même qu’une humanité se constitue et construise un ordre (société), une liberté  (genre), un sens (progrès) proprement humains ?

Sujet 3 :
Il semble impossible de vivre en société sans agir de temps à autre d’une façon qui est davantage intéressée par la volonté d’être bien vu que par la nécessité d’être conforme à soi-même. Si l’on entend souvent dire que « l’habit ne fait pas le moine », cela suppose d’abord qu’il y a un habit et qu’il y a le moine, c’est-à-dire le paraître et l’être. Ici Pascal reprend cette dissociation afin de révéler le néant de l’être humain. Nous sommes suffisamment vains et vaniteux pour ne jamais nous satisfaire d’être « ou » de paraître. A peine nous situons nous dans l’une de cette alternative que nous voulons immédiatement jouer dans l’autre registre et paraître ce que nous sommes. C’est ainsi que l’on peut paraître courageux par lâcheté ou paraître lâche par courage (c’est souvent le cas de tous les super-héros qui pour ne pas être découverts jouent le rôle de ce qu’ils ne sont pas : Zorro, Batman, etc.). 
Etre et paraître sont donc ici présentés comme deux efficiences qui sont tout à la fois indissociables et incompatibles et qui dessinent dans le trouble paradoxal de cette étrange polarité une sorte de « champs humain », de jeu d’attitudes tout à la fois dérisoire et pathétique. Si, au moins nous en tenions à l’une ou l’autre de ces deux attitudes, nous ne ferions que paraître, faire continument semblant, avoir l’air de…mais nous avons tous déjà fait l’expérience de tout ce que cette posture a à la fois d’absurde et d’étouffant. Nous pourrions alors ne faire qu’être authentiquement mais nous savons aussi que vivre en société n’est pas envisageable sans que nous jouions certains rôles auprès de nos semblables pour nous faire aimer, accepter d’eux. Nous sommes donc condamnés à jouer sur les deux tableaux dans tout ce que cette situation suppose d’hypocrisie et de souffrance. La perversion de cette dialectique entre l’être et le paraître est, selon Pascal, la « signature » de l’être humain, l’évidence de sa finitude, de sa vanité, de son absurdité et du vide dans lequel consiste son existence.