lundi 14 juin 2021

A quelques jours de l'épreuve



 Bonjour à vous,

Pour préparer et ressortir de l’épreuve suffisamment contentes et contents de votre travail, il est nécessaire d’accomplir quelques exercices, de suivre certaines usages, certaines règles. A quelques jours de l’échéance, je me permets de vous en rappeler plusieurs.
  
            Le meilleur moyen de vous entraîner est de travailler des sujets grâce auxquels vous allez vous rendre compte que vous savez plus de choses que vous ne le pensez. Pour cela choisissez des sujets difficiles, ceux là mêmes sur lesquels vous seriez plutôt tentées de paniquer, le jour de l’épreuve ou de vous dire: « si c’est ça qui tombe, ce n’est même pas la peine! » Et pendant deux heures, efforcez vous de construire un plan très détaillé et de rédiger une introduction. Si c’est un texte, faites l’introduction et commencez à analyser les parties qui le composent. L’essentiel est de constater qu’au bout de deux heures ça va un peu mieux.
            Le programme de votre année de philosophie est bel et bien constitué de notions mais nous les avons évidemment traitées à notre façon, à l’occasion d’autres cours. Par exemple je dirai que les notions Nature et Culture ont été vues dans le cours sur l’inconscient et dans celui du Droit. Au cas où vous vous sentiriez quand même démunies face à ce cours, je vais publier sur le blog un corrigé de la dissertation (en fait c’est déjà fait!): « la culture fait-elle l’homme? » qui devrait vous aider encore davantage.
            

Il est nécessaire que vous arriviez le jour de l’épreuve avec des habitudes, des « plis », c’est-à-dire exactement comme dans la pratique d’un sport, en ayant imposé à votre pensée des usages, des prescriptions qu’elle n’aura plus qu’à suivre. Lesquels?
        Pour la dissertation (il y aura 3 sujets de dissertation au choix),  il faudra très rapidement comprendre où « le sujet veut en venir », c’est -à-dire le problème vers lequel le sujet « pointe ». Je vous rappelle qu’un sujet est une façon imparfaite au sens de « globale », « innocente », éventuellement un peu désinvolte de vous mettre la piste d’un problème, lequel lui n’est ni global, ni innocent et encore moins désinvolte. Cela fait un peu écho au sentiment dont j’espère que vous l’avez ressenti pendant les cours, que ce petit intitulé (suis-je l’auteur de ma vie? Y’a-t-il une vérité scientifique? Etc.) contenait une dimension paradoxale extrêmement vive, complexe. Rien ne peut vraiment commencer si vous ne percevez pas cette profondeur là, cet « abîme ». On doit être littéralement happé par l’impression vertigineuse qu’il n’y a pas de réponse simple à cette question. Par exemple, sur la question «  Y-a-t-il une vérité en science? » Il est impossible d’être vraiment efficace si l’on ne saisit pas tout ce qu’ouvre le « une ».  La position de Karl Popper est assez éclairante sur un tel sujet: la science est précisément la discipline qui ne se recommande d’aucune vérité de départ et qui, de ce fait oeuvre incessamment pour s’en rapprocher mais sans jamais prétendre être la vérité. Avec les régimes de vérité de Michel Foucault, nous allons encore plus loin puisque il apparaît clairement que chaque epistémè constitue un cadre, un terreau à l’intérieur duquel se constituent non seulement des champs de savoirs mais  aussi des régimes de vérités dominants.
          

Quand certaines références vous permettent ainsi de comprendre un sujet en le relativisant, c’est-à-dire en réalisant que selon que vous insistiez sur tel ou tel terme présent dans le sujet, il explore de nouvelles possibilités de réponses, c’est que vous êtes sur le bon chemin.
        Il convient également que vous possédiez les bonnes distinctions conceptuelles (Droit naturel / Droit positif   Vérité de cœur/ Vérité de raison, etc.) pour saisir la difficulté paradoxale de tout sujet.
        Dans la mesure du possible, l’état d’esprit dans lequel une dissertation de philosophie doit être abordée est le suivant: on peut commencer quand l’éventualité d’une réponse univoque est définitivement révoquée dans votre esprit. Si vous ne parvenez pas à saisir l’ambiguïté d’un sujet, c’est que vous êtes en train de passer à côté, donc arrêtez tout et choisissez en un autre.
        La construction du plan doit vous permettre de structurer cette ambiguïté, de l’explorer méthodiquement, calmement, complètement et surtout progressivement. Vous savez vers quoi on veut vous faire aller donc il faut y aller mais en prenant soin de garder les arguments les plus fins, les plus subtils, les plus étayés pour la fin. Il est important de suivre une dynamique croissante dans l’enchaînement des thèses et des références. Ainsi, par exemple, la perspective des univers multiples est vraiment intéressante et vertigineuse pour le sujet « Y-a-t-il une vérité en science? » parce que  les scientifiques qui n’invalident pas cette hypothèse font finalement tellement œuvre de vérité qu’ils vont jusqu’à envisager que la vérité qui est une notion dont la pertinence était censée reposer sur l’unicité (il y a une vérité et une seule) puisse se démultiplier. Envisager la possibilité que la vérité de l’univers c’est qu’il en existe plusieurs, voire une infinité, c’est instiller du multiple dans la discipline au sein de laquelle ne se développe qu’un principe de nécessité « Une ». C’est extrêmement déstabilisant, troublant, donc fascinant.
          
Il importe que votre plan ne soit pas systématiquement fermé à des idées nouvelles qui vous viendraient au fil de la plume. Cette dynamique là, celle de la main qui, s’activant sur la feuille, suit également un trajet dans votre esprit est fondamentale et porteuse. Elle peut se révéler géniale. Il faut lui faire confiance et accorder beaucoup de valeur aux idées qui jaillissent de cette façon, sur ce mode là. Donnez vous le droit de modifier votre plan à mesure si une thèse ou une référence surgit à tel ou tel moment de la rédaction de votre copie. L’essentiel est que le mouvement de la pensée qui se matérialise sur la feuille soit fluide, dans le sujet, et toujours plus approfondi. 
 
 
 
        La conclusion n’est pas, par contre, le moment où de nouvelles perspectives ou questions doivent être évoquées. Il n’y est question que de reprendre les grandes étapes de votre développement et de terminer par la réponse qui vous semble la plus juste, la plus fine, la plus circonstanciée (quelle conception de la science peut-elle valoir par rapport à telle ou telle vision de la vérité? Cela conditionne telle ou telle réponse)
        Finalement, il faut également bien saisir qu’on vous demande deux choses: 1) traitez la question du sujet 2) développer des idées intéressantes. Qu’est-ce qu’une idée intéressante? Je dirai que c’est une idée dont vous sentez bien qu’elle est de nature à provoquer en vous des bouleversements, à totalement changer votre ancienne façon de voir.
  


        Pour le 4e sujet qui sera une explication de texte, il faut appliquer la méthode que nous avons travaillée, notamment pour l’introduction (Thème / Thèse / Problème). Il me semble impossible d’expliquer correctement un texte si vous ne le trouvez pas « porteur ». Il n’y a pas de problèmes de plan puisque il suffit de suivre son cheminement mais en « l’expliquant », en pointant tout ce qui dans une simple phrase fait signe de présupposés essentiels, fondamentaux. Ce qu’un auteur dit en quelques mots doit faire « sens » et fond sur ce que d’autres auteurs ont développé. Le texte proposé est un peu comme un palimpseste (parchemin dont on a effacé la première écriture pour y rédiger une nouvelle) sauf que cette première écriture qui est le fond de connaissances, de souvenirs de cours, d’images, de références qui sont en VOUS peut et doit pointer puisque en fait votre copie sera la rencontre entre deux intelligences, et surtout la capacité de votre intelligence à faire droit à celle de l’auteur, à la saisir, à vous y retrouver de telle sorte que vous allez alimenter la pensée (géniale ou, en tout cas, philosophiquement puissante) de l’auteur de la votre mais humblement, sobrement.
           
Une fois admis qu’on ne s’éloigne jamais du texte, que c’est toujours à lui que l’on revient comme au fil rouge de notre réflexion, lui qu’on explique, l’essentiel est de ne pas faire de paraphrase et c’est la raison pour laquelle l’image du palimpseste est importante. Nous faisons de la paraphrase quand finalement nous ne faisons que répéter le texte avec d’autres mots. Cela veut dire que le texte ne fait plus fond sur rien, ne s’imprime nulle part, ne suscite rien. Il n’y a pas le premier texte  du palimpseste. Une explication de texte ne peut se concevoir autrement que comme ça: comme la stimulation d’une intelligence par une autre intelligence, l’effet d’écho ou de surimposition de deux pensées dont l’une fait un effort de pure formulation (l’auteur) et l’autre de saisie mais aussi de réponse, de résonance (nous: l'élève). Il nous faut devenir la meilleure caisse de résonance possible au « cri » de l’auteur. Son « cri », c’est sa thèse. Mais cela implique que l’on s’efforce d’être le plus humble et le plus objectif possible. Choisir le texte c’est choisir de faire place dans sa pensée à une autre pensée, et en même temps, cet accueil de la pensée d’un autre ne peut pas se concevoir sans effet d’écho, de résonance. Il faut rendre clair et sans ambiguïtés une pensée qui forcément n’est pas aussi évidente qu’il le paraît.

        Ne craignez pas le mouvement par lequel vous tentez de répondre par votre écriture au cri porté par l’écriture (écrire, c'est s'écrier silencieusement) de l’auteur. Si le terme de « cri » vous semble étrange, je l’emprunte à Gilles Deleuze qui évoque par ce terme la thèse fondamentale d’un auteur (le cri de Descartes, c’est le « je pense donc je suis », celui de Paul Ricoeur, c’est l’ipséïté, etc.). Un cri c’est  une thèse forte, une option philosophique qui souvent renouvelle les termes d’une ancienne question. Revoyez la méthodologie de l’explication car c’est quand même un peu la clé de la réussite sur ce type de sujet.

SURTOUT, n’hésitez pas ces jours ci (n’attendez pas le 16 à minuit) à me faire savoir par mail ou sur ce blog, ce qui vous tracasse dans la perspective de cette épreuve, soit sur les cours soit sur la méthode.


dimanche 13 juin 2021

La Culture fait-elle l'Homme?

Bonjour à vous,

 Je reprends ici un corrigé de dissertation que j'avais rédigé il y a plusieurs années. Deux raisons le justifient:

1) En revoyant les cours, il me semble que la culture est une notion que nous avons traitée (même beaucoup) mais toujours transversalement (à l'occasion de recoupements avec d'autres notions)

2) Il y a dans ce corrigé une structure méthodologique assez rigoureuse et surtout un développement relativement court par rapport aux cours avec lesquels je vous ai assommé (enfin pas trop j'espère) pendant l'année. Du coup cela peut être utile à quelques jours de l'épreuve.

 


Problématisation du sujet : Est-ce à la culture, c’est-à-dire à tout ce que nous avons acquis du fait de notre immersion dans une communauté d’être humains dotée de traditions, de lois, d’une langue, d’une religion, d’habitus (disposition, façon d’être héritée de notre inscription dans un groupe, un milieu) que nous devons le fait d’être humains ? Ne sommes-nous pas plutôt naturellement humains, par notre anatomie, nos pulsions, nos besoins, par la manifestation d’une spécificité qui serait déjà efficiente, avant même que nous soyons éduqués dans un milieu culturel humain ?
En réfléchissant, nous réalisons que la réponse négative à cette question peut se concevoir de deux façons : 1) c’est naturellement que nous sommes humains 2) la culture ne fait pas l’homme parce qu’elle fait aussi l’animal et peut-être même au-delà, d’autres entités vivantes comme les bactéries, les cellules (quand on parle de cultures de bacilles ou autres, on veut simplement désigner notre aptitude à cultiver, à faire croître des bactéries dans un milieu qui les entretient, qui les nourrit mais la question pourrait se poser, à la lumière de certaines données scientifiques récentes, de savoir si le terme de culture ne pourrait pas prendre une dimension supérieure, notamment celle d’adaptation, de transmission d’habitudes ou d’habitus d’une génération à l’autre)
Nous devons également prendre en compte le sens moral du terme « humanité » : être humain signifiant dés lors le fait d’être raisonnable, ouvert, compréhensif et doté de qualités compassionnelles. Est-ce notre éducation, notre apprentissage du respect que nous devons à Autrui ainsi qu’à toute forme de vie qui nous rend pacifique, réceptif à la détresse de l’autre, le point crucial résidant ici dans le fait que l’empathie est une émotion, un sentiment. Ne s’agirait-il pas dés lors d’un élan spontané, incompatible avec ce détachement que les apprentissages culturels imposent à l’égard de nos qualités naturelles ou supposées telles ? La culture désigne, de fait, l’efficience d’une proximité spatiale et communautaire avec notre semblable et plus encore notre concitoyen, notre compatriote, mais cette promiscuité va-t-elle de pair avec une entente, une complicité, une compréhension ? Nous savons tous que la réponse ici est « non », toute la question est de déterminer si cette hostilité, cette insociabilité observable dans le phénomène même du partage et de la société est due à ce qui, en nous,  tiendrait encore de la nature ou bien au contraire de notre immersion dans un milieu toujours déjà culturel.
   



1-    La spécificité de l’être humain : naturelle ou culturelle ? (Hegel - Platon - Aristote)
La façon d’être, d’agir et de penser de l’être humain nous semble fondamentalement différente de celle des animaux. Autant ces derniers ont un temps de réaction immédiate, systématique et immuable (non évolutive) par rapport à la plupart des stimulations naturelles comme la faim, la soif, le sommeil ou la reproduction, autant l’homme apporte des réponses diverses, travaillées, construites et retardées par rapport à ces pulsions. Nous nous différencions des « choses de la nature » comme le dit Hegel, parce que notre existence ne s’effectue pas seulement sur le mode de « l’en soi », c’est-à-dire de façon brute, aveugle, purement organique comme un arbre qui finalement ne fait que croître dans son milieu naturel mais nous existons aussi sur le mode du « pour soi », c’est-à-dire que nous réalisons que nous existons, nous nous en rendons compte. « Les choses de la nature n’existent qu’immédiatement et d’une seule façon, tandis que l’homme parce qu’il est esprit a une double existence; il existe d’une part au même titre que les choses de la nature, mais d’autre part, il existe aussi pour soi, il se contemple, se représente à lui-même, se pense et n’est esprit que par cette activité qui constitue un être pour soi. » C’est  dans le mouvement d’acquisition de cette conscience qui lui permet de se distinguer de son environnement que l’être humain va se constituer peu à peu comme un être de culture en transformant tout ce qui est donné (la nature) pour lui imprimer sa marque et construire ainsi un monde humain (la culture). Si la culture fait l’homme, c’est donc aussi parce que l’homme ne cesse de se faire au gré de cette transformation de la nature en culture.
Déjà Platon, dans le Protagoras, avait pointé la spécificité humaine dans sa description du mythe de Prométhée. Corrigeant l’oubli de son frère, Le titan se voit dans l’obligation de voler aux Dieux le feu et l’intelligence pour que l’homme puisse jouir de qualités propres au même titre que les autres animaux. Ce don ne suffisant pas à assurer la survie de cette espèce, c’est Zeus lui-même qui complètera cette gratification par la vergogne (la pudeur, l’humilité). L’intelligence, le feu, le respect du prochain : ces cadeaux portent déjà en eux tout le potentiel de la vie en société, du progrès technologique et de la civilisation. Ce mythe suggère que c’est précisément en usant d’autres armes que celles de la nature que l’homme trace un chemin spécifique à tous égards dans le monde, comme si le propre de notre espèce consistait précisément à devoir se forger culturellement ce qui naturellement lui fait défaut.
Mais ne serait-ce pas là encore un dessein de la nature ? Ne pourrait-on pas inscrire nos signes distinctifs comme la marque d’une finalité propre que la nature nous aurait fixé. Pour Aristote, « la nature ne fait rien en vain » et c’est la raison pour laquelle elle a fait de nous des animaux doués de langage, capables d’exprimer l’utile et le nuisible et conséquemment le juste et l’injuste, le bien et le mal, puis de créer des cités, c’est-à-dire des lois. Il y a donc dans la vie en société tout ce qui permet à l’être humain d’aller au bout de ce qu’il est, de sa nature. La culture s’inscrit ainsi, pour Aristote, dans un schéma dont la nature a fixé la ligne directrice.
 
2-    L’Homme est structurellement « contre-nature » (Georges Bataille – Michel Tournier - Freud)
Mais comment pouvons-nous expliquer, si c’est encore la nature qui explique la distinction de notre espèce que nous soyons aussi soucieux de contrarier hors de nous en nous tout ce qui est naturel ? L’homme ne cesse de brouiller les codes de la nature, de ralentir ces temps de réaction « instinctifs », d’inventer des protocoles là où les animaux semblent se soumettre à des réflexes donnés, déjà inscrits dans leur patrimoine génétique.
« Je pose en principe un fait peu contestable, écrit Georges Bataille : que l'homme est l'animal qui n'accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L'homme parallèlement se nie lui-même, il s'éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l'animal n'apportait pas de réserve. Il est nécessaire encore d'accorder que les deux négations, que, d'une part, l'homme fait du monde donné et, d'autre part, de sa propre animalité, sont liées. Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l'une ou à l'autre, de chercher si l'éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d'une mutation morale. Mais en tant qu'il y a homme, il y a d'une part travail et de l'autre négation par interdits de l'animalité de l'homme."
L’homme se caractérise par son attitude qui consiste à dire « non » à tout ce qui, hors de lui et en lui, est naturel. Nous sommes des êtres culturels par la systématicité même de l’esprit de cette négation, ce que manifeste bien tous les travaux du Robinson Crusoé de Michel Tournier quand il se retrouve solitaire dans son île et cultive le riz au lieu de le consommer, fait des barricades au lieu de jouir de l’espace, construit une prison au lieu de laisser libre cours à toutes ses pulsions (comme cela a été dit au cours de cette année « Vendredi ou les limbes du Pacifique » est une référence très intéressante en ceci qu’elle suit quasiment les étapes d’un plan de dissertation (3 moments) : Robinson souffre d’abord de la solitude et construit des artefacts susceptibles de maintenir dans cette nature sauvage tous les acquis de la culture, puis l’apparition de Vendredi change la donne en instituant un « autre » rapport à l’autre, à l’autre culture tout autant qu’à l’autre personne, enfin, sous l’impulsion de Vendredi, Robinson vit une relation plus entière, plus assumée, plus fusionnelle et plus artistique avec Speranza, jusqu’à refuser de retourner à « sa » culture, jusqu’à ressentir dans son lien avec la nature toute la stylisation récréative d’un « devenir soi » - ici, à cet instant du plan, nous pouvons donc évoquer seulement le premier moment du roman).
Ce que Robinson craint d’abord en arrivant dans cette île, c’est de se perdre lui-même, de n’avoir plus rien d’humain, comme le suggère l’attitude du chien Rex lorsqu’il le retrouve sortant de la souille et s’enfuit en ne reconnaissant plus son maître. Ce que la culture avait fait, l’immersion dans la nature est en train de le défaire, en plongeant Robinson dans une satisfaction primaire et passive de ses pulsions, dans un mutisme hébété, bestial. C’est Rex qui finalement sortira Robinson de cette « impasse » en le rappelant à la nécessité humaine de rétablir des habitudes, des machines et des institutions culturelles faites pour une communauté même si cette collectivité se réduit à une personne.
    

Comme le suggère Georges Bataille cet esprit de contradiction à la nature qui définit le propre de l’homme ne se limite pas à la caractérisation de l’espèce mais tout aussi bien à celle de l’individu et c’est bien ce que nous retrouvons, notamment dans le livre de Freud « Malaise dans la civilisation », car, selon le fondateur de la psychanalyste, ce qui finalement constitue la psyché de tout individu humain socialisé, c’est fondamentalement la frustration, le refoulement, le « dressage ».
 Dans sa description des instances au fil desquelles se construit le moi de chacun de nous, nous percevons l’importance cruciale de deux répressions : celle du principe de plaisir confronté au principe de réalité tout d’abord puis celle de notre assimilation du sur-moi ensuite, c’est-à-dire de l’intériorisation par le biais de laquelle nous faisons « notre » l’expression de l’interdiction, de l’autorité parentale. Un être humain socialisé, pour Freud, c’est finalement d’abord et fondamentalement une sexualité réprimée, une tentative de gestion approximative entre nos pulsions sexuelles et l’assimilation d’une autorité répressive nous enjoignant de ne pas leur céder aveuglément.


3-    Le « génie de l’équivoque » et le « continuisme » (Merleau-Ponty – Jean-Claude Ameisen)
« Je pose un principe peu contestable, a donc écrit Georges Bataille, que l’homme est l’animal qui n’accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. » Mais est-il si peu contestable qu’il le prétend ? Parler, construire, édicter des lois, réprimer sa sexualité : tous ces comportements marquent-ils nécessairement une négation, un arrachement ? L’écrivain D H Lawrence soutient, par exemple,  que la chasteté elle-même est un flux de sexualité, une certaine façon de la vivre, voire de la libérer. Le langage nous impose-t-il nécessairement des attitudes anti naturelles ? Est-il si facile d’isoler dans nos comportements ce qui tiendrait de la culture et ce qui demeurerait de la nature ? Et s’il s’agissait davantage d’une question de regard, d’interprétation plutôt que d’une dissociation claire et brutale ?
C’est très exactement à une relativisation de cette contradiction que nous invite Maurice Merleau-Ponty : « Il n’est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d’embrasser dans l’amour que d’appeler “table” une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain, sont en réalité des institutions. Il est impossible de superposer chez l’homme une première couche de comportements que l’on appellerait “naturels” et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme, comme on voudra dire, en ce sens qu’il n’est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l’être simplement biologique, et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d’échappement et par un génie de l’équivoque qui pourraient servir à définir l’homme. »
« Comme on voudra dire » : cette expression suffit à nuancer considérablement la violence de l’opposition telle que Georges Bataille nous la décrivait. Il est tout aussi possible d’expliquer naturellement ce que l’on a tendance à imputer à notre apprentissage culturel que l’inverse. Etre père, par exemple, est nécessairement un « fait génétique » qui est inconcevable indépendamment d’un processus naturel de génération, mais en même temps, il ne suffit pas d’être géniteur pour être père. La paternité est une condition culturelle qui peut d’ailleurs dans certaines ethnies être confiée à une autre personne que le géniteur comme l’oncle notamment. La nature et la culture sont moins des dimensions qui s’excluent l’une l’autre comme si elles se situaient de part et d’autre d’une ligne de démarcation que des regards, des angles de vues, des façons différentes de rendre compte des mêmes phénomènes. Affirmer que c’est la culture qui fait l’homme, c’est seulement choisir une certaine manière d’interpréter le « phénomène humain », lequel pourrait être appréhendé tout aussi bien comme un fait naturel sans que les arguments avancés soient plus faux que ceux de la thèse opposée.
  

Selon Maurice Merleau-Ponty, c’est précisément dans cette ambiguité sur l’homme que tient le propre de l’homme. Dans l‘impossible résolution de l’existence humaine par l’une ou l’autre de ces options : nature/culture, se dit quelque chose d’une dérobade, d’un indiscernable, d’un « champ d’efficience » aussi incontournable qu’insituable qui pourrait exprimer, mieux qu’aucun autre critère « positif », l’authenticité humaine, le « style d’être humain », à savoir la réalité de notre ancrage dans un donné biologique et, en même temps, l’évitement de cette réduction de notre évolution à des déterminations génétiques, à des caractéristiques immuables, à des conduites animales. La finesse du propos du philosophe français réside dans le fait qu’il envisage la possibilité que l’opposition entre nature et culture est trop « facile » pour être vraiment efficiente. Elle caricature une réalité beaucoup plus fine que l’esprit de démarcation qui essaie d’en rendre compte : se pourrait-il que la culture soit plus « naturelle » que nous pensons et qu’inversement la nature soit toujours déjà « culturelle » ?
Qui de nous n’a jamais été interpellé par l’effet de simplification de l’affirmation : « C’est la nature » ou « c’est leur instinct » quand, par exemple, nous évoquons des conduites animales ? C’est une façon arbitraire et paresseuse d’évacuer une question, un problème, et plus encore, une suspicion que certains d’entre nous n’aiment pas s’avouer à eux-mêmes, à savoir la possibilité qu’il existe des « cultures animales ». Maurice Merleau-Ponty ne nous suivrait certainement pas sur ce terrain puisque pour lui, cet échappement, ce dépassement de l’opposition nature / culture désigne précisément et exclusivement « le génie de l’équivoque » humain, mais en formulant, au sujet de l’homme, la porosité de cette dualité, il rend possible la question de l’extension de cet échappement à tous les êtres vivants.

  

Des découvertes récentes en éthologie posent avec de plus en plus d’acuité la question de l’exclusivité du modèle culturel à l’espèce humaine. Si par culture, nous entendons transmission d’habitudes, de traditions et de mentalités d’une génération à une autre, alors il semble difficile d’appeler autrement l’aptitude observée chez des singes de l’île de Koshima de laver à l’eau de mer des patates douces avant de les consommer, aptitude qui semble s’être étendue à toute la tribu d’abord puis à d’autres groupes avec lesquels la première « horde » est entrée en contact. Si la culture fait l’animal, elle ne fait pas l’homme, en tant qu’espèce distincte du règne animal. Qu’il y ait de la culture qui s’oppose à la nature, n’est-ce pas le préjugé, l’artifice qu’une espèce a construit de toutes pièces afin de se l’approprier arbitrairement et d’en faire le critère distinctif de son « genre » ? Que la culture fasse l’homme, n’est-ce pas ce qu’il nous plaît de penser afin de poser comme une évidence hors de doute que l’homme n’est pas un animal ?
Il est particulièrement intéressant, dans cette perspective d’interroger celui qui a nous a infligé, selon Freud, notre deuxième blessure narcissique, à savoir notre parenté avec le singe : Darwin. Or, comme nous le rappelle Jean-Claude Ameisen dans cette vidéo, Darwin est continuiste, c’est-à-dire qu’il ne relève pas de critère qualitatif distinguant radicalement  l’homme de l’animal, la seule chose qui nous différencie est une question de degré. En d’autres termes, la bonne question à se poser pour comprendre les distinctions entre les espèces n’est pas de savoir «  ce qui » nous sépare mais « de combien »  nous sommes distants dans l’acquisition de telle ou telle aptitude. Nous ne sommes pas davantage distincts naturellement des autres espèces animales que nous ne sommes culturellement supérieurs à elles, nous ne sommes que plus ou moins ce qu’elles sont aussi, comme si rien dans le fait d’exister n’étaient autre chose qu’un flux incessant de variables, de fluctuations de façons d’être (cette idée n’est pas sans rapport avec la Philosophie de Spinoza). Ce n’est pas la culture qui fait l’homme, c’est un certain dosage de ce « vouloir vivre » et de ce « savoir vivre » que nous partageons avec tous les êtres vivants.



Conclusion :   Nous sommes partis de l’évidence d’une « réalité humaine » propre à cette espèce, manifestant en nous l’efficience d’une conscience, d’un langage d’une puissance de négation de tout ce qui est naturel (Bataille), mais cette capacité de résistance proprement humaine à l’égard d’une nature posée comme aveugle, inerte et immuable nous est finalement apparue non seulement comme caricaturale mais aussi comme suspecte en ceci qu’elle fait la part trop belle à l’homme. Si, comme le suggère Freud, le mouvement de la connaissance va de pair avec une logique tendant à « désanthropocentrer » notre rapport à l’univers, il nous faut bien reconnaître que la culture ne fait pas l’homme mais qu’elle manifeste, au contraire, la dynamique même de la complexification du Vivant.

 


mercredi 2 juin 2021

Humanité et Féminité


L’avenir de l’homme est la femme
Elle est la couleur de son âme
Elle est sa rumeur et son bruit
Et sans elle il n’est qu’un blasphème
Il n’est qu’un noyau sans le fruit
Sa bouche souffle un vent sauvage
Sa vie appartient aux ravages
Et sa propre main le détruit
 
Je vous dis que l’homme est né pour
La femme et né pour l’amour
Tout du monde ancien va changer
D’abord la vie et puis la mort
Et toutes choses partagées
Le pain blanc les baisers qui saignent
On verra le couple et son règne
Neiger comme les orangers
_______________________
Louis Aragon 1897-1982     le fou d’Elsa
 
 
 
 
        Si nous remontons aux origines de cette formulation célèbre ("la femme est l'avenir de l'homme"), nous devons évoquer "le fou d’Elsa" d’Aragon et nous réalisons plusieurs choses assez évidentes mais qui définisssent  vraiment l’intention première de l’auteur authentique (Jean Ferrat écrit à partir d’Aragon une chanson dans laquelle d’ailleurs « l’avenir de l’homme est la femme » devient « la femme est l’avenir de l’homme »).
           La première chose à remarquer est que l’interprétation qui consiste à faire de sa phrase un argument pour la guerre des sexes est littéralement stupide, parce qu’évidemment ce n’est pas de l’homme « mâle » dont il est question ici mais de l’humain. Aragon évoque finalement un changement de paradigme, une sorte de révolution douce au terme de laquelle ce que l’on peut appeler le féminin va en finir avec un mode de gouvernementalité patriarcal pour conduire l’humanité. Il n’est donc aucunement question de dire que le pouvoir va passer de mâle à femelle mais bien au contraire que l’humanité, homme et femme ensemble, va évoluer devenir autre chose, quelque chose de jamais vu:

Tout du monde ancien va changer
D’abord la vie et puis la mort
Et toutes choses partagées
Le pain blanc les baisers qui saignent
On verra le couple et son règne
Neiger comme les orangers

            

      « On verra le couple et son règne »: ce vers est fascinant, ne serait-ce que parce que deux interprétations sont possibles mais aussi parce qu’on mesure bien que ce n’est pas en terme de supériorité d’un sexe sur l’autre qu’Aragon envisage l’avenir féminin de l’humanité. C’est une révolution grâce à laquelle le couple devient « un règne » et ce terme peut à la fois définir une régence, un type de gouvernementalité, une certaine forme de souveraineté mais aussi un nouveau genre, une nouvelle espèce exactement comme on parle de règne végétal ou de règne animal. Le règne du couple pourrait ainsi désigner l’avènement d’une entente nouvelle entre homme et femme, probablement plus égalitaire évidemment mais aussi peut-être plus unie, plus complice, plus confondue.
        On peut remonter à l’histoire célèbre d’Oedipe et à son face à face avec le Sphinx. En fait on a vraiment tort de dire « le sphinx » au masculin puisque ce monstre a un buste et une tête de femme, un corps de lion, des ailes d’oiseau. Dans cette rencontre fatale, quelque chose nous est dit de l’homme et de la femme mais aussi plus symboliquement du destin de l’humanité, de ses choix, de la conséquence de ses choix. Il faut considérer qu’œdipe incarne à la fois le principe masculin et l’humanité et que la sphinge désigne quelque chose d’un principe féminin. Mais avant d’aller plus loin, il convient vraiment de distinguer le principe féminin du sexe féminin (Féminin ne veut pas dire femelle). On peut bénéficier de la compréhension de ce principe même si on est de sexe mâle. La phrase d’Aragon de toute façon est incompréhensible si l’on en reste à ce niveau d’interprétation: Aragon ne nous parle pas des mâles et des femelles, pas du tout, mais vraiment pas.
               
Donc de deux choses l’une: soit on ne parvient pas à s’élever au-delà de la distinction des genres mâle et femelle, et alors, on se condamne à tenir des propos très limités (style Julien Rochedy), soit on va plus avant et on essaie alors de comprendre ce fond de nuances entre le féminin et le masculin sachant qu’il n’est pas rare que des femmes se révèlent plus masculines que bien des hommes (on peut ici citer, comme le chanteur Renaud Margaret Thatcher) et que des hommes peuvent parfois cultiver davantage le féminin que beaucoup de femmes (comme Gandhi ou à l’écrivain anglais David Herbert Lawrence qui a écrit notamment « l’amant de Lady Chatterley). Autant il est complètement faux de dire qu’il y a des tâches qui seraient faites pour les hommes en tant que mâles et d’autres pour les femmes (femelles), autant il est exact qu’il y a un type d’intelligence voire de rapport au monde qui constitue ce que l’on pourrait appeler « le féminin »  plus intuitif, plus singulier, plus naturel et un autre que l’on peut appeler le masculin qui est plus rationnel, plus généralisant, plus édifiant, plus solennel, en un mot: plus législateur. C'est peut-être le fondement même de toute prière, de toute gestuelle ou de tout rite dont la formule liminaire est: "au nom du Père".
        Nous saisissons parfaitement cette différence dans le face à face entre Oedipe et la sphinge. Lui est le déchiffreur d’énigmes, l’intelligence claire qui veut toujours imposer la lumière dans la confusion, qui veut savoir d’où il vient, quelle est son origine, qui peut deviner la solution de l’énigme, qui veut comprendre pourquoi il y a la peste à Thèbes et qui va ainsi déclencher l’enquête visant à en désigner le responsable sans savoir qu’il s’agit de lui. Face à lui, il y a ce monstre mi-femme mi-animale qui représente la confusion des genres et des règnes, un savoir plus intuitif, plus caché, plus indescriptible mais surtout irréductible à toute classification, à toute catégorisation linguistique ou conceptuelle. Dans ce duel, c’est le principe du masculin qui s’oppose au principe du féminin, c’est aussi deux types d’intelligence: conceptuel et humain pour œdipe et intuitif, subtil et plus naturel, presque animal pour la sphinge.
          
                Or si l’on peut croire que le savoir conceptuel parvient à dépasser et à vaincre l’intelligence intuitive dans un premier temps puisque Œdipe devine l’énigme de la sphinge et la condamne ainsi à la mort, on sait bien que cette victoire conduira Œdipe à se marier avec sa  propre mère et à occuper la charge royale, ce qui va susciter une réaction en chaîne de malheurs aboutissant au suicide de Jocaste et à l’aveuglement d’œdipe. Cela veut dire qu’il va se crever les yeux de l’intelligence masculine, conceptuelle, techno-scientifique pour s’ouvrir peut-être à une intelligence plus intuitive, plus fine, plus subtile et plus inconsciente, celle-là même qu’il avait croisé sans la reconnaître dans son duel avec la sphinge. Elle n’a en fait pas tant perdu que ça le face à face, puisque c’est en tant qu’homme errant, vagabond, marginalisé, errant seul avec sa fille Antigone, qu’Oedipe, le si clairvoyant déchiffreur d’énigmes, va finir sa vie. Que cette  ultime errance est plus riche qu’il n’y paraît c’est ce que l’écrivain Henri Bauchau a magnifiquement développé dans un livre qui s’intitule « Oedipe sur la route ».
        Oedipe manifeste d’abord à l’égard de sa situation et du trouble de ses origines une intelligence conceptuelle, presque scientifique, humaine, législatrice. Il veut comprendre les lois et clarifier son rapport à sa naissance, tout comme l’Homme en fait parce que ce trouble qu’Oedipe ressent à son égard c’est aussi celui qui définit le genre humain, comme Pascal l'a souvent écrit. Il est ainsi parfaitement aveugle à la perspective de l’intelligence intuitive, plus confuse, plus fine mais aussi plus implicite et inconsciente. Sa vie décrit le renversement de cette perspective en aboutissant à l’épreuve d’un malheur si total qu’il n’a comme issue que de fermer ses yeux à l’intelligence conceptuelle et législatrice pour s’ouvrer à celle, intuitive, d’une errance guidée par une femme: Antigone, femme dont on sait bien qu’elle incarnera elle aussi, contre le pouvoir du roi Créon, l’affirmation d’une autorité plus individuelle (ce qui signifie le contraire d'individualiste), moins légale et plus charismatique, plus naturelle, plus féminine et plus autarcique.
           

                    Il est possible que finalement Aragon n’exprime rien d’autre que la justesse de cette lecture du mythe d’œdipe, avec tout ce qu’elle contient d’éclairant. Il existe une intelligence que l’on peut qualifier de masculine à condition de bien préciser qu’elle n’a rien à voir avec le sexe mâle. Cette intelligence ou cette approche du monde et de la vie est conceptuelle, législatrice (elle veut voir les lois dans l’univers et en imposer des civiles dans la cité), universelle, à portée scientifique. Elle est classificatrice, fondée sur la langue et les catégorisations, sur tout ce qui est rationnel, clair, démonstratif.  Elle a à voir avec ce que Pascal appelle  « la vérité de raison ». Elle est très utile et a constitué jusque là notre modèle de compréhension de l’univers, de la vie et de l’homme, modèle de compréhension imposant par là-même un modèle de transformation.
              
Seulement voilà: elle a donc une part de responsabilité dans l’évolution du monde que nous connaissons actuellement. Elle à l’origine de la place prépondérante qu’ont pris dans nos sociétés occidentales, mais maintenant via la mondialisation, dans le monde entier: le pouvoir, le patriarcat, la techno-science.  Et il n’est pas interdit de penser que cette voie est en train de montrer qu’elle nous conduit dans une impasse. Il est donc temps de changer de " paradigme", de modèle de compréhension de soi, de l’homme, de la vie, du monde, du cosmos, pour obéir non plus au pouvoir mais à la puissance, non à la loi, mais à l’intuition, non plus à l’universalisation de la techno-science ou du capitalisme mais de libérer ces flux d'attention que nous sommes susceptibles de porter à ces points remarquables qui constituent la texture souple de la vie.
        Cette affirmation de l’avenir féminin de l’humanité apparaît de façon plus évidente dés lors que nous manifestons cette aptitude à débarrasser entièrement ces principes du masculin et du féminin de leur ancrage biologique sexuel (Mâle / femelle).  Dés lors la distinction entre le masculin et le féminin se retrouve entièrement dans celle de la puissance et du pouvoir.
                Le pouvoir est discontinu, il s’impose par la rupture, il est décrété, délégué, élu mais repose donc toujours sur des institutions humaines. Il est transcendant et s’appuie sur une autorité légale, artificielle. La puissance est exactement tout le contraire de cela: elle est continue, naturelle, charismatique, fluide. Elle est immanente et ne s’impose spontanément qu’à partir d’elle-même et de ce qu’elle devient en suivant inexorablement et naturellement son cours. La phrase d’Aragon reprise par Jean Ferrat doit donc se comprendre de la façon suivante: le féminin est le seul avenir de l’humanité possible et de ce que nous percevons nous aujourd’hui de l’état de l’humanité et de la terre tel qu’elles sont, de la pandémie au réchauffement climatique , en passant par le creusement des inégalités provoquées par le mondialisme, nous ne percevons pas comment le résultat de cette analyse pourrait être contredit.