dimanche 31 mars 2019

La création d'une oeuvre d'art est-elle plus libératrice que l'accomplissement d'un travail? (version résumée)

1) Plan
        Les notions d’oeuvre d’art et de travail sont trop complexes pour constituer un axe autour duquel nous pourrions construire le plan. Par contre, la libération désigne l’action de se détacher d’une contrainte et le rapport entre le travail salarié et le besoin vital, d’une part, et l’oeuvre d’art par rapport aux conventions d’autre part, augure bien d’un plan possible, dans la mesure où cela nous permet de dégager des pistes de réflexion plausibles: est-ce que le travail nous permet de nous libérer de la nature et de nos pulsions vitales ou animales? L’art nous libère-t-il de la pression exercée par les règles, les normes, etc? Mais il convient d’ordonner ces différentes contraintes et de définir « ce qui » pourrait se libérer de ces tentatives de détachement.


2) L’introduction
       

Notre introduction doit souligner ce qui effectivement distingue profondément l’oeuvre d’art et le travail et de questionner l’aspect quantitatif (plus) du problème posé. Nous savons pourquoi nous travaillons parce que c’est l’une des conditions d’intégration à une société, à une communauté. Nous ne savons pas aussi clairement pourquoi l’artiste crée une oeuvre. La difficulté tient donc à l’hétérogénéité profonde de ces deux activités qui doivent nécessairement se ranger dans une communauté de nature si l’on veut élire celui ou celle qui nous libère le plus. On ne peut pas faire une course si les deux participants sont irréconciliables dans le test d’une même épreuve. Nous devons avoir à l’esprit qu’il y a peut-être une contradiction dans le présupposé de l’énoncé: si l’art et le travail sont si différents, comment l’un pourrait-il nous libérer « plus » que l’autre, il le fera autrement mais pas davantage. Inversement, si l’art et le travail désignent finalement un effort dont la nature est identique, alors le travail et l’art sont une seule et même efficience et sont-il encore différentiables? Ceci dit, c’est dans cette dernière perspective que le sujet a le plus de sens: l’art est-il du "travail plus » ou du travail « moins »? Dans quelle direction faut-il orienter le curseur sur cet axe unique puisque l’un n’est qu’un moindre ou supérieur degré de l’autre.

3) La dissertation en résumé


1) La création d’une oeuvre d’art nous libére-t-elle davantage de la nature que l’accomplissement d’un travail?
           a) La triple libération
            Le travail est la « peine » à laquelle est condamné l’esclave pour avoir perdu le duel des consciences qui l’opposait au maître, mais il renversera précisément ce rapport en transformant la matière en monde fait pour et par lui. Le travail permet donc à l’esclave de se libérer du maître, de la nature, de sa nature
        b) Le travail, l’oeuvre et l’interdit
            Cette conception s’oppose totalement à la distinction que fait Hannah Arendt entre le travail et l’ouvre puisque le premier cité ne permet pas à l’homme de sortir du cycle répétitif et primaire de la production et de la consommation. Le travail ne vise qu’à produire des biens de consommation immédiate contrairement à l’oeuvre qui elle installe un monde humain durable.
            De plus, il faudrait savoir de façon plus concrète en quoi consiste exactement cette contradiction par l’homme de sa nature via le travail selon Hegel. Georges Bataille suggère qu’il sait de l’Interdit, ce qui fait écho à la thèse de Lévi-Strauss selon laquelle le fait culturel par excellence est la prohibition de l’inceste (qui rend possible l’exogamie). Il y a donc un paradoxe c’est que nous nous libérons de la nature moins par le travail que par l’interdit, qui est premier, notamment parce qu’il recèle une immersion dans le Religieux.
        c) Nature naturante et création
           

Toutefois, nous n‘avons envisagé ici que la nature au sens d’instinct primaire ou de choses naturelles. Spinoza nous rappelle qu’il existe un autre sens, celui de la nature naturante, Deus sive natura, c’est-à-dire de Dieu. Or, nous retrouvons, notamment chez Heidegger, l’idée selon laquelle l’artiste saisit précisément cette naturante naturante à l’oeuvre dans la venue au monde de ces chaussures de paysanne. Il existe trois modalités d’explication de la présence d’un motif: chronologique, technique, existentielle. Une oeuvre consiste dans la saisie de cette troisième modalité d’explication d’un monde là, d’un être là: le Da Sein. Ce n’e’st pas que l’oeuvre d’art libère l’artiste dans cette perspective, c’est plutôt qu’elle consiste dans ce que l’on pourrait appeler un cliché de Dieu, un moment de la nature naturante à l’oeuvre, par quoi le monde est monde.

2) La création d’une oeuvre d’art nous libére-t-elle davantage des conventions et du langage que l’accomplissement d’un travail?

                a) Solidarité mécanique et solidarité organique
           

Durkheim insiste sur l ‘évolution positive en termes de libération de l’individu de la division du travail. Le citoyen est ainsi passé d’une solidarité mécanique (tout le monde faisant des travaux non spécialisés, chaque individu étant le rouage d’une mécanique) à une solidarité sociale de type organique (chaque individu est l’organe d’un corps qui est la société). L’étymologie d’organe (organon) pose question puisque il semble impossible d’envisager une libération qui ne soit pas instrumentalisée.

               b) Le génie de l’artiste le libère-t-il de règles?
            Pour Kant, toute oeuvre d’art suppose des règles, mais dans le cas des Beaux Arts, ces règles ne viennent pas de l’homme parce que le Beau n’est pas un concept. Les règles viennent donc de la nature. L’artiste est donc l’auteur d’une oeuvre qu’il est conscient de faire, qu’il veut faire mais en même temps, qu’il ne fait pas vraiment, parce qu’il ne comprend pas ce qu’il fait. Il est conscient de l’oeuvre mais il n’en a pas la connaissance. Quelque chose se libère en lui: la nature mais ce n’est pas lui qui se libère.
       c)La création d’une oeuvre nous libère-t-elle davantage du langage que l’accomplissement d’un travail?
       

Le langage est une dictature parce que l’on ne peut ni penser, ni ressentir, ni exister sans lui. Quoi qu’on dise contre le langage, on l’utilisera pour l’exprimer. Le « verbe » est ce qui rend possible un « monde » en lieu et place du chaos. On ne peut pas parler, éprouver sans utiliser des formes grammaticales ou syntaxiques imposées. Comme dit Roland Barthes, « le langage est un huis clos. ». Mais alors comment se libérer? Par cette capacité de tricher la langue que Barthes appelle littérature. Parler dans une langue étrangère à la langue elle-même. C’est ce que font les poètes comme Gherassim Lucca.
3) La création d’une oeuvre d’art nous libère-t-elle davantage du temps que l’accomplissement d’un travail?

              a) la durée immortelle de l’oeuvre
« Parmi les choses qu'on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué par l'homme, on distingue entre objets d'usage et oeuvres d'art ; tous deux possèdent une certaine permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle dans le cas de l'oeuvre d'art. En tant que tels, ils se distinguent d'une part des produits de consommation, dont la durée au monde excède à peine le temps nécessaire à les préparer, et d'autre part, des produits de l'action, comme les événements, les actes et les mots, tous en eux-mêmes si transitoires qu'ils survivraient à peine à l'heure ou au jour où ils apparaissent au monde, s'ils n'étaient conservés d'abord par la mémoire de l'homme, qui les tisse en récits, et puis par ses facultés de fabrication. Du point de vue de la durée pure, les oeuvres d'art sont clairement supérieures à toutes les autres choses; comme elles durent plus longtemps au monde que n'importe quoi d'autre, elles sont les plus mondaines des choses. Davantage, elles sont les seules choses à n'avoir aucune fonction dans le processus vital de la société; à proprement parler, elles ne sont pas fabriquées pour les hommes, mais pour le monde, qui est destiné à survivre à la vie limitée des mortels, au va-et-vient des générations. Non seulement elles ne sont pas consommées comme des biens de consommation, ni usées comme des objets d'usage: mais elles sont délibérément écartées des procès de consommation et d'utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités de la vie humaine. »
                            Hannah Arendt, La Crise de la culture

           b) Le présent de l’oeuvre
« Il  est impossible de concevoir le Musée comme historique. Pour un peintre du moins. Ce serait simplement ridicule. Vous vous imaginez un peintre qui arrive devant le Musée en considérant chaque salle comme un produit? Les colonies produisent des bananes...  Le XVIe siècle produit l'art du XVIe siècle ? C'est dément ! Il est bien entendu que pour n'importe quel peintre, ce qui compte de l'art du passé est présent... J'avais pris l'exemple du saint : pour celui qui prie, le saint a son point d'appui dans une vie historique. Mais il a une autre vie au moment où on est en train de le prier : quand on le prie, il est présent. En somme, le saint est dans trois temps : il est dans son éternité, il est dans son temps historique ou chronologique, et il est dans le présent. Pour moi, ce serait presque la réponse à la question  « qu'est-ce pour vous qu'une œuvre d'art ? » C'est une œuvre qui a un présent. Alors que tout le reste du passé n'a pas de présent. Alexandre a une légende, il a une histoire,  mais il n'a pas de présent. Vous  sentez  bien que vous ne pouvez pas ressentir de la même façon une peinture de Lascaux et un silex taillé. Le silex taillé est dans l'histoire chronologique. Le bison peint y est aussi, mais en même temps, il est ailleurs. »        
                            André Malraux - « Le miroir des limbes »
            c) Le travail, l’habitude et l’extase
       

« Le besoin nous contraint au travail dont le produit apaise le besoin : le réveil toujours nouveau des besoins nous habitue au travail. Mais dans les pauses où les besoins sont apaisés et, pour ainsi dire, endormis, l'ennui vient nous surprendre. Qu'est-ce à dire? C'est l'habitude du travail en général qui se fait à présent sentir comme un besoin nouveau, adventice; il sera d'autant plus fort que l'on est plus fort habitué à travailler, peut-être même que l'on a souffert plus fort des besoins. Pour échapper à l'ennui, l'homme travaille au-delà de la mesure de ses autres besoins ou il invente le jeu, c'est-à-dire le travail qui ne doit apaiser aucun autre besoin que celui du travail en général. Celui qui est saoul du jeu et qui n'a point, par de nouveaux besoins, de raison de travailler, celui-là est pris parfois du désir d'un troisième état, qui serait au jeu ce que planer est à danser, ce que danser est à marcher, d'un mouvement bienheureux et paisible : c'est la vision du bonheur des artistes et des philosophes. »
                                                               Friedrich Nietzsche
Conclusion
           

La création ne nous libère pas davantage que le travail. Il faut trouver  et ouvrir dans les contraintes imposées par le travail l’espace du jeu et de l’habitude. Cela revient à convertir la poiesis en praxis, comme le fait Pénélope. Elle se libère des contraintes des hommes, du mariage forcé, et même de celles de l’épopée en remettant inlassablement sur le métier son ouvrage, en s’investissant exclusivement dans le présent de l’action indépendamment de son fruit supposé. Elle dit « oui » à l’Eternel retour Nietzschéen. Sisyphe travaille-t-il en roulant sa pierre jusqu’au sommet de la montagne? Oui, mais pas seulement: il construit du sens, il a renoncé à le trouver dans la croyance et c’est cette construction que l’on désigne aussi du nom « d’art ». On fait une oeuvre dés lors que l’on donne du sens au travail. C’est la raison pour laquelle, comme le dit Albert Camus il faut imaginer Sisyphe heureux. »

jeudi 28 mars 2019

Peut-on "venir au monde" sans langage? Texte de Roland Barthes

Mais la langue, comme performance de tout langage, n'est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste ; car le fascisme, ce n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à dire.
Dès qu'elle est proférée, fût-ce dans l'intimité la plus profonde du sujet, la langue entre au service d'un pouvoir. En elle, immanquablement, deux rubriques se dessinent : l'autorité de l'assertion, la grégarité de la répétition. D'une part la langue est immédiatement assertive : la négation, le doute, la possibilité, la suspension de jugement requièrent des opérateurs particuliers qui sont eux-mêmes repris dans un jeu de masques langagiers ; ce que les linguistes appellent la modalité n'est jamais que le supplément de la langue, ou ce par quoi, telle une supplique, j'essaye de fléchir son pouvoir implacable de constatation. 
D'autre part, les signes dont la langue est faite, les signes n'existent que pour autant qu'ils sont reconnus, c'est à dire pour autant qu'ils se répètent ; le signe est suiviste, grégaire ; en chaque signe dort ce monstre : un stéréotype : je ne puis jamais parler qu'en ramassant ce qui traîne dans la langue. Dès lors que j'énonce, ces deux rubriques se rejoignent en moi, je suis à la fois maître et esclave : je ne me contente pas de répéter ce qui a été dit, de me loger confortablement dans la servitude des signes : je dis, j'affirme, j'assène ce que je répète.

Dans la langue, donc, servilité et pouvoir se confondent inéluctablement. Si l'on appelle liberté, non seulement la puissance de se soustraire au pouvoir, mais aussi et surtout celle de ne soumettre personne, il ne peut donc y avoir de liberté que hors du langage. Malheureusement, le langage humain est sans extérieur : c'est un huis clos. On ne peut en sortir qu'au prix de l'impossible : par la singularité mystique, telle que la décrit Kierkegaard, lorsqu'il définit le sacrifice d'Abraham, comme un acte inouï, vide de toute parole, même intérieure, dressé contre la généralité, la grégarité, la moralité du langage ; ou encore par l'amen nietzschéen, ce qui est comme une secousse jubilatoire donnée à la servilité de la langue, à ce que Deleuze appelle son manteau réactif. Mais à nous, qui ne sommes ni des chevaliers de la foi ni des surhommes, il ne reste, si je puis dire, qu'à tricher avec la langue, qu'à tricher la langue. Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d'entendre la langue hors-pouvoir, dans la splendeur d'une révolution permanente du langage, je l'appelle pour ma part : littérature.



mercredi 27 mars 2019

V. U. M. (very unexpected meeting) Hannah Arendt et Florent Pagny

(Après Lou-Andrés Salomé et Jean-Jacques Goldman, nous proposons une très improbable rencontre entre Hannah Arendt et Florent Pagny. Sur quel sujet pourraient-ils avoir quelque chose à se dire? Sur la liberté. Tous mes élèves connaissent Hannah Arendt parce que nous n’avons parlé que d’elle pendant un mois et demi. J’ai omis de leur parler de Florent Pagny. Interrogé sur le nom du philosophe qu’il préférait, Florent Pagny a déclaré: « moi-même ». Quelques mots sur "l’oeuvre" citée dans ce dialogue. En 2005, Florent Pagny est condamné pour fraude fiscale. C’est en réponse à cette condamnation qu’il choisira d’interpréter cette chanson relatant ses aventures avec le Fisc français. Il s’exilera également en Argentine. Ce dernier acte fortement revendicatif et de très haute volée politique ne suffira pas malheureusement à le convaincre que les français ne méritent pas ses chansons)

Hannah Arendt - « La raison d’être de la politique est la liberté et son champ d’expérience est l’action. »
Florent Pagny - Quitte à tout prendre prenez mes gosses et la télé, ma brosse à dents, mon revolver, la voiture, ça c’est déjà fait avec les interdits bancaires…
H A - Je ne dis pas non pour la voiture. Les gosses…J’sais pas trop…Si je me suis retenue d’en faire c’est pas pour me coltiner ceux d’un chanteur de variété. La brosse à dents c’est pas tip top hygiénique…
F P - Prenez ma femme le canapé, le micro ondes, le frigidaire, et même jusqu’à ma vie privée….
H A - Dans l’antiquité grecque, être libre exigeait la compagnie d’autres hommes dont la situation était la même, et demandait un espace public commun où les rencontrer - un monde politiquement organisé, en d’autres termes, où chacun des hommes libres pût s’insérer par la parole et par l’action, alors ta vie privée, mon petit poussin! Tu vois ce que je veux dire?

F P - De toute façon je peux bien vendre mon âme au diable, avec lui, on peut s’arranger, puisque ici tout est négociable, mais vous n’aurez pas ma liberté de penser.
H A -  Honnêtement, c’est déjà ça de gagné! Sans vouloir t’offenser…Flo! (Je peux t’appeler Flo? Je t’appellerai bien Pagny mais ça fait sandwich italien et ça me donne faim). Tu vois ta liberté de penser, ce n’est ni de la liberté parce que la vraie liberté consiste dans l’action, ni de la pensée, parce que bon si c’en était vraiment, t’aurais écrit la chanson toi-même (bien que racontant son histoire, les paroles de cette chanson ont été écrites par Lionel Florence). Sans rancune, Bro!
F P - Prenez mon lit, les disques d’or, ma bonne humeur, les p’tites cuillères, tout c’qu’à vos yeux a d’la valeur, et dont je n’ai plus rien à faire, Quitte à tout prendre, n’oubliez pas le shit planqué sous l’étagère…
H A - Pas si vite, pas si vite: le lit. Si tu veux. Tes disques d’or, je soupçonne que tu l'aies fait glisser dans ta chanson pour rappeler que t’en as gagnés. C’est marrant: c’est comme si je rappelais dans mes livres tous mes diplômes de philosophie. Flo! Qu’est-ce qui a fait de toi un homme brisé? Ta bonne humeur? Tu vois bien que t’es pas au summum de ta forme. Qu’est-ce que tu aurais qui pourrait avoir de la valeur pour moi? C’est une bonne question...Je sais pas: des boules quiès ? Le shit planqué sous l’étagère? Dis donc mon lapinou! T’es un vrai rebelle toi!
F P - Tout c’qui est beau et compte pour moi. J’préfère qu’ça parte à l’Abbé Pierre. J’peux donner mon corps à la science
H A - Tout ce que tu veux, mon Pagnynou, pourvu que tu me le donnes pas à moi!
 
F P J’peux vider mes poches sur la table, ça fait longtemps qu’elles sont trouées, baisser mon froc, j’en suis capable, mais vous n’aurez pas ma liberté de penser.
H A  Ecoute mon Choupinou! J’ai tout lu Freud. Ton petit côté « j’m’exhibe, j’donne mes enfants, et j’fume des herbes », ça fait très « Jean-Jacques Rousseau ». Bref, la paranoïa est pas loin. T’as pensé à consulter?
F P  Pour que vos petites affaires s’arrangent, j’prends juste mon pyjama rayé, j’vous fait cadeau des oranges. Vous pouvez même bien tout garder, j’emporterai rien en enfer. Quitte à tout  prendre, j’préfère y aller si l’paradis vous est offert.
H A C’est tout mignon ça: ça fume du shit et ça croit encore au paradis et à l’enfer! Franchement tu devrais arrêter la fumette, sinon tu finiras par confondre ton percepteur avec le Ragnarok et on le retrouvera avec un marteau coincé dans les gencives!
F P Je peux bien vendre mon âme au diable avec lui, on peut s’arranger, puisqu’ici tout est négociable, mais vous n’aurez pas, non, vous n’aurez pas ma liberté de penser, ma liberté de penser.
H A - On essaiera de faire sans, mon Paninou! Dis donc! Puisque on parle de donner des trucs, tu voudrais bien lâcher ce micro et prendre un livre? Tiens celui-là! J’te l’offre. Lis ce passage! Non pas là, ça c’est la page de garde. Là voilà! Mets le à l’endroit maintenant. C’est bien! Lis: « Le champ où la liberté a toujours été connue, non comme un problème certes, mais comme un fait de la vie quotidienne, est le domaine politique. Et même aujourd’hui, que nous le sachions ou non, la question de la politique et le fait que l’homme possède le don de l’action doit toujours être présente à notre esprit quand nous parlons de la liberté, laquelle ne peut se concevoir qu’en tant que participation à la polis, à la cité.  Donner une partie de son argent à la communauté est donc un acte libre en même tant qu’un accomplissement de soi comme citoyen. » Ça veut dire que c’est justement quand tu paies tes impôts que tu fais un acte politique donc libre. Moins tu veux les payer et plus tu t’éloignes de la seule vraie liberté qui existe. 


(Quelques minutes de philosophie sérieuse dans ce monde de brutes: si Hannah Arendt avait vraiment eu à commenter cette très oubliable chanson: il est possible qu'elle lui aurait adressée, avec toutes les réserves d'usage (à savoir qu'Epictète chantait mieux et réfléchissait plus) les mêmes critiques que celles qu'elle exprime contre le philosophe stoïcien. Agressé par le fisc, Florent Pagny cherche quelque chose que l'on ne pourra pas lui prendre: sa liberté de penser. C'est ce que Marc Aurèle appelle "la citadelle intérieure", à savoir cette capacité qu'a l'âme de se constituer comme une plate forte imprenable. Pour Hannah Arendt la liberté intérieure d'Epictète est une liberté de "propriétaire empêché". C'est donc la même chose mais alors pourquoi faut-il citer Epictète ou Marc-Aurèle plutôt que Florent Pagny? Euh! Faut-il vraiment répondre à cette interrogation?)

mardi 26 mars 2019

capter des forces - Gilles Deleuze

« En art, et en peinture comme en musique, il ne s’agit pas de reproduire ou d’inventer des formes, mais de capter des forces. C’est même par là qu’aucun art n’est figuratif. La célèbre formule de Paul Klee « non pas rendre le visible, mais rendre visible » ne signifie pas autre chose. La tâche de la peinture est définie comme la tentative de rendre visibles des forces qui ne le sont pas. De même la musique s’efforce de rendre sonores des forces qui ne le sont pas. C’est une évidence. La force est en rapport étroit avec la sensation : il faut qu’une force s’exerce sur un corps, c’est-à-dire sur un endroit de l’onde, pour qu’il y ait sensation. Mais si la force est condition de la sensation, ce n’est pourtant pas elle qui est sentie, puisque la sensation donne tout autre chose à partir des forces qui la conditionnent. Comment la sensation pourra-t-elle suffisamment se retourner sur elle-même, se détendre ou se contracter, pour capter dans ce qu’elle nous donne les forces non données, pour faire sentir les forces insensibles et s’élever jusqu’à ses propres conditions ? (…) Il semble que, dans l’histoire de la peinture, les Figures de Bacon soient une des réponses les plus merveilleuses à la question : comment rendre visibles des forces invisibles ?


















mercredi 20 mars 2019

Légaliser l'assistance sexuelle aux personnes handicapées

Il s’agit en fait de légaliser une profession qui s’exerce dans d’autres pays européens et qui consiste, après avoir suivi une formation, à aider une personne handicapée physique ou mentale à avoir une relation sexuelle ou érotique.

1- Est-ce assimilable à de la prostitution?
        En France si une association mettait en relation des personnes handicapées et des assistants ou assistantes sexuelles, elle serait accusée de proxénétisme et tomberait sous le coup de la loi. C’est peut-être là le premier point qui demande à être questionné: cette assistance peut-elle être considérée et définie comme de la prostitution? Oui parce qu’il s’agit bel et bien d’un service rémunéré et que ce service suppose de faire commerce de son corps. Non parce que la personne qui a recours à des prostituées (et qui d’ailleurs est passible d’une amende) choisit d’aborder sous l’angle de la tractation commerciale un échange qui repose habituellement sur le consentement mutuel et gratuit des deux partis. L’amour physique dans la prostitution est abordé et pratiqué comme une marchandisation sur le fond d’une réalité sentimentale qui pourrait ne pas l’être. Pour être plus clair, dans une relation Client / Prostituée, le client intègre dans le plaisir qu’il va retirer de la relation les facilités induites par le statut de payeur dans une relation tarifée: ce n’est pas parce que tu le désires que tu fais ça mais parce que je te paye. L’argent rend possible et explicite des actions et des gestes qui dans une relation amoureuse consentie et gratuite suivent des voies beaucoup plus souterraines, implicites, non dites. Ce que la prostitution garantit en fait, c’est la marchandisation des fantasmes.
        Or l’assistance sexuelle aux personnes handicapées ne se situe pas exactement dans cette même conception des rapports client / assistant, parce que le handicap dont souffre le client rend difficile voire impossible la rencontre avec un partenaire consentant pour une relation gratuite. Le client ne paye pas par un certain type de relations sexuelles (marchandisation des fantasmes) mais pour qu’une relation sexuelle ait lieu sachant que la personne peut n’en avoir jamais vécue une seule ou, en tout cas, éprouve beaucoup de difficultés à le faire. En ce sens, la légalisation de l’assistance sexuelle aux personnes handicapées pose directement la question du droit (universel) à la sexualité.
     
Mais cette question est en elle-même un problème, car à la fois on n’imagine pas la sexualité revendiquée dans une constitution au même titre que l’égalité ou la liberté (on voit mal en effet la devise de la République ainsi libellée: Liberté Egalité Sexualité) et en même temps, l’idée selon laquelle des personnes seraient privées de cette aptitude fondamentale et naturelle à la jouissance sexuelle à cause de leur handicap peut, peut-être à bon droit, nous apparaître comme une injustice. Le droit n’est-il pas voué, selon des nombreux auteurs, à corriger les injustices et les inégalités causés par la nature?
Dés lors, on mesure bien la différence radicale entre la personne prostituée et celle qui fait de l’assistanat sexuel: à savoir que la première le fait par intérêt et la seconde par altruisme, et si l’on argumente alors pour dire qu’il serait effectivement mieux qu’elle le fasse bénévolement, on néglige 1) le simple fait que cette relation induit des frais, ne serait-ce que de déplacement 2) que ce « service » pousse très loin la notion de dévouement 3) qu’il requiert indubitablement une « formation » (cet aspect est très important car il pose la question de la « professionnalisation » - Il ne fait aucun doute qu’on ne saurait aborder ce type de service sans avoir acquis des notions toute à la fois médicales, thérapeutiques, psychologiques, éventuellement psychiatriques, aussi bien qu’humaines (tact, sens de la relation), et, en même temps, quelque chose nous embarrasse dans la représentation d’un commerce physique non seulement programmé, mais aussi ciblé et abordé dans les termes d’une compétence faisant l’objet d’une acquisition).
   
Philosophiquement l’une des questions essentielles est celle de savoir si l’on peut affirmer que l’on peut faire l’amour par altruisme? Peut-on accorder à la relation sexuelle qu’une personne accepte d’avoir avec un handicapé une valeur morale? Peut-on faire l’amour par gentillesse, par vertu, par « humanité »?

2 - Peut-on concevoir une relation sexuelle comme un acte d’altruisme?
       
On n’imagine pas dans un couple que l’un des partenaires dise à l’autre, avant d’accomplir le « devoir conjugal » (le terme ici est intéressant puisque il a une connotation morale forte) qu’il va lui « rendre service », d’abord évidemment parce qu’il ne s’agit pas d’un service mais d’une pulsion, d’une envie, d’une attraction, ensuite parce que la relation n’est pas unilatérale mais réciproque (même si cette réciprocité pose indiscutablement question en ceci qu’il est fort peu probable qu’elle soit réellement efficiente: l’un des deux a probablement plus envie que l’autre). En troisième lieu, une action morale est, selon Kant, une action que l’on commet par pure bonne volonté, c’est-à-dire de façon désintéressée, pure, sans en attendre le moindre bénéfice personnel physique ou autre. Pour reprendre un terme kantien, aucune action ne peut être morale si elle concerne, en nous,  le moi empirique. Or précisément, on ne voit absolument rien qui, dans la relation amoureuse, pourrait se concevoir indépendamment des sens, de la sensualité, des sentiments, bref de tout ce que Kant désigne assez péjorativement du terme de « motivations pathologiques ».
        On sait que Kant nous donne ce qu’une enseignante en philosophie Marianne Chaillan appelle « un Kit d’évaluation morale ». Il existe en effet trois formules de l’impératif catégorique qu’il convient de concevoir comme un triple crible aux travers duquel il faut faire passer la maxime de l’action envisagée, donc ici la relation amoureuse. Voici les trois formules:
1) « Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. » (critère de cohérence interne: cette maxime ne deviendrait elle pas contradictoire si on l’universalisait?)
2) « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature (critère de cohérence externe: peut-on l’appliquer?)
3) Agis toujours en sorte de traiter l’humanité en ta personne comme en celle d’Autrui toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen. » Il s’agit de ne jamais réduire l’autre  ou soi-même à n’être que le moyen d’une fin extérieure.
        Il est, de toute façon clair que pour Kant, l’idée même que l’on puisse poser la question est totalement saugrenue et parfaitement stupide, mais si l’on y regarde de plus près, on réalise que c’est surtout la troisième formulation qui, sans discussion aucune, nous impose de ne pas considérer comme morale la relation sexuelle que l’on propose à Autrui. Pourquoi? Tout simplement parce que toute rapport sexuel est, dans sa nature même, une instrumentalisation réciproque et consentie du corps de l’autre, lequel est forcément utilisé en vue de procurer du plaisir à son partenaire et inversement.
        Pour Emmanuel Kant, il est absolument impossible de considérer que cet acte puisse être moral, non seulement parce qu’il est intéressé, non seulement parce que l’on y utilise le corps d’autrui comme un moyen mais aussi et surtout parce qu’il n’est pas libre, c’est-à-dire que notre statut d’homme raisonnable et universel ne peut d’aucune façon s’y manifester. L’entente amoureuse repose sur des facteurs fondamentalement confus, subjectifs, non universalisables, parfaitement irrationnels, inconstants, voire indicibles et non formulables.
       
La relation à Autrui dans un rapport amoureux est philosophiquement moins analysable que le simple rapport à Autrui dans la société, tout simplement parce qu’il n’est pas possible de partir du principe que c’est une relation de conscience à conscience. Ce n’est pas la reconnaissance, ni le respect qui sont recherchés dans l’amour. Nous n’y sommes pas impliqués en tant que sujet, en tant que personne morale.
        C’est exactement comme si le sujet cartésien du « Je pense » expérimentait dans la relation amoureuse une dimension de la réalité plus trouble à l’intérieur de laquelle plus rien n’est revendicable, c’est-à-dire précisément où le « je pense » n’a plus cours, ni sens. On y existe mais moins en tant que sujet volontaire qu’en tant qu’objet d’inclination. Nos actes ne sont plus guidés par notre statut social, par notre désir de reconnaissance ou d’intégration. Nous y « sommes », comme on le dit de l’endroit ou du moment tant attendu. C’est comme si tous les éléments et tous les ressorts qui jouent dans ce que l’on pourrait appeler le « vis-à-vis » de l’échiquier social disparaissaient sans pour autant que nous ne soyons pas présents les uns aux autres. On peut reprendre exactement cette métaphore et se représenter l’amour comme cette modalité de proximité identique à celle qui rapprocheraient des figurines de jeu d’échecs mais sans règles du jeu. Ce que l’on y éprouve est donc de la proxémie sans effet social de sens ou de hiérarchie. Quelque chose en cette dimension n’est plus si aisément négociable ou compensable que dans la vie sociale. Ce que l’amour a d’authentique donc, ou de premier, c’est que nous y expérimentons un rapport à l’autre en tant que corps et non en tant que personne morale, sociale voire pas même en tant que nom. Cela a beau être une rencontre qui s’est effectuée sur la base d’une occasion sociale, cela ne saurait empêcher que l’amour, lui, consiste dans l’effondrement des masques, des conventions, des intérêts liés à la société.
        Cette considération est importante mais elle ne nous permet pas nécessairement de voir plus clair par rapport à une éventuelle réponse, dans la mesure où il semble impossible que dans cette dimension anonyme le droit de la personne handicapée à vivre des relations sexuelles puisse valoir (ce n’est pas une dimension de droit. Aucun statut ne peut plus y jouer). En même temps, on peut vraiment  s’interroger sur la prise en compte de son handicap dans cette perspective. Si aucun droit ne peut s’y revendiquer, aucune norme non plus ne peut s’y faire valoir. Toute la question est de savoir jusqu’à quel point nous pouvons nous impliquer réellement dans ce qui sans aucun doute s’effectue dans la relation amoureuse. Nous y débarrassons nous réellement objectivement de tout réflexe social? C’est douteux et c’est exactement tout ce qui rend ce questionnement si problématique car il est tout aussi impossible de concevoir le geste amoureux comme un devoir que de l’envisager comme un efficience purement factuel, physique.

3 - Une relation sexuelle est-elle une relation humaine?
       
Cette question peut paraître surprenante: comment pourrait-elle ne pas l’être puisqu’elle unit des êtres humains? Dans l’un de ses films « Intimité », Patrice Chéreau décrit la relation étrange de deux personnes qui se retrouvent tous les mercredi après midi pour des relations purement sexuelles. Ils n’échangent pas de mots et font l’expérience simple et muette d’une entente physique. Mais Jay va vouloir en savoir plus sur Claire et tout va se compliquer. On voit difficilement comment nous pourrions concevoir les pulsions amoureuses comme s’inscrivant dans le cadre de ses rapports que nous nouons avec les autres pour constituer avec eux un groupe, une cité, une culture, une communauté, voire même « un couple ». Tout échange de mots avec notre prochain crée par là même une entente, une reconnaissance de l’autre en tant que personne, de la civilisation. Mais ce n’est pas le cas dans la relation amoureuse où l’intimité des corps se passe de mots, de concepts, de justifications.Le plaisir de la rencontre s’estompe devant la jouissance de l’accouplement. Si la relation amoureuse est donc aussi importante, c’est parce qu’elle nous ramène à une dimension fondamentale de notre existence que l’on pourrait faire consister dans la jouissance physique de la proximité de l’autre en tant que corps. Mais tout le problème alors vient précisément de ce que cette efficience brute, physique du rapport à l’autre est aussi nécessaire qu’insituable dans un cadre social. Ce qu’elle est, c’est précisément tout ce que la vie humaine en société s’épuise à dissimuler, ou à canaliser voire pire à marchander.
       
La sexualité manifeste indiscutablement chez chacun de nous l’efficience d’un rapport au vivant dont Freud a clairement montré tout ce que la tentative de domestication ou de dressage induisait de difficultés. La répression est absolument incontournable mais elle ne saurait s’effectuer paisiblement, sans problème. Elle doit « s’assumer », pour reprendre un mot galvaudé qui ici revêt un sens particulièrement juste.. Cela signifie qu’au-delà de la maîtrise ou en-deçà d’elle toute sexualité requiert de la part du sujet lui-même une forme d’acceptation laquelle se reconduira dans l’acceptation de la sexualité du partenaire. Non seulement donc la relation amoureuse est une relation humaine mais elle est précisément celle au sein de laquelle la question de notre humanité est toujours en suspens, donc toujours à conquérir et à reconquérir précisément parce que la sexualité demeure cette part obscure de soi où chacun de nous s’ignore au plus haut point. Aussi difficile que soit donc la compréhension des désirs de l’autre dans une relation provoquée, planifiée entre un assistant et une personne handicapée, elle s’inscrit parfaitement, voire plus qu’aucune autre dans ce qu’un rapport humain est, précisément parce que l’humanité n’y est pas posée comme un acquis ni comme un devoir être, mais comme un devenir à  assumer.

mercredi 13 mars 2019

L'artiste et l'artisan - Texte d'Alain extrait de "Système des beaux-arts" (1920)

"Il reste à dire en quoi l'artiste diffère de l'artisan. Toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie. Et encore est-il vrai que l'oeuvre souvent, même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pensé dès qu'il essaye ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d'une idée dans une chose, je dis même d'une idée bien définie comme le dessin d'une maison, est une oeuvre mécanique seulement, en ce sens qu'une machine bien réglée d'abord ferait l'oeuvre à mille exemplaires.
Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à l'oeuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il serait même rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu'il est spectateur aussi de son oeuvre en train de naître. Et c'est là le propre de l'artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s'étonne lui-même. Un beau vers n'est pas d'abord un projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu'il l'a fait ; et le portrait naît sous le pinceau. (...) Ainsi la règle du beau n'apparaît que dans l'oeuvre et y reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais, d'aucune manière, à faire une autre oeuvre."

  1. Quel est le critère qui distingue une oeuvre d’art d’un objet technique selon Alain?
  2. Comparez la thèse défendue dans ce texte avec celle que soutient Marx dans celui-ci:
« Notre point de départ c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit, préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n'est pas qu'il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonner sa volonté ».
Karl Marx,  Le capital(1867), trad. J. Roy, Éd. Sociales, 1950.

Que pouvons-nous en déduire?
  1. Que s’agit-il d’entendre par « règle du beau » selon Alain? Y’a-t-il des règles de l’art?
  2. Quelle utilisation pouvons-nous faire de ce texte par rapport au sujet « La création d’une oeuvre est-elle plus libératrice que l’accomplissement d’un travail?

dimanche 10 mars 2019

Qu'est-ce que la liberté? de Hannah Arendt - Comprendre les articulations conceptuelles de la partie 4

Il s'agit pour nous de décrire clairement la démarche argumentative de Hannah Arendt dans la 4e partie. Qu’essaie-t-elle de prouver? Qu’« être libre » signifie finalement et seulement: « commencer ».  C’est volontairement qu’il nous faut décrire cette assimilation entre des verbes à l’infinitif car, comme il a été dit, Hannah Arendt ne considère à aucun moment que la liberté puisse ni doive être individuelle (on ne peut pas vraiment dire « je suis libre », je suis libre quand mon je devient « nous »), La liberté, pour Hannah Arendt, est celle de s’intégrer dans une assemblée d’autres hommes libres pour « commencer » quelque chose. La liberté ne se confond jamais, pour elle, avec un pouvoir d’initiative personnel.
        Cette définition (dont on peut penser qu’elle est, pour elle, la meilleure, puisque c’est celle qui clôture l’article) de la liberté comme commencement va, au fil de l’article, s’imposer au gré de différentes perspectives: a) l’étymologie b) la métaphysique c) la religion chrétienne (nouveau testament) d) l’histoire e)  la cosmopolitique

a) L’étymologie
       
Dans ce retour à l’origine du mot « agir », Hannah Arendt essaie finalement de montrer que seuls les hommes libres peuvent agir, c’est-à-dire commencer: cela est sous entendu. « Archein » est ainsi l’action réservée aux citoyens dont le statut autorise qu’ils se réunissent et agissent pour la cité, par elle, en elle ou à l’extérieur d’elle. De même l’expansion de Rome est toujours ramenée par les historiens à la fondation de la cité, comme si cette évolution libre de la ville et sa prospérité toute aussi économique que militaire ne pouvait se concevoir et se lire qu’en référence à son commencement. Que quelque chose comme une spontanéité, un mouvement propre ait été impulsée et poursuivie de telle sorte que Rome soit devenue un empire, c’est ce dont on ne peut rendre compte qu’en ramenant toujours l’évènement décrit historiquement à l’origine.
b) La métaphysique
        Ce rapport étymologique avéré entre liberté et commencement aurait pu rester lettre morte comme il nous arrive souvent de constater que le sens de tel mot aujourd’hui vient d’un terme ancien qui avait un tout autre sens. Mais précisément qu’Hannah Arendt soit capable aujourd’hui d’écrire que toute liberté est ontologiquement celle de commencer induit que quelque chose ou quelqu’un a pérennisé ce lien. Nous venons d’évoquer Rome et Hannah Arendt évoque celui qui fut selon elle, le seul philosophe romain à pérenniser ce rapprochement: Saint-Augustin. Elle évoque alors l’idée très pertinente d’un décalage entre l’histoire des idées et l’enchaînement logique d’un raisonnement. Il est très paradoxal que Saint Augustin qui joua un rôle si important et si nuisible dans la confusion entre liberté d’action (Hannah Arendt) et liberté de volonté (libre-arbitre - Descartes) soit par ailleurs le défenseur d’une conception complètement extérieure de la liberté.
       
C’est à ce moment que l’article prend une tournure métaphysique (donc difficile) forte. Dans son ouvrage « La cité de Dieu », Saint Augustin soutient que Dieu a créé l’homme dans l’univers pour insinuer du commencement, et donc de la liberté, dans le cosmos. Cette thèse est tout-à-fait cohérente, même indépendamment de la référence à Dieu (on peut ne pas adhérer à l’idée de Dieu et comprendre ce que Saint Augustin veut dire, voire y adhérer). En quelques mots, il s’agit d’opposer la nature d’existence de l’univers et celle de l’homme: elles ne peuvent pas être placées sur le même niveau et cela se perçoit avec évidence dans les énoncés suivants: que l’univers soit dans l’univers est un pléonasme, une phrase absurde, parce que l’univers, comme le dit Wittgenstein, est « tout ce qui a lieu ». Qu’une chose se produise dans l’univers veut simplement dire qu’elle a lieu. « Que l’univers soit » est une proposition qui accompagne implicitement toute proposition. Qu’une chose soit pensée, qu’elle soit dite, induit absolument qu’elle soit dite dans l’univers, lequel est l’« être là » de toutes les choses, de tous les êtres, de tous les phénomènes qui sont. On pourrait dire que l’existence de l’univers est donc une nécessité ontologique indiscutable, au regard de laquelle tout énoncé affirmant que « l’univers est » est pléonastique parce que c’est forcément dans un univers qui est que je dis qu’il est. Cette phrase sera toujours vraie: elle n’a ni commencement ni fin parce que si l’univers arrêtait d’exister, personne ne serait là pour le dire. Cette phrase n’est vraie que pour autant qu’elle peut être tenue, mais si elle ne pouvait plus être tenue, faute d’univers, « rien ne serait » et la question du vrai serait parfaitement obsolète.
       
Par contre, que l’homme soit dans l’univers n’est pas du tout un pléonasme, parce que l’homme aurait pu ne pas exister, qu’il n’a pas exister tout le temps dans l’univers et que l’on peut envisager l’univers sans lui. En tant qu’être conscient, l’être humain n’est pas seulement dans le monde, il est une perspective du monde et cette perspective, parce qu’elle est celle d’un être mortel, insinue de la naissance et de la mort dans l’efficience cyclique et exhaustive d’un monde qui n’est que là, qui a toujours été et sera toujours là. Cette thèse est vraiment intéressante et Hannah Arendt la partage complètement: la liberté n’est pas une idée qui est venue aux hommes, elle est le « fait humain ». L’homme se caractérise par une certaine façon d’être dans l’univers qui n’est pas celle de l’univers. La liberté c’est commencer dans un univers qui n’a pas commencé, c’est venir à un monde qui est toujours déjà venu, ou plutôt qui n’est pas « venu » parce qu’il a toujours été. Or seul l’homme peut assumer ce paradoxe de commencer dans un univers sans commencement. Pourquoi? Les animaux aussi naissent et meurent dans cet univers, mais contrairement à nous ils ne créent pas le milieu politique nécessaire à ce commencement pour la bonne raison qu’ils n’en sont pas conscients. Les animaux sont pris dans le vital, ils vivent et n’existent pas, donc ne commencent rien, ne partent dans aucune aventure politique animale. Ils n’agissent pas dans le monde.
c) La religion
        Que l’acte même de commencer soit inhérent à l’être humain, qu’il fasse partie intégrante du « phénomène humain », c’est finalement ce dont Hannah Arendt voit la manifestation dans une interprétation philosophique des paroles du Christ. En d’autres termes, ce n’est pas en tant que romain que Saint-Augustin définit la liberté humaine comme commencement mais dans la continuité des thèses défendues par le Christ.
Pourquoi personne ne l’avait vu avant? Parce qu’il est très problématique pour ne pas dire polémique de lire philosophiquement les saintes écritures (en même temps, c’est vraiment éclairant et porteur de sens). En d’autres termes, nous ne pourrons suivre Hannah Arendt ici qu’à la condition d’opérer trois « traductions » (que de nombreux pratiquants d’un côté et athées radicaux, de l’autre, se refuseront probablement à effectuer):
Par « Jésus », il n’est pas question ici d’entendre « fils de Dieu » (mais un philosophe qui propose une thèse sur l’action humaine et invite à un certain type d’action)
Par « miracle », nous ne désignons plus manifestation du pouvoir surnaturel de Dieu, mais simplement une « interruption d’une succession naturelle d’évènements issus d’un processus automatique ne faisant advenir que des faits programmés. » (le miracle c’est donc l’imprévisible et l’improgrammable)
Par « foi », on ne saurait comprendre foi en Dieu, mais fermeté du principe qui anime l’action, confiance dans l’aptitude humaine à initier une action qui rompt avec des processus préalables. Ce n’est pas Dieu qui fait les miracles mais l’être humain. Ce qui est miraculeux c’est l’idée d’une créature venue au monde de façon contingente qui organise et forge sa puissance à agir dans le monde (la politique).
d) L’histoire
        Une fois la notion de miracle ainsi laïcisée, notre regard sur la politique est absolument transformé. C’est comme si le recul pris par Hannah Arendt dans l’histoire des idées voire dans le rapport entre l’être humain et l’univers nous permettait de situer la politique de façon incroyablement plus simple, plus précise et surtout moins péjorative ou mesquine. Renoncer au politique ou le stigmatiser revient à amputer l’homme de sa caractéristique fondamentale, essentielle, du sens métaphysique le plus profond que revêt son existence dans l’univers.
       
Le miracle, en tant qu’il rompt un processus, s’effectue sur le fond d’un enchaînement programmable de phénomènes ou d’évènements. Cet enchaînement peut être naturel: on parle alors de lois physiques, astrophysiques, biologiques, etc. Mais il peut aussi être historique, on évoque alors ces périodes de l’histoire pendant lesquelles rien ne se produit dans les sociétés sans être prévisible. Les peuples se soumettent alors à des protocoles légaux, économiques, sociologiques. Les civilisations stagnent et l’entropie sclérose les évolutions des populations. Il y a des dirigeants, des institutions, des lois, des peuples et pourtant rien de tout ceci n’est plus politique, parce que les hommes sont tellement pris dans des comportements routiniers, dominés par le seul souci de survivre ou de dominer qu’ils ont renoncé à agir dans le monde. Seuls s’exercent alors la souveraineté et la soumission à l’économique, au vital. Ces périodes là sont malheureusement les plus nombreuses, et la liberté n’y est d’aucune manière présente. Mais alors où est-elle? Hannah Arendt répond qu’elle est intacte, « présente » en ce sens qu’elle peut surgir à tout moment mais absente parce que précisément non seulement elle ne surgit pas, mais sa nature même impose qu’elle ne soit prévisible nulle part. Si la liberté est bel bien ce qu’elle doit être, il faut qu’elle soit un commencement et aucun vrai commencement n’est prédictible avant d’être (parce qu’alors il ne serait pas un commencement). Pensons à Athènes: quand la cité est défaite et que sa liberté politique est détruite, éclosent ces écoles philosophiques (celles qu’Hannah Arendt appelait « sectes ») définissant la liberté comme une faculté intérieure. La liberté devient « intérieure », autant dire qu’elle n’est plus ce qu’elle est vraiment: politique.

e) La cosmopolitique
       
L’homme, c’est le miracle politique, ou, en termes aristotéliciens, nous pourrions affirmer que l’homme est un animal naturellement miraculeux (même si cette expression est un oxymore: la nature de l’homme est de ne pas se soumettre à des processus naturels). Hannah Arendt essaie ici de démontrer non seulement que « la capacité d’accomplir des miracles compte parmi les facultés humaines » (p220), mais surtout que la politique se définit comme l’exercice même de cette faculté. Sa démonstration va se diviser en trois points: 1) l’existence de l’homme est en elle-même miraculeuse parce qu’elle est une succession d’improbabilités infinies 2) le réel est toujours miraculeux par rapport au possible et l’existence par rapport à l’essence 3) ce qui permet à l’homme de libérer cette miraculeuse aptitude à la liberté qui le caractérise, c’est leur capacité à créer une réalité propre: la polis.

« Cela paraît plus étrange que ce ne l’est en fait », dit Hannah Arendt (p220) évoquant cette qualité de faiseur de miracles propre à l’homme. Dans une optique purement scientifique, Hannah Arendt pointe le caractère miraculeux au sens de hasardeux de l’existence de la terre, de la vie, de l’homme. D’un pur point de vue statistiques, il y a plus de chances que l’homme ne soit pas que de possibilités qu’il soit, mais justement il « est » (miracle!). Cette prise de position s’oppose totalement à celle que défend le scientifique Brandon Carter en 1974 (Il y a peu de chances qu’Hannah Arendt qui vit alors la dernière année de sa vie en ait eu connaissance) sous le nom de principe anthropique (attention à l’orthographe: aucun rapport avec le principe d’entropie (dégradation de l’énergie au sein d’un système), ici anthropique de « anthropos »: l’homme, en grec). Le principe anthropique soutient que les conditions d’observation de l’univers manifestent la compatibilité avec l’existence d’un être biologique conscient. Le fait même que l’univers soit observable justifie qu’il existe un être humain pour l’observer. L’univers ne serait pas ce qu’il est s’il n’était pas sous entendu qu’une conscience humaine puisse le voir et le décrire. Brandon Carter distingue le principe anthropique faible et le principe anthropique fort. Pour le premier, il est évident que si l’univers n’était pas ce qu’il est, nous n’existerions pas en lui et finalement grâce à lui pour l’observer. C’est quasiment un pléonasme, une évidence un peu plate, voire bête: si l’univers n’était pas ce qu’il est nous ne serions pas ce que nous sommes et il n’y aurait personne pour observer l’univers. Le second suggère que la complexité et la structure même de l’univers est faite pour être l’objet d’un observateur. Il existerait dans les lois de l’univers trop « d’ajustements fins » pour que les conditions de son existence n’aient pas été stabilisées afin que la vie s’y manifeste. Bref, selon cette théorie, c’est justement parce qu’il était improbable que la vie apparaisse dans l’univers que ces ajustements manifestent quelque chose qui est de l’ordre d’une finalité, d’un destin. Il y avait trop peu de chances pour qu’un observateur survienne dans l’univers pour que les conditions qui lui ont donné naissance soient hasardeuses. Finalement du principe anthropique faible au fort, nous passons de la tautologie au finalisme métaphysique, voire théologique. Hannah Arendt serait en complet désaccord avec le principe anthropique, qu’il soit faible ou qu’il soit fort. L’existence de l’homme est précisément miraculeuse parce qu’elle est hasardeuse. 

Toujours dans ce souci qui est le sien de prouver que nous avons du commencement miraculeux une vision thaumaturgique, magique et religieuse parce que nous refusons de voir son efficience à l’oeuvre dans notre quotidien le plus prosaïque, Hannah Arendt entreprend de prouver que tout évènement manifeste une dimension miraculeuse. « Sa factualité transcende en son principe toute prévision » (p221). Quand par exemple un toit s’effondre à cause de l’usure des poutres, on peut toujours après coup incriminer le processus, l’entropie, et affirmer qu’il était fatal que ce toit s’effondre, ce qui est vrai en un sens. Mais en même temps, cela ne suffira pas à justifier que tel autre toit construit avec les mêmes poutres à la même époque ne s’effondrera pas. On évoquera alors « les aléas des circonstances » et c’est exactement cela que veut dire Hannah Arendt, à savoir que le réel, le factuel c’est toujours ce qui effectivement ne se laisse jamais simplement résoudre par la rationalité des processus, aussi inéluctables soient-ils. Il est irréversible qu’une poutre s’use ou qu’un homme vieillisse cela ne suffira jamais à rendre entièrement compte du fait que le toit s’est effondré ou que l’homme soit mort à ce moment là, parce que le fait est toujours imprévisible, irréductible au concept, imprévisible. Ce n’est pas parce qu’un évènement est très fortement probable qu’il aura effectivement lieu. La frontière du possible au réel est infranchissable. Tant qu’il reste simplement probable que l’on meure, on n’est pas mort. Le miracle, c’est finalement la condition même d’effectuation de l’évènement et c’est toujours après coup que l’on dit qu’il était très probable. Allons même plus loin: la météorologie peut prédire avec une très fort pourcentage de probabilités le temps qu’il fera demain, mais cette prédiction reste « globale »; elle ne parviendra jamais à prévoir exactement cette intensité de pluie là ou ce chiffre d’ensoleillement là. La structure même de la réalité est celle de l’imprévisibilité et du « non prédictible », sans quoi l’évènement perdrait sa caractéristique propre: celle d’être improgrammable.
Rien n’est plus banal que le miraculeux donc puisque rien n’est plus commun que de voir s’effectuer des évènements et qu’aucun évènement physique ne se produit sans qu’il y ait du miraculeux. Mais qu’en est-il des évènements humains, lesquels ne sont pas soumis à des lois physiques et donc semblent assez hasardeux. Est-ce que l’on ne confondrait pas alors hasard et miracle? Ne suffirait-il pas en l’occurrence d’appeler miraculeux ce qui est improbable pour affirmer que tout est miraculeux dans l’histoire, puisque les évènements humains sont effectivement majoritairement imprévisibles?  Hannah Arendt défend ici l’idée selon laquelle il y a de l’automatique en histoire, voire que le désastre y est plus manifeste que le salut. L’inéluctable en histoire, c’est la décadence d’Athènes, de Rome, de l’Europe. S’il n’y a pas de lois historiques, il y a des processus, des plis, des effets d’usure et d’habitude qui sclérosent des institutions, des rapports entre classes sociales et font de l’histoire le lieu d’exercice de processus tout aussi générateur d’entropie que les systèmes organiques, chimiques. Comme le dit Hannah Arendt « les chances que demain soit comme hier sont toujours les plus fortes ». Presque aussi fortes ajoute-t-elle que celles qui penchaient en faveur de l’inexistence de la terre, de la vie, de l’homme. Mais la terre, la vie et l’homme « sont », et c’est exactement sur la base de cette improbabilité là que la Polis grecque « fut », et que la politique n’est rien moins dés lors qu’un miracle qui se réactualise à chaque fois que de la liberté politique se réalise dans l’univers.

Conclusion:  Dans son livre « Projet de paix perpétuelle », Kant décrit la paix universelle comme l’un des objectifs manifestant le dynamisme d’un sens de l’histoire à l’oeuvre dans tous les évènements, y compris les plus durs, les plus destructeurs, les plus sanglants. Or ce n’est pas du tout le même angle d’attaque de cette question qui est choisie par Hannah Arendt. Il n’est pas question pour elle de croire ou de ne pas croire à « un sens de l’histoire », mais d’être simplement attentif à cette aptitude humaine à créer une réalité à soi, c’est-à-dire de la culture, de la civilisation et finalement de la Polis au sein de laquelle une action humaine se produit dans le monde. Qu’il y ait donc de la politique c’est bien ce qu’il nous faut situer sur une dimension cosmique, et c’est à la hauteur de cette lecture cosmique de l’efficience politique de l’être humain que la notion même de cosmopolitique revêt un sens nouveau et proprement miraculeux. En d’autres termes, Hannah Arendt ne plaide aucunement en faveur d’une foi quelconque en l’être humain en vertu de laquelle nous pourrions jouir de l’espérance en des lendemains meilleurs, il n’est question, pour elle, que d’être attentifs à ce que nous sommes, à ce que nous avons édifié, soient les conditions nécessaires à l’expression d’un don contingent, celui d’une cité au sein de laquelle une action plurielle menée par des citoyens libres rompt avec l'inéluctabilité de ce qui "normalement" aurait dû arriver.