lundi 31 octobre 2016

"Ne sommes-nous liés que par de l'Interdit?" - Un plan possible


Ce sujet est tellement vaste qu’il convient de déterminer par notre plan plusieurs champs de recherche à l’intérieur desquels les différents sens possibles de la question pourront faire l’objet d’un traitement philosophique rigoureux, précis. La démarche la plus simple sera sans aucun doute la plus efficace. Qu’est-ce qui nous relie les uns aux autres ? La religion d’abord, non seulement parce que son étymologie : le latin « religare » (faire lien) nous oriente directement dans cette voie, mais aussi parce qu’il n’y a pas de société sans religion. Historiquement, c’est la religion qui a structuré la communauté. Que la première modalité d’adresse de Dieu à ses créatures se trouve être, dans la Genèse, l’Interdit : « Tu ne mangeras pas le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal » ne saurait être évidemment une coïncidence. Pour chacune des parties, il conviendra de préciser à l’avance dans le domaine exploré ce qui fait lien et la nature de l’Interdit :


1-                           Dans la Religion, nous sommes unis par des croyances et des rites. La forme de l’interdiction est l’Interdit (notamment le fruit défendu) et les Commandements. La question peut donc être déclinée de la façon suivante : « Ne pouvons-nous partager, au sein de notre communauté, les mêmes croyances et mêmes rites religieux qu’à partir de l’émergence de l’interdit ? »
2-                           Dans la Société, ce qui nous relie est l’échange (sous toutes ces formes : échanges de biens, de services, de paroles, d’idées, etc.). L’interdit s’impose à nous sous la forme des lois. La question devient donc : « Ne pouvons-nous échanger des biens, des services, des contrats, des promesses, etc. qu'à l'intérieur d'un cadre structuré par des lois ? »


3-                           Dans la famille, nos rapports sont d’emblée déterminés par notre « situation » : père, mère, fille, etc. La question qui se pose est donc celle de savoir si ces « situations » (mais peut-être pourrions-nous également utiliser le terme de « fonctions ») sont à même de « valoir » et d’opérer dans le milieu familial indépendamment de la prohibition de l’inceste ?
4-                           Nous sommes également liés par de purs rapports affectifs. L’interrogation portée par le sujet s’avère ici particulièrement simple : « Peut-on aimer et être aimé(e) sans tabous ? », ou, pour le dire autrement : « N’est-ce pas toujours à partir de tabous rendant possible tel genre d’affection à l’exclusion de tel autre que nous pouvons laisser libre cours à l’expression de nos sentiments amoureux ? » (Peut-on aimer sans avoir à préciser "comment" on aime, indifféremment, sans détermination de "cadre": amitié, amour, sexualité, complicité, etc ?)

La difficulté de cette dissertation résidera aussi dans la nécessité pour nous de ne jamais oublier, dans aucune des quatre parties traitées, la question essentielle mise à jour dans notre travail de problématisation préalable : ne serait-ce pas le propre de l’homme que ne pouvoir faire « groupe » autrement que sur la base de ce processus de neutralisation de l’action par de la diction. Peut-il exister de « l’interhumain » hors d’un champ d’interactions délimité par des interdictions ?

vendredi 28 octobre 2016

"Ne sommes-nous liés que par de l'Interdit ?" - La distinction Tabou / Interdit


Il est possible de définir la notion d’Interdit de différentes façons. Il a déjà été fait mention de la distinction Interdit / Interdiction ainsi que du détour par cet autre sens du mot interdit qui désigne le fait d’être stupéfait, interloqué (et nous nous sommes rendus compte que c’était bien autre chose qu’un détour). Il est également possible de distinguer Interdit et Tabou. Cette différence est à la fois fondamentale et méthodologiquement piégeuse parce que d’une part, dans ce sujet, il semble clair que la question concerne aussi les tabous : « ne sommes-nous liés que par des tabous ? » (ce serait vraiment dommage de ne pas envisager cette question), d’autre part et corrélativement, ces deux notions recoupent des réalités distinctes et indissociables, ne serait-ce que d’un point de vue chronologique. Dans l’histoire, les interdits ont probablement succédé aux tabous (peut-être pourrions-nous dire que les commandements dans les trois religions monothéïstes ont assuré le rôle de courroie de transmission entre les tabous et les interdits).

Mais en quoi le Tabou se distingue-t-il conceptuellement de l’Interdit ? Dans le tabou, il y a quelque chose de sacré. Il existe des actes, des lieux, des corrélations de temps et d’attitudes dont il est « posé » que nous ne pouvons les effectuer sans devenir immédiatement autre chose qu’un humain. L’inceste est davantage un tabou qu’un interdit. Aujourd’hui encore, l’inceste n’est pas puni en tant que tel, il peut être traité comme un crime dés lors qu’il est assimilé à un viol ou à un acte de pédophilie, mais ce n’est pas la relation sexuelle entre membres d’une même famille qui se retrouve alors définie comme un délit. Commettre l’inceste, au sens strict, ce n’est donc pas violer la loi, c’est se situer à part du genre humain, accomplir quelque chose qui se situe « hors norme », qui fait de nous un Dieu ou un animal et peut-être les deux. Dans l’Egypte ancienne, les pharaons, descendants directs du ciel, étaient unis à leurs sœurs. Le fait de briser un tabou nous place dans une situation au sein de laquelle nous ne sommes plus des sujets de droit. 
La scène finale de Festen est tout-à-fait claire dans cette perspective. Le Père, dont l’acte est enfin attesté, n’a plus d’autorité, ni de « lien ». Ces paroles « n’impriment plus » sur ce fond d’une écoute, d’une bienveillance, d’une attention humaines. Il a brisé le lien de tous les liens et sort de la célébration de son anniversaire pour aller, au sens propre, dans un « No man’s land », dans une zone indéfinissable, non-humaine, dans laquelle même son épouse pourtant complice, ne peut le suivre.


Par contre, le fait de violer un interdit nous rend, en un sens, justiciables, punissables, donc toujours inclus dans la communauté des hommes. Si nous payons des amendes, passons un séjour plus ou moins long en prison c’est bien que les lois de notre juridiction nous présupposent une certaine capacité de rédemption, de compréhension de notre acte et de guérison de notre inclination à l’illégalité. Dans le Tabou comme dans l’Interdit, une zone d’exclusion est délimitée mais ce n’est pas du tout la même et celle qui relève du premier est incroyablement plus notable, violente et irrévocable que la seconde. Briser un tabou, c’est se mettre à part d’une collectivité pour n’être reconnu par aucune autre ; c’est aussi enfreindre du sacré, c’est-à-dire contrarier un « principe », une « évidence » dont on ne peut « naturellement » éprouver la nécessité. Toute la question ici, par exemple, est de savoir si le dégoût que nous ressentons pour l’inceste vient de notre éducation ou d’une sorte d’intuition innée, de répulsion native, naturelle à la seule idée de cet acte. En d’autres termes, il y a quelque chose dans la violation du Tabou qui représente pour la plupart d’entre nous un acte incompréhensible. Dans Festen, Christian dit à son père qu’il n’a jamais compris pourquoi il le faisait.


Enfreindre une loi, par contre, est parfaitement compréhensible. Si je vole de l’argent, tout le monde saisit bien pourquoi et, en un sens, partage le sens de ma motivation tout en réprouvant l’acte. On s’exclue donc des « bons » citoyens en violant la loi, mais on ne s’exclue pas à jamais de la citoyenneté. C’est même le contraire puisque l’on a des comptes à rendre à la société.

Pour le sujet, cette distinction nous permet de faire la différence entre la thèse selon laquelle nous ne serions liés que par des tabous et celle selon laquelle nous ne serions réunis que par des interdits. Ces deux questions différentes révèlent toutefois un même processus : ne pouvons-nous constituer un groupe qu’en excluant un certain type de comportement dont la désignation, la stigmatisation et le bannissement nous définiraient, nous négativement, comme membres à part entière d’un collectif : celui des êtres humains pour le Tabou, celui des bons citoyens pour l’interdit ?
Cette distinction est vraiment fondée méthodologiquement car autant l’interdit, la loi, le commandement se caractérisent identiquement comme neutralisation de l’action par de la diction, de l’explicite culturel, autant le tabou, lui, se définit comme neutralisation de l’action par de l’implicite naturel ou sacré (pas religieux). Dans la genèse, le fruit défendu n’est pas tabou, il est interdit (puisque « Dieu dit »). Cette différence est fascinante : quand on perçoit dans un groupe l’efficience de certains tabous, de choses qui « ne se font pas », ce n’est pas le fait de les dire qui permet de les respecter, mais celui de les pressentir. Le « gentleman » s’abstient par exemple de demander son âge à une femme mûre non pas parce qu’on lui a dit de ne pas le faire, mais parce qu’il est fondamentalement « gentleman », c’est-à-dire qu’il détient toutes les clés du « code », du "savoir-vivre". 
Cette considération nous permet de définir une troisième possibilité de réponse à la question posée : 1) peut-être sommes nous naturellement liés 2) peut-être ne sommes-nous liés que par des interdits (culture) ou des tabous (nature) 3) peut-être ne sommes-nous liés, comme le gentleman que par cette étrange sensibilité à tels ou tels signes, lesquels nous renverraient à certains codes au travers desquels quelque chose de notre « style », de notre idiosyncrasie, c’est-à-dire de notre particularité native s’exprimerait, se réaliserait avec bonheur (ou pas, mais de toute façon nous n’aurions pas le choix parce que ce serait nous-même).

mardi 18 octobre 2016

"Ne sommes-nous liés que par de l'Interdit ?" - L'interdit et le temps de la réflexion


La tentation serait grande, pour un tel sujet, de se tourner d’emblée vers d’autres réponses possibles et de leur faire crédit non pas tant du fait de leur pertinence que de la nécessité d’éviter les implications de la réponse positive à la question, particulièrement dans le domaine des liens affectifs. Se pourrait-il que l’amour ne soit pas naturel, qu’il apparaisse toujours, quelle que soit sa nature à partir d’une limitation, d’une interdiction, déterminant préalablement le « cadre » à l’intérieur duquel « aimer » serait permis. Nous serions dans l’obligation de reconnaître, si tel était bien le cas, qu’aimer serait un sentiment indissociable de son autorisation, même et peut-être surtout quand nous ne la respectons pas car nous pouvons être liés dans la transgression commune de l’interdit, comme le sont Adam et Eve dans la Genèse. Si nous adhérons à cette idée selon laquelle les liens humains ne peuvent aucunement se concevoir ni se réaliser ailleurs que dans un milieu culturel alors cela signifie non seulement qu’aimer n’est pas un sentiment naturel, mais plus généralement que l’idée même d’un rapport ou d’une relation avec nos semblables présuppose inconditionnellement de la régulation, de l’institutionnel, de l’Interdit. Nous n’aimerions notre prochain qu’en étant « autorisés » à le faire ou, au contraire, en violant l’interdiction de ne pas le faire, mais, dans un cas comme dans l’autre, l’effet de polarisation de l’interdit s’imposerait de façon inconditionnelle comme un aimant dont la force magnétique créerait, ainsi qu’un champ d’attraction, le lien humain. 



La notion d’ « Interdit » est particulièrement difficile à définir. Elle se distingue de l’interdiction en tant que substantif parce qu’elle désigne une défense ou une limitation ancienne, fondamentale, peut-être constitutive d’une institution, d’un appareil d’Etat, ou d’attitudes humaines déjà bien établies, culturellement « ancrées ». L’interdiction s’entend dans des contextes que l’on pourrait qualifier de plus provisoires. Dans une situation particulière on peut imposer des interdictions exceptionnelles qui seront levées dés que le contexte aura été dépassé. L’interdit s’adresse à l’homme, l’interdiction au citoyen, voire à l’usager d’un service.

D’une personne étonnée, stupéfaite par un événement ou une révélation, on dit qu’elle reste « interdite ». Cet usage est intéressant dans ce qu’il induit par rapport au temps. Tout interdit impose la durée d’un suspens. On reste interdit au seuil d’une action, dans une forme de sidération impliquant un retrait proche de l’hébétude. On se le tient pour dit, on se maintient dans « l’entre dit » de l’espace paradoxalement ouvert par la défense de l’acte que l’on nous a interdit, comme si nous réalisions qu’il existe une autre façon d’être que « l’agir » par rapport à l’acte interdit.
Ainsi, par exemple, le commandement « tu ne commettras pas de meurtre » nous enjoint d’aborder le fait de tuer par une autre voie que celle du passage à l’acte. Mais lequel ? Ne s’agirait-il pas de celle de la réflexion ? Interdit, on est comme tétanisé par l’éclair d’un temps qui, « contre toute attente » (au sens propre : c’est une attente imposée, fixée de façon impérative et brutale – On pourrait dire que c’est une situation d’attente à laquelle on ne s’attendait pas), nous situe d’autorité devant un acte que l’on considère d’autant plus objectivement que nous n’avons pas commencé à nous immiscer dans son « processus ». C’est comme si l’interdit fondamental du meurtre était ainsi « sous-titré » : « Le meurtre : tu y penseras, tu le considéreras, tu y réfléchiras, peut-être plus et mieux qu’aucune autre chose, parce qu’il t’est expressément demandé de demeurer au seuil de cette action là. L’interdit crée ainsi un champ de polarisation entre le sujet et l’objet de l’interdit. Dans le champ d’attraction du meurtre, du vol, de l’adultère, du mensonge, de l’adoration des autres divinités à jamais tu resteras. Les tables de la loi confiées par l’Eternel à Moïse, dans la Bible, dessinent finalement les cartes magnétiques de tous nos sujets d’attraction coupables, de toutes les futures aventures des fantasmes illicites et cachés de l’humanité, tout ce que la plupart d’entre nous allons rêver d’accomplir en nous abstenant de le faire, tout ce à quoi nous allons réfléchir notre vie durant, parce qu’ « y réfléchir », c’est exactement la zone décrite par l’Interdit, la modalité d’approche circonscrite par l’impératif de défense. Interdire, c’est donc étymologiquement et peut-être fondamentalement instaurer entre le sujet et l’objet de l’interdit l’interstice du « Dit », de la même façon que l’intéressement désigne le fait d’installer entre le sujet et l’objet auquel on s’intéresse l’interstice de l’Etre (inter esse (être, en latin)).

Cette corrélation entre l’instant de suspension et de stupeur de la personne « interdite » (dans tous les sens du terme : étonnée et aussi celle à laquelle on a interdit quelque chose) et le temps de réflexion ouvert par l’espace ainsi créé entre le sujet et l’acte interdit est indiscutable. Il suffit de penser, pour s’en convaincre à la période à partir de laquelle les parents commencent à imposer des interdits à leur enfant. Dans un premier temps, ils l’empêchent de faire des actions qui pourraient créer des dommages à lui aussi bien qu’aux autres et puis vient le temps de l’interdiction qui correspond à celui à partir duquel l’enfant est considéré comme une conscience, comme une personne suffisamment autonome et raisonnée pour maîtriser ses actions.
L’interdit crée l’espace de la pensée, du langage, de la formulation : « tu es maintenant assez mûr pour que nos relations se situent à un tout autre niveau que celui, physique, d’une pure mise en présence des corps (empêchement), soit celui de la régulation des comportements et des attitudes par des symboles (interdit), celui de la mise en demeure réflexive d’une pensée à l’égard d’un acte. Nous voyons peu à peu se dessiner un espace fondamental et plus déterminant que nous le pensions peut-être au départ, espace limitrophe situé entre deux zones pareillement exclusives : l’inconcevable (on peut concevoir le meurtre) et le passage à l’acte (l'action est neutralisée par sa mention). L’interdit c’est de l’action suspendue parce que réfléchie. Se voir interdit de tuer, c’est par là même se retrouver pris dans ce piège qu’est l’obsession du meurtre et nier cette dernière observation ne manquerait pas d’être ironique dés lors que nous pensons aux thèmes récurrents mis en scène à la télévision ou au cinéma. Quiconque passe toutes ses soirées devant la télévision assiste à plus d’une cinquantaine de scènes de crimes en une semaine.


Ce qu’il faut retenir pour la dissertation (CQFRD) :
Quoi de plus premier, évident, « donné » que cette inclination des êtres humains à se rassembler dans un cadre social, familial, affectif ? « L‘homme, dit Aristote, est un animal politique (polis: cité)», c’est-à-dire que nous sommes voués selon lui à éviter naturellement, fondamentalement la vie solitaire. Le loup vit en meute, la fourmi en colonie et l’être humain en société. Pour autant cette vie collective, sous toutes ses formes est cadrée, régulée voire « hantée » par des règles, des lois, des commandements, des tabous. Nous pouvons aimer les membres de notre famille mais seulement dans les limites excluant des relations incestueuses (prohibition de l’inceste). C’est comme si un certain type de lien (autorisé) ne pouvait se réaliser qu’à partir de l’interdiction d’un autre, comme si cette efficience du rapport humain que nous avons tendance à considérer comme spontanée, première, positive reposait en fait, après analyse, sur une négativité originelle, fondatrice : l’Interdit. Les relations humaines sont-elles naturellement données ou culturellement construites ? N’existent-ils que des rapports humains « autorisés », validés par une autorité religieuse, morale, politique ou sociale, laquelle se réserverait le droit d’interdire les relations jugées incorrectes ? Ne peut-on concevoir d’interactions humaines qu’à l’intérieur d’une dimension régulée par l’imposition fondatrice de l’interdit ?

La notion d’Interdit est toute à la fois difficile et fascinante à définir. L’interdit se distingue de l’interdiction en ceci qu’il est fondateur, essentiel, voire immuable, à l’opposé des interdictions qui peuvent n’être que provisoires, soumises aux circonstances exceptionnelles du moment. Peut-être la meilleure piste à suivre pour saisir le sens profond de ce terme réside-t-elle dans son sens le plus détourné. Lorsque nous sommes étonnés devant une réalité qui nous choque, nous demeurons « interdits », tétanisés, incapables d’agir, comme si l’événement nous imposait par son énormité une approche autre que l’action ou la réaction. On reste là, les bras ballants, à la limite extérieure de l’action. La personne qui nous interdit quelque chose instaure de fait une relation entre nous et cette chose. Elle crée un effet de polarisation en posant, comme « diktat », la nature infranchissable de l’espace ainsi créé. Cette abstention nous est signifiée, elle ne nous est pas physiquement opposée. Cela veut dire qu’elle implique en moi non seulement une compréhension de l’avertissement mais aussi une aptitude à me le tenir pour « dit ». Interdire, c’est neutraliser de l’action par de la diction, créer, par des mots d’ordre, des espaces d’abstention entre les êtres humains dans lesquels les mots parlés ou écrits ont des effets de la même façon que telle formule du magicien ou du sorcier suffit à faire apparaître ou disparaître une colombe. 

Dans un Interdit, il y a son contenu, c’est-à-dire, ce qu’il interdit, et sa forme, ce que nous pourrions appeler sa « consistance », sa façon d’être. Or, c’est peut-être ce second aspect qui est le plus important pour le sujet. Peut-on dire de l’interdit qu’il est le fait culturel humain originel et fondamental, celui-là même à partir duquel un « phénomène humain » prend forme, amplitude et pérennité. Ne serait-ce pas le propre de l’homme que de s’associer exclusivement dans le cadre de ces interstices de neutralisation de ses actions par de la diction ? Se pourrait-il que le préfixe « inter » ne désigne pas seulement cet entre-deux créé par un rapport d’abstention provoqué par un énoncé mais aussi la dimension des relations entre les hommes, comme si l’inter-humain ne pouvait tisser la toile de ses inter-actions hors de cet espace ouvert et régulé par des inter-dictions ?

lundi 17 octobre 2016

"Ne sommes-nous liés que par de l'Interdit?"- Travail en groupes sur plusieurs textes utiles


A chacun des groupes désignés, excepté celui qui est chargé de veiller au bon déroulement de la séance, de poser des questions et d’évaluer l’apport du groupe par rapport au sujet de la dissertation, il revient de situer rapidement l’œuvre et l’auteur du passage, d’expliquer précisément la totalité du texte en le rendant clair et compréhensible pour vos camarades et de le mettre en perspective par rapport à la question : « Ne sommes-nous liés que par de l’Interdit ? » (En quoi est-il utilisable dans le traitement du sujet ?). Chaque groupe disposera, lors de sa prestation devant la classe, de quinze minutes. Il a la possibilité d’utiliser tous les supports qui sont à sa disposition afin d’illustrer son explication et de faire participer la classe s’il le juge nécessaire.

Texte 1 extrait de la Bible

« Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs, que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : Dieu a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?  La femme répondit au serpent : Nous mangeons du fruit des arbres du jardin.  Mais quant au fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n'en mangerez point et vous n'y toucherez point, de peur que vous ne mouriez.  Alors le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez point ;  mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.  La femme vit que l'arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu'il était précieux pour ouvrir l'intelligence ; elle prit de son fruit, et en mangea ; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d'elle, et il en mangea.  Les yeux de l'un et de l'autre s'ouvrirent, ils connurent qu'ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s'en firent des ceintures.  Alors ils entendirent la voix du Seigneur Dieu, qui parcourait le jardin vers le soir, et l'homme et sa femme se cachèrent loin de la face du Seigneur Dieu, au milieu des arbres du jardin.  Mais le Seigneur Dieu appela l'homme, et lui dit : Où es-tu ?  Il répondit : J'ai entendu ta voix dans le jardin, et j'ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché.  Et le Seigneur Dieu dit : Qui t'a appris que tu es nu ? Est-ce que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger ?  L'homme répondit : La femme que tu as mise auprès de moi m'a donné de l'arbre, et j'en ai mangé.  Et le Seigneur Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : Le serpent m'a séduite, et j'en ai mangé.  Le Seigneur Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie.  Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité : celle-ci t'écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon.  Il dit à la femme : J'augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi.  Il dit à l'homme : Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé de l'arbre au sujet duquel je t'avais donné cet ordre : Tu n'en mangeras point! Le sol sera maudit à cause de toi. C'est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie, il te produira des épines et des ronces, et tu mangeras de l'herbe des champs.  C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. »
                                                                 La Genèse – La Bible

Texte 2  extrait de « La Bible »

1                    - Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi.
2                    - Tu ne te feras pas d’idole représentant quoi que ce soit de ce qui se trouve en haut dans le ciel, en bas sur la terre ou dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras pas devant de telles idoles et tu ne leur rendras pas de culte, car moi, l’Eternel, je suis un Dieu qui ne tolère aucun rival : je punis les fils pour la faute de leur père jusqu’à la troisième et même la quatrième génération de ceux qui me haïssent, mais j’agis avec amour, jusqu’à la millième génération, envers ceux qui m’aiment et qui obéissent à mes commandements.
3                    - Tu n’utiliseras pas le nom de l’Eternel ton Dieu pour tromper, car l’Eternel ne laisse pas impuni celui qui utilise son nom pour tromper.
4                    - Observe le jour du sabbat et fais-en un jour consacré à l’Eternel, comme l’Eternel ton Dieu te l’a commandé. Tu travailleras pendant six jours et tu feras tout ce que tu as à faire. Mais le septième jour est le jour du repos consacré à l’Eternel ton Dieu ; tu ne feras aucun travail ce jour-là, ni ton ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne, ni tout ton bétail, ni l’étranger qui réside chez toi. Tu te souviendras que tu as été esclave en Egypte et que l’Eternel ton Dieu t’a demandé d’observer le jour du sabbat.
5                    - Honore ton père et ta mère, comme l’Eternel ton Dieu te l’a ordonné, afin de jouir d’une longue vie et de vivre heureux dans le pays que l’Eternel ton Dieu te donne.
6                    - Tu ne commettras pas de meurtre.
7                    - Tu ne commettras pas d’adultère.
8                    - Tu ne commettras pas de vol.
9                    - Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.
10                 - Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain. Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain, ni son champ, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien de ce qui lui appartient.

Texte 3 de Hobbes (1588 – 1679) extrait de « Léviathan »
« Le seul moyen d’établir pareille puissance commune, capable de défendre les humains contre les invasions des étrangers et les préjudices commis aux uns par les autres et, ainsi, les protéger de telle sorte que, par leur industrie propre et les fruits de la terre, ils puissent se suffire à eux-mêmes et vivre satisfaits, est de rassembler toute leur puissance et toute leur force sur un homme ou sur une assemblée d’hommes qui peut, à la majorité des voix, ramener toutes leurs volontés à une seule volonté ; ce qui revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée d’hommes, pour porter leur personne ; et chacun fait sienne et reconnaît être lui-même l’auteur de toute action accomplie ou causée par celui qui porte leur personne, et relevant de ces choses qui concernent la paix commune et la sécurité ; par là même, tous et chacun d’eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C’est plus que le consentement ou la concorde ; il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, faite par convention de chacun avec chacun, de telle manière que c’est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j’autorise cet homme ou cette assemblée d’hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude ainsi unie en une personne une, est appelée un ÉTAT, en latin CIVITAS.
 Telle est la génération de ce grand LÉVIATHAN, ou plutôt (pour parler avec plus de déférence) de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le dieu immortel, notre paix et notre défense. En effet, en vertu du pouvoir conféré par chaque individu dans l’État, il dispose de tant de puissance et de force assemblées en lui que, par la terreur qu’elles inspirent, il peut conformer la volonté de tous en vue de la paix à l’intérieur et de l’entraide face aux ennemis de l’étranger. En lui réside l’essence de l’État qui est (pour le définir) une personne une dont les actions ont pour auteur, à la suite de conventions mutuelles passées entre eux-mêmes, chacun des membres d’une grande multitude, afin que celui qui est cette personne puisse utiliser la force et les moyens de tous comme il l’estimera convenir à leur paix et à leur défense commune. Celui qui est dépositaire de cette personne est appelé SOUVERAIN et l’on dit qu’il a la puissance souveraine ; en dehors de lui, tout un chacun est son SUJET. »

Texte 4 de Rousseau (1712 – 1778)  extrait de « discours sur l’origine et les fondements  de l’inégalité parmi les hommes »
« La pitié est un sentiment naturel qui, modérant dans chaque individu l’activité de l’amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir ; c’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de lois, de mœurs et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à sa douce voix ; c’est elle qui détournera tout sauvage robuste d’enlever à un faible enfant, ou à un vieillard infirme, sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs ; c’est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée : Fais à autrui comme tu veux qu’on te fasse, inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle bien moins parfaite, mais plus utile peut-être que la précédente : Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible. C’est, en un mot, dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments subtils, qu’il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire, même indépendamment des maximes de l’éducation. »
  Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755.

Texte 5 extrait de « idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique » de Kant (1724 – 1804)
J'entends [...] par antagonisme l'insociable sociabilité des hommes, c'est-à-dire leur inclination à entrer en société, inclination qui est cependant doublée d'une répulsion générale à le faire, menaçant constamment de désagréger cette société. L'homme a un penchant à s'associer, car dans un tel état, il se sent plus qu'homme par le développement de ses dispositions naturelles. Mais il manifeste aussi une grande propension à se détacher (s'isoler), car il trouve en même temps en lui le caractère d'insociabilité qui le pousse à vouloir tout diriger dans son sens ; et de ce fait, il s'attend à rencontrer des résistances de tout côté, de même qu'il se sait par lui-même enclin à résister aux autres. C'est cette résistance qui éveille toutes les forces de l'homme, le porte à surmonter son inclination à la paresse, et, sous l'impulsion de l'ambition, de l'instinct de domination ou de cupidité, à se frayer une place parmi ses compagnons qu'il supporte de mauvais gré, mais dont il ne peut se passer.
L'homme a alors parcouru les premiers pas, qui de la grossièreté le mènent à la culture dont le fondement véritable est la valeur sociale de l'homme. [...] Sans ces qualités d'insociabilité, peu sympathiques certes par elles-mêmes, source de la résistance que chacun doit nécessairement rencontrer à ses prétentions égoïstes, tous les talents resteraient à jamais enfouis en germe, au milieu d'une existence de bergers d'Arcadie, dans une concorde, une satisfaction et un amour mutuel parfaits ; les hommes, doux comme les agneaux qu'ils font paître, ne donneraient à l'existence guère plus de valeur que n'en a leur troupeau domestique. [...] Remercions donc la nature pour cette humeur non conciliante, pour la vanité rivalisant dans l'envie, pour l'appétit insatiable de possession ou même de domination. Sans cela toutes les dispositions naturelles excellentes de l'humanité seraient étouffées dans un éternel sommeil.
         Kant - Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique

Texte 6 extrait du livre : « les structures élémentaires de la parenté » de Claude Lévi-Strauss (1908 – 2009)

« La prohibition de l'inceste n'est, ni purement d'origine culturelle, ni purement d'origine naturelle; et elle n'est pas, non plus, un dosage d'éléments composites empruntés partiellement à la nature et partiellement à la culture. Elle constitue la démarche fondamentale grâce à laquelle, par laquelle, mais surtout en laquelle, s'accomplit le passage de la nature à la culture. En un sens, elle appartient à la nature, car elle est une condition générale de la culture, et par conséquent il ne faut pas s'étonner de la voir tenir de la nature son caractère formel, c'est-à-dire l'universalité. Mais en un sens aussi, elle est déjà la culture, agissant et imposant sa règle au sein de phénomènes qui ne dépendent point, d'abord d'elle. Nous avons été amené à poser le problème de l'inceste à propos de la relation entre l'existence biologique et l'existence sociale de l'homme, et nous avons constaté aussitôt que la prohibition ne relève exactement, ni de l'une, ni de l'autre. Nous nous proposons, dans ce travail, de fournir la solution de cette anomalie, en montrant que la prohibition de l'inceste constitue précisément le lien qui les unit l'une à l'autre.
Mais cette union n'est ni statique ni arbitraire et, au moment où elle s'établit, la situation totale s'en trouve complètement modifiée. En effet, c'est moins une union qu'une transformation ou un passage : avant elle, la culture n'est pas encore donnée; avec elle, la nature cesse d'exister, chez l'homme, comme un règne souverain. La prohibition de l'inceste est le processus par lequel la nature se dépasse elle-même; elle allume l'étincelle sous l'action de laquelle une structure d'un nouveau type, et plus complexe, se forme, et se superpose, en les intégrant, aux structures plus simples de la vie psychique, comme ces dernières se superposent, en les intégrant, aux structures, plus simples qu'elles-mêmes, de la vie animale. Elle opère, et par elle-même constitue, l'avènement d'un ordre nouveau.
                Claude LEVI-STRAUSS Les Structures élémentaires de la Parenté, éd. Mouton, pp. 28-29

Texte 7 extrait du site « Mythologia » sur le complexe d’Oedipe
Le mythe d'Œdipe :
Fils de Laïos, du roi de Thèbes, Oedipe a été condamné par l'oracle à tuer son père et épouser sa mère. Le sachant, son père l'abandonne à la naissance et il est recueilli par le roi de Corinthe. Plus tard, il apprend l'oracle à Delphes et fuit ceux qu'il croit être ses parents. Au hasard des chemins, comme l'oracle l'avait prédit, il tue un inconnu rencontré à un carrefour : son père Laïos. Arrivé à Thèbes, il résout avec succès une énigme du Sphinx qui dévorait tous ceux qui ne savaient pas répondre aux énigmes qu'il posait. En voyant Œdipe le sphinx lui demanda " quel était l'animal à quatre pattes le matin, à deux à midi et à trois le soir ? ". Œdipe répondit aussitôt " l'homme " qui petit enfant marchait à quatre pattes, adulte sur ses deux jambes et vieillard en s'appuyant sur une cane. Vaincu, le sphinx se précipita d'une falaise et mourut. En récompense, Oedipe épouse la veuve reine de Thèbes qui, sans qu'il le sache, est en fait Jocaste, sa mère. Il prend ainsi la place de son père et devient roi de Thèbes. Quelques temps après, la peste s'abat sur la ville, ce qui pousse Œdipe à mener une enquête pour savoir quel criminel a déclenché la colère des dieux. Mais quand il découvre qu'il est la cause de tout cela, la vérité est trop dure à entendre : il se crève les yeux tandis que Jocaste se suicide. Chassé par ses fils, il reprend alors le chemin de l'exil avec sa fille Antigone.
Cette triste destinée fait d'Œdipe l'un des plus célèbres personnages de la mythologie grecque et l'un des piliers de la psychanalyse car son histoire à été reprise et interprétée par Freud et ses successeurs.
Le complexe d'Œdipe :
Freud a très tôt posé la base théorique du complexe d'Œdipe : attirance, chez l'enfant, pour le parent de l'autre sexe et hostilité pour le parent du même sexe. C'est une idée qui lui est venue lors d'une auto-analyse. Au départ, il donna pour nom à ce principe : " complexe nucléaire " ou " complexe maternel ". Ce n'est qu'en 1910, dans son texte intitulé Contribution à la psychologie de la vie amoureuse qu'apparaît le terme " complexe d'Œdipe ".
" Le roi Œdipe, qui a tué son père, Laïos, et épousé sa mère, Jocaste n'est que l'accomplissement du désir de notre enfance " explique Freud dans L'Interprétation des rêves.  Face à la prohibition de l'inceste, la pensée seule de l'accomplissement de ce désir nous fait horreur. C'est pourquoi l'homme a choisi de refouler ce désir inconscient : " chaque auditeur fut, un jour, en germe, en imagination, un Œdipe et s'épouvante devant la réalisation de son rêve transposé dans la réalité, il frémit suivant toute la mesure du refoulement qui sépare son état infantile de son état actuel " (La naissance de la psychanalyse, PUF, p. 198)
                                   Site : « Mythologia » (http://c2m.free.fr/index.htm)

Texte 8 extrait de « Ethique et Infini » d’Emmanuel Lévinas (1906 – 1995)
« Je pense que l’accès au visage est d’emblée éthique. C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut être dominée par la perception mais ce qui est spécifiquement visage, c’est ce qui ne s’y réduit pas.
Il y a d’abord la droiture même du visage, son exposition droite, sans défense. La peau du visage est celle qui reste la plus nue, la plus dénuée. La plus nue bien que d’une nudité décente. La plus dénuée aussi : il y a dans le visage une pauvreté essentielle ; la preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps le visage est ce qui nous interdit de tuer.
Le visage est signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu’Autrui dans la rectitude de son visage, n’est pas un personnage dans un contexte. D’ordinaire, on est un « personnage » : on est professeur à la Sorbonne, vice-président du conseil d’Etat, fils d’Un tel, tout ce qui est dans le passeport, la manière de se vêtir, de se présenter. Et toute signification, au sens habituel du terme est relative à un tel contexte : le sens de quelque chose tient dans sa relation à autre chose. Ici, au contraire, le visage est sens à lui seul. Toi, c’est toi.