dimanche 30 novembre 2014

Méthodologie de l'explication de texte (TES- TS1) - 4 (suite et fin)


4)    L’explication linéaire du texte
 Le terme d’ « explication linéaire » ne signifie pas qu’il soit nécessaire d’expliquer le texte ligne à ligne, bien au contraire. Plus on découpe le texte, plus on l’éclaire du mauvais côté, en le présentant comme ce qu’il n’est pas: un ensemble qu’il serait possible de diviser en parties. Il est plutôt un mouvement qui se déploie. Rien d‘autre à faire que de suivre ce mouvement en étant attaché à rendre toutes ses nuances, tous ses détails.
Il convient de prendre le terme d’ « explication » au pied de la lettre : comment nous y prendrions-nous pour rendre clair à une autre personne la totalité de ce passage ? L’auteur a utilisé ses mots pour nous convaincre du bien-fondé de sa thèse. Nous avons compris là où il voulait en venir, nous voyons clair dans son « jeu » et nous allons essayer de rendre ce mouvement plus familier à un éventuel lecteur. Rien ne saurait davantage convaincre notre correcteur de notre compréhension du texte que notre aptitude à le « recouvrir » d’autres mots, à connecter notre utilisation de la langue à la sienne sans la recopier et sans nous éloigner. Les défauts majeurs dont il faut nous éloigner sont, en effet :
- la paraphrase : elle consiste à se tenir au plus prés du texte sans manifester la plus petite capacité d’assimilation. On le suit tellement « pas à pas » qu’on effectue une très mauvaise traduction. Expliquer un texte suppose que l’on est capable de prendre un peu de hauteur. Un déclic se produit alors : on réalise que ce que l’auteur dit éventuellement avec la langue de son époque, avec un langage nécessairement philosophique, peut se dire autrement. C’est cela une explication : d’abord une entente entre deux mouvements : celui du texte et celui de l’enveloppement de son sens par votre esprit. Il s’agit alors de porter témoignage de cet enveloppement en prenant tout de même un risque relatif. Par risque, il s’agit de désigner le fait que nous pensons saisir suffisamment le mouvement de la démonstration de l’auteur (là où il veut en venir) pour nous éloigner un peu de son vocabulaire, de son chemin afin de le restituer. C’est exactement ce que l’on entend finalement par « enseigner ». Un professeur fait comprendre à ses élèves le sens du texte d’un auteur en utilisant sa propre puissance de conviction à lui, en la mettant au service d’un philosophe, quitte à faire usage de sa propre façon de parler, de ses exemples. S’il est sûr de comprendre ce qu’il explique, il sait bien qu’il retombera toujours sur ses pieds, c’est-à-dire sur ce que l’auteur a exactement voulu dire. Eviter la paraphrase, c’est prendre ce risque là, risque très relatif dans la mesure ou, en principe, si nous avons choisi ce sujet là, c’est bien que nous pensons avoir compris le sens du texte.

- L’éloignement du texte : s’il y a « risque », c’est bien par rapport à un danger et ce danger réside dans le fait de sortir complètement du texte, voire de faire un contre sens. Pour éviter ce piège, il importe d’être vraiment certain d’avoir cerné le mouvement du texte, c’est-à-dire d’avoir vu comment le philosophe « avance ses pions » ainsi que là où il veut en venir. On peut prendre certains détours d’explication du moment que l’on sait que l’on ira toujours dans cette direction qui est celle où l’auteur veut nous conduire. Il convient ici de marquer très clairement où nous nous situons dans nos développements : il est possible d’utiliser d’autres philosophes, et même d’opposer à l’auteur des arguments, d’autres écrivains. Tout est acceptable à partir du moment où notre correcteur pourra percevoir à quel point notre critique, notre explication ou notre volonté de prolonger le propos du texte reste cadrée dans un champ problématique imposé par le texte. C’est sur ce point que l’image du vêtement convient le mieux : nous avons choisi ce texte parce qu’il « nous va », comme une veste ou une chemise : nous pouvons y faire des mouvements suffisamment amples pour manifester la vigueur de notre corps dans une coupe dont on sait qu’on n’en déchirera jamais la toile. Toutes les actualisations (utiliser des exemples d’aujourd’hui pour expliquer un texte d’hier, c’est-à-dire des siècles passés) du texte sont autorisées si nous sommes sûrs de rester dans les limites de ce que l’auteur pose comme problème.
L’utilisation persistante du style indirect : « l’auteur dit que », « il soutient que… », etc. est déconseillée. Nous devons partir du principe que nous parlons toujours déjà à partir du texte, c’est-à-dire « en » lui. Quand nous exposons la pensée d’un autre auteur pour conforter ou objecter quelque chose à ce qui est défendu ici, il convient, par contre, de l’énoncer très clairement pour éviter les confusions. Choisir l’explication de texte (le 3e sujet), c’est s’engager à ne jamais s’écarter d’une ligne tracée par l’auteur. Réfléchissons bien à cela au moment de la réception des sujets.


5)    Conclusion
Pour conclure notre explication, nous devons premièrement insister sur l’idée essentielle. Après notre travail, peut-être nous apparaît-elle autrement, plus riche qu’au début de l’épreuve. On peut donc essayer de rendre compte de cet excédent de subtilité maintenant en entrant davantage dans les nuances de ce que l’auteur a voulu poser. Deuxièmement, il convient de montrer ce que l’auteur a apporté dans le traitement global du thème qu’il a abordé dans l’histoire de la pensée, éventuellement dans celle des sociétés. En quoi ce texte a-t-il apporté un éclairage nouveau sur la question qu’il a traitée ?

jeudi 27 novembre 2014

Explication du texte de Nietzsche (TSTL - STMG1 - STI1) - Exercice


1)    Relevez les connecteurs logiques et décrivez les procédés rhétoriques utilisés par l’auteur (il affirme une thèse dés le début du texte, puis il…)
2)    Formulez avec un esprit de synthèse et de précision l’idée essentielle de ce texte.
3)    Reprenez le texte de Racine et montrez pourquoi il confirme les thèses défendues par Nietzsche. (Phèdre promet-elle quelque chose ?)
4)    Expliquez : « car les motifs et les voies sont multiples qui mènent à un même acte. »
5)    Pourquoi faisons-nous des promesses ? Pouvons-nous vivre en société sans confiance ?
6)    Quel lien peut-on établir entre le texte de Nietzsche et cet extrait du livre de Peter Handke : « La chevauchée sur le lac de Constance » :
« Quelqu’un est assis la tête baissée : est-il triste ?
- Non, il est simplement assis la tête baissée.
- Quelqu’un sursaute : se sent-il coupable ?
- Non, il sursaute simplement
7)   Quels liens pouvons-nous établir entre la promesse et la conscience ?
8)  En quel sens peut-on dire que l’esprit de ce texte est plus sceptique que cynique ?




mercredi 26 novembre 2014

Explication du texte d'Aristote (TES - TS1) - Texte d'Emile Benveniste


« Une différence capitale apparaît aussi dans la situation où la communication a lieu. Le message des abeilles n’appelle aucune réponse de l’entourage, sinon une certaine conduite, qui n’est pas une réponse. Cela signifie que les abeilles ne connaissent pas le dialogue, qui est la condition du langage humain. Nous parlons à d’autres qui parlent, telle est la réalité humaine. Cela révèle un nouveau contraste. Parce qu’il n’y a pas de dialogue pour les abeilles, la communication se réfère seulement à une certaine donnée objective. Il ne peut y avoir de communication relative à une donnée « linguistique » ; déjà parce qu’il n’y a pas de réponse, la réponse étant une réaction linguistique à une manifestation linguistique ; mais aussi en ce sens que le message d’une abeille ne peut être reproduit par une autre qui n’aurait pas vu elle-même les choses que la première annonce. On n’a pas constaté qu’une abeille aille par exemple porter dans une autre ruche le message qu’elle a reçu dans la sienne, ce qui serait une manière de transmission ou de relais. On voit la différence avec le langage humain, où, dans le dialogue, la référence à l’expérience objective et la réaction à la manifestation linguistique s’entremêlent librement et à l’infini. L’abeille ne construit pas de message à partir d’un autre message. Chacune de celles qui, alertées par la danse de la butineuse, sortent et vont se nourrir à l’endroit indiqué, reproduit quand elle rentre la même information, non d’après le message premier, mais d’après la réalité qu’elle vient de constater. Or le caractère du langage est de procurer un substitut de l’expérience apte à être transmis sans fin dans le temps et l’espace, ce qui est le propre de notre symbolisme et le fondement de la tradition linguistique. Si nous considérons maintenant le contenu du message, il sera facile d’observer qu’il se rapporte toujours et seulement à une donnée, la nourriture, et que les seules variantes qu’il comporte sont relatives à des données spatiales. Le contraste est évident avec l’illimité des contenus du langage humain
1)    Quels sont les critères qui différencient le langage humain et la communication des abeilles, selon Benveniste ? Développez chacun d’eux et montrez que chaque critère découle du précédent.
2)    La communication des abeilles est plus « pauvre » que le langage humain mais elle est aussi plus efficace en un sens. Pourquoi ?
3)    Quelle est la différence entre signifier et signaler ? Pourquoi ce texte nous permet-il de mieux la comprendre ?
4)    Les mots, selon vous, nous permettent-ils de saisir la réalité ou nous empêchent-ils de la vivre ? (Faites référence au texte et prenez éventuellement d’autres exemples)
5)    Pourquoi la communication des abeilles, selon Benveniste, confirme-t-elle la thèse d’Aristote selon laquelle les hommes sont les seuls à organiser leur vie communautaire en cité (Polis) ?

mardi 25 novembre 2014

"Watchmen: les gardiens" et l'Uchronie


« Watchmen : les gardiens » est un film de Zach Snyder dont l’action se déroule dans ce que l’on appelle « une réalité alternative ». L’ « Uchronie » désigne un genre de récit qui décrit un autre enchaînement historique que celui qui s’est effectivement déroulé dans « notre monde ». Imaginez, par exemple, que les Etats-Unis n’aient pas été attaqué par les japonais à Pearl Harbour, qu’ils ne soient pas entrés en guerre contre l’Allemagne, et que le troisième Reich n’ait pas été vaincu par les Alliés. Où en serions-nous ?
La présentation du film n’insiste pas assez sur le fait qu’il se situe dans ce genre là et cela explique peut-être son succès mitigé. Nous retrouvons des noms connus mais nous avons du mal à nous repérer par rapport à l’action parce que nos repères historiques sont « chahutés ». Dans le film, les Etats-Unis ont gagné la guerre du Viêt-Nam grâce à ces super-héros qui sont les personnages principaux de l’action. Le Président Nixon a été réélu pour son cinquième mandat (ce qui signifie que dans ce monde parallèle, le scandale de Watergate n’a jamais existé) et les rapports entre les Etats-Unis et l’URSS sont si tendus que la guerre semble imminente. Watchmen nous situe donc à la fois dans une période historique qui a bel et bien existé : « La guerre froide » mais les personnages historiques et le fil des évènements n’ont rien à voir avec la réalité.

C’est sous cet angle uchronique que le film est le plus intéressant car nous sommes tellement habitués à voir des super-héros sauver « notre » monde que l’idée de situer d’emblée l’action dans un autre monde dans lequel l’intervention des super-héros est beaucoup moins spectacularisée, dramatisée, que le notre, est pour le moins féconde. Sans trop révéler l’issue du film, on peut, en effet, dire que le devoir de sauver le monde y est présenté d’une façon qui est beaucoup plus historique que dans « Superman ». Un super-héros est un être surhumain dont le destin est d’utiliser ses super pouvoirs pour l’humanité, mais après tout, les moyens utilisés pour exercer cette influence favorable sont laissés à la discrétion du super héros qui par définition « peut tout » ou « presque tout ». Déjà dans « The Dark Knight » de Christopher Nolan, Batman accepte d’endosser aux yeux de Gotham City, le costume du « méchant ». S’il faut incarner le mal pour que la population vive encore dans l’horizon (illusoire) du bien, qu’il en soit ainsi ! Il importe peu que l’humanité se trompe totalement sur la nature bonne ou mauvaise d’un super-héros pourvu qu’elle le fasse « comme un seul homme ».

Batman est finalement au-dessus du bien et du mal et sa mission est de maintenir l’esprit de communauté même et surtout si c’est lui qui en « essuie les plâtres ». Un super-héros « peut ça » : c’est sa capacité à endurer, à encaisser le choc d’une haine consensuelle qui fait authentiquement la supériorité de sa nature plus que son aptitude à créer les conditions d’un renouveau ou d’un nouvel âge. Batman dans « The Dark Knight », le docteur Manhattan dans Watchmen illustrent cet héroïsme particulier, incroyablement plus intéressant que celui du bon qui fait le bien. Le « sublime », c’est d’être « bon » à ce point qu’on peut supporter de concentrer sur soi les flux épars de toutes les haines individuelles pour en extraire le « nectar purifié » d’une haine collective qui fait « sens » par l’efficience de sa collégialité.

 Nous retrouvons finalement la thématique du bouc émissaire à ceci prés que ce n’est plus tout-à-fait en tant que victime que l’élu crée la cohésion d’une population, voire d’une civilisation (le Christ), mais en tant « qu’agresseur surpuissant ». Le surplomb du Christ torturé sur sa croix symbolise « la longueur d’avance » du pardon : « ils ne savent pas ce qu’ils font ». Celui de Batman sur la corniche de son gratte-ciel est peut-être plus immédiatement « opératoire » : « ils ne savent pas ce qu’ils font (puisque ils prennent un bien pour un mal) mais au moins qu’ils le fassent ensemble. Qu’ils me haïssent « en chœur » ! »
Le super héros est donc désespéré (et c’est d’ailleurs le grand apport de la trilogie de Christopher Nolan de nous décrire un super héros « super triste » dont les plus grandes victoires sont toujours et conséquemment des défaites) parce que ses actes ne prennent sens qu’à se situer à partir d’une hauteur de vue qui présuppose l’annulation d’un bien et d’un mal « transcendants ». Il n’y a ni bien ni mal mais il y a de l’amour et de la haine et il n’existe pas de possibilité de faire communauté sans concentrer par la haine ou par l’amour une communauté d’affect. Or, la haine est plus facile à susciter que l’amour, tout simplement parce que détruire est plus facile que construire (c’est d’ailleurs ce que les industriels du jouet ont bien compris : lorsque nous entrons dans une boutique de jouets, nous pouvons constater que les jeux de destruction sont souvent plus nombreux que les jeux de construction (qui réclame un minimum de patience et d’habileté)).

S’il y a bien quelqu’un qui sait que les hommes ne sont ni bons ni mauvais mais l’un et l’autre suivant les circonstances et les affects, c’est bien Batman qui joue de façon très réaliste de cette ambiguité, mais qui joue sans jamais miser sur telle ou telle « valeur ». Il a dépassé la question de savoir ce que les humains « sont » pour se situer exclusivement dans celle de ce que les humains « peuvent ». Le climat très sombre de « Watchmen : les gardiens » le situe exactement dans cette même perspective, et c’est exactement la raison pour laquelle, aussi étrange et décalée que puisse nous apparaître l’action décrite, aussi uchronique que soit la dimension dans laquelle les évènements se produisent, quelque chose de cette histoire est finalement très crédible. Travailler à rendre le monde meilleur est un idéal de « bisounours », surfer sur les affects des hommes de façon à les rallier contre un ennemi commun est un travail dur mais réalisable.

Mais alors où situer « l’extraordinaire » dans ce cahier des charges très ordinaire du super-héros « moyen » ? Comment décrire et rendre crédible la notion de coup de théâtre si nous sommes partis de présupposés aussi réalistes, pragmatiques ? Le tournant de « Watchmen : les gardiens » se situe, à mon sens, dans le ralliement du docteur Manhattan à la cause que vient plaider auprès de lui son ancienne maîtresse Laurie, le spectre joyeux, une super-héroïne.
Le docteur Manhattan est un scientifique qui a été malgré lui exposé à une dose mortelle de radioactivité. Désintégré, il est réapparu sous une forme qu’on pourrait qualifier, au sens propre de « spectrale ». Il est devenu une sorte d’avatar bleu, doté de toutes les capacités imaginables. Victime d’une machination qui l’a exposé à un acharnement médiatique, il décide de s’isoler sur la planète Mars. Ce n’est pas que les hommes lui apparaissent dés lors comme ses ennemis, c’est plutôt que sa « supernature » lui permet de s’interroger en toute « objectivité » sur l’évolution de l’espèce humaine et il ne distingue pas de motivation pertinente, de justification à son sauvetage. Si les affects humains les conduisent à la troisième guerre mondiale, pourquoi faudrait-il faire dévier ce cours là ?

Laurie essaie de le faire changer d’opinion mais, prise dans cette argumentation, et mise au défi de prouver qu’elle croit vraiment au sens de l’humanité, elle demande au Docteur Manhattan de lui révéler la totalité de son existence, de la « radiographier » en révélant tout des conditions de sa venue au monde. Or elle réalise que celui qu’elle a toujours pris pour son père n’était pas son père génétique mais qu’elle est née de la liaison adultère de sa mère avec « le comédien », un autre super héros, violent, cynique qui avait déjà auparavant essayé de violer sa mère. A partir de cette révélation, les rôles s’inversent : « My life is a kind of joke », dit-elle. Elle est née, par hasard, de l’attirance passagère, trouble et sulfureuse que sa mère a éprouvée pour un homme qui avait tenté de la forcer. Que sa vie ait un sens, qu’elle soit « justifiée », qu’elle ait « le droit d’exister » c’est maintenant ce dont elle doute. Mais le Docteur Manhattan, lui aussi a changé d’avis et sa parole revêt un sens philosophique profond.

On pourrait utiliser une image pour illustrer ce sens. Nous avons pris l’habitude de qualifier de « mauvaises herbes » les plantes qui parviennent à pousser entre les pavés ou les grains de gravier, parce que cela nous « gêne » d’une part, mais aussi parce qu’elles poussent dans des conditions qui ne semblent pas adéquates à favoriser leur croissance. Si nous y réfléchissons un peu, nous réalisons que ce que nous qualifions de « mauvais » manifeste au contraire une intelligence, une opportunité, une opiniâtreté de la nature tout à fait remarquable. Que le désir de pousser d’un certain type d’herbe soit suffisamment puissant pour se réaliser même « là », c’est justement ce qui prouve que le propre de l’existence réside dans l’art de se générer toujours de soi-même dans l’efficience la plus pure du chaos, de l’absurde. Naître, c’est toujours faire advenir du sens dans du non-sens, et c’est cela, exister : « cent fois sur le métier de l’absurde remettre l’ouvrage d’une dynamique de croissance qui en elle-même, par elle-même, « fait » sens. C’est un miracle mais un miracle qui n’a rien de surnaturel, bien au contraire. Il n’est que profondément naturel, viscéralement, irréductiblement. Le vrai miracle, c’est le quotidien, c’est « l’infraordinaire ».

C’est exactement la même chose pour Laurie, et nous pourrions en un sens dire cela de toute naissance (même si certaines sont plus humainement souhaitées que d’autres). Que des êtres puissent voir le jour de circonstances aussi absurdes, contingentes, dérisoires, c’est exactement la preuve irrévocable du sens de la vie, donc aussi de la vie humaine. Les hommes sont peut-être les mauvaises herbes de la terre, mais il faut beaucoup de persévérance, de « génie laborieux » (cet oxymore a du sens), de « mordant » et finalement de justesse pour qu’une mauvaise herbe puisse pousser. C’est là la signification la plus profonde du smiley qui revient à plusieurs reprises comme un leitmotiv dans l’action de ce film. Le miracle qui transforme du non-sens en sens, c’est cela la tâche surhumaine des hommes, et elle n’a rien de divin. Nous l’accomplissons silencieusement, inconsciemment chaque matin en nous levant, en vivant quand même, comme des mauvaises herbes, dans les cadres inhumains de nos lieux de travail, des conditions invivables qui, pour certains d’entre nous nous sont faites. Finalement le burning out, c’est lorsque nous craquons, c’est lorsque nous sommes comme Laurie mais sans le Docteur Manhattan pour nous faire voir la situation de très, très loin. 
Et c’est à cela que servent les « VRAIS » superhéros comme Manhattan ou le Batman de Nolan : « réaliser que voir les choses de très loin, c’est toujours les voir telles qu’elles sont » (comme sur ce point l’échelle du macrocosmique ne fait qu’une avec celle du microscopique, ce « de très loin » est aussi un « de très prés » : dans nos cellules s’animent un « vouloir-être » qui est le même que celui des étoiles).