mercredi 25 octobre 2023

Spé HLP : Scènes de théâtre à écrire, mettre en scène et jouer


Voici 15 propositions de scènes à écrire et à jouer pour le 12/12. Vous pouvez choisir celle que vous préférez mais il faut absolument en sélectionner une. Ce n'est pas un exercice facultatif. Les groupes peuvent se constituer avec 3 personnes au maximum et tout le monde doit jouer. Nous organiserons peut-être une séance en cours notamment pour déterminer les groupes, mais le plus gros du travail se fera entre vous, chez vous. Si vous avez une idée de scène que vous tenez à jouer, proposez la moi préalablement. 

N'hésitez pas à me poser des questions si c'est nécessaire sur mon adresse mail.

Bonnes vacances à vous


  1. En proie à une passion romantique, le personnage principal essaie d’expliquer à deux ami .es qu’il éprouve une sorte d’impasse sentimentale avec son ou sa partenaire, puisque ce qu’elle ou il veut, ce n’est pas vraiment une vie future commune. Les deux autres personnages essaient sans succès de comprendre.
  2. Un couple animé d’un sentiment amoureux romantique et mutuel se heurte au problème de l’expression de leur passion par les mots
  3. Entretiens avec un vampire: il s’agit de montrer que le vampire est moins le héros d’un film d’horreur qu’un personnage romantique (Dracula de Francis Ford Coppola)
  4. Romantisme et société de consommation: déclarer sa flamme romantique dans un hypermarché
  5. Imaginer toutes les variables possibles de l’histoire d’Orphée à la recherche d’Eurydice dans les Enfers. Tout peut être envisagé ici à condition d’être en rapport avec le mythe
  6. Obligée de tourner une scène dont elle n’apprécie  ni la situation ni le cadrage, ni le script, ni rien, en fait, une actrice essaie de convertir un metteur en scène récalcitrant au « female gaze »
  7. Choisissez une scène de « portrait de la jeune fille en feu » et mettez en scène son tournage de façon à ce que l’intention de la réalisatrice Céline Sciamma apparaisse clairement.
  8. Une conversation amicale entre deux personnes devient progressivement une déclaration d‘amour au fil de la révélation d’une attirance commune pour le romantisme. Un troisième personnage (pas romantique du tout) assiste à cette évolution sans rien y comprendre.
  9. Une personne avoue à une autre, rencontrée par hasard, la passion romantique qu’il ou elle a éprouvée pour lui 10 ou 20 ans plus tôt.
  10. Une personne très terre à terre décrit tous les inconvénients d’être aimée par une personne romantique 
  11. Deux routiers musclés, dans la cafétéria d’une aire d’autoroute échangent sur des livres ou sur des films romantiques qu’ils ont adorés et qui ont été réalisés par des femmes.
  12. Jouer un débat entre Eric Zemmour et Céline Sciamma, la réalisatrice de « portrait de la jeune fille en feu,  animé par Cyril Hanouna (euh…Tout peut arriver!) 
  13. Dans un asile psychiatrique, une ou une thérapeute finit par tomber amoureuse d’une ou d’un patient interné pour « romantisme aggravé ».
  14.  Un personnage romantique essaie d’expliquer le panthéisme de la nature à un chasseur qui frappe son chien.
  15.  Jouer la scène du balcon entre Juliette et Roméo en poussant jusqu’à l’absurde  (absurde comique ou tragique) la possibilité d’aimer quelqu’un sans son nom


Spé HLP : Ecriture libre (le romantisme)

 Voici le travail facultatif d'écriture libre. Il sera noté et comptera dans votre moyenne trimestrielle si elle s'en trouve augmentée. Si vous souhaitez travailler sur une autre situation, envoyez moi votre proposition à mon adresse mail.

Décrire une passion amoureuse romantique qui va naître et se développer par l’échange de lettres, de petits mots, de mails, de messages sur les réseaux sociaux,  ou de textos. Vous êtes entièrement libre de choisir le contexte, la situation, les personnages, les intrigues qui vont se cristalliser autour de cette correspondance. L’essentiel est de charger les mots écrits et adressés d’une densité affective et passionnelle extrêmement forte.




EMC Terminale 3 - Faut-il supprimer les notes? de Diane Kalinski



 6 ans. 

J’ai 6 ans à peine et je viens de découvrir la classe de CP de Mme Foufé à l’école Jules Ferry de Saint Parres aux Tertres. On est mercredi et mamie vient me chercher à midi. Elle me tend les bras « alors ma poussinette, ça se passe bien l’école ? ». 

Je m’apprête à lui raconter le jeu du loup, les superbes tresses à 3 brins de Margot et Erwan qui pue des pieds quand il met ses chaussons… mais mamie ne m’en laisse pas le temps, elle embraye : « tu as eu de bonnes notes ? »

J’ai compris ce jour-là que la note est à l’élève ce que le salaire est à l’ouvrier. D’ailleurs ne dit-on pas bulletin de notes comme bulletin de salaire ?

A ceux qui les remettent en cause, l’institution affirme son credo : Les notes sont un instrument d'évaluation. C’est simple, mathématique, impartial et incontournable.

L’avez-vous remarqué mes amis ? Qu’il adopte une posture motivante ou menaçante, chacun de nos 7 professeurs au sein de ce prestigieux lycée nous a accueilli en cette rentrée 2023 par sa petite injonction du genre « on vise le 18 » , « votre moyenne sera décisive sur ParcourSup » ou encore « Vous savez quel est le coefficient de la matière au bac ? ».

L’enseignant est pardonnable, il est moulé à la louche de l’égalité républicaine et lui, quand il prend sa température, ce n’est pas au niveau rectale mais rectorale.

Sauf qu’égalité n’est pas synonyme d’équité et que les exercices les plus standardisés et les barèmes les plus pointilleux ne mesurent pas les acquis comme le thermomètre mesure la température (la frontale, ça marche aussi).

Le simple fait qu'un travail soit noté ou pas a un impact fondamental sur notre motivation d’ados sensibles. 

Ajoutons que certains professeurs ne rougissent pas des mauvais résultats de leurs élèves et entretiennent leur notoriété d’être un enseignant qui tire ses élèves vers le haut par des exigences himalayesques.  Pour eux le message est “ Vous avez eu 05/20 à votre contrôle parce votre niveau est insuffisant ou parce que vous avez révisé sans chercher à approfondir. Heureusement, je suis là et je vais vous apprendre à vous dépasser pour mieux affronter la vraie vie”.

J’entends déjà l’implacable rhétorique de l’enseignant vieille école: « Allons donc jeunes gens, c’est du mérite scolaire qu’il s’agit et il est capital d’assurer l’impartialité de l’évaluation. Sans notes fiables, objectives, certifiées par l’institution, un diplômé ne vaut rien. » …. Oubliant au passage d’ajouter que sans diplôme, nos élites auraient, pour la plupart, bien du mal à justifier leur position.


L’attachement à la note chiffrée tient dans notre pays à des vertus pédagogiques sacralisées par la tradition. On nous l’a bien expliqué, les notes sont là pour nous aider à progresser, Elles nous permettent d'avoir des repères sur ce que nous savons faire ou non.

Cette défense de la tradition de la note soulève en fait 2 questions : 

La première question est d’ordre pédagogique : Contrairement à une opinion largement répandue, les pratiques ordinaires de notation exercent des effets globalement négatifs sur les apprentissages et sur les inégalités sociales de réussite. C’est scientifiquement démontré !

La seconde question est de type historique. Notre fameuse note sur 20 tricolore n’a pas toujours existé. D’autres pratiques d’évaluation ont précédé. 

Alors quelles dynamiques sont à l’origine de l’invention de la note ? En quoi éclairent-elles les polémiques sur les pratiques d’évaluation des élèves et plus particulièrement l’opposition récurrente entre l’évaluation chiffrée et l’évaluation par compétences ?

Si…allons, l’évaluation par compétences…. Ça ne vous dit rien ?

Vous savez bien, sur Pronote ; Certains l’ont expérimenté au collège. Une liste longue comme le bras de compétences détaillées et concrètes qui forme pour nous, jeunes français notre « socle commun de connaissances, de compétences et de culture ».

Au bout de chaque ligne, un petit point vert, jaune ou rouge pour situer le degré de maitrise de l’élève. « vert c’est acquis » . Rien à voir avec un 20 sur 20. C’est acquis. On sait faire. C’est tout. A-CQUIS !


Qui parmi vu a déjà entendu sa mère ou son père lui demander « Alors Jeremy, comment tu te situes sur la compétence  « Reconnaître, nommer et décrire les figures planes et les solides usuels » ? 

Pour nos pauvres parents de la génération eighties élevés au biberon du matérialisme et de course à la réussite, c’est quand même plus simple de demander « t’as eu combien en géométrie ? »

Les petits points verts et rouges ont du mal à faire recette…

En 2013, l’Inspection générale indiquait je cite que « le Livret Personnel de Compétences (le LPC) était vécu par les enseignants comme une forme de gadget et de lubie institutionnelle ». 

Dans les fait il a souvent été adopté par les professeurs pour la forme…. Mais quasiment tous ont continué à utiliser les fameuses notes comme seul véritable système d’évaluation …  par habitude et réticence face à la nouveauté.

 Au final, le ministre de l’Éducation nationale a considéré que le Livret de compétences  était un « casse-tête stérile » et annoncé sa simplification.

Evaluer des compétences demande au professeur d’apprécier finement l’évolution de chaque élève. C’est un travail long et exigeant mais qui à la fin propose un tableau nuancé et évolutif d’un jeune en devenir.  Tout l’inverse de la note sanctionnante et définitive.

On pourrait dire que le livret de compétence est à la note ce que le portrait est au smiley.



Mais bon…. exit les compétences…  reste la note. Celle qu’on rapporte à la maison comme on rapporte un salaire alors que nous savons, nous, que notre vraie motivation est liée au plaisir de la réussite et pas à un 18/20… et que l’un des facteurs de cette motivation se trouve dans le sens que nous donnons à nos apprentissages.

Alors les notes comme moyen de nous stimuler oui, mais pas seulement.

La pression et la compétition générées par les notes relèvent d’une motivation extrinsèque qui fait naître davantage de stress que d’envie.

Il ne faut pas oublier de donner du sens. C’est pour cela que nos professeurs doivent soigner leurs appréciations. Elles sont essentielles pour compléter l’inévitable note, la préciser et qui plus est, elles s’adressent directement à nous.

Pour conclure, camarades ouvriers de la note, levons nous pour faire valoir nos compétences, oublier la toute-puissance de la note, et demain la sérénité sera le genre lycéen !





dimanche 22 octobre 2023

EMC Terminale 2 - Naître femme: est ce un châtiment? de Faustine Barraux


Depuis le début de la création de l’Homme jusqu’à aujourd’hui, la femme est représentée comme inférieur à l’homme. Eve a été modelé à partir d’une cote d’Adam, elle n’est que l’expansion de l’homme, elle n’est qu’une création secondaire, seulement représenté comme sa compagne, rien d’autre. A cela s’ajoute que, c’est un être sujet a la tentation, à la curiosité transgressive et une tentatrice et fautive de la chute de l’Homme. La conséquence est terrible : compagne seconde et défaillante de l’homme, Eve reçoit la plus grande part des malédictions.

La femme nait dans un monde qui au départ ne lui laisse aucune chance, aucune place. Elle doit dès le début faire ses prouesses pour finalement peut être être accepter.

Un homme vous dira qu’être homme, est plus de responsabilité et même d’avoir une plus grande pression de réussir car selon eux « Les hommes se doivent de réussir leur carrière au dépourvue de ne pas avoir accomplie leur devoir ». Mais être une femme est plus complexe que cela. Quand on est une femme nous devons être intelligente mais pas trop, pour ne pas faire de concurrence aux hommes, nous devons plaire mais modérément car sinon nous sommes des femmes tentées par le plaisir, nous devons être des bonnes mères, des bonnes épouses, une carrière tout cela en ne pas oubliant de se négliger. Vous l’aurez compris en tant que femme il faut constamment sur prouver ses compétences et techniques pour essayer d’avoir une place au sein d’une société d’homme et dirigé par des hommes. 

Nous sommes seules face aux difficultés de la vie, de notre vie de femme, une vie périlleuse ou nous devons se battre pour imposer nos choix, nos désirs et nos envies, pour avoir la vie que l’on souhaite, le métier que l’on souhaite. Il nous faut trouver une force chaque jour pour ne pas se laisser abattre, laisser les stéréotypes nous dicter nos actions et nos pensées. 



Mais finalement qu’est ce qu’un châtiment ? Un châtiment est une punition souvent physique. Or la femme n’est pas punie puisque c’est par hasard que nous sommes homme ou femme, personne n’a condamné notre âme à s’incarner en femme. Ce n’est pas un châtiment puisque ce n’est pas une épreuve physique. Cela ne fait pas mal d’être femme en soi, c’est la société qui violente les femmes et non l’être même de la femme qui lui fait mal. 

Ce n’est pas être femme qui est source de douleur mais c’est d’être traité de manière inégale qui blesse.


Faut-il même regarder les douleurs de l’enfantement comme une punition divine ?

D’abord nous ne sommes pas obligés de croire en Dieu et donc l’idée de punition divine. Ensuite, on peut tirer de la joie de la condition physique de pouvoir enfanter. On devrait être fière et non honteuse de pouvoir donner la vie, quitte à souffrir. Car ce n’est qu’une douleur passagère et donc l’enfantement est sans souffrance véritable, il est un don seulement féminin.

Être une femme c’est une force inépuisable, un flux, une source qui nous maintient.




vendredi 20 octobre 2023

EMC Terminale 2: Qu'y-a-t-il à déplorer de la coupe du monde au Qatar? - Salomé Millot


 

Vendredi 16 décembre 2022, Gianni Infantino, le président de la Fifa, déclare que la coupe du monde de football au Qatar est « la meilleure de tous les temps. » Pour lui, la coupe du monde a été, je cite, « un vrai succès sur tous les fronts ».

« Le vrai succès sur tous les fronts de la coupe du monde au Qatar ». Je crois qu’il n’y a rien de mieux pour nous mettre en jambe que ces belles paroles.

La coupe du monde au Qatar, vous en avez forcément entendu parler. Et peut-être que tout ce que vous y voyiez, c’est la défaite de la France en finale. Mais honnêtement, moi le football c’est pas trop mon truc… - et je pense que ça se voit à la carrure… - alors, je ne viens pas tout à fait vous parler de ça. Je viens plutôt vous parler de tout ce qui est tombé aux oubliettes, dès lors du commencement de ce Mondial 2022.

Qu'y a-t-il à déplorer de la coupe du monde au Qatar ?



Eh bien, tout d’abord, penchons nous sur la simple question de : Pourquoi le Qatar ?
Le Qatar, en 2010 (c’est-à-dire l’année de la prise de décision), est un pays qui ne possède ni les infrastructures, ni la capacité nécessaire pour accueillir une coupe du monde. A cette époque, la Fifa juge d’ailleurs sa candidature à « haut risque », et comme étant la pire de tous les pays candidats. 
Alors quelle fut la surprise quand elle fut admise avec 14 voix en sa faveur sur 22 !

Renversement de situation surprenant dont les sources seront dévoilées quelques années plus tard ; des stratégies de corruption de la part du Qatar, concernant un panel de participant.es assez large : les personnalités publiques, les dirigeants du football, la Fifa, et même tout particulièrement la France ! Avec la signature « d’accords secrets » à l’Elysée sous le mandat de Nicolas Sarkozy, dont je vous passerai les détails.

Bref, voilà une affaire qui fait déjà ses preuves en matière d’honnêteté, hein.

L’ancien président de la Fifa en dira que : « C’est la première fois qu’une intervention politique a changé une grande décision du football ». Retenez bien cette citation car des années plus tard, on entendra Emmanuel Macron affirmer qu’il « ne faut pas politiser le sport ! ».

Alors, il ne faut pas politiser le sport…
… jusqu’à ce qu’il assiste au dernier match en tribune, et qu’il descende sur la pelouse pour réconforter les joueurs face à la défaite. 
Ne pas politiser le sport… jusqu’à la finale ! Bah oui, quand même !
Bon, passons. 

Jupiter sans la foudre

Poursuivons donc sur cette question de l’honnêteté, avec la légende de la « neutralité carbone » du Qatar ; « neutralité carbone » qui consistait à compenser les émissions de CO2 par cette coupe du monde… Un greenwashing absolu. 
En effet, le Mondial 2022 au Qatar, c’est d’abord la construction de sept nouveaux stades dans le désert ; stades à ciel ouvert, et climatisés. Ben oui, il fait chaud dans le désert. Alors il faut trouver des solutions…
Pour avoir un ordre d’idées, d’après une méthode de calcul avantageuse de la Fifa, cela correspondrait à une émission de 206,000 tonnes de CO2 ; d’après une étude objective de l’ONG, l’émission s’élèverait plutôt autour des 1,6 millions de tonnes, soit environ sept fois plus. Bon.

Mais le Mondial 2022 au Qatar, c’est aussi se rendre compte que le Qatar, c’est un petit pays, qui n’a pas la capacité requise pour accueillir plus d’un million de supporters. 
Bon… qu’est-ce qu’on fait du coup ? Eh bien, on met en place des paquebots-hôtels pour pouvoir les loger, terribles sur le plan écologique. Mais un million de supporters, c’est quand même beaucoup, et cette histoire de paquebots-hôtels, ça ne suffit pas. Donc, on s’accorde avec les pays voisins pour que ceux-ci logent les supporters. Et comment se rendent-ils dans ces pays voisins ? Eh bien, grâce à un système de navettes, avec sur plus d’un mois, les vols de 2,000 avions par jour. 

Bref, un bilan carbone alarmant, un désastre environnemental et effectivement, bravo, un record battu. « Un vrai succès sur tous les fronts ». Et vous n’êtes pas au bout de vos surprises.


Jupiter sans chichi (il est comme ça Jupi!)


Parce que maintenant que le compte est bon, que les plans des stades sont faits, il faut les construire. Et pour cela, il faut du monde. Ce monde-là, le Qatar sait où le trouver ; il fait appel à, sur dix ans, plusieurs centaines de milliers de travailleurs.euses migrant.es, particulièrement d’Asie du Sud. Mais alors que le pays fait affaire de son côté, on se rend rapidement compte qu’on aurait peut-être dû se poser avant la question du droit travail au Qatar (avec le bon espoir que nous nous sentons un tant soit peu concerné.es).

Les conditions de vie de ces exploité.es du Qatar, c’est quoi alors ? 
C’est la privation de leur passeport à leur arrivée pour que le retour chez elleux soit impossible.  Ce sont des dortoirs surpeuplés, sans eau, ni électricité. Ce sont des travaux forcés sous 50 degrés plein soleil sur les chantiers, douze heures par jour, sept jours sur sept.



Alors, vous l’imaginez bien, par extension, ce sont des lésions physiques terribles, et ce sont des décès. On parle, aujourd’hui, d’un bilan inestimable de plusieurs milliers de travailleurs.euses migrant.es décédé.es sur le chantier, dans ces conditions déplorables. 
Après c’est une estimation… par exemple, le Qatar lui en reconnaît 37 ! Ouais, bon, notifions l’effort…

Bref, dans cette allégresse de la coupe du monde, les pauvres crèvent sur la construction d’édifices pour que les milliardaires jouent au ballon dedans. Mais rassurez-vous ! Pour veiller au maintien de ce succès, le Qatar a communiqué quelques règles à respecter très strictement, au risque de finir sept ans derrière les barreaux quand même. Des règles donc, sur la sécurité, contre la criminalit… eh bien non, j’ai mal lu… Alors, reprenons ; si tu es une femme qui vient assister au Mondial, si tu portes un débardeur, une jupe au-dessus du genou, un décolleté ou un vêtement moulant, tu prends sept ans. Idem si tu es un homme homosexuel, et que ça se voit.

Voilà… de quoi se sentir en sécurité, finalement.

On notera tout de même la tentative du port du brassard aux couleurs du drapeau LGBTQ+ par les capitaines de certaines équipes en opposition aux discriminations homophobes du pays, balayée la veille du Mondial par la sanction par un carton jaune de la Fifa. A la probable grande satisfaction d’Hugo Lloris, qui avait d’ores et déjà affirmé qu’il ne le porterait pas personnellement, avec pour argument qu’il faut « respecter la culture du Qatar. » C’est vrai que bon, après tout, les gens amoureux qui se font traquer et emprisonner, c’est déjà pas une priorité dans le monde, alors encore moins dans celui du football. Petite pensée au PSG qui s’est très récemment vu sanctionné par la participation de ses joueurs à des chants homophobes… Enfin, soit. Après tout, les chants homophobes, ça fait partie intégrante du folklore du football. Ca aussi, c’est d’Hugo Lloris. Il en dit du bon, cet Hugo Lloris.



Reprenons. S’ensuivent alors toutes ces années de construction. Et enfin, 2022, la coupe du monde commence ! Fantastique !
Et de façon assez prévisible, pour une question de bonne conscience probablement, on s’octroiera le droit de fermer les yeux sur les points précédents. Parce que c’est finalement la meilleure façon d’esquiver la culpabilité, et de mettre à part la réalité le temps d’un tournoi.

Mais peut-on réellement mettre à part ?
Dans quelle mesure peut-on mettre de côté un tel mépris des droits humains et de la planète au nom du sport ? 

C’est vrai que c’est une question qui, dans cette ambiance festive à laquelle on a eu droit, n’a pas tellement eu lieu de se poser pour tout le monde. Mais la fête étant finie, je pose maintenant la question ; aux gouvernements qui ont validé ce Mondial, et qui ont parfois cédé à la couleur de l’argent. A la Fifa, pour les exactes mêmes raisons. Aux médias, ceux qui ont diffusé l’avancée du tournoi en effaçant le reste, et en manquant à désinformant sur la situation. Et enfin, tout simplement, à toutes celles et ceux que j’ai vu partager l’allégresse de cette coupe du monde en fermant les yeux sur le reste. 

Le propos n’est pas ici de suggérer qu’éteindre sa télévision chez soi aurait pu sauver des vies innocentes, ou encore refroidir la planète. Le propos est qu’il est strictement impossible de célébrer ce Mondial 2022 en le dissociant de tout l’engrenage du massacre capitaliste qui gravite autour.

L’oubli, c’est peut-être finalement ce qu’il y a de plus déplorable dans cette histoire de coupe du monde au Qatar.
Et en fait, c’est à peu près tout ce que l’on peut défendre à notre petite échelle.

Alors retenons. N’oublions pas.

 Jupiter et Mbappé pleurent ensemble les ouvriers migrants décédés sur le chantier


lundi 16 octobre 2023

Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma : la révolution romantique


Introduction

On peut être attiré.e par « Portrait d’une jeune fille en feu » à cause de son romantisme, comme ce fut le cas pour nous. L’idylle de ces deux femmes, en 1770, dans une île bretonne pendant cinq jours est filmée et racontée dans le souci constant (qui ne se dissimule pas)  de décrire les conditions grâce auquel de l’impossible devient possible, sans pour autant sombrer dans l’utopie ni même l’onirisme. Même les deux apparitions fantomatiques d’Héloïse peuvent être interprétées comme des points de repères qui brouillent un peu le déploiement chronologique de l’action parce que précisément, c’est l’un des enjeux de ce film que de construire plan par plan une authentique solution à ces amours interdites, en allant voir du côté de la mythologie, de l’art et de la philosophie, plus particulièrement encore du côté de la substitution à Chronos d’une autre conception du temps comme Aiôn, c’est-à-dire finalement ce que décrit l’histoire du regard d’Orphée.

Le souvenir n’est pas un regret, il est l’affleurement à la surface de notre présent d’une durée qui n’est plus définissable dans les termes d’une succession d’unités disjointes et segmentées (minutes, heures), qui finalement n’est pas vraiment définissable en réalité mais seulement éprouvée comme sensation, sentiment de telle sorte que quelque chose d’une existence purement sentie dans le souvenir se voit validée, adoubée et plus encore que cela « éternisée ». Il n’y a rien à regretter de ce que nous avons vécu intensément parce que de fait cette intensité même fait advenir dans nos vies une autre dimension que celle du passage successif des heures: le mouvement continuel et mêlé des impressions. Si dans leur nature, ces impressions changent d’un individu à l’autre, dans la forme de la trame continue qui les portent elles revêtent une dimension « pure », authentique, et cosmique. Nous communions davantage avec ce grand dehors qu’est l’univers et la vie par la trame de nos sensations et de nos sentiments que par l’exercice de notre raison. 

« Je me souviens »: je fais venir « du dessous » tout un fil continu d’affects et d’impressions sonores, olfactives visuelles, tactiles. Je me révèle à moi-même comme davantage constitué.e de cette texture sensitive que structurant par les catégories de mon entendement et surtout de ma langue  les expériences vécues, lesquelles en l’occurrence sont moins vécues que classifiées, construites, « arrangées » dans tous les sens du terme.

De ce point de vue, Marianne et Héloïse ne font qu’exacerber jusqu’à la fibre la plus vibrante la figure imposée de la situation commanditée de leur rencontre : celle d’un mariage forcé pour l’une et d’un ouvrage payé pour l’autre. Il est donc impératif qu’elles se voient: ici s’exprime l’autorité pure d’une société de conventions, de règles soumises à l’idéal du Nom, de la famille, de la génération et de la transmission patriarcale. Mais voilà qu’apparaît clairement que voir, se voir, c’est déjà trop et que dans ce regard de la peintre au modèle, regard d’abord entièrement gagné à sa mission, tout, mais vraiment TOUT va basculer.

Nous nous proposons dans cet article d’explorer les trois dimensions de ce basculement:

  1. Affective d’abord avec l’amour entre Marianne et Héloïse
  2. Sociale et historique ensuite en insistant sur la sororité qui caractérise ces cinq jours de solidarité féminine improbable en 1770 (soit 20 ans avant la révolution)
  3. Politique enfin par le pari sous-jacent que tente ce film empreint du female gaze (travailler par le cinéma, c’est-à-dire l’oeuvre d’art le regard du 21e siècle)

Dans chacune de ces trois dimensions, le regard d’Orphée et le romantisme composent le rôle de levier à partir duquel s’opère ce basculement. On pourrait même se demander si finalement la définition même de toute révolution, (notamment dans son acception temporelle cyclique, révolution des astres, donc de l’Aiôn) ne serait pas romantique. La sororité décrite dans la communauté de femmes que constitue finalement cette île vient de plus loin  (Antigone) et ira plus loin (female gaze). Et ce n’est même pas là l’expression d’un espoir, c’est l’évidence d’une absolue certitude.





1) le regard d'Orphée


Peut-être serait-il donc logique d’affiner un peu notre compréhension de ce mythe, ou pour le moins, d’en donner une interprétation compatible avec ce rôle fondamental qu’il joue dans le film et par conséquent dans ce basculement.

Or aucune analyse n’a probablement été menée aussi loin que celle de Maurice Blanchot dans on livre « l’espace littéraire »:  « Il (Orphée)veut la voir, non quand elle est visible, mais quand elle est invisible, et non comme l'intimité d'une vie familière, mais comme l'étrangeté de ce qui exclut toute intimité, non pas la faire vivre, mais avoir vivante en elle la plénitude de sa mort.

C'est cela seulement qu'il est venu chercher aux Enfers. Toute la gloire de son oeuvre, toute la puissance de son art et le désir même d'une vie heureuse sous la belle clarté du jour sont sacrifiés à cet unique souci : regarder dans la nuit ce que dissimule la nuit, l'autre nuit, la dissimulation qui apparaît.

Mouvement infiniment problématique, que le jour condamne comme une folie sans justification ou comme l'expiation de la démesure. Pour le jour, la descente aux Enfers, le mouvement vers la vaine profondeur, est déjà démesure. Il est inévitable qu'Orphée passe outre à la loi qui lui interdit de "se retourner", car il l'a violée dès ses premiers pas vers les ombres. Cette remarque nous fait pressentir que , en réalité, Orphée n'a pas cessé d'être tourné vers Eurydice : il l'a vue invisible, il l'a touchée intacte, dans son absence d'ombre, dans cette présence voilée qui ne dissimulait pas son absence, qui était présence de son absence infinie. »

Pour bien comprendre ce passage très difficile dans lequel Blanchot utilise plusieurs oxymores, on peut penser à « Roméo et Juliette », surtout à ce qu’il va leur en coûter de sortir de cette nuit du balcon dans laquelle, pleinement lucides, ils réalisent qu’ils ne s’aimeront finalement jamais mieux ni plus que « là » dans cette acmé nocturne au sein de laquelle Roméo est une voix sans visage et sans nom et Juliette une folle qui fait de la philosophie à voix haute à l’adresse d’un inconnu dans son jardin. Imaginons une seconde version dans laquelle les deux amants auraient exactement tout ce que la pièce va développer comme intrigues et comme drame et qui finalement décideraient de faire tenir la totalité de la pièce là, dans ce moment où ils s’avouent un amour total fondé sur la renonciation à tout ce qui les définit socialement, humainement. Aimons-nous sans nos noms, sans les noms de nos pères, sans les traits génétiques de notre ascendance, aimons nous anonymement dans l’acuité de ce paradoxe au fil duquel Roméo ne peut absolument pas en aimer une autre que Juliette alors que précisément c’’est en-deçà de leur noms qu’ils ne peuvent vraiment vivre leur amour. 


C’est quoi: « ce que dissimule la nuit, l’autre nuit, la dissimulation qui apparaît »? C’est ce qu’Orphée regarde en se retournant vers Eurydice « en-deçà de son nom », c’est la vérité la plus donnée et la plus première de tout individu, à savoir ce flux infini, confondu de ces états d’âme par la trame de laquelle chacune et chacun correspond avec le mouvement de tout ce qui est, mouvement même de « ce que c’est qu’être », cycle révolutionnaire et cyclique au rythme duquel rien, mais vraiment rien ne peut se soustraire pas même la mort, pas même les morts. Bref c’est l’Aiôn. Ni Roméo, ni Juliette n’ont exprimé d’état plus lucide que celui-ci à ce moment là, moment où ils se pressentent plus qu’ils ne se voient, moment où ils se prémunissent avec beaucoup de clairvoyance de toutes les impasses, où ils triomphent de tous les obstacles à l’efficience d’un amour qui comme toutes celles qui sont authentiques ne peut vraiment voir le jour que dans la nuit (parce que nous n’aimons pas les qualités visibles de nos maîtresses et de nos amants mais leurs obscurités, leur eccéités indicibles et invisibles).

« Il l’a vue invisible, il l’a touchée intacte dans cette présence voilée qui ne dissimulait pas son absence, qui était présence de son absence infinie ».  Appliquons exactement les termes de cette phrase que l’on pourrait considérer comme absurde tant les contradictions y sont nombreuses à la scène dans laquelle Marianne nue se peint elle-même dans le miroir posé sur le corps d’Héloïse. Ce serait un peu comme si Orphée s’adressait à lui-même le chant qu’il était censé jouer pour Eurydice et lui en offrait le souvenir sonore, dans les échos de cet enfer dans lequel il résonnerait alors à perpétuité. Celle ou celui qui était le regardeur attitré se regarde dans le reflet d’une projection qui émane du sexe de l’autre.  C’est comme si l’œuvre d’art en se dessinant là, maintenant, dans le rayon de ce reflet  donnait littéralement au contexte amoureux de ce vis-à-vis des corps physiques un autre grain de peau, une autre chair que celle de  l’imminence érotique de la sexualité, à savoir celle du souvenir éternel.  Comment peut-on voir  de son vivant  ce qui est invisible dans le séjour des ombres et de la nuit? C’est le même problème que celui qui se pose à Marianne et Héloïse: comment peut-on à l’avance se souvenir de ce qu’on ne vivra plus? La réponse à la première question, celle d’Orphée est simple: « en se retournant » et celle de Marianne l’est tout autant: en le dessinant. Il suffit que le regard fasse œuvre et que l’œuvre soit regard.



Or cela, cette dernière assimilation du regard à l’œuvre et de l’oeuvre au regard, c’est ce qu’Oscar Wilde fera remarquer dans un passage célèbre de son livre « le déclin du mensonge: « On ne voit quelque chose que si l’on en voit la beauté. Alors, et alors seulement, elle vient à l’existence. A présent, les gens voient des brouillards, non parce qu’il y en a, mais parce que des poètes et des peintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ces effets. Des brouillards ont pu exister pendant des siècles à Londres. J’ose même dire qu’il y en eut. Mais personne ne les a vus et, ainsi, nous ne savons rien d’eux. Ils n’existèrent qu’au jour où l’art les inventa. » 
                 La peinture, c’est la fabrique de la vue, la musique celle de l’écoute, la sculpture du toucher, et il se pourrait bien que le cinéma soit finalement celle du regard et celle de l’impression du mouvement en général. Ce n’est même pas d’une éducation des sens dont il est ici question, c’est de la texture même de nos flux perceptifs. Nous ne comprenons rien à la révolution du female gaze si nous ne comprenons pas cette révolution là, celle qui se joue dans ce qui correspond à la troisième dimension de notre plan. Si nous voulons nous libérer de l’hypnotisme du regard chosifiant et des plateformes vidéo, il nous faut résolument consentir au regard d’Orphée, nous sauvegarder en regardant et en étant regardé.e par le premier regard d’Héloïse. De fait, le premier regard que nous portons sur son visage est aussi celui qu’elle porte sur notre regard en se retournant, de telle sorte qu’en fait Eurydice se révèle au tout premier plan de son apparition Orphée. Elle se retourne dans l’espace animé par le travelling avant de la caméra plein champ et nous sauvegarde ainsi dans le temps du film.  Où trouver asile dans toutes les tentations et les agressions du regard chosifiant? Là: nous voilà sauvegardés  par le regard d'Héloïse!



 2) « Si vous me regardez, qui je regarde moi? » - l’amour

Par bien des aspects, la toute première scène du film est déjà porteuse de ce basculement: la peintre est le modèle de ses élèves. Elle accepte d’être l’objet du regard de ses étudiantes et même si elle dirige leurs pinceaux de la voix, elle ne ressent d’aucune façon la pression chosifiante des ses apprenti-peintres, parce que tout simplement il n’y en a pas. Pourquoi? Parce que l’aventure qui s’annonce est celle au cours de laquelle Marianne aura appris que le modèle aussi regarde la peintre. Il a déjà été largement question de cette scène absolument fondamentale où Marianne est sortie de sa zone de confort et de pouvoir par Héloïse et introduite à cette dimension pure de la sororité, de la réciprocité de regard.

Peut-être est-il opportun d’insister sur deux éléments précis dans le basculement de cette dimension au terme duquel l’amour naît de de la désactivation du pouvoir et finalement n’est-ce pas toujours le cas?  Que l’amour ne puisse voir le jour que dans l’éradication de tout rapport de forces, c’est exactement ce qui ici va se jouer d’un côté à l’autre de la toile. 

De ce point de vue, la référence au célèbre tableau de Velasquez « les ménines » est vraiment éclairante. Velasquez nous regarde nous spectateurs, nous voyons, nous qui regardons une toile l’envers de la toile qui est en train de se peindre « dans la toile ». Si nous empruntons ici les termes du cinéma, nous pourrions dire que le diégétique et l’extra-diégétique ici se font écho. Les suivantes nous regardent avec assez d’insistance pour que nous réalisions que c’est de nous qu’elles sont les suivantes. Tout est comme figé dans l’étiquette dont nous sommes le point de convergence et finalement nous aussi. Le miroir qui nous fait face dans la toile et dans lequel nous voyons les visages de Philippe IV et de Marie Anne d’Autriche, son épouse. Tout n’est que jugement ici, la place des unes et des autres est totalement commanditée par l’étiquette royale. On sait qui l’on est par la place où on est. C’est le pouvoir.


Dans le déplacement auquel Héloïse invite Marianne, rien n’est invoqué de l’ordre d’un pouvoir mais seulement d’une faculté, d’une puissance, celle de regarder. Le cinéma et le déplacement dans l’espace permettent ici de sortir de l’étroitesse des deux dimensions peintes même si les jeux de perspectives sont particulièrement présentes dans la peinture de Velasquez. "On ne sait pas ce que peut un corps" (Spinoza) dés lors qu'on le sort de l'espace de la représentation

La toile de Velasquez est toute entière un jeu de proxémies. Par ce terme, il faut entendre, ce sens presque intuitif, mais très travaillé, en fait,  des distances entre supérieurs et subordonnés au regard des postions et des rangs occupés par les unes et les autres.  Avant même que nous nous adressions à quelqu’un quelque chose de notre proximité ou de notre distance parle, de telle sorte qu’en fait l’échange de nos regards se fera déjà à partir de positions édifiantes, significatives dans l’espace.  Nous sommes-nous jamais regardés sans que déjà tout soit dit de celle ou celui qui regarde et de celle ou celui qui est regardé.e?

Il faut dépasser l’espace délimité par le travail du peintre qui voit pour que se voir puisse revêtir enfin un sens mutuel et alors effectivement pointe le REGARD. Nous arrive-t-il vraiment de nous regarder de façon neutre, sans le présupposé de nos postures sociales?  Rarement.  Qu’on songe au regard accordé, ou pas, aux SDF dans le métro parisien et nous recevrons la vérité de ce présupposé proxémique. 

Les ménines est la représentation d’un monde où tout n’est qu’affaire de représentation et Michel Foucault rajoutera: « de représentation classique ». C’est justement de la rupture de ce classicisme que naîtra le romantisme et par bien des aspects,  c‘est justement ça que fait le film de Céline Sciamma. Quand Héloïse demande à Marianne de venir plus prés, il s’agit de s’éloigner d’un certain type de représentation.  Il y a un plain pied avec la vie qu’il ne vous faut pas rater, ne serait-ce que parce que c’est « la vie » du modèle qu’il vous faut peindre. 

Or cette vie n’est que sentiments, et c’est exactement ce à quoi la peintre a accès:

- La colère l’emporte

- Chez vous, c’est certain…Je n’aimerais pas être à votre place


Comme il a été dit, le regard d’Orphée consiste à se retourner dans l’espace pour se souvenir dans le temps, peut-être plus encore: pour faire souvenir dans la durée. Nous sommes ainsi projetés dans une autre dimension que celle de l’espace, à hauteur de sentiments dans la durée. Autant dans l’ espace, comme le manifeste clairement les Ménines, tout n’est qu’affaire de position et de hiérarchie (male gaze), autant dans la durée, les sentiments se déploient dans ce que Gilles Deleuze appelle un plan d’immanence. Une œuvre d’art ne célèbre rien d’autre que la vérité de cette dimension là. Nous pensons situer la vie à sa juste place quand nous la décrivons dans l’espace mais cet espace peint est celui de la société de la persona et de la proxémie. Tout n’y est que question d’étiquettes et ce que vous voyez selon le lieu à partir duquel vous le voyez vous intronise roi ou suivante. Lorsque Orphée se retourne sur Eurydice, il fait "se souvenir du dessous » la seule véritable Eurydice, il crée ce vis à vis qui se trouve moins être l’espace d’un lieu d’échange que l’espace d’un instant, d’un kairos. Il n’est pas question de lui faire franchir le seuil qui sépare les morts des vivants mais d’oser l’aventure d’un regard mutuel qui éloigne et sauvegarde dans l’intensité même de sa visée. Dans cette visée le corps de l’autre est tout entier visage, c’est-à-dire qu’il n’est pas enfermé ni chosifié dans le fait d’être vue. On mesure ainsi  le trouble de Marianne lorsque Héloïse l’invite à venir de l’autre côté de la toile. Le seuil qu’elle franchit est alors celui qui sépare le pouvoir de la puissance, la transcendance de l’immanence, l’espace de la durée, la société patriarcale de la vie, le travail de l’amour.

3) « Est-ce que vous me le demandez? ….Non » - la société

Lorsque la période idyllique est sur le point de s’achever, Marianne prend peur, réalise que son œuvre donne Héloïse à un autre et reproche à mots couverts à son amante de se laisser faire, de ne pas résister. Héloïse lui fait alors remarquer qu’elle n’est plus solidaire. Quelques images plus tard, Marianne s’excusera. Cette solidarité, c’est la sororité. Dans le site  féministe « les jaseuses », on trouve cette définition de la sororité: 

« Outil de puissance collective et virale. “Substantif féminin, du latin soror, sœur. En latin médiéval, désignait une « communauté religieuse de femmes ». Rabelais le fait sortir du couvent, après le XVIème siècle : désigne dès lors “une communauté de femmes ayant une relation, des liens ; qualité, état de sœur”. Hors de la foi et de la famille, une relation, l’état de sœur. (…) Une solidarité, rapport de similitude. Le partage d’une condition en dépit de ses pluriels. Hors de toute hiérarchie, et même sans droit d’aînesse. Une relation, des liens. Ici pas de mère matrone : qualité, état de sœur.”

              


             Rabelais est donc l’artisan d’un glissement de sens  très opportun. La sororité désigne tout rapport entre femmes égales. Hors de toute hiérarchie de tout droit d’aînesse, des femmes éprouve une authentique égalité de condition, celle là même que la fraternité révolutionnaire échouera à fonder lors de la révolution française. Il faut bien saisir à quel point la sororité désigne plus et mieux que toute autre chose un certain rapport à Autrui et toutes les valeurs féministes sont à redéfinir en ce sens qui donc exclue moins les mâles biologiques qu’on pourrait le penser. On comprend bien pourquoi il est impossible que la fraternité soit porteuse de cette révolution là: c'est que la fonction paternelle n'est pas naturellement inscrite dans le mâle comme la fonction reproductrice est inscrite dans la femme et qu'ainsi en se déclarant anti/goné la femme détruit la famille avec une puissance à laquelle aucun mâle ne peut prétendre.


La sororité est un concept que la philosophe américaine Judith Butler fait remonter à Antigone. Pourquoi spécifiquement cette héroïne? Parce qu’elle est celle dont le père est l’incarnation même de la destruction de la famille. Après avoir appris qui il était Oedipe se crève les yeux et erre sur les routes de Grèce comme un mendiant guidé par Antigone. Celle-ci revenue à Thèbes après la guerre fratricide que se sont livrés ses frères Polynice et Etéocle, tiendra tête au roi Créon et mourra enterrée vivante pour avoir refusé de ne pas inhumer la dépouille de Polynice. 

Mais où Antigone aurait-elle pu trouver la force de résister au pouvoir patriarcal de Créon si ce n’est dans cette errance avec son père? Qui est ce père, d’ailleurs si ce n’est son frère? « Antigone est la sœur du genre humain » dit Judith Butler. Il est à tous points de vue impossible de la définir autrement, que ce soit dans sa génération même et dans son combat. Ce qu’elle est c’est cela: « soeur », porteuse d’un idéal d’égalité que les humains, pas même encore aujourd’hui n’ont vraiment tenté. Il serait à la fois parfaitement anachronique de définir Antigone comme une héroïne romantique mais il est en même temps, parfaitement impossible de ne pas voir à l’œuvre sa figure mythologique et originelle dans la révolution silencieuse de la sororité que l’on voit suivre son cours paisible dans le film de Céline Sciamma. Le plan horizontal au fil duquel nous voyons les trois femmes à la même table, chacune occupée à une tâche qui ne correspond pas à son statut social illustre totalement cette sororité.

Antigone est aussi une figure de l’immanence qui défie le pouvoir transcendant du chef politique à partir de la puissance que lui confère la terre et le devoir d’inhumation. Il ne faut pas se laisser tromper par la référence à la justice des Dieux qui, dans la religion grecque, ne sont que la personnification des éléments naturels.

Un point ici vaut d’être souligné dans l’histoire. On peut bien sûr considérer qu’Héloïse se soumet au patriarcat en acceptant d’être l’épouse de ce milanais, d’avoir un enfant de lui et d’assurer ainsi sa descendance. Le rapport avec Antigone semble impossible. Mais il faut bien prêter attention ici à la clandestinité de la révolution romantique, clandestinité sensitive. 

  • Est-ce que vous voulez que je résiste?
  • Oui
  • Est-ce que vous me le demandez?
  • Non



Mais alors qu’est-ce que c’est cette résistance qui ne dit pas son nom, qui ne se traduit pas en acte, en barricade, en manifeste? C’est la vie, c’est exactement la dernière image d’Héloïse qui a parfaitement compris le rapport entre la musique et la sensibilité et ce rapport c’est la durée. De quelle nature est la révolution dans la durée? Elle est continue. Il faut être mâle pour croire que la révolution suppose la rupture. D’un point de vue cosmique, la révolution est cela même qui assure la pérennité d’un cycle. Ce que la fraternité révolutionnaire de 1789 va totalement rater, c’est exactement ce que la sororité clandestine de Sophie, Héloïse et Marianne va accomplir et c’est aussi le triomphe d’Antigone: une société parfaitement égalitaire fondée sur l’observation de rites inclusifs à l’égard desquels aucune autorité patriarcale ne saurait valoir, à quelque titre.





4) « C’est peut-être Eurydice qui lui dit: « retourne-toi! » » - le cinéma

Évidemment devant le spectacle de cette sororité, nous pouvons toujours nous dire que « c’est du cinéma » et que cela ne se passe pas ainsi dans la vraie vie, mais c’est complètement faux et c’est le dernier niveau atteint par cette révolution du female gaze, du regard féminin. Comme il a été dit, c’est dans et par l’art que s’opère les seules vraies révolutions. Bernard Stiegler reprenant la notion de rétention de la philosophie de Husserl lui rajoute un 3e terme. Il existe trois types de rétentions:

  1. la rétention primaire qui réside simplement dans le souvenir du passé très récent. Pour écouter une musique, il faut que je me souvienne de son début. 
  2. La rétention secondaire qui désigne ces épisodes dont je me souviens mais qui requiert un effort de mémoire
  3. La rétention tertiaire qui désigne les supports technologiques sur la base desquels nous allons inscrire des moments. Mais c’est aussi le niveau de l’oeuvre d’art

De nos jours tout se joue au niveau de ces rétentions tertiaires: seront-elles artistiques ou produites par une société de marché? Se retourner dans l‘espace pour sauvegarder dans le temps: c’est cela que fait Orphée pour Eurydice et c’est bel et bien le mécanisme même de la rétention tertiaire qui s’amorce alors mais sans aucun autre support technologique que le chant, la toile ou le film, bref l’œuvre. Tant que les rétentions tertiaires sont objets de consommation, on voit mal comment elles pourraient dans les arts visuels faire circuler autre chose que le regard chosifiant. Dés lors que c’est l’oeuvre, tout change, non seulement parce qu’on passe alors au female gaze,  c’est-à-dire au regard d’Orphée, mais aussi parce qu’en retour, la nature immémoriale de l’oeuvre, sa pérennité se voit condensée dans l’espace ouvert du regard. C’est seulement dans l’oeuvre que sont travaillées, ouvertes et transformées nos perceptions de la nature, des autres, de la vie. Une oeuvre nous donne moins quelque chose à percevoir qu’elle ne nous indique une autre façon de percevoir. De fait c’est bien ce qui se passe pour nous dans « portrait de la jeune fille en feu » 


Si nous reprenons terme à terme les caractéristiques du male gaze pour Laura Mulvey, nous retrouvons exactement son opposé dans « portrait de la jeune fille en feu »:

  1. Alors que dans le male gaze, le rôle de la femme est limité au plaisir visuel alors que le héros mâle est celui qui agit d’un point de vue narratif.  Les femmes sont au coeur exclusif de la narration et leur beauté est l’objet d’une célébration, pas d’une consommation, ni d’un plaisir.
  2. Le film n’est pas du tout porteur du regard d’un spectateur mâle
  3. Le corps des femmes n’est pas morcelé. Le plus souvent, la caméra filme à hauteur de visage
  4. La caméra subjective portent les yeux des héroïnes féminines (surtout Marianne)
  5. La femme n’est pas cette présence étrangère qui sert simplement de décor à l’action (Marylin Monroe)
  6. Il n’est pas possible d’éprouver le sentiment d’être un voyeuriste parce qu’a aucun moment le corps des femmes n’est chosifié.
  7. On sait que certains oiseaux mâles en Australie utilise comme parade nuptiale la construction d’une « chambre » dans laquelle par un jeu de perspectives extrêmement savant, ils vont apparaitre plus grand aux yeux de la femelle. Il y a quelque chose comme ça dans the male gaze. L’homme évolue toujours dans une certaine profondeur de champ alors que la femme est quasiment placardée en deux dimensions, comme une affiche  que l’on collerait juste en surface des scènes. Au contraire, les femmes de portrait de la jeune fille en feu évoluent dans les trois dimensions comme l’illustre parfaitement l’apparition d’Héloïse.
  8. The male gaze nie l’existence de la femme en tant que présence. Ce qui se dessine alors est deux extrêmes qui finalement reviennent au même: le fétichisme et la chosification d’une part (la Vénus noire de Kechiche) et la starification ou l’idolâtrie d’autre part (Rita Hayworth dans Gilda). Une chose est certaine, la femme n’est jamais filmé à hauteur humaine. Evidemment c’est l’inverse dans portrait de la jeune fille en feu, les femmes et la féminité sont filmées comme si elles étaient porteuses d’un idéal humain révolutionnaire. Mais le sens de ce terme est à prendre au sens temporal plus que politique. Ce vers quoi il tend , c’est justement à faire entrer une nouvelle temporalité dans la politique: non plus celle de Chronos mais celle de l’aiôn. Portrait de la jeune fille en feu, ou si l’on veut l’oeuvre d’art, c’est le kairos  de ce passage là. Et plus encore le regard d’Héloïse au début du film est l’équivalent du regard d’Orphée pour Eurydice.


Conclusion




Il faut vraiment prêter attention à la stimulation joyeuse que procure ce film. Pourquoi ressortons nous si salis, si insultés, si piétinés de la projection de Funny games de Michaël Haneke et si rassérénés de celle de portrait de jeune fille en feu? Évidemment cela a à voir avec le regard d’Orphée et d’Héloïse, c’est-à-dire que nous avons été consciemment ou pas les acteurs d’une révolution qui s’est passée en nous dans la transformation d’un regard dont nous n’avions pas perçu jusqu’alors à quel point il avait été façonné par la société patriarcale mais aussi par une certaine industrie du cinéma. Au-delà de tout ce qui été dit du regard masculin, on pourrait de demander s'il ne consiste pas dans l’œillade complice du bourreau de "Funny Games". Dans son livre sur le regard féminin, Iris Brey insiste notamment sur les scènes de viol filmées par des réalisateurs et sur l'effet répulsif  d'adhésion (on se sent sali parce que la caméra nous rend complice) que procure la caméra portée sur l'épaule. Ce n'est pas une fatalité. Voir n'entraîne pas nécessairement la complicité. C'est exactement ce que l'on saisit plus ou moins consciemment en regardant Portrait d'une jeune fille en feu. On peut voir en gardant une part à l'invisibilité, toucher en laissant intact. Ce n'est pas un hasard si nous retrouvons là les oxymores de Maurice Blanchot. Dans ces apparentes contradictions se dessine une pleine et heureuse positivité: celle de la révolution romantique du regard.

            Or l’action décrite ne pouvait en aucune façon se situer dans une autre période que celle-ci: Julie et la Nouvelle Héloïse est un chef d’œuvre romantique publié par Rousseau en 1761. Derrière ce terme de "romantisme", c’est donc non seulement le message clandestin et révolutionnaire de la sororité qui s’exprime mais aussi le mode de perception grâce auquel chacune et chacun réalise qu’il n’a pas cessé d’être à l’œuvre silencieusement depuis Sophocle.