lundi 14 juin 2021

A quelques jours de l'épreuve



 Bonjour à vous,

Pour préparer et ressortir de l’épreuve suffisamment contentes et contents de votre travail, il est nécessaire d’accomplir quelques exercices, de suivre certaines usages, certaines règles. A quelques jours de l’échéance, je me permets de vous en rappeler plusieurs.
  
            Le meilleur moyen de vous entraîner est de travailler des sujets grâce auxquels vous allez vous rendre compte que vous savez plus de choses que vous ne le pensez. Pour cela choisissez des sujets difficiles, ceux là mêmes sur lesquels vous seriez plutôt tentées de paniquer, le jour de l’épreuve ou de vous dire: « si c’est ça qui tombe, ce n’est même pas la peine! » Et pendant deux heures, efforcez vous de construire un plan très détaillé et de rédiger une introduction. Si c’est un texte, faites l’introduction et commencez à analyser les parties qui le composent. L’essentiel est de constater qu’au bout de deux heures ça va un peu mieux.
            Le programme de votre année de philosophie est bel et bien constitué de notions mais nous les avons évidemment traitées à notre façon, à l’occasion d’autres cours. Par exemple je dirai que les notions Nature et Culture ont été vues dans le cours sur l’inconscient et dans celui du Droit. Au cas où vous vous sentiriez quand même démunies face à ce cours, je vais publier sur le blog un corrigé de la dissertation (en fait c’est déjà fait!): « la culture fait-elle l’homme? » qui devrait vous aider encore davantage.
            

Il est nécessaire que vous arriviez le jour de l’épreuve avec des habitudes, des « plis », c’est-à-dire exactement comme dans la pratique d’un sport, en ayant imposé à votre pensée des usages, des prescriptions qu’elle n’aura plus qu’à suivre. Lesquels?
        Pour la dissertation (il y aura 3 sujets de dissertation au choix),  il faudra très rapidement comprendre où « le sujet veut en venir », c’est -à-dire le problème vers lequel le sujet « pointe ». Je vous rappelle qu’un sujet est une façon imparfaite au sens de « globale », « innocente », éventuellement un peu désinvolte de vous mettre la piste d’un problème, lequel lui n’est ni global, ni innocent et encore moins désinvolte. Cela fait un peu écho au sentiment dont j’espère que vous l’avez ressenti pendant les cours, que ce petit intitulé (suis-je l’auteur de ma vie? Y’a-t-il une vérité scientifique? Etc.) contenait une dimension paradoxale extrêmement vive, complexe. Rien ne peut vraiment commencer si vous ne percevez pas cette profondeur là, cet « abîme ». On doit être littéralement happé par l’impression vertigineuse qu’il n’y a pas de réponse simple à cette question. Par exemple, sur la question «  Y-a-t-il une vérité en science? » Il est impossible d’être vraiment efficace si l’on ne saisit pas tout ce qu’ouvre le « une ».  La position de Karl Popper est assez éclairante sur un tel sujet: la science est précisément la discipline qui ne se recommande d’aucune vérité de départ et qui, de ce fait oeuvre incessamment pour s’en rapprocher mais sans jamais prétendre être la vérité. Avec les régimes de vérité de Michel Foucault, nous allons encore plus loin puisque il apparaît clairement que chaque epistémè constitue un cadre, un terreau à l’intérieur duquel se constituent non seulement des champs de savoirs mais  aussi des régimes de vérités dominants.
          

Quand certaines références vous permettent ainsi de comprendre un sujet en le relativisant, c’est-à-dire en réalisant que selon que vous insistiez sur tel ou tel terme présent dans le sujet, il explore de nouvelles possibilités de réponses, c’est que vous êtes sur le bon chemin.
        Il convient également que vous possédiez les bonnes distinctions conceptuelles (Droit naturel / Droit positif   Vérité de cœur/ Vérité de raison, etc.) pour saisir la difficulté paradoxale de tout sujet.
        Dans la mesure du possible, l’état d’esprit dans lequel une dissertation de philosophie doit être abordée est le suivant: on peut commencer quand l’éventualité d’une réponse univoque est définitivement révoquée dans votre esprit. Si vous ne parvenez pas à saisir l’ambiguïté d’un sujet, c’est que vous êtes en train de passer à côté, donc arrêtez tout et choisissez en un autre.
        La construction du plan doit vous permettre de structurer cette ambiguïté, de l’explorer méthodiquement, calmement, complètement et surtout progressivement. Vous savez vers quoi on veut vous faire aller donc il faut y aller mais en prenant soin de garder les arguments les plus fins, les plus subtils, les plus étayés pour la fin. Il est important de suivre une dynamique croissante dans l’enchaînement des thèses et des références. Ainsi, par exemple, la perspective des univers multiples est vraiment intéressante et vertigineuse pour le sujet « Y-a-t-il une vérité en science? » parce que  les scientifiques qui n’invalident pas cette hypothèse font finalement tellement œuvre de vérité qu’ils vont jusqu’à envisager que la vérité qui est une notion dont la pertinence était censée reposer sur l’unicité (il y a une vérité et une seule) puisse se démultiplier. Envisager la possibilité que la vérité de l’univers c’est qu’il en existe plusieurs, voire une infinité, c’est instiller du multiple dans la discipline au sein de laquelle ne se développe qu’un principe de nécessité « Une ». C’est extrêmement déstabilisant, troublant, donc fascinant.
          
Il importe que votre plan ne soit pas systématiquement fermé à des idées nouvelles qui vous viendraient au fil de la plume. Cette dynamique là, celle de la main qui, s’activant sur la feuille, suit également un trajet dans votre esprit est fondamentale et porteuse. Elle peut se révéler géniale. Il faut lui faire confiance et accorder beaucoup de valeur aux idées qui jaillissent de cette façon, sur ce mode là. Donnez vous le droit de modifier votre plan à mesure si une thèse ou une référence surgit à tel ou tel moment de la rédaction de votre copie. L’essentiel est que le mouvement de la pensée qui se matérialise sur la feuille soit fluide, dans le sujet, et toujours plus approfondi. 
 
 
 
        La conclusion n’est pas, par contre, le moment où de nouvelles perspectives ou questions doivent être évoquées. Il n’y est question que de reprendre les grandes étapes de votre développement et de terminer par la réponse qui vous semble la plus juste, la plus fine, la plus circonstanciée (quelle conception de la science peut-elle valoir par rapport à telle ou telle vision de la vérité? Cela conditionne telle ou telle réponse)
        Finalement, il faut également bien saisir qu’on vous demande deux choses: 1) traitez la question du sujet 2) développer des idées intéressantes. Qu’est-ce qu’une idée intéressante? Je dirai que c’est une idée dont vous sentez bien qu’elle est de nature à provoquer en vous des bouleversements, à totalement changer votre ancienne façon de voir.
  


        Pour le 4e sujet qui sera une explication de texte, il faut appliquer la méthode que nous avons travaillée, notamment pour l’introduction (Thème / Thèse / Problème). Il me semble impossible d’expliquer correctement un texte si vous ne le trouvez pas « porteur ». Il n’y a pas de problèmes de plan puisque il suffit de suivre son cheminement mais en « l’expliquant », en pointant tout ce qui dans une simple phrase fait signe de présupposés essentiels, fondamentaux. Ce qu’un auteur dit en quelques mots doit faire « sens » et fond sur ce que d’autres auteurs ont développé. Le texte proposé est un peu comme un palimpseste (parchemin dont on a effacé la première écriture pour y rédiger une nouvelle) sauf que cette première écriture qui est le fond de connaissances, de souvenirs de cours, d’images, de références qui sont en VOUS peut et doit pointer puisque en fait votre copie sera la rencontre entre deux intelligences, et surtout la capacité de votre intelligence à faire droit à celle de l’auteur, à la saisir, à vous y retrouver de telle sorte que vous allez alimenter la pensée (géniale ou, en tout cas, philosophiquement puissante) de l’auteur de la votre mais humblement, sobrement.
           
Une fois admis qu’on ne s’éloigne jamais du texte, que c’est toujours à lui que l’on revient comme au fil rouge de notre réflexion, lui qu’on explique, l’essentiel est de ne pas faire de paraphrase et c’est la raison pour laquelle l’image du palimpseste est importante. Nous faisons de la paraphrase quand finalement nous ne faisons que répéter le texte avec d’autres mots. Cela veut dire que le texte ne fait plus fond sur rien, ne s’imprime nulle part, ne suscite rien. Il n’y a pas le premier texte  du palimpseste. Une explication de texte ne peut se concevoir autrement que comme ça: comme la stimulation d’une intelligence par une autre intelligence, l’effet d’écho ou de surimposition de deux pensées dont l’une fait un effort de pure formulation (l’auteur) et l’autre de saisie mais aussi de réponse, de résonance (nous: l'élève). Il nous faut devenir la meilleure caisse de résonance possible au « cri » de l’auteur. Son « cri », c’est sa thèse. Mais cela implique que l’on s’efforce d’être le plus humble et le plus objectif possible. Choisir le texte c’est choisir de faire place dans sa pensée à une autre pensée, et en même temps, cet accueil de la pensée d’un autre ne peut pas se concevoir sans effet d’écho, de résonance. Il faut rendre clair et sans ambiguïtés une pensée qui forcément n’est pas aussi évidente qu’il le paraît.

        Ne craignez pas le mouvement par lequel vous tentez de répondre par votre écriture au cri porté par l’écriture (écrire, c'est s'écrier silencieusement) de l’auteur. Si le terme de « cri » vous semble étrange, je l’emprunte à Gilles Deleuze qui évoque par ce terme la thèse fondamentale d’un auteur (le cri de Descartes, c’est le « je pense donc je suis », celui de Paul Ricoeur, c’est l’ipséïté, etc.). Un cri c’est  une thèse forte, une option philosophique qui souvent renouvelle les termes d’une ancienne question. Revoyez la méthodologie de l’explication car c’est quand même un peu la clé de la réussite sur ce type de sujet.

SURTOUT, n’hésitez pas ces jours ci (n’attendez pas le 16 à minuit) à me faire savoir par mail ou sur ce blog, ce qui vous tracasse dans la perspective de cette épreuve, soit sur les cours soit sur la méthode.


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