jeudi 24 janvier 2019

Méthodologie du 3e sujet du Baccalauréat (explication de texte)

1) Les présupposés du choix du sujet 3
        On ne peut pas choisir le sujet 3 sans consentir implicitement à trois règles:
            a) Faire place nette à la pensée d’un auteur
              
  Il importe d’abord d’adopter très clairement une attitude attentive et suspensive. Notre opinion sur le texte n’intéresse personne. Nous l’avons choisi parce que le sujet retient notre attention, pas du tout parce que nous avons envie de réagir instinctivement à chaque phrase. L’exercice requiert une humilité absolue. Nous accueillons dans notre pensée la pensée d’un autre et même s’il sera vraiment nécessaire que les mots que nous aurons choisis, nous et nous seuls, s’appliquent, expriment et éclairent la pensée de cet auteur, notre jugement, en revanche, ne sera jamais mobilisé. Que nous soyons d’accord ou pas avec la thèse défendue n’est pas du tout essentiel. La seule chose qui importe, c’est que nous ayons le sentiment que notre réflexion ne va pas s’ennuyer « ici ». Par cet « ici », il faut entendre le champ de questionnement, de notions, de termes (registre lexical), le style ouvert par le texte. L’attitude qu’il convient d’adopter ne consiste donc pas à penser que l’on a des choses à dire sur le texte mais plutôt qu’il décrit les contours d’un lieu, d’une configuration topographique, d’une sorte de paysage dans laquelle on peut réfléchir efficacement parce qu’il nous donne les instruments pour le faire, exactement comme un campement que l’on installe ici parce qu’il y a à proximité de l’eau, du bois, un terrain plat et abrité, etc. Pour cela, il faut visiter le lieu, l’accepter tel qu’il est avec cette arrière pensée que l’on va peut-être s’y installer pour la nuit mais qu’on le laissera tel quel après, sans l’avoir déformé, trahi, voire sali.
            b) Accepter et saisir l’unité du texte
                Le texte est un extrait: cela signifie qu’il a été découpé dans l’oeuvre, par des enseignants de philosophie qui ont perçu qu’une thèse, et seulement une, était développée dans ce passage. Par conséquent, si dans notre lecture et relecture du texte, nous n’y relevons pas la moindre unité, pas la moindre trace d’une seule et même idée défendue et exposée par différents procédés, nous passons à côté de son sens et si cette impression demeure, il serait vraiment suicidaire de choisir ce texte parce que nous ne disposons pas du préalable sans lequel il est impossible de l’expliquer.
            c) Le principe de distinction entre la cohérence et l’adhésion
               
Pour les mêmes raisons, il nous est impossible d’envisager que le texte se contredise dans son intention, c’est-à-dire dans son sens. Il « veut » nous dire quelque chose, et cette volonté qui est philosophique passe nécessairement par une démonstration, ou du moins par la volonté construite de nous convaincre. Si nous avons choisi le 3e sujet, cela signifie que nous allons analyser cette tentative de démonstration, cette défense d’une idée, en relevant ses procédés, son style, ses références, etc. Cela ne signifie aucunement que nous soyons contraints d’être en accord avec la thèse défendue mais que nous avons bien perçu sa cohérence, sachant que celle-ci est nécessairement à l’oeuvre dans le texte
2) La lecture du texte
        Il est évident que l’on ne peut envisager de traiter le 3e sujet qu’en lisant plusieurs fois le texte. Chaque lecture doit s’effectuer en mettant au premier plan de sa  démarche une visée préalable et précise:
        a) Première lecture: le principe d’unité
            La première lecture consiste simplement à déterminer le taux de « faisabilité » de l’explication. Qu’est-ce qui fait de ce passage « UN » texte? Pourquoi nous le propose-t-on? Au-delà de la division claire de ses paragraphes, de l’utilisation de procédés différents: description, exemple, argumentation stricte, référence à des mythes ou à d’autres philosophes, l’auteur veut nous convaincre d’une seule et même thèse. Même si nous avons encore du mal à préciser clairement cette thèse, nous voyons bien que tout va dans une seule direction. Nous pourrions dire qu’il s’agit de répondre à la question: pourquoi ce texte?
        b) Deuxième lecture: Les temps de l’argumentation
            Dans cette deuxième lecture qui, en un sens est l’inverse de la première puisque nous allons détailler les étapes de démonstration du passage au lieu de les synthétiser, nous portons toute notre attention sur les divisions en paragraphes, sur les connecteurs logiques, de façon à démonter la machine à convaincre de l’auteur (démonter au sens de « disséquer », pas « contredire »). Ici il est question de comprendre le « comment ? » du texte.
        c) Troisième lecture: remonter les pièces et comprendre la machine
           
Nous venons de distinguer clairement les ressorts du texte, c’est-à-dire la façon dont s’articulent non seulement les propositions mais aussi les procédés, les figures de rhétorique, le fil des arguments, bref toutes les pièces de « la machine à convaincre » de l’auteur. Dans cette troisième lecture, nous suivons lentement la progression linéaire de son écriture en sachant à l’avance où il veut en venir. C’est comme voir fonctionner un appareil qui n’aurait plus de cache, de coque dissimulant les circuits. Tout s’active « à ciel ouvert »? Nous voyons circuler le courant « à vue d’oeil ». C’est ce que l’on pourrait appeler, comprendre le pourquoi du comment du texte.
3) L’ utilisation du brouillon
        Nous pouvons nous servir de notre brouillon pour accomplir trois tâches:
formuler clairement et précisément l’idée essentielle du texte
Repérer les phases de la démonstration de l’auteur
Evoquer les références possibles: qu’elles abondent ou pas dans le sens de la thèse défendue par le texte. L’essentiel est qu’elles traitent précisément le même sujet       
       

4) L’introduction
   
  Toute introduction d’explication de texte doit exprimer clairement trois données fondamentales du passage: son thème, sa thèse et sa problématique (enjeu):
          - Le thème désigne la notion « globale » dont il est question ici. Il s’agit dés les premières lignes de notre copie de pointer sommairement sur le fond de quelle question la réflexion de l’auteur va se constituer. Simone Weil n’a pas donné naissance à la question de la dénégation morale. Celle-ci existait avant comme le prouve d’ailleurs la référence à Gygès. Nous partons donc de ce fond d’écran à partir duquel ce texte devient plus lisible, plus légitime.
        - La thèse est l’idée essentielle défendue par l’auteur. Celle ci doit correspondre exactement et précisément (il ne s’agit pas de résumer le texte) à l’intention du philosophe, à son « vouloir dire ». Le passage étant une « machine à convaincre », il faut formuler explicitement l’idée qu’il a pour objectif de défendre.
        - L’enjeu du texte désigne un problème philosophique à l’intérieur duquel la thèse défendue prend une importance cruciale, un changement de perspective. Si Simone Weil a raison alors cela signifie que tel problème philosophique auquel il est fait référence dans le texte sans qu’il en constitue, pour autant le fond, peut être abordé ou tranché de telle façon.
5) Expliquer
      
 Qu’est-ce qu’expliquer? Ce n’est ni commenter, ni comprendre.  
- Commenter désigne l’acte par lequel nous greffons des pensées sur une parole, un texte  ou bien des images. Nous disons ou écrivons quelque chose « à l’occasion » d’un texte. Il y a donc évidemment un rapport entre le texte ou l’événement que nous commentons et ce que nous exprimons à son propos, mais ce rapport n’est pas aussi rigoureux, précis, polarisé que l’explication, laquelle ne tend qu’à rendre clair le texte, qu’à le « déplier » (étymologiquement expliquer, c’est démêler les plis). Commenter un texte signifie formuler tout ce à quoi le texte nous fait penser, alors que l’explication désigne l’effort par lequel une pensée (la notre) s’applique à une autre pensée (celle de l’auteur) avec cette intention déterminée et ciblée d’élucider le texte, tout le texte mais rien que le texte.
- Expliquer, ce n’est pas non plus comprendre parce que l’on peut comprendre intuitivement, c’est-à-dire spontanément, « d’un seul coup ». On peut réaliser une vérité ou une évidence, du moins ce qui nous apparaîtra comme tel après l’instant de notre révélation. L’explication ne peut pas être immédiate: elle suppose des étapes, un raisonnement, un enchaînement de causalités. C’est cela qui nous fait saisir qu’une explication consiste éventuellement à formuler ce que l’auteur n’a pas forcément jugé bon d’exprimer, soit parce qu’il l’avait dit avant, soit parce que c’est évident pour lui (il nous donne le résultat du mécanisme mais sans en décrire les rouages).
- Comprendre désigne un effort de synthèse par lequel nous embrassons la totalité du texte et le résumons par une idée (comprendre, c’est « prendre avec »), alors que l’explication décrit un effort analytique grâce auquel nous détaillons chaque phrase et nous appliquons à souligner la progression, les rapprochements ou les oppositions de concepts au fil desquels le texte « avance » pas à pas. Évidemment, il est nécessaire de comprendre un texte pour l’expliquer, mais ce n’est pas parce qu’on le comprend qu’on peut l’expliquer. On peut dire que je comprends un texte quand je réalise sa motivation, pourquoi il a été écrit, je l’explique quand je rends compte du comment il a été écrit. Le dernier point qui peut nous faire comprendre cette différence concerne la distinction entre les causes et les motifs. Un auteur a écrit un texte pour nous faire comprendre quelque chose: c’est son motif ou sa motivation mais en même temps, il a, en suivant ce mouvement, donné naissance à quelque chose qui est « là », présent sous mes yeux, comme un phénomène. Le texte est un « fait »: il y a là des mots, des phrases, des signes, et c’est ce fait là à l’intérieur duquel il importe de discerner des causes et des conclusions.
    
 Il convient de bien garder en tête qu’une explication ne doit jamais tomber dans la paraphrase, c’est-à-dire dans la simple répétition sans effet de profondeur, sans élucidation et surtout sans « risque ». Cette notion de prise de risque est vraiment fondamentale: aussi performante soit-elle, toute explication est une « tentative » d’élucidation. Nous devons prendre le risque d’utiliser des formulations qui sont les nôtres et qui marquent une forme d’appropriation de la pensée de l’auteur. Ce qu’il dit en ces termes, nous allons tenter de le rendre par des termes plus simples et surtout par la mise en lumière de ressorts plus évidents, plus clairs, plus dépliés. Tout texte est « complexe » au sens propre du terme: il mêle des « plis », des concepts, des figures de style, éventuellement des références dites ou non dites à des auteurs, des niveaux de compréhension possibles. Il s’agit pour nous de les "pointer », d’en souligner la présence de telle sorte que cette éventuelle complexité du texte se révèle à nous comme lisible, comme praticable de la même façon qu’un itinéraire que l’on dévoile sur une carte en reliant les unes aux autres les villes que nous venons de traverser. Le texte n’est pas complexe parce qu’il est difficile mais parce qu’il embrasse dans la totalité de son mouvement et de son sens des notions, des arguments, des exemples, distincts. Il nous revient à la fois de discerner l’unité de ce dynamisme et toutes les « régions » qu’il traverse.
        Enfin, le pire défaut qui puisse discréditer une explication de texte est l’éloignement par rapport à son objet: le texte même. Aussi loin que puisse nous conduire telle procédure d’élucidation de tel ou tel passage, il nous faut toujours revenir au mouvement de ce texte, mouvement qui n’a pas été initié par nous mais par l’auteur. Cela revient à l’un des présupposés qui a été formulé au moment de la lecture. Notre pensée se met au service de la pensée d’un autre et nous nous consacrons exclusivement à ce travail d’élucidation là qui ne doit pas cependant nous interdire d’évoquer des thèses précisément contraires à celles qui sont défendues dans le passage expliqué. L’opposition avec des thèses contradictoires crée toujours un effet de clarté.
6) Conclusion
        En conclusion, nous pouvons souligner ce que la thèse apporte de nouveau à la perspective du thème (distinction faire en introduction), voire à la philosophie. Même si les textes proposés ne sont pas tous d’égale importance en termes d’impact pour la pensée humaine, l’auteur ne l’aurait pas rédigé s’il ne lui avait pas semblé nécessaire de le faire et cette nécessité est reconnue, ne serait-ce que parce que ce texte nous est proposé. C’est sur elle qu’il importe d’insister en conclusion. Qu’est-ce que le texte nous apporte, finalement? A-t-il transformé la façon d’aborder une question? On serait tenté de répondre que c’est forcément le cas. Il est également possible d’évoquer simplement les effets de l’explication de ce passage. Il y a nécessairement des aspects du thème abordé que nous ne verrons pas de la même façon.

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